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La LPM vue de l’industrie

Dossier : Loi de programmation militaireMagazine N°797 Septembre 2024
Par Franck SAUDO (X97)

La force de l’industrie fran­çaise de défense est une com­po­sante essen­tielle de la cré­di­bi­li­té de notre outil de défense. Outre la pour­suite de la crois­sance des res­sources amor­cée par la pré­cé­dente LPM, la nou­velle loi prend en compte plu­sieurs néces­si­tés de nature plus essen­tiel­le­ment indus­trielle, qui offrent des pers­pec­tives de ren­for­ce­ment de cette industrie.

Alors que la mon­tée des ten­sions géo­po­li­tiques mon­diales avait déjà engen­dré une hausse des dépenses mili­taires au cours des dix der­nières années, l’invasion de l’Ukraine par la Rus­sie en février 2022, la mon­tée des ten­sions dans le Golfe, ain­si que l’affirmation crois­sante de la Chine et l’accentuation des ten­sions autour de Taï­wan, accé­lèrent encore cette ten­dance. En 2023, les dépenses mili­taires mon­diales ont aug­men­té de près de 7 % par rap­port à 2022, et de 13 % pour l’Europe seule­ment (source SIPRI, Stock­holm Inter­na­tio­nal Peace Research Ins­ti­tute). Il s’agit d’une hausse sans pré­cé­dent depuis la fin de la guerre froide. Depuis 2020, les États-Unis ont accru leurs dépenses mili­taires de 22 %, la Chine de 26 %, l’Inde de 29 % et l’Arabie saou­dite de 42 %.

Les enseignements de la guerre en Ukraine

Dans le même temps, la guerre en Ukraine a mis en lumière les limites du modèle actuel des armées euro­péennes face à un conflit de haute inten­si­té : manque de muni­tions, dif­fi­cul­tés à aug­men­ter les cadences de la chaîne d’approvisionnement, dépen­dance vis-à-vis d’acteurs amé­ri­cains à la chaîne d’approvisionnement contrainte sur cer­tains maté­riels (comme les drones ou l’artillerie de longue por­tée). Pre­mier conflit de haute inten­si­té sur le sol euro­péen depuis la fin de la Seconde Guerre mon­diale, elle a appor­té une série d’ensei­gnements quant à la trans­for­ma­tion du champ de bataille : émer­gence d’un champ de bataille trans­pa­rent avec la mul­ti­pli­ca­tion des cap­teurs ter­restres, aéro­por­tés et spa­tiaux et rôle cru­cial de la col­lecte, du trai­te­ment et de la dis­sé­mi­na­tion du ren­sei­gne­ment en boucle courte, spectre élec­tro­ma­gné­tique contes­té et géné­ra­li­sa­tion du brouillage GNSS (GPS), impor­tance des frappes dans la pro­fon­deur et pré­gnance des drones.

Continuité et renforcement dans la nouvelle LPM

C’est dans ce contexte que la France a enga­gé la révi­sion de la loi de pro­gram­ma­tion mili­taire pour la période 2024–2030, qui doit ampli­fier l’effort de défense, l’adapter au nou­veau contexte stra­té­gique et poser les bases des prin­ci­paux pro­grammes de défense de la décen­nie. Sur le fond, la nou­velle LPM pla­ni­fie un modèle d’armée d’emploi qui ne bou­le­verse pas ses fon­da­men­taux, tout en se don­nant les moyens de main­te­nir sa supé­rio­ri­té opé­ra­tion­nelle et de tenir son rang. 

“Maintenir sa supériorité opérationnelle et tenir son rang.”

Elle conso­lide la sou­ve­rai­ne­té par la dis­sua­sion nucléaire. Tout en amé­lio­rant la contri­bu­tion à la pro­tec­tion du ter­ri­toire, elle ren­force l’engagement dans les ter­ri­toires d’outre-mer, en Indo­pa­ci­fique notam­ment. Elle ren­force enfin la capa­ci­té à agir dans les nou­veaux lieux de conflic­tua­li­té face à des stra­té­gies hybrides (capa­ci­tés de ren­sei­gne­ment, de sur­veillance et d’action dans les espaces mari­time, numé­rique, exo et haut-atmo­sphé­rique, spa­tial et sous-marin).

Enfin les 2 % du PIB !

Avec 400 Md€ de cré­dits bud­gé­taires indi­qués en LPM 2024–2030, pour des besoins pro­gram­més à 413 Md€ (ce qui sup­pose que 13 Md€ de res­sources extra­budgétaires seront à trou­ver sur la période), la LPM 2024–2030 pré­sente une ambi­tion bud­gé­taire impor­tante avec 30 % d’augmentation hors infla­tion par rap­port à la LPM 2019–2025. S’agissant des années 2024–2025, cette LPM s’inscrit dans les pas de la pré­cé­dente à euros constants. 

Au titre de l’ambition, la LPM 2024–2030 pré­voit que la France atteint l’objectif Otan de consa­crer 2 % du PIB à la défense en 2025, à com­pa­rer avec une moyenne de 1,9 % du PIB sur la période 2007–2022. Ces res­sources bud­gé­taires ne com­prennent pas celles néces­saires au finan­ce­ment de l’effort natio­nal de sou­tien à l’Ukraine, mis en œuvre notam­ment sous forme de contri­bu­tion à la faci­li­té euro­péenne pour la paix (FEP), de ces­sions de tous les maté­riels et équi­pe­ments néces­si­tant un com­plé­te­ment ou d’aides à l’acquisition de maté­riels ou de pres­ta­tions de défense et de sécurité. 

Enfin, le pro­jet de LPM com­prend un article 24 qui orga­nise la consti­tu­tion des stocks stra­té­giques de matières ou com­po­sants d’intérêt stra­té­gique pour les armées, ain­si que la prio­ri­sa­tion de la livrai­son de biens et ser­vices au béné­fice des armées via deux dis­po­si­tifs : la pos­si­bi­li­té pour l’autorité admi­nis­tra­tive d’imposer aux entre­prises la consti­tu­tion de stocks stra­té­giques de matières, de com­po­sants ou de pièces de rechange d’intérêt stra­té­gique, et la pos­si­bi­li­té ouverte pour l’État d’ordonner l’exécution prio­ri­taire des com­mandes qu’il a pas­sées à une entre­prise dans le cadre d’un mar­ché de défense et de sécurité.


Lire aus­si : La LPM vue de Bercy


L’économie de guerre

Paral­lè­le­ment à la LPM, l’émergence du concept « d’économie de guerre » consti­tue une chance pour l’industrie. Lan­cé par le Pré­sident de la Répu­blique dans son allo­cu­tion du 13 juin 2022, il appelle à une mobi­li­sa­tion de l’industrie de défense pour défi­nir des pro­ces­sus indus­triels revus afin d’être en mesure de faire face au retour de la guerre d’attrition. Le concept d’économie de guerre recouvre plu­sieurs piliers sur les­quels l’ensemble des acteurs indus­triels de défense fran­çais ont émis des pro­po­si­tions. Le pre­mier vise à s’assurer de la rési­lience de la sup­ply chain, des don­neurs d’ordre aux fournisseurs. 

Relo­ca­li­ser ou réin­ter­na­li­ser cer­taines acti­vi­tés pour sécu­ri­ser les appro­vi­sion­ne­ments et gagner en auto­no­mie est le pre­mier axe de rési­lience. La relo­ca­li­sa­tion peut être totale, ou cor­res­pondre à la mise en place d’une double source pour des pièces ou com­po­sants pro­duits dans des pays à risque. Au-delà des enjeux de relo­ca­li­sa­tion indus­trielle, deux orien­ta­tions com­plé­men­taires se des­sinent : dis­po­ser de plus de visi­bi­li­té sur les com­mandes pour favo­ri­ser le main­tien des capa­ci­tés indus­trielles en France et en Europe et le recours à des pro­grammes d’études amont pour évi­ter les pertes de compétences.

« Garantir la capacité à soutenir l’effort d’approvisionnement dans la durée. »

Le deuxième pilier de l’économie de guerre est de garan­tir la capa­ci­té à sou­te­nir l’effort d’approvisionnement dans la durée en cas de crise majeure. Une visi­bi­li­té accrue – de moyen ou long terme – sur des com­mandes éta­tiques ou alter­na­ti­ve­ment un sou­tien de l’État à la consti­tu­tion de stocks de bruts, de semi-finis ou de pro­duits finis doit per­mettre la mise en place de capa­ci­tés indus­trielles et l’agilité auto­ri­sant une mon­tée en cadence accélérée. 

Le troi­sième objec­tif de l’économie de guerre est d’optimiser les pro­ces­sus d’acquisition d’armements. Le pre­mier enjeu est de sim­pli­fier le pro­ces­sus de sélec­tion des maté­riels pour gagner du temps, en évi­tant par exemple le recours à des appels d’offres com­plexes lorsqu’il existe des solu­tions sur éta­gère répon­dant aux cri­tères de sou­ve­rai­ne­té et per­met­tant de dis­po­ser de 90 % de la per­for­mance atten­due. Le second enjeu consiste à pri­vi­lé­gier le déve­lop­pe­ment de familles de pro­duits plu­tôt que de repar­tir d’une feuille blanche.

L’importance des exportations

Enfin, la der­nière orien­ta­tion de l’économie de guerre est d’intégrer plei­ne­ment les ambi­tions des indus­triels à l’export. Par la pro­fon­deur qu’ils apportent à nos sup­ply chains, les volumes à l’export consti­tuent un levier cri­tique de capa­ci­té à aug­men­ter les cadences de pro­duc­tion. L’export consti­tue éga­le­ment un élé­ment clé du modèle éco­no­mique de l’industrie de défense fran­çaise. Pri­vi­lé­gier des stan­dards recon­nus inter­na­tio­na­le­ment (de type stan­dard Otan) dans les pro­grammes d’armement fran­çais per­met­trait à ces pro­grammes de trou­ver rapi­de­ment des débou­chés à l’export.

Étendre le champ de la pra­tique des accords inter­gou­ver­ne­men­taux à d’autres types d’équipements que les sys­tèmes majeurs favo­ri­se­rait le levier poli­tique et la vali­da­tion opé­ra­tion­nelle du maté­riel. Au-delà des pro­grammes euro­péens, la mise en œuvre de codé­ve­lop­pe­ments avec des par­te­naires stra­té­giques de la France, hors UE, est un levier pour béné­fi­cier à la fois des finan­ce­ments dis­po­nibles et d’un accès renou­ve­lé à des mar­chés exi­geant désor­mais davan­tage de loca­li­sa­tion technologique.

Un jalon majeur pour les industriels

Le défi posé par la pro­ba­bi­li­té que notre pays ait à affron­ter dans les années à venir un conflit majeur, sur notre conti­nent ou au-delà, a été au cœur des tra­vaux de pré­pa­ra­tion de la loi fran­çaise de pro­gram­ma­tion mili­taire, qui engage notre armée jusqu’en 2030. 

Cette LPM consti­tue pour les indus­tries de défense un jalon majeur parce que, en posant les bases des prin­ci­paux pro­grammes de défense de la décen­nie, elle déter­mine dans une large mesure les condi­tions de notre com­pé­ti­ti­vi­té tech­no­lo­gique et éco­no­mique sur les grands mar­chés à l’export.

Lan­cée paral­lè­le­ment à l’élaboration de la LPM, la réflexion sur l’économie de guerre est por­teuse de pers­pec­tives. Elle peut contri­buer à l’émergence de méthodes plus agiles per­met­tant d’optimiser le coût et les délais de déve­lop­pe­ment d’un cer­tain nombre de pro­grammes : recherche de leviers favo­ri­sant une accé­lé­ra­tion des cadences et la consti­tu­tion de stocks stra­té­giques, sim­pli­fi­ca­tion des pro­ces­sus de sélec­tion, opti­mi­sa­tion de la défi­ni­tion des spé­ci­fi­ca­tions, mise en place de méthodes de contrac­tua­li­sa­tion sim­pli­fiées et de conduite agile de pro­jet, inté­gra­tion des logiques d’export le plus en amont possible…

Mais, pour les prin­ci­paux acteurs de la BITD (base indus­trielle et tech­no­lo­gique de défense) fran­çaise, le mes­sage reste simple : la meilleure façon de pla­cer l’industrie fran­çaise de défense en mesure d’affronter le jour venu une situa­tion réelle d’économie de guerre est de lui per­mettre, par des com­mandes en volumes suf­fi­sants, de déve­lop­per son outil de pro­duc­tion – comme c’est le cas aujourd’hui, dans des pro­por­tions mas­sives, pour l’industrie américaine.


La BITD

La BITD : un écosystème structuré, un impact économique

  • Capable actuel­le­ment de déve­lop­per, pro­duire et main­te­nir la qua­si-tota­li­té des sys­tèmes de défense néces­saires à nos armées.
  • 210 000 emplois indus­triels « défense » sur l’ensemble du territoire.
  • 4 500 PME et 9 grands maîtres d’œuvre indus­triels (Air­bus, Arquus, Das­sault, MBDA, Naval Group, Nex­ter, Thales, Safran, ArianeGroup).
  • 30 Md€ de chiffre d’affaires, mili­taire consolidé.
  • 8 Md€ d’exportation par an, en moyenne dans un mar­ché régle­men­té et contrô­lé par l’État.

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