Le système multi-périls du réassureur public français est le plus puissant du monde

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°797 Septembre 2024
Par Édouard VIEILLEFOND (X90)

Entre­prise de réas­su­rance publique, CCR (Caisse Cen­trale de Réas­su­rance) qui béné­fi­cie de la garan­tie de l’État joue un rôle cen­tral au sein du régime fran­çais d’indemnisation des catas­trophes natu­relles dit Cat Nat, régime qua­si-unique au monde. CCR réas­sure les com­pa­gnies d’assurance, opère en tant que vigie des risques extrêmes et conseille les pou­voirs publics, tant au niveau natio­nal que local, afin d’aider la col­lec­ti­vi­té à s’adapter aux chan­ge­ments cli­ma­tiques et aux autres risques émer­gents. Acteur incon­tour­nable de la réas­su­rance, CCR est éga­le­ment recon­nue pour son exper­tise dans la ges­tion des risques et pour la qua­li­té de ses acti­vi­tés de recherche et d’analyse scien­ti­fique. Entre­tien avec Édouard Vieille­fond (X90), direc­teur géné­ral de la Caisse Cen­trale de Réas­su­rance (CCR).

Quel est le rôle de la Caisse Centrale de Réassurance ?

CCR est un réas­su­reur public béné­fi­ciant de la garan­tie de l’État pour les risques extrêmes inas­su­rables par les assu­reurs pri­vés seuls. Cette garan­tie per­met de résol­va­bi­li­ser le mar­ché. 93 % de notre chiffre d’affaires pro­vient des catas­trophes natu­relles : inon­da­tions, séche­resse, cyclones, trem­ble­ments de terre… Dès lors qu’il existe une carence de mar­ché, l’on fait inter­ve­nir CCR. Au fil du temps, notre mis­sion s’est élar­gie pour cou­vrir éga­le­ment d’autres typo­lo­gies de risques tels que le nucléaire, le ter­ro­risme, l’assurance-crédit ou à tra­vers de fonds dédiés. Notre péri­mètre est deve­nu souple avec de nou­veaux risques entrants et sor­tants assez régulièrement.

Comment a évolué cette entreprise ? 

Durant son his­toire, CCR a tou­jours été une entre­prise à double culture public/privé. Elle est née en 1946, conçue comme d’autres ins­ti­tu­tions fon­da­men­tales de la Répu­blique dans le cadre du pro­gramme du Conseil Natio­nal de la Résis­tance, au même titre que la Sécu­ri­té sociale. Elle a connu une évo­lu­tion majeure avec la créa­tion du Régime Cat Nat intro­duit par la loi du 13 juillet 1982, un régime d’indemnisation des catas­trophes natu­relles qui a per­mis de cou­vrir des risques natu­rels qui n’étaient que très peu assu­rés jusqu’alors. Une autre évo­lu­tion a lieu récem­ment, avec la ces­sion de notre filiale de réas­su­rance pri­vée CCR Re au groupe mutua­liste d’assurance SMBA BTP en juillet 2023. Nous déte­nons encore aujourd’hui 25 % de CCR Re.

Vos missions ont-elles changé ?

Notre rôle de conseiller auprès des pou­voirs publics et des col­lec­ti­vi­tés locales monte en puis­sance, deve­nant un axe fort de notre stra­té­gie. En tant qu’entreprise publique de droit pri­vé, nous inter­ve­nons en qua­li­té d’expert auto­nome et indé­pen­dant, dis­po­sant d’une liber­té de parole, à la fois dans les médias et à tra­vers nos rap­ports, sur les déci­sions de poli­tique publique face à l’accroissement des risques de catas­trophes natu­relles. Nous nous adres­sons éga­le­ment aux grands réseaux, entre­prises publiques et aux assu­reurs, qui sont aus­si nos clients. 

Quels sont les risques majeurs que vous traitez ?

Sur la quin­zaine de risques que nous ana­ly­sons chez CCR, l’augmentation de la fré­quence et de l’intensité des catas­trophes natu­relles due au réchauf­fe­ment cli­ma­tique demeure l’un des enjeux les plus forts. CCR offre un très bel outil de sol­va­bi­li­sa­tion de l’assurance en France. Il n’existe pas de modèle simi­laire dans le monde, dis­po­sant d’un sys­tème mul­ti-péril aus­si fort et puis­sant. C’est, par consé­quent, un régime qu’il faut péren­ni­ser, ren­for­cer et étendre. Les catas­trophes natu­relles repré­sentent, en effet, en moyenne, 2 mil­liards d’euros de dom­mages par an. En 2050, ce chiffre attein­dra les 3 mil­liards d’euros, voire 4 mil­liards d’euros si le pire scé­na­rio anti­ci­pé par le GIEC se réa­lise, créant un risque fort d’inassurabilité. Mais il existe évi­dem­ment d’autres risques, cer­tains d’origine anthro­pique ou tech­no­lo­gique, que nous sur­veillons de près (agri­cul­ture, cyber, sani­taire, émeutes, risques finan­ciers, etc.). 

Comment les territoires peuvent-ils se prémunir de ces aléas ?

En s’adaptant concrè­te­ment aux risques natu­rels qui aug­mentent de manière expo­nen­tielle et aléa­toire avec le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, en par­ti­cu­lier les inon­da­tions et la séche­resse qui a connu une année his­to­rique en 2022. Le rap­port sur l’assurabilité des risques cli­ma­tiques remis cette année par les experts Thier­ry Lan­gre­ney, Goné­ri Le Cozan­net et Myriam Mérad pro­pose une tra­jec­toire d’adaptation notable face au chan­ge­ment cli­ma­tique : res­pect du prin­cipe d’intervention de CCR en cas de carence du mar­ché pri­vé, main­tien de l’équilibre du régime Cat Nat, ren­for­ce­ment de la pré­ven­tion, pro­mo­tion de l’innovation, réa­li­sa­tion d’une car­to­gra­phie des risques à l’échelle nationale. 

Face à l’augmentation de la fré­quence et de l’intensité des évé­ne­ments cli­ma­tiques d’ampleur, défendre notre régime assu­ran­tiel qua­si unique au monde et son prin­cipe de soli­da­ri­té face aux catas­trophes natu­relles, pour que cha­cun puisse conti­nuer à être pro­té­gé à un prix abor­dable est la prio­ri­té de CCR. Tout ne doit cepen­dant pas repo­ser sur l’assurance ! Il faut savoir anti­ci­per, réa­li­ser des tra­vaux de façon pré­ven­tive et par­fois faire des choix cou­ra­geux en matière d’aménagement du ter­ri­toire pour s’adapter à la nou­velle donne cli­ma­tique et faire en sorte que l’assurance demeure pérenne. 

Ce régime est-il menacé par une réduction des dépenses de l’État ?

Non, car CCR n’est pas sou­mise à un régime bud­gé­taire éta­tique de type opé­ra­teur public, c’est une entre­prise publique mais de droit pri­vé avec sa gou­ver­nance, son bilan, ses objets et inté­rêts sociaux. Il s’agit d’un régime construit sur le fon­de­ment de res­sources d’origine pri­vée et concur­ren­tielle, CCR tirant ses recettes de primes issues de ses clients via les trai­tés qui la lie aux assu­reurs dom­mage exer­çant en France.

Ce qui est régle­men­taire notam­ment c’est le niveau de la « sur­prime Cat­Nat » fixée par arrê­té et sur­tout CCR ne peut évi­dem­ment exer­cer son métier que grâce à la garan­tie de l’Etat. Mais plus nous avons de primes et de réserves, moins nous avons sta­tis­ti­que­ment besoin de faire appel à cette garantie ! 

Notre chiffre d’affaires s’élève à 1,2 mil­liard d’euros en 2023 mais il est ame­né à croître avec la hausse des sur­primes d’assurance pour les catas­trophes naturelles. 

Un arrê­té du minis­tère des Finances publié fin 2023 a ain­si acté qu’à par­tir de début 2025, la sur­prime Cat Nat, pour les contrats mul­ti­risques habi­ta­tion (MRH) et mul­ti­risques pro­fes­sion­nels (MRP), pas­se­ra de 12 % à 20 %. CCR touche 50 % de cette sur­prime via le méca­nisme dit de « quote-part » et paye en contre­par­tie 50 % des sinistres… jusqu’à un cer­tain seuil à par­tir duquel elle paye 100 % des sinistres (méca­nisme dit « stop loss »). 

L’augmentation des sur­primes va assu­rer la péren­ni­té du régime durant 5 à 10 ans et va nous per­mettre de recons­ti­tuer nos réserves. En revanche, une réduc­tion bud­gé­taire de l’État pour­rait tou­cher le finan­ce­ment de la pré­ven­tion des catas­trophes natu­relles en France, le fonds Bar­nier ou les moyens dédiés aux plans de pré­ven­tion des risques natu­rels (PPRN) par exemple.

Quelles sont les compétences attendues dans vos métiers ?

CCR est une PME de 180 per­sonnes qui fait tout elle-même ! Nous trai­tons des sujets pas­sion­nants pour les col­la­bo­ra­teurs qui ont très sou­vent une double for­ma­tion d’actuaires-mathématiciens-statisticiens et de phy­si­ciens-ingé­nieurs. Au cœur du réac­teur de notre modèle, œuvrent 45 sous­crip­teurs en réas­su­rance, modé­li­sa­teurs de risques, data-scien­tists et pré­ven­teurs qui ont aus­si une forte exper­tise sur un ou deux domaines phy­siques. En paral­lèle, nous recru­tons des pro­fils finan­ciers pour pilo­ter nos inves­tis­se­ments, des juristes, etc. Tou­te­fois, nous avons de plus en plus besoin de pro­fils plus « macro-éco­no­miques », capables d’analyser et d’être en veille à la fron­tière de l’assurabilité.

Utilisez-vous l’intelligence artificielle ?

Oui. Au-delà d’accroître la pro­duc­ti­vi­té et l’efficacité des fonc­tions sup­port, l’intelligence arti­fi­cielle va chan­ger beau­coup de choses sur notre cœur de métier en appor­tant un degré supé­rieur de finesse dans la pré­dic­tion des aléas. La capa­ci­té de cal­cul per­met­tant d’utiliser net­te­ment plus de don­nées va nous aider à modé­li­ser plus fine­ment des risques, des aléas, des biens et leur vul­né­ra­bi­li­té, et nous per­mettre d’identifier des « pat­terns » autre­ment dit des ten­dances par­fois insoup­çon­nées. En cela, le métier d’actuaire change, pro­gres­si­ve­ment fon­dé sur de nou­veaux outils nour­ris à l’intelligence arti­fi­cielle. Le défi, pour nous, sera de cap­ter tout le béné­fice de ces nou­velles tech­no­lo­gies pour le cal­cul des dom­mages et aléas et l’appliquer à notre métier de modé­li­sa­teur et réassureur.

Quel horizon se dessine-t-il pour le secteur de la réassurance ?

Dans nos socié­tés déve­lop­pées, l’assurance et la réas­su­rance devraient être une évi­dence. Mais dans un contexte de crise, où les prix aug­mentent sur tous les postes, l’assurabilité subit des pres­sions de toutes parts et le risque d’inassurabilité aug­mente. Or, il est essen­tiel que ce mar­ché per­dure. Une socié­té sans assu­rance pour l’habitation ou la mobi­li­té ne pour­rait pas fonc­tion­ner. À l’avenir, nous anti­ci­pons que les carences de mar­ché se mul­ti­plie­ront et que le rôle de CCR s’amplifiera à mesure qu’apparaîtront de nou­veaux périls. Un débat resur­git net­te­ment aujourd’hui au niveau euro­péen, impli­quant notam­ment la BCE et l’EIOPA, pour savoir si un sys­tème de réas­su­rance à l’échelle euro­péenne serait viable. Il s’agit d’un pro­jet légi­time, por­té par le poli­tique, mais évi­dem­ment d’une très grande com­plexi­té. Nous entrons dans un monde où les par­te­na­riats entre public et pri­vé vont s’intensifier.

Quelles sont vos ambitions ?

Nous allons conti­nuer à nous déve­lop­per for­te­ment sur la par­tie conseil et ser­vice mais en veillant, d’abord, à bien faire notre métier pri­mor­dial de réassureur. 

En 2024, CCR est en effet capable de faire face à une sinis­tra­li­té de 1,8 mil­liard d’euros à sa charge et pour­rait cou­vrir jusqu’à 3,5 mil­liards d’euros à l’échelle du mar­ché, sans faire appel à la garan­tie de l’État. Il nous faut, suite à l’augmentation toute récente de la sur­prime, rapi­de­ment ren­for­cer cette capa­ci­té, qui en toute logique devrait plu­tôt être proche de 6 Md€ – c’est notre objec­tif à moins de dix ans. Nul doute que notre modèle gagne­rait, pour tous, à être expor­té et nous en ferons natu­rel­le­ment la publi­ci­té d’autant que la ren­ta­bi­li­té du régime est vrai­ment excel­lente quand on regarde le ratio cou­ver­ture – prime. Même aug­men­tée, la sur­prime pèse en effet 40 € annuels en moyenne par contrat d’assurance habitation… 


En bref

Créée en 1946, CCR (Caisse Cen­trale de Réas­su­rance) est une entre­prise de réas­su­rance. Socié­té ano­nyme de droit pri­vé. Son capi­tal est déte­nu à 100 % par l’État. En 2023, le chiffre d’affaires de CCR atteint 1 228 M€. 


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