La tradition militaire a gagné en importance ces derniers années parmi les élèves.

Nous sommes en (économie de) guerre ?

Dossier : Mot du présidentMagazine N°797 Septembre 2024
Par Loïc ROCARD (X91)

Un demi-mil­lier de nou­veaux X nous rejoignent ce mois-ci, dont la grande majo­ri­té vient de prendre la direc­tion de La Cour­tine pour apprendre la posi­tion du tireur cou­ché, quelques chants mili, à cou­rir en ran­gers et à man­ger comme quatre. Celles et ceux des anciens qui ont un cer­tain contact avec les pro­mo­tions récentes peuvent être frap­pés par un phé­no­mène qu’ils n’auraient pas pro­nos­ti­qué lorsqu’ils étaient eux-mêmes sur le Pla­tâl (et même sur la Mon­tagne) : la tra­di­tion mili­taire a sin­gu­liè­re­ment rega­gné en impor­tance ces der­nières années par­mi les élèves.

Les remises des bicornes et des tan­gentes sont rede­ve­nues des évé­ne­ments, un hymne de Poly­tech­nique (l’« ode à Vaneau ») a été com­po­sé il y a une dizaine d’années qui est régu­liè­re­ment chan­té par une cho­rale impec­cable en GU, et la car­rière sous les dra­peaux attire plus qu’auparavant. Pour prendre l’exemple de la 2021, pas moins de 12 de ses élèves, dont deux femmes, ont choi­si les forces armées en fin de 3A. Quand avions-nous comp­té autant de voca­tions com­bat­tantes pour la der­nière fois ?

On peut faire coïn­ci­der cette ten­dance à peu près avec le démar­rage de la guerre à l’est de l’Europe, depuis l’invasion de la Cri­mée jusqu’à la phase la plus tra­gique qui est en cours. Mais, si le Pré­sident de la Répu­blique évo­quait en 2022 l’entrée de notre pays « dans une éco­no­mie de guerre », en pra­tique on en est loin. On serait plu­tôt, vu des acteurs concer­nés, dans une éco­no­mie de la pro­gram­ma­tion mili­taire. Ce qui tombe bien puisque c’est le thème de ce dos­sier de rentrée.

La loi du même nom, « LPM », qui dans une heure n’aura plus de secret pour vous, a en gros l’âge de notre Répu­blique ; elle est un miroir de l’ambition que les pou­voirs publics veulent se don­ner pour nos armées et pour l’industrie de défense. C’est un outil certes impor­tant d’allocation de moyens, mais elle recèle des para­doxes typiques de notre pays pris dans l’étau de la contrainte finan­cière publique et de la nos­tal­gie de sa gran­deur pas­sée. En matière de comp­ta­bi­li­té natio­nale la règle est l’annualité bud­gé­taire : les auto­ri­sa­tions de gager ou dépen­ser l’argent du bud­get géné­ral sont don­nées par le Par­le­ment chaque année, et pour une seule année.

La LPM, dont l’envergure est typi­que­ment quin­quen­nale, ne peut donc être qu’indicative. Le fait qu’elle le soit lui confère en échange une ubi­qui­té bien connue de ceux qui sont inté­res­sés à son conte­nu. La LPM est l’argument en défense, pour les indus­triels, les armées, face aux scru­ta­teurs de Ber­cy et aux gou­ver­nants du jour d’après : la négo­cier âpre­ment pour qu’elle soit aus­si dotée que pos­sible, s’y réfé­rer fré­quem­ment pour maxi­mi­ser son sta­tut en pra­tique. On se sou­vient à cet égard d’un pas­sage à l’acte fameux, ce jour de juillet 2017, où le futur ex-chef d’état-major Pierre de Vil­liers s’était gen­dar­mé en termes crus devant des par­le­men­taires contre une mesure de régu­la­tion bud­gé­taire qu’il jugeait trop défa­vo­rable. Aucune LPM ne garan­tit contre son propre détri­co­tage, même si elle consti­tue indé­nia­ble­ment un cer­tain rempart.

En situa­tion d’économie de guerre, ce que le pays a connu entre 1914 et 1918 et dans l’année qui a pré­cé­dé la défaite de mai-juin 40, la part de l’effort de défense était en pour­cen­tage de PIB de 20 à 30 fois ce qu’elle est aujourd’hui. Lorsque c’est la sur­vie même qui est en jeu, la loi de pro­gram­ma­tion mili­taire n’est pro­ba­ble­ment pas l’outil adap­té. L’actuelle est exé­cu­tée avec des dépenses mili­taires qui tan­gentent les 2 % du PIB par le des­sous. CQFD.

Bonne ren­trée à tous et bien­ve­nue aux 2024 !


Lire aus­si : La loi de pro­gram­ma­tion mili­taire (LPM) : tech­niques et politique


Commentaire

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Mikael DAUTREY (X92)répondre
10 septembre 2024 à 9 h 34 min

His­to­ri­que­ment, il me semble que le terme « éco­no­mie de guerre » se réfère au Legal Ten­der Act qui a per­mis au Congrès Amé­ri­cain de finan­cer la guerre de séces­sion en émet­tant des billets verts. J’i­ma­gine que le Pré­sident de la Répu­blique fait réfé­rence à cette pos­si­bi­li­té dans son dis­cours, compte tenu du niveau de dette de l’E­tat ? Article à pré­voir par un éco­no­miste dans une pro­chaine J&R ?

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