Le champion de parasport Andy Birée lors d’un entraînement.

La technologie au service du parasport

Dossier : Jeux olympiques et sportMagazine N°796 Juin 2024
Par Carole MAYOR (E21)
Par Édouard ARCHAMBEAUD (E21)

Du 28 août au 8 sep­tembre 2024, Paris accueille un des plus grands évé­ne­ments spor­tifs du monde : les Jeux para­lym­piques. Comme à chaque édi­tion depuis son lan­ce­ment à Rome en 1960, cette com­pé­ti­tion est l’occasion d’admirer des ath­lètes de haut niveau, por­teurs d’un han­di­cap. L’innovation joue un rôle essen­tiel dans le para­sport. Les ath­lètes ont besoin d’équipements ultra-per­son­na­li­sés, capables de com­pen­ser des han­di­caps par­fois très impor­tants. Le couple « ath­lète-équi­pe­ment » consti­tue la clé de voûte de leur per­for­mance. Les lames de course sont les équi­pe­ments les plus connus, mais ce ne sont pas les seuls. 

Les lames de course en forme de J ont été inven­tées aux États-Unis dans les années 1970 par un ingé­nieur en bio­mé­ca­nique, Van Phil­lips, spor­tif de haut niveau, ampu­té à la suite d’un acci­dent. Après son ampu­ta­tion, Van Phil­lips sou­haite reprendre la course, mais les pieds pro­thé­tiques en caou­tchouc dis­po­nibles à l’époque rendent très dif­fi­cile sa pra­tique. L’ingénieur conçoit alors une lame en forme de J, ins­pi­rée des pattes arrière du guépard.

Le maté­riau choi­si est la fibre de car­bone, maté­riau léger à très haut module d’élasticité qui donne à la lame un effet res­sort. À chaque impact avec le sol, les fibres de car­bone emma­ga­sinent de l’énergie, puis se détendent d’un seul coup, res­ti­tuant de l’énergie au cou­reur et lui per­met­tant de se pro­pul­ser. Un demi-siècle plus tard, ces lames dites « gué­pard » sont tou­jours le desi­gn domi­nant des lames de course. Neuf ath­lètes ampu­tés sur dix les ont uti­li­sées aux der­niers Jeux para­lym­piques de Tokyo en 2021, dans les dis­ci­plines telles que le sprint, la course de fond ou encore le saut en longueur.

L’évolution des lames de sport

Si elles ont conser­vé leur forme en J, les lames de Van Phil­lips n’ont ces­sé d’être amé­lio­rées au fil des années. D’une part, de nou­veaux modèles acces­soi­ri­sés sont appa­rus ; par exemple des lames avec semelles et pointes d’athlétisme inté­grées, ou encore un modèle plus long spé­cia­le­ment conçu pour la pra­tique du saut en lon­gueur. Ces adap­ta­tions ont été pos­sibles grâce à l’étroite col­la­bo­ra­tion entre les indus­triels de l’orthopédie, les spor­tifs de haut niveau et leurs équipes techniques.

D’autre part, l’évolution des sys­tèmes d’analyse bio­mé­ca­nique a per­mis d’étudier fine­ment la ciné­ma­tique (le mou­ve­ment) des ath­lètes et d’adapter les équi­pe­ments. Les lames de sport uti­li­sées dans le sport de haut niveau sont ultra-per­son­na­li­sées en fonc­tion du poids, de la lon­gueur du membre rési­duel de l’athlète et de l’alignement du pied par rap­port au sport pra­ti­qué. Au fil des années, cette recherche et déve­lop­pe­ment a été uti­li­sée éga­le­ment pour la concep­tion de pro­duits de série des­ti­nés au « grand public ».

Le sec­teur de l’orthopédie a aus­si su s’appuyer sur des col­la­bo­ra­tions plu­ri­dis­ci­pli­naires pour amé­lio­rer ses pro­duits de série. Par exemple la start-up fran­çaise Hop­per, dans l’écosystème de Pro­teor, a mis au point une lame spor­tive déve­lop­pée avec Air­bus (car­bone recy­clé de l’aéro­nautique) et avec l’équipementier de sport Salo­mon pour la semelle. La pra­tique de sports comme le trail run­ning ou la ran­don­née en sen­tier est pos­sible avec cette lame ultra-légère et tout terrain.

Typhaine Soldé, athlète de haut niveau en athlétisme handisport lors d’un entraînement. © Proteor
Typhaine Sol­dé, ath­lète de haut niveau en ath­lé­tisme han­di­sport lors d’un entraî­ne­ment. © Proteor

Vers une démocratisation des lames de sport ?

Les Jeux para­lym­piques jouent un rôle majeur dans la mise en lumière de la pra­tique spor­tive des per­sonnes ampu­tées. Les béné­fices du sport dans leur pro­ces­sus de réédu­ca­tion ont été lar­ge­ment étu­diés et vali­dés. La course à pied est un des sports le plus plé­bis­ci­tés après ampu­ta­tion. Pour­tant, la dif­fu­sion des lames de course est encore limi­tée au sein de la popu­la­tion des ampu­tés de membres infé­rieurs. Le taux d’équipement en pro­thèses clas­siques est de 70 % de la popu­la­tion ampu­tée dans les pays développés.

“Les patients amputés espèrent une évolution de la prise en charge des lames de sport.”

Le taux d’équipement en lames de sport est esti­mé à seule­ment 10 % des ampu­tés pra­ti­quant une acti­vi­té phy­sique. Cette situa­tion s’explique notam­ment par le fait que les lames de course res­tent à la charge finan­cière du patient, contrai­re­ment aux pro­thèses clas­siques qui, elles, sont rem­bour­sées. On peut esti­mer le prix d’une lame à 2 000 euros. Avec l’emboîture et l’intervention de l’orthoprothésiste, on atteint rapi­de­ment 7 000 euros. Il y a donc une dif­fi­cul­té d’accès finan­cier à ces équi­pe­ments. Les patients ampu­tés espèrent une évo­lu­tion de la prise en charge des lames de sport, por­tée par la volon­té poli­tique affir­mée de rendre la pra­tique spor­tive plus acces­sible aux per­sonnes handicapées.

Typhaine Soldé avec son orthoprothésiste utilisant la solution numérique ORTEN by Proteor.
Typhaine Sol­dé avec son ortho­pro­thé­siste uti­li­sant la solu­tion numé­rique ORTEN by Pro­teor. © Proteor

Le savoir-faire unique des orthoprothésistes

Si l’équipement pro­thé­tique joue un rôle impor­tant dans l’atteinte de la per­for­mance spor­tive, c’est plus lar­ge­ment le couple ath­lète-équi­pe­ment qui en est la clé de voûte. Dans le cas des pro­thèses, ce couple est mis en œuvre grâce au savoir-faire des ortho­pro­thé­sistes, seuls pro­fes­sion­nels de san­té habi­li­tés à équi­per un patient ampu­té avec une pro­thèse. Au-delà du choix des com­po­sants qui vont équi­per la pro­thèse (genoux, pieds ou lames), l’orthoprothésiste va réa­li­ser une emboî­ture, qui va faire le lien entre le membre rési­duel et la prothèse.

L’emboîture est la pièce maî­tresse de la pro­thèse. Elle per­met de trans­mettre les efforts entre le corps et le reste de la pro­thèse : pré­ci­sion, résis­tance, mais aus­si confort et légè­re­té, sont les qua­li­tés qu’elle doit avoir. L’emboîture est réa­li­sée sur mesure pour appor­ter un maxi­mum de confort et per­mettre un contrôle pré­cis de la pro­thèse. Elle doit aus­si per­mettre d’absorber chocs et trans­pi­ra­tion pen­dant plu­sieurs heures d’effort.

Plu­sieurs ath­lètes ampu­tés sont appa­reillés par des ortho­pro­thé­sistes de notre entre­prise. C’est le cas de Typhaine Sol­dé, 21 ans, espoir fran­çais du 200 mètres et du saut en lon­gueur en para-ath­lé­tisme, ampu­tée tibiale de la jambe droite à la suite d’un ostéo­sar­come. Pro­teor lui fabrique des emboî­tures tou­jours plus légères et résis­tantes à base de maté­riaux composites.

Le lien entre ortho­pro­thé­siste et patient est tel­le­ment fort que les col­la­bo­ra­tions tech­niques peuvent durer plu­sieurs décen­nies. Marie-Amé­lie Le Fur, actuelle pré­si­dente du Comi­té para­lympique et spor­tif fran­çais, neuf fois médaillée aux Jeux para­lym­piques, est équi­pée depuis son ado­les­cence par une ortho­pro­thé­siste de chez nous.

La numérisation de l’orthopédie : les jumeaux numériques

La concep­tion de l’emboîture a long­temps été arti­sa­nale, à par­tir d’un mou­lage en plâtre du membre rési­duel. La qua­li­té gran­dis­sante des scans 3D per­met désor­mais aux ortho­pro­thé­sistes de numé­ri­ser la prise d’empreinte et de consti­tuer un jumeau numé­rique du patient, rapi­de­ment et de manière non intrusive. 

De nom­breuses solu­tions de scan 3D appa­raissent sur le mar­ché. Elles sont sou­vent géné­ra­listes et peu de solu­tions sont par­fai­te­ment adap­tées à l’orthopédie. C’est pour­quoi nous avons déve­lop­pé une suite de ser­vices numé­riques pour les ortho­pro­thé­sistes. Réa­li­sée en s’appuyant sur l’expertise des 250 ortho­pro­thé­sistes du groupe en France, cette solu­tion est aujourd’hui uti­li­sée par des ortho­pro­thé­sistes dans plus de 60 pays. 

La numé­ri­sa­tion de la prise d’empreinte (c’est-à-dire l’acquisition du jumeau numé­rique du patient) et de la rec­ti­fi­ca­tion (c’est-à-­dire la modé­li­sa­tion numé­rique du dis­po­si­tif sur mesure) a ouvert la voie à l’impression 3D. Plu­sieurs tech­no­lo­gies d’impression sont uti­li­sées dans l’orthopédie.

L’impression 3D

Les tech­no­lo­gies d’impression 3D par fusion sur lit de poudre (PBF) com­po­sée du frit­tage sélec­tif par laser (SLS) ou de la tech­nique de fusion mul­ti­jet déve­lop­pée par Hew­lett Packard (HP-MJF) sont répan­dues. Le sup­port en poudre per­met une très grande liber­té de concep­tion et une très bonne qua­li­té de pro­duc­tion. L’impression 3D par extru­sion de matière fon­due (FDM) est de plus en plus uti­li­sée. Elle peut être réa­li­sée à par­tir d’un fila­ment fon­du (FFF) ou de gra­nu­lés fon­dus (FGF).

Les forces de l’impression 3D FFF résident dans la très grande diver­si­té des maté­riaux dis­po­nibles et dans la maî­trise des coûts de pro­duc­tion. Les équi­pe­ments sont moins oné­reux que la fusion PBF. Actuel­le­ment, il y a peu de cas d’utilisation de la sté­réo­li­tho­gra­phie (SLA) pour la réa­li­sa­tion de dis­po­si­tifs ortho­pé­diques. L’amélioration des résines et du pro­ces­sus per­met­tront cer­tai­ne­ment d’imprimer des dis­po­si­tifs via cette tech­no­lo­gie. Le sport de haut niveau a été pré­cur­seur de cette révo­lu­tion, puisque déjà en 2016, aux Jeux para­lym­piques de Rio de Janei­ro, des ath­lètes por­taient des emboî­tures impri­mées en 3D.

Coque en carbone sur mesure de Andy Birée, fabrication Proteor.
Coque en car­bone sur mesure de Andy Birée, fabri­ca­tion Pro­teor. © Proteor

D’autres équipements sur mesure

Les fau­teuils rou­lants sont pro­ba­ble­ment les dis­po­si­tifs les plus visibles du para­sport. Aux Jeux para­lym­piques de Paris en 2024, plus de 10 dis­ci­plines seront pra­ti­quées avec ces équi­pe­ments manuels. Comme pour la lame de course, le fau­teuil a connu des évo­lu­tions et des adap­ta­tions à chaque sport pour opti­mi­ser les per­for­mances des ath­lètes. Le modèle de fau­teuil unique uti­li­sé pour chaque sport lors des pre­miers Jeux para­lym­piques de 1960 semble bien loin ! 

Quelques exemples d’axe de recherche et déve­lop­pe­ment sont la sta­bi­li­té pour les sports de pré­ci­sion comme le para­tir à l’arc, la mania­bi­li­té pour les sports col­lec­tifs, ou encore la réduc­tion de la résis­tance au rou­le­ment pour l’athlétisme. Les sièges sur mesure sont un autre exemple d’équipement néces­si­tant un tra­vail ité­ra­tif entre l’orthoprothésiste et le spor­tif. En tra­vaillant sur les matières et sur les formes, les ortho­pro­thé­sistes arrivent à conce­voir des modèles de siège résis­tants, légers, pour trans­mettre au mieux les efforts et amé­lio­rer le pilo­tage du sportif. 

Ain­si le spor­tif Andy Birée dis­pose d’une assise sur mesure en car­bone adap­tée sur son hand­bike. Ce dis­po­si­tif com­pense sa défor­ma­tion du rachis (cypho­scoliose impor­tante) et son trouble de la marche, tout en lui per­met­tant de déployer une force égale dans son bras droit et dans son bras gauche dans la posi­tion allongée.

Edgar Empis en entraînement.
Edgar Empis en entraî­ne­ment. © Proteor

Le programme de mécénat sportif de Proteor

Le groupe est enga­gé, au tra­vers de son pro­gramme de mécé­nat d’athlètes de haut niveau, dans des sports aus­si variés que l’athlétisme, le para­ca­noë ou le para­cy­clisme. Ce pro­gramme a été mis en place en 2011. Il consiste en un sou­tien finan­cier et une inté­gra­tion des ath­lètes au pro­gramme de R & D du groupe pour conce­voir leurs équi­pe­ments. Par­mi nos cham­pions en herbe, Edgar Empis, un des grands espoirs du para­ten­nis de table fran­çais. Hémi­plé­gique gauche à la suite d’un AVC à la nais­sance, Edgar est aujourd’hui dans le top 10 mon­dial des moins de 23 ans. Afin d’améliorer ses per­for­mances, l’équipe Pro­teor – ortho­pro­thé­siste et ingé­nieurs – a mis au point un rele­veur en fibre de car­bone qui apporte le sou­tien et le dyna­misme néces­saires à son pied gauche.

Une dizaine d’athlètes de haut niveau sont actuel­le­ment spon­so­ri­sés par le groupe. 

Edgar Empis au centre de fabrication sur mesure de prothèses pour parasport Proteor à Seurre (Bourgogne).
Edgar Empis au centre de fabri­ca­tion sur mesure de Pro­teor à Seurre (Bour­gogne). © Proteor

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