Passages
Passons passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent
Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent
Guillaume Apollinaire, Alcools
Pelléas et Mélisande
Que le drame symboliste de Maeterlinck ait inspiré simultanément au tournant des XIXe-XXe siècles des compositeurs aussi divers que Fauré, Debussy, Schoenberg (et même Sibelius) nous paraît surprenant aujourd’hui : après tout, le mythe de Tristan et Isolde était déjà dans l’air depuis que Wagner l’avait exploité près de quarante ans auparavant. C’est que, apparemment, la pièce de Maeterlinck symbolisait bien – c’est le cas de le dire – l’esprit « fin de siècle » qui régnait alors sur les arts. Alpha Classics a eu l’excellente idée de grouper sur un même CD les suites Pelléas et Mélisande de Fauré et Schoenberg enregistrées par Paavo Järvi à la tête de l’orchestre Radio symphonique de Francfort.
Fauré avait à l’origine composé une musique de scène pour la pièce, musique qui resta dans les cartons. Il en tira une suite pour orchestre dont il confia l’orchestration à notre camarade Charles Kœchlin (X1887), son élève. C’est le sommet de l’œuvre symphonique de Fauré et l’un des archétypes de la musique postromantique ; pièce au lyrisme subtil, délicieusement nostalgique, dont le succès ne s’est jamais démenti depuis lors.
Schoenberg a conçu son poème symphonique Pelléas et Mélisande comme un opéra sans les voix, en quatre actes, avec un motif pour chaque personnage, etc. C’est une construction complexe et raffinée aux limites de l’atonalité (à la différence de la Suite de Fauré, qui est rigoureusement tonale), pleine d’innovations (d’harmonies, de timbres), une œuvre majeure, emblématique du passage du romantisme à l’École de Vienne, qui mérite la découverte.
1 CD ALPHA
Boris Liatochinski
Vous ignorez tout, sans doute, de ce compositeur ukrainien (mort en 1968). Courez le découvrir dans l’enregistrement que le Quatuor Tchalik a fait de ses Quatuors 2 et 3. Comme Schoenberg, vingt ans plus tard, Liatochinski écrit de la musique tonale proche de l’atonalité. Une musique très élaborée, qui évoque Scriabine (qui n’a pas écrit de quatuor) et Chostakovitch, mais très personnelle, lyrique, chaleureuse. Il faut saluer l’excellent Quatuor Tchalik qui a pris l’initiative de cet enregistrement et qui nous offre sur le même CD le Quatuor de Ravel. Nous avons comparé leur interprétation à celles, historiques, des Quatuors Alban Berg, Italiano, Ébène : elle soutient la comparaison.
1 CD ALKONOST
François de Larrard, X78, jazzman
Notre camarade François de Larrard, pianiste, a quitté le monde de la recherche pour se consacrer entièrement à la musique. On a pu suivre au fil du temps l’évolution de son jeu, de plus en plus dépouillé, avec quelques constantes : la rigueur, la clarté, l’originalité (François n’appartient à aucune école, ne suit aucune mode), l’oscillation entre tonalité et atonalité. En outre, il ne joue que ses propres compositions (ou celles de ses partenaires musiciens), échappant ainsi à l’univers des standards du jazz. Sa dernière production, sous le titre Floating, présente un ensemble de pièces en duo avec Mathieu Bec, batterie. Laissons-le introduire cette nouvelle création : « Floating est un voyage. (…) Parti des rives du jazz, le vaisseau s’aventure dans les mondes des musiques contemporaines improvisées : succession de moments où les acteurs se découvrent des connivences inattendues (…) pour atteindre une certaine sérénité teintée de nostalgie. » Clairement, cette nouvelle évolution est un passage : François nous dira bientôt, sans doute, vers quel univers.