Philippe Boulin et Le Creusot

Philippe Boulin (X44) pionnier du nucléaire civil

Dossier : TrajectoiresMagazine N°797 Septembre 2024Par Antoine BOULIN (X76)

Décé­dé en décembre 2022, Phi­lippe Bou­lin a fait une majeure par­tie de sa car­rière dans le groupe Schnei­der, alors un des fleu­rons de l’industrie fran­çaise. PDG de sa filiale Creu­sot-Loire, il contri­bua acti­ve­ment à la créa­tion et au suc­cès du nucléaire civil.

Philippe Bou­lin s’est tou­jours vu comme un ser­vi­teur de la nation. Sujet brillant – un père pro­fes­seur de méde­cine, des X à chaque géné­ra­tion –, sor­ti dans le corps des Mines, après un court séjour lor­rain qui lui per­mit de fon­der son foyer, il fut adou­bé par Charles Schnei­der et la ville du Creu­sot devint sa pre­mière terre de mis­sion. Il y ancra les bases de l’aventure nucléaire fran­çaise, dont il fut l’un des arti­sans majeurs. Il s’imposa au fil des années comme le chef d’orchestre indus­triel du groupe Schnei­der, patron d’une escadre com­po­sée d’un vais­seau ami­ral Creu­sot-Loire et de ses escor­teurs de spé­cia­li­té, Mer­lin Gerin, Jeu­mont-Schnei­der, Fra­ma­tome, dont il assu­ma jusqu’au bout la présidence.

Les débuts du nucléaire civil

Les temps étaient à l’orage et la décen­nie soixante-dix vit le groupe pas­ser d’une restruc­tu­ra­tion à une autre. Mais simul­ta­né­ment se met­tait en place la filière nucléaire fran­çaise : une his­toire qui débute dans les années soixante, s’accélère en 1974 avec le lan­ce­ment d’une pre­mière tranche de cen­trales par EDF, arrive à sa matu­ri­té en 1981 avec la fin des accords de licence Wes­tin­ghouse ; Fra­ma­tome deve­nait maître de sa tech­nique. Ce ne fut pas un long fleuve tran­quille : riva­li­tés indus­trielles, riva­li­té des ego, mon­tée de l’écologie militante.

On connaît la fin de ce cha­pitre. Il quit­ta le bateau Creu­sot-Loire en décembre 1982, actant ses désac­cords avec son action­naire du moment. Le groupe dépo­sa son bilan en juin 1984, vic­time d’un bras de fer incon­sé­quent et irres­pon­sable entre un capi­tal à la vision étroite et les « arbi­trages » poli­tiques des pou­voirs publics de l’époque. L’amère fier­té de mon père est que cette faillite ait fina­le­ment lais­sé peu de gens sans emploi et qu’à l’issue du pro­ces­sus de liqui­da­tion finan­cière l’ensemble des créan­ciers de l’entreprise ait été rem­bour­sé. Fra­ma­tome demeure l’œuvre de sa vie professionnelle.

« Son grand regret, c’est d’avoir dû assister en 1984 au naufrage dans l’indifférence générale, de Creusot-Loire. »

Son grand regret, c’est d’avoir dû assis­ter en 1984 au nau­frage, dans l’indifférence géné­rale, de Creu­sot-Loire ; ce groupe, qui avait mis au monde et long­temps por­té Fra­ma­tome, aurait pu légi­ti­me­ment, au moment où il ren­con­trait de graves dif­fi­cul­tés, tirer pro­fit du suc­cès de sa filiale : ce ne fut pas le cas. Le gou­ver­ne­ment n’entérina pas son pro­jet de fusion des deux entités.

Ensuite, pour reprendre les mots du moment, Phi­lippe Bou­lin s’est recons­truit, met­tant son éner­gie au ser­vice de causes aus­si diverses que la restruc­tu­ra­tion de la fon­de­rie fran­çaise, la pré­si­dence d’une des enti­tés de la Géné­rale des eaux, l’Afnor qui devient sous sa man­da­ture le pilier cen­tral de la nor­ma­li­sa­tion fran­çaise, les ins­ti­tuts d’économétrie Rexe­co-Ipe­code, sans oublier la valo­ri­sa­tion du char­bon actif, sa der­nière pré­si­dence, qu’il quit­ta en 2001, à l’âge de 76 ans, pour consa­crer tout son temps à sa famille.

Un Sage de l’industrie

Dans cha­cune de ses res­pon­sa­bi­li­tés, il s’est inves­ti, décou­vrant un nou­veau métier, cher­chant des hori­zons nou­veaux : durant sa pré­si­dence, l’Afnor devint ce pilier cen­tral de la nor­ma­li­sa­tion fran­çaise. Vous vous sou­ve­nez peut-être, la France décou­vrait les fameux obs­tacles non tari­faires. Il avait popu­la­ri­sé le slo­gan : « La nor­ma­li­sa­tion : avec vous, sans vous… contre vous ? » Il était deve­nu ain­si un Sage de l’industrie et bien enten­du un réfé­rent en matière nucléaire. Cinq mots-clés ont mar­qué ceux qu’il a côtoyés : ingé­nieur, avec le besoin de com­prendre, bien­veillance de celui qui savait écou­ter et faire confiance, fru­ga­li­té vis-à-vis de lui-même, fidé­li­té à ses convic­tions, à ses amis, au Creu­sot, et enfin humour, qua­li­té qui faci­li­tait les échanges.

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