JO 2024 : les leçons d’une conduite de programme d’infrastructures réussie
L’exemple des chantiers des JO de Paris 2024 dessine une réponse plus systémique de la France aux grands enjeux urbains du XXIe siècle. Notamment la taille du Village et la variété de ses fonctions ont permis de déployer un ensemble cohérent de solutions à la question de la ville bas carbone, de la résilience climatique, de la qualité urbaine, de la biodiversité, de l’accessibilité…
Et la conduite de l’ensemble des projets, qui a permis une livraison en temps et en heure, sans dépassement de budget, est exemplaire en termes d’efficacité et met en avant l’expertise française dans le domaine.
Si, avec 70 ouvrages pérennes, l’héritage matériel des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) est conséquent, l’héritage immatériel l’est encore plus. La France a réussi à livrer tous ces ouvrages dans les temps et dans les budgets. C’est la première fois qu’un pays organisateur tient cette double contrainte. Et la France fit bien plus : conformément aux ambitions fixées en 2018, les ouvrages olympiques constituent une réelle vitrine de l’excellence française dans l’art de bâtir au XXIe siècle.
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Un impact carbone divisé par deux
D’un point de vue environnemental, le Village olympique et paralympique diminue son impact carbone de 47 % par rapport aux constructions standards de 2019 (date de dépôt des permis de construire), et ce sur un cycle de vie de 50 ans. Dans notre approche, un budget carbone a été alloué à chaque bâtiment et le carbone a ensuite été réellement compté à toutes les étapes de la construction, des terrassements au poids carbone des bétons ou des équipements intérieurs. Nous avons accordé la même importance à l’impact carbone lié à la construction et à celui de l’exploitation du bâtiment.
Cette diminution par deux des émissions carbone a été atteinte grâce à une approche systémique des modes constructifs, avec en particulier la généralisation des structures plancher-poteaux-poutres sobres en matières, facilement réversibles pour l’héritage et permettant la plasticité à moyen terme des bâtiments. Mais aussi à travers le déploiement à grande échelle d’innovations « prêtes » : la plupart des immeubles de moins de 28 m intègrent du bois en structure, les deux tiers des façades, quelle que soit leur hauteur, sont à ossature bois avec une grande variété d’habillages (ouvrant, à travers 15 Atex, appréciation technique d’expérimentation, la voie à la diffusion large de ces techniques bas carbone), le chantier a déployé à grande échelle l’usage de béton ultra-bas carbone (plus de 18 000 m3 utilisés par Bateg-Vinci).
« La livraison en une fois du Village des athlètes a garanti l’équilibre économique d’un réseau de chaleur réversible qui apporte une énergie décarbonée à 70 %. »
De plus, la livraison en une fois des 330 000 m² du Village des athlètes a garanti l’équilibre économique d’un réseau de chaleur réversible qui, alimenté par de la géothermie peu profonde, apporte une énergie décarbonée à 70 %. Cette diminution par deux de l’impact carbone se fait sans subvention publique, sur un ensemble varié de bâtiments aux architectures multiples et dans le modèle économique de la première couronne parisienne. C’est la preuve tangible que la filière française de la construction (architectes, bureaux d’études, promoteurs, constructeurs…) est aujourd’hui prête à atteindre, avec dix ans d’avance environ, les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone.
Une adaptation au climat de 2050
Par ailleurs, le Village est déjà adapté au climat de 2050, sans climatisation. Ainsi, Météo France a modélisé le microclimat de l’été standard de 2050 (à peu près équivalent à la canicule de 2003). Une définition du confort a été posée (pas plus de 160 heures au-dessus de 28 °C sur l’année moyenne de 2050) et 98 % des pièces répondent à cette exigence en 2050.
Cette performance, démontrée par simulations thermiques dynamiques à toutes les étapes de conceptions du projet, a été atteinte grâce à une approche multifactorielle : la prise en compte de la micro-aérolite liée à la Seine (courants, vents liés à la Seine), l’inertie thermique des bâtiments, la réversibilité du réseau de géothermie, une ventilation naturelle efficace, et également la lutte contre les îlots de chaleur urbains à travers les plantations dopées pour favoriser l’évapotranspiration, l’albédo et naturellement la morphologie urbaine.
Le Village a un jumeau numérique (la plus grande maquette CIM, City Information Modeling, d’Europe) grâce auquel Dassault Systèmes a pu confirmer l’atteinte de l’objectif.
Des innovations de pointe
De plus, à côté de ces exigences transverses à tout le Village, des innovations de rupture ont été déployées pour apporter des réponses ponctuelles à d’autres grandes questions urbaines du XXIe siècle. Le bâtiment « Cycle » porté par Icade trie, recycle et réemploie toutes ses eaux (grises et noires) pour des usages internes et pour l’arrosage de son jardin intérieur. Outre une économie d’eau potable de l’ordre de 60 %, ratio utile en cas de sécheresse, ce bâtiment répond aux enjeux de reconstituer des cycles du phosphore et de l’azote sous contrainte carbone. Ce bâtiment est ainsi un prototype qui préfigure les nouvelles circularités pour trois des neuf limites planétaires.
Autre exemple, pour décarboner et rendre résiliente l’exploitation d’un immeuble tertiaire, Nexity-Eiffage et EDF ont préfiguré des nouveaux services d’exploitation pour l’énergie et la qualité de l’air, en mobilisant l’IA et des technologies de pointe. La gestion des appels de puissances électriques y est pilotée en intégrant de façon prédictive la production photovoltaïque et l’utilisation effective du bâtiment et en utilisant les véhicules électriques comme stockage avec des systèmes de charge des véhicules bidirectionnels.
Dans le contexte spécifique de zones densément urbanisées, les ouvrages olympiques sont également démonstrateurs d’une stratégie d’amplification de la biodiversité à grande échelle. En travaillant sur les sols, les continuités, les palettes végétales et leur adaptation à l’environnement et au climat, les projets sont conçus comme des écosystèmes urbains complets suffisamment complexes pour être durablement résilients.
La prise en compte du handicap
En concertation avec le gouvernement et le réseau associatif représentant les personnes en situation de handicap, la Solideo a défini son propre référentiel d’accessibilité universelle et l’a fait appliquer à l’ensemble des maîtres d’ouvrage. Au-delà des considérations techniques et réglementaires incontournables, il revient principalement à appliquer à la Ville les principes de la conception universelle (la Convention internationale des droits des personnes handicapées la définit comme étant « la conception de produits, d’équipements, de programmes et de services qui puissent être utilisés par tous, dans toute la mesure possible, sans nécessiter ni adaptation ni conception spéciale »).
Penser les espaces à travers le double prisme des usages de la vie quotidienne et de la diversité des capacités physiques, psychiques, intellectuelles enrichit singulièrement la qualité d’usage pour tous, car de vraies convergences existent en termes d’usage entre les populations dites « valides » et les personnes ayant des besoins plus spécifiques. Concrètement cela se traduit par des aménagements spectaculaires, comme les rampes qui relient les quais de Seine au Village des athlètes, aussi bien que par des détails, comme le choix des mitigeurs dans les salles de bains ou le sens d’ouverture des portes, mais ce sont bien la généralisation de cette démarche et la continuité d’usage qu’elle permet qui en font l’efficacité.
Un niveau exceptionnel de sécurité au travail
L’exemplarité des chantiers a également été posée comme un objectif stratégique. Sur les 30 000 compagnons qui ont, pour une semaine ou pour trois ans, travaillé sur les chantiers olympiques, près de 4 000 étaient en insertion professionnelle, totalisant plus de 2,8 millions d’heures réalisées. De plus, 36 % en valeur des marchés passés ont été attribués à des PME ou à des structures de l’ESS provenant de 85 départements français. Ainsi ce sont bien tous les territoires français qui ont contribué à la construction des ouvrages olympiques.
“Quatre fois moins que la moyenne d’accidentologie de la branche.”
Par ailleurs, au jour où nous écrivons (15 mars 2024), les chantiers olympiques n’ont connu que 180 accidents dont 29 graves et aucun mortel. Si ce sont toujours 180 accidents de trop, il est important de souligner que c’est quatre fois moins que la moyenne d’accidentologie de la branche, et ce alors même que la pression calendaire, le nombre de compagnons en insertion, l’exiguïté des sites, le travail en milieu urbain dense, l’importance des coactivités interentreprises, le poids des dispositifs constructifs innovants, la diversité architecturale des bâtiments constituaient des facteurs accidentogènes supplémentaires.
Un planning respecté à la lettre
Alors que la joie des inaugurations et du passage de témoin à Paris 2024 retombe, quels premiers enseignements tirer de ces six années ? En premier lieu, il convient de s’interroger sur les facteurs ayant permis à la Solideo de livrer dans les délais les ouvrages olympiques, programme de construction assez gigantesque (4,5 Md€). Et en effet, dans le monde de la gestion de ce style de grands projets, il est extrêmement rare qu’une date de livraison annoncée ou souhaitée plusieurs années auparavant (en général au démarrage du projet, au moment des études de faisabilité) soit respectée. Or Solideo a respecté la date promise de livraison au jour près, six ans après l’avoir annoncée !
« Solideo a respecté la date promise de livraison au jour près, six ans après l’avoir annoncée ! »
Le planning est très souvent la variable d’ajustement, sacrifiée dès qu’un aléa un tant soit peu important (ce qui est courant) se concrétise. Parmi les aléas classiques, on peut citer : les difficultés de bouclage de financement, les recours sur les autorisations d’urbanisme, les retours d’appel d’offres élevés, les découvertes en phase chantier, les modifications de programme des utilisateurs, etc.
La Solideo a rencontré sur les projets olympiques chacun de ces types d’aléas et a pourtant réussi à ne pas sacrifier le planning, tout en respectant le cadre très strict de la commande publique, du droit de l’environnement et de l’urbanisme, et du travail. Le tout à budget constant. Avec une difficulté supplémentaire, le fait qu’elle a confié une partie des travaux à des tiers, c’est-à-dire d’autres maîtres d’ouvrage, diluant ainsi la chaîne de décision et de responsabilité.
Un cadre commun de gestion
Pour tenir ce pari, un premier travail a été réalisé très tôt dans le projet d’audit complet de la soutenabilité technico-financière des programmes de construction des 70 ouvrages. Certains ajustements de programme ont dû être faits à la suite de cet audit, pour s’assurer que les opérations pourraient se réaliser dans les coûts annoncés. À ce stade, il a été crucial d’être transparent et de ne pas, comme ça se voit parfois (pour ne pas dire souvent), sous-dimensionner les enveloppes financières nécessaires afin de faire valider un programme devenu, avant même le démarrage du chantier, irréaliste.
La Solideo a ensuite travaillé avec chaque maître d’ouvrage et avec Paris 2024 futur exploitant, pour pousser chacun (maître d’ouvrage et exploitant) à clarifier son besoin, à le formaliser, et l’entreprise a imposé à chaque maître d’ouvrage une structure commune de suivi des plannings et des budgets, pour garantir une certaine uniformité des méthodes et permettre un suivi à l’échelle des 70 ouvrages. Chaque maître d’ouvrage a dû expliciter ses provisions pour aléas, en détaillant la typologie d’aléas spécifique à chaque site et en justifiant le dimensionnement des provisions ; la Solideo gardant le contrôle sur une provision commune tous sites qu’elle a eu la capacité d’allouer à tel ou tel ouvrage si les circonstances le justifiaient, une sorte de « pot commun » auquel chacun contribue et duquel chacun peut bénéficier.
Un socle contractuel strict
Ensuite, la Solideo a défini un socle contractuel unique mais généralisé à tous les ouvrages, liant, pour chaque ouvrage, les trois parties prenantes que sont la Solideo garante du planning, des délais et des ambitions, le maître d’ouvrage et le futur exploitant Paris 2024. Ce socle contractuel a été la base de la fonction de supervision, inédite, que la Solideo a inventée. Au travers de cette fonction, la Solideo a cherché à vérifier, tout le long du projet, chaque mois, que le maître d’ouvrage allait tenir le triptyque des délais, des budgets et des ambitions. Pour ce faire, le socle contractuel imposait au maître d’ouvrage d’une part un reporting très précis sur les trois aspects du triptyque, sur le fondement d’indicateurs contractualisés, et d’autre part une comitologie lourde mais nécessaire, orchestrée par les équipes de la Solideo.
Le maître d’ouvrage, réputé compétent, est responsabilisé. Il doit rapporter tous les mois à la Solideo la bonne atteinte de ses indicateurs. Si des écarts toutefois apparaissent, un dispositif contractualisé d’audit s’active et, si les plans d’action issus de l’audit ne sont pas suivis d’effet, la Solideo s’est dotée de la capacité de se substituer au maître d’ouvrage défaillant (capacité qui n’a jamais été utilisée mais qui a rempli son rôle de dissuasion). Et c’est là l’une des clés de la réussite : le contrat passé avec chaque maître d’ouvrage contenait en son sein ce dispositif très dissuasif permettant de garantir que toute situation de blocage (à nouveau, chose courante dans les grands projets) trouverait une résolution rapide, les acteurs étant tous mobilisés pour éviter l’escalade amenant à la destitution.
Le comité des programmes
En complément, la Solideo a mis en place une démarche généralisée sur tous les ouvrages de gestion des écarts. Relativement faciles à identifier pour un calendrier en phase études ou un budget, l’exercice est plus délicat traditionnellement pour le programme dont l’évolution au fil des études au regard de la référence initiale nécessite une mobilisation de toutes les parties prenantes. Notre conviction a été que ce seraient les évolutions de programme qui constitueraient un des risques majeurs in fine en termes de délais ou de coûts.
“Une posture de supervision exigeante, mais en retour « aidante ».”
Un comité des programmes s’est réuni formellement 107 fois en 40 mois, pour valider ou invalider les évolutions de programmes en fonction des enveloppes d’aléas restants pour les absorber et des marges de planning. En adoptant une posture de supervision exigeante, mais en retour « aidante » pour notamment les équipes opérationnelles des maîtres d’ouvrage, la Solideo a réussi à mettre en place un suivi de projet transparent à l’échelle du programme des 70 ouvrages : les problèmes et aléas rencontrés ont à chaque fois été identifiés très vite et les plans d’action mis en place et suivi religieusement lors des revues de projet mensuelles animées par la Solideo avec chacun des maîtres d’ouvrage.
Une prise de décision rapide
Le Conseil d’administration de la Solideo, destinataire final des indicateurs produits et analysés par le dispositif de supervision, et auquel siégeaient les principaux maîtres d’ouvrage, a dès lors pu jouer pleinement son rôle d’arbitre. La prise de décision, nécessaire pour tenir les délais, était organisée et a eu lieu à chaque fois. Il n’y a rien de pire pour la tenue du planning d’un projet que l’absence de décision ; la force de la méthode mise en œuvre à la Solideo a été d’orchestrer, de façon systémique et pour chaque modification ou aléa de projet, une prise de décision extrêmement rapide et efficiente, à chaque fois consensuelle car fondée sur des indicateurs objectivables et connus de tous depuis le départ. De nombreux autres enseignements peuvent être tirés de l’expérience de livraison des ouvrages olympiques… Stay tuned ! Ils feront l’objet de différentes publications dans l’année à venir.
Imaginer, concevoir, construire et livrer ces 70 ouvrages en six ans aura été une aventure collective exceptionnelle pour les 30 000 compagnons, architectes, ingénieurs, contrôleurs, élus, financiers, paysagistes, avocats, préfets, commerciaux, assureurs, chercheurs… embarqués dans les chantiers olympiques. Arriver dans les délais et les budgets était considéré comme impossible. Ils l’ont donc fait ! Et avec d’autant plus d’enthousiasme et de panache qu’ils savaient que, au-delà du confort des seuls athlètes, ils bâtissaient beau et bien au service des habitants et qu’ils ouvraient des voies prometteuses pour continuer la ville au xxie siècle. Chapeau bas, Mesdames et Messieurs, la France est toujours un grand pays de bâtisseurs !