Sport & technologie : la révolution par l’Intelligence artificielle
Les Américains ont adopté depuis longtemps l’idée d’utiliser des données pour améliorer les performances sportives. Les Européens, quant à eux, ont longtemps préservé une approche plus traditionnelle, fondée sur l’observation, l’expérience et l’intuition. Cette résistance cède toutefois la place à une révolution silencieuse et désormais inéluctable : celle du mariage entre sport et data. Avec des résultats impressionnants.
Pour ne pas rester sur la touche, les coachs, qui autrefois se servaient principalement d’un tableau blanc pour expliquer les tactiques et les stratégies, sont désormais inondés de données et s’arment de moyens d’analyse et de suivi de plus en plus sophistiqués. Ils sont assistés par des analystes et leur rôle consiste désormais à partager régulièrement images et données avec les sportifs, de manière collective en équipe ou de manière individuelle. Les vidéos, les indices de performance et leur évolution dans le temps vont bien au-delà des mots.
Les données permettent de faire progresser efficacement tous les acteurs sur les aspects techniques et tactiques spécifiques et, ainsi, de faire évoluer les comportements individuels et collectifs. Mais d’où proviennent toutes ces données et quelles sont les limites technologiques ? Qu’apporte l’intelligence artificielle dans tout ça ? Comment fonctionne-t-elle, pour quel sport et dans quel but in fine ?
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Des accéléromètres à la vision assistée par ordinateur
Le principal fournisseur de données et d’analyse sportive a longtemps été l’être humain, l’analyste, qui grâce à ses yeux experts quantifie la performance. Mais les humains ont des perceptions et des sensibilités différentes. Pour produire des données factuelles dont les sportifs, tout comme les parieurs, voire les journalistes, ont besoin, ils sont malheureusement bien moins fiables que les machines. Ainsi, la révolution a véritablement commencé en bardant les sportifs de minicapteurs hypersensibles permettant de connaître les distances parcourues, le nombre d’accélérations à haute intensité, etc.
Mais l’électronique embarquée n’a pas que des avantages ! Si les capteurs portés par les sportifs se sont démocratisés et ont contribué à faire évoluer notamment les méthodes d’entraînement dans le milieu professionnel, ils présentent de nombreuses contraintes qui limitent leur usage aux sports individuels et leur déploiement pour les sportifs amateurs : tout d’abord, ils doivent être régulièrement rechargés en énergie et, pour être précis en positionnement, être connectés à un réseau d’antennes à déployer autour du terrain. Ainsi ils doivent être la plupart du temps gérés par un tiers dont la tâche consiste, notamment pour les sports collectifs, à attribuer à chaque sportif son capteur et à gérer l’attribution de la donnée à la bonne personne.
« Les capteurs portés par les sportifs doivent être gérés par un tiers dont la tâche consiste à attribuer à chaque sportif son capteur et à gérer l’attribution de la donnée à la bonne personne. »
Ce tiers chargé de la logistique n’existe malheureusement pas dès que le sport ne dispose pas d’encadrement professionnel. Autre inconvénient des capteurs, pour les sports collectifs où le ballon est au cœur du jeu, à quoi bon connaître les kilomètres parcourus si on ne sait pas qui fait quoi avec la balle ? Enfin les capteurs ne répondent pas à un besoin essentiel pour le sportif et pour son coach, si ce n’est le besoin le plus important : celui de se revoir en image pour analyser sa posture, décortiquer son placement, son timing, etc. ; en d’autres termes atteindre son graal, celui d’améliorer sa performance.
Ainsi, l’acquisition de données grâce à la computer vision (vision assistée par ordinateur) s’est vite révélée bien plus prometteuse, car non seulement elle répond aux défis que les capteurs sont incapables de relever, mais elle présente également un avantage incomparable et inestimable dans la quête de la performance : celui d’obtenir les données individuelles et collectives de son adversaire !
Comprendre les défis techniques de l’IA
La vision assistée par ordinateur correspond au traitement numérique d’une ou d’une succession d’images, à savoir un flux vidéo. Cette technologie ne cesse de faire des avancées spectaculaires et les Français contribuent largement à son expansion. De la reconnaissance faciale à la détection de cellules pré-cancéreuses, les cas d’usage sont multiples et les sports dont certains drainent des milliards d’euros, n’échappent pas bien entendu à la règle. La computer vision se révèle surpuissante pour obtenir des données sportives, et aussi pour produire du contenu vidéo sans faire appel à un caméraman. Pour bien appréhender cette technologie, il est important de comprendre les défis techniques inhérents à son fonctionnement. Ces défis sont algorithmiques bien entendu, mais également mathématiques, voire optiques.
Des possibilités impressionnantes
Aujourd’hui, grâce à l’intelligence artificielle, à l’avènement du deep learning (apprentissage profond) et à l’entraînement des réseaux de neurones, les algorithmes qui permettent de détecter et distinguer un humain ou un objet à partir d’une simple image sont omniprésents dans nos smartphones. Ils sont extrêmement fiables. À partir de la vidéo d’une compétition et grâce aux mathématiques, il est techniquement possible d’extrapoler les coordonnées en X, Y et Z de dizaines de joueurs et d’un ballon sur un terrain, repère orthonormé aux dimensions connues.
Reste ensuite pour les algorithmes à réaliser des opérations plus complexes, comme celles de faire le lien entre les détections de l’image N et celles de l’image N +1 afin de les relier entre elles, de déterminer grâce à la couleur du maillot à quelle équipe tel ou tel joueur appartient, puis par reconnaissance optique des caractères de lire le numéro de maillot du joueur afin d’en retrouver l’identité.
Les données physiques (distances parcourues, vitesses…) mais, mieux encore, les données de jeu (possession de balle, nombre de passes, compacité des équipes, temps forts et temps faibles, schémas tactiques préférentiels…) deviennent ainsi disponibles sans que l’humain n’intervienne. C’est l’IA qui réalise tout le travail… et les algorithmes sont capables de bien plus, comme de déterminer automatiquement la posture squelettique d’un sportif, l’orientation de son corps, les angles entre ses membres. Les perspectives d’utilisation de toutes ces données sont impressionnantes et quasi illimitées.
Avoir des images de bonne qualité
Prérequis indispensable à son bon fonctionnement, les images traitées doivent être de bonne qualité, car les algorithmes digèrent les images pixel par pixel. Les images TV répondent parfaitement à ce besoin, toutefois elles présentent une contrainte majeure, celle de ne montrer que le cœur du jeu, donc une seule partie des sportifs présents sur le terrain. Que font ceux qui ne sont pas à l’écran ? Comment mesurer leurs données autrement qu’en faisant appel à des modèles prédictifs fondés sur leurs coordonnées antérieures ? Par ailleurs, quid des équipes ou des sports à faible visibilité médiatique ? Pourquoi n’auraient-ils pas droit à leurs images et à leurs données ?
Pour répondre à cet autre défi, des solutions existent et elles reposent sur une combinaison de technologies optiques et algorithmiques. Il convient en effet de disposer d’un système de captation qui filme l’intégralité du terrain à partir de plusieurs focales et qui reconstitue numériquement une image en haute définition à partir de flux vidéo synchronisés. C’est le stitching, technique qui consiste à coller deux images entre elles sans que cela soit visible à l’œil nu. La nouvelle image ainsi reconstituée est de qualité telle que les algorithmes détectent parfaitement 100 % des acteurs en présence sur le terrain et, par ailleurs, ils peuvent suivre le jeu et produire une réalisation quasi professionnelle, comme si un caméraman était présent.
Exploiter les possibilités
En définitive, une fois la captation d’image grand angle effectuée, son traitement numérique ainsi que la transmission des images et des données maîtrisées, les perspectives d’exploitation sont illimitées. Cette technologie est surpuissante car aucun capteur n’est nécessaire ni sur le sportif, ni sur son adversaire. Toutes les données sont déjà dans l’image, et la maîtrise de l’intelligence artificielle permet de les extraire avec une précision redoutable.
“Fournir une analyse totale en temps réel.”
Défi technique supplémentaire, cette technologie permet d’extraire la donnée sportive non pas a posteriori, à partir d’un enregistrement vidéo, mais en direct, pendant la compétition. Cela est rendu possible grâce aux nouvelles générations de cartes graphiques, toujours plus compactes et plus rapides. Elles sont capables d’ingérer et d’interpréter des milliers d’images à la seconde et permettent de fournir ainsi une analyse totale en temps réel.
Les sports tous égaux devant l’IA ?
Tous les sports ne sont pas égaux face à l’IA et un travail colossal est encore à venir. Si le football, sport le plus populaire au monde, est le cas d’usage le plus répandu, chaque sport révèle ses propres défis : par exemple, si les règles au tennis sont simples et la détection des joueurs une opération assez basique, le tracking de la balle, objet de très petite taille dont la vitesse excède régulièrement les 150 km/h, est un défi technique qui requiert des images très nettes et l’entraînement de modèles spécifiques.
Le rugby, pour sa part, cumule les handicaps : un grand nombre de joueurs, des règles complexes et surtout des phases de regroupement où c’est non seulement le ballon qui disparaît, mais aussi les joueurs. Même un œil avisé a parfois du mal à distinguer à qui appartient tel bras ou telle tête. Si c’est compliqué pour un humain, ça l’est aussi pour la machine.
« Chaque sport doit faire l’objet d’une analyse et d’une étude spécifique. »
En conclusion, chaque sport doit faire l’objet d’une analyse et d’une étude spécifique, de création de base de données d’images pour entraîner les algorithmes à détecter les différentes classes d’objet (humain, ballon…), à reconnaître les événements et autres faits de jeu. Si le chemin peut sembler long, notamment pour les sports à faible visibilité médiatique, ce n’est qu’une question de temps et de volonté politique pour y parvenir. Par ailleurs, si l’IA est très bien adaptée au sport en compétition car les règles y sont codifiées et les sportifs identifiés par un maillot et un numéro unique, elle l’est beaucoup moins lors des phases d’entraînement. En effet ces dernières sont par nature évolutives, libres dans leur organisation, que ce soit par le nombre de joueurs ou au travers d’exercices spécifiques imposés.
La plupart du temps, les entraînements ont lieu dans un espace de jeu évolutif. Toutes ces variables rendent l’usage de la computer vision inutilement complexe. L’utilisation d’un bon dispositif de captation vidéo, couplé le cas échéant à des capteurs GPS, fournira suffisamment d’informations pour combler l’entraîneur.
Un allié, pas un remplaçant
Ainsi, même les technologies les plus prometteuses ont leur limite et c’est probablement tant mieux ainsi ! Rien ne pourra remplacer l’œil avisé de l’entraîneur, sa capacité à percevoir des détails subtils, à lire et à comprendre les émotions des sportifs, et enfin à trouver les mots justes pour les motiver et les guider vers la performance.
L’IA doit rester une alliée, une partenaire qui renforce les compétences humaines et sportives, mais elle ne les remplace pas. Espérons que les algorithmes ne sauront jamais détecter l’intelligence émotionnelle, la résilience, l’intuition et la créativité des individus, car la magie du sport réside en grande partie dans l’incertitude du résultat final.
C’est cette incertitude qui maintient l’excitation des spectateurs, qui pousse les sportifs à se dépasser et qui fait que chaque compétition est un spectacle unique. Le prochain grand spectacle sera olympique. Avec ou sans le soutien de l’Intelligence artificielle, souhaitons-leur à toutes et à tous de viser l’excellence : Citius, Altius, Fortius !