KeeeX : « On apprend d’abord, puis on évolue et on s’adapte ! »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°797 Septembre 2024
Par Laurent HENOCQUE (X82)

Laurent Henocque (X82), CEO et fon­da­teur de KeeeX, revient sur son par­cours et nous en dit plus sur sa socié­té KeeeX. Spé­cia­li­sée dans la confiance en la don­née, son entre­prise a devan­cé un mar­ché qui atteint aujourd’hui sa matu­ri­té. Rencontre.

Quelle a été la genèse de KeeeX ?

Après l’École Poly­tech­nique j’ai fait une thèse en Mathé­ma­tiques et Intel­li­gence Arti­fi­cielle sous la direc­tion du Pro­fes­seur Alain Col­me­rauer, dont le labo­ra­toire était pion­nier en la matière à l’U­ni­ver­si­té d’Aix Mar­seille (AMU). Dans la fou­lée en 1989, j’ai inté­gré le monde de l’entreprise et notam­ment été direc­teur tech­nique de la star­tup Index qui a déve­lop­pé une appli­ca­tion de com­mu­ni­ca­tion ins­tan­ta­née glo­bale ven­due à Gold­man Sachs. En 1993, j’ai choi­si de retour­ner vers le monde uni­ver­si­taire en inté­grant Poly­tech Mar­seille où j’ai ensei­gné le génie logi­ciel et été cher­cheur en pro­gram­ma­tion par contrainte.

J’ai col­la­bo­ré en 2006 à un groupe de tra­vail du W3C, l’organisation de nor­ma­li­sa­tion du web, sur un stan­dard pour le web séman­tique. Dans ce cadre visant à auto­ma­ti­ser inter­net, j’ai per­çu l’enjeu de la confiance uni­ver­selle dans les don­nées et ai dépo­sé deux bre­vets en 2013 et 2014, aujourd’­hui éten­dus en Europe et aux États-Unis. J’ai créé KeeeX pour exploi­ter cette inno­va­tion avec l’aide du CNRS et de AMU. Nous fêtons nos 10 ans !

Au cœur du positionnement de KeeeX, on retrouve les nouvelles technologies numériques. Comment votre activité a‑t-elle évolué alors que la digitalisation s’accélère ?

KeeeX est arri­vée tôt sur un mar­ché imma­ture dans sa com­pré­hen­sion des enjeux de confiance dans la don­née. À l’époque, nos inter­lo­cu­teurs ne voyaient pas l’intérêt d’une solu­tion per­met­tant de fia­bi­li­ser les don­nées. Au fil des années, le mar­ché a évo­lué vers KeeeX et son offre mais encore aujourd’hui, beau­coup consi­dèrent que la confiance est acquise par le simple fait de mettre les don­nées sur un por­tail seul garant de leur sécu­ri­té. La réa­li­té éco­no­mique ou tech­nique est toute autre alors que nous enten­dons tous les jours par­ler d’attaques cyber ou de fuites de don­nées, de fake news et de pré­ju­dices cau­sés par les deep fakes et l’IA…

KeeeX a été construit autour de l’idée que la don­née doit être véri­fiable par elle-même et ne pas dépendre d’une infra­struc­ture tierce, qu’elle ait été envoyée par mail, sto­ckée sur une clé USB… Ce pro­cé­dé uni­ver­sel s’ap­plique à tous les for­mats de fichiers de bureau ou tech­niques : PDF, Medias, Office, Zip, JSON… Et un fichier ain­si pro­té­gé peut être véri­fié gra­tui­te­ment à tout moment et n’importe où sur le véri­fi­ca­teur du site qui le pro­duit ou sur le véri­fi­ca­teur KeeeX. Une tech­no­lo­gie de sécu­ri­té non véri­fiable est en effet inutile.

Nous avons créé nos pre­miers fichiers « keeexés » dès 2013, inté­grés à un sys­tème de tchat col­la­bo­ra­tif sécu­ri­sé puis pro­po­sé une solu­tion de pho­to­gra­phie cer­ti­fiée et sécu­ri­sée par appli­ca­tion mobile opé­ra­tion­nelle lors du CES Vegas en 2017. Cette appli­ca­tion qui a évo­lué et s’appelle aujourd’hui Col­lect and Prove est uti­li­sée par la Fon­da­tion UEFA pour l’Enfance et des socié­tés d’audit/expertise pour l’as­su­rance comme Sare­tec et Adenes.

“KeeeX a été construit autour de l’idée que la donnée doit être vérifiable par elle-même et ne pas dépendre d’une infrastructure tierce, qu’elle ait été envoyée par mail, stockée sur une clé USB…”

En 2017, nous avons cer­ti­fié les pre­miers com­mu­ni­qués de presse pour EDF qui avait déjà com­pris l’intérêt de pro­té­ger leur com­mu­ni­ca­tion avec une preuve de pro­ve­nance suite à un grave inci­dent bour­sier cau­sé par la cir­cu­la­tion de fausses publi­ca­tions visant le groupe Vin­ci. Sur ce seg­ment des com­mu­ni­qués de presse, KeeeX est aujourd’hui lea­der en France. Nous avons deux grands clients directs, Socié­té Géné­rale et Ene­dis, et deux clients reven­deurs, Augure et ePress­Pack, ce qui nous donne accès à près de 300 socié­tés. KeeeX déma­té­ria­lise et pro­tège aus­si la Pro­prié­té Intel­lec­tuelle et Indus­trielle, les rap­ports d’émission de navires pour l’Open Data euro­péen émis par Veri­fa­via, les docu­ments régle­men­taires de navires pour la socié­té Ser­vaux. Voi­là pour la pre­mière étape por­tant sur les docu­ments isolés.

Puis, dès 2017, nous avons trai­té des pro­ces­sus indus­triels, dont un pilote de déma­té­ria­li­sa­tion de titre trans­fé­rable (l’e­BL) pour CMA-CGM, et un autre de déma­té­ria­li­sa­tion de main­te­nance d’é­qui­pe­ments pour Thales. En 2018, KeeeX a démon­tré à la demande du Minis­tère des Trans­ports la déma­té­ria­li­sa­tion de l’intégralité de la liasse docu­men­taire asso­ciée au trans­port mari­time en par­te­na­riat avec VNF, la CNR, la CDC, le Grand Port Mari­time de Marseille.

Fin 2019, nous avons déployé en pro­duc­tion grand public avec appli­ca­tion mobile la pre­mière solu­tion de tra­ça­bi­li­té ali­men­taire du champ à l’as­siette pour la socié­té Bon­jour Le Bon.

« KeeeX propose ainsi sous le nom de TraaaX une solution majeure de tour de contrôle pour la transmission de titres dématérialisés. »

En 2023, après la pan­dé­mie de COVID, de nou­veaux enjeux régle­men­taires ont offert à KeeeX de nou­velles pers­pec­tives de déve­lop­pe­ment, avec notam­ment l’entrée en vigueur du Pas­se­port Numé­rique des Pro­duits euro­péen (le DPP) et la géné­ra­li­sa­tion du recours au QR code. Dans cette conti­nui­té, nous avons dépo­sé un nou­veau bre­vet capi­tal pour le titre trans­fé­rable élec­tro­nique puis contri­bué en 2024 à la com­mis­sion rela­tive à l’adoption du MLETR (Model Law on Elec­tro­nic Trans­fe­rable Records) voté par l’Assemblée natio­nale en mai der­nier, la France se dotant ain­si en pion­nière d’un sou­tien juri­dique à la déma­té­ria­li­sa­tion com­plète des Titres Trans­fé­rables Élec­tro­niques pour le com­merce inter­na­tio­nal. KeeeX pro­pose ain­si sous le nom de TraaaX une solu­tion majeure de tour de contrôle pour la trans­mis­sion de titres dématérialisés.

En 2024, nous nous posi­tion­nons comme un acteur clé de la lutte contre les dérives de l’IA, des fake news et des deep fakes avec notam­ment une solu­tion d’email véri­fiable anti phi­shing avec la socié­té BlueCrest.

Glo­ba­le­ment au cours de la der­nière décen­nie, le mar­ché a glis­sé pro­gres­si­ve­ment vers les cas d’usage pou­vant être adres­sés par nos solu­tions et tech­no­lo­gies aujourd’­hui déployées sous forme d’une suite logi­cielle inter­opé­rable com­pre­nant appli­ca­tions mobiles, por­tails, APIs, appli­ca­tions backend, blo­ck­chain hybride.

Aujourd’hui, quelles sont vos ambitions pour KeeeX ? 

Le volume de don­nées créé chaque année dans le monde était de 2 mil­liards de Téra­oc­tets en 2010 et sera mul­ti­plié par 100 d’ici 2025. Les capa­ci­tés humaines à trai­ter et clas­ser ces don­nées sont dépas­sées par ce rythme expo­nen­tiel. Cette sur­charge infor­ma­tion­nelle com­bi­née aux pro­grès de l’IA Géné­ra­tive ne per­met plus de dis­cer­ner le vrai du faux et en consé­quence des solu­tions de pro­ve­nance de don­nées sont deman­dées dans l’en­semble de l’in­dus­trie des contenus.

Devant ce constat et forte de sa tech­no­lo­gie, KeeeX a pour ambi­tion de redon­ner à tous confiance dans les don­nées en per­met­tant de véri­fier leur inté­gri­té, pro­ve­nance réelle et date dans un monde où cette confiance est ren­due tou­jours plus néces­saire par l’in­jonc­tion de déma­té­ria­li­sa­tion pour des rai­sons éco­no­miques, cli­ma­tiques, stratégiques…

Nous entrons dans un temps de matu­ri­té du mar­ché et sou­hai­tons contri­buer acti­ve­ment à défi­nir le stan­dard des solu­tions de preuve de pro­ve­nance et d’in­té­gri­té des don­nées d’une part, et de déli­vrer, d’autre part, le stan­dard d’une offre de docu­ment trans­fé­rable qui réplique le papier dans ses usages les plus pous­sés (fili­gra­né…) en capi­ta­li­sant sur notre der­nier bre­vet dépo­sé en 2023. Notre offre fait de nous un acteur pion­nier et majeur des tech­no­lo­gies Zero Trust et de Data Cen­tric Secu­ri­ty utiles à l’in­dus­trie de pointe et à la défense.

Idéa­le­ment, notre ambi­tion est aus­si d’ai­der à construire un monde où per­sonne ne triche mal­gré le risque que pose le numé­rique, qui est pour­tant béné­fique à la pla­nète. Par cohé­rence, la socié­té est peut-être la seule ou pre­mière socié­té blo­ck­chain à com­pen­ser inté­gra­le­ment ses émis­sions de GES depuis 2022.

De l’ingénierie au monde de l’entrepreneuriat, votre formation vous a‑t-elle préparé à la création d’une entreprise et sa gestion ? 

En par­tie oui, par la capa­ci­té à incar­ner une inter­face entre la tech­nique et les autres fonc­tions. Gérer une jeune entre­prise inno­vante pose avant tout des défis humains. En effet, pour rele­ver les enjeux tech­niques, juri­diques, comp­tables ou finan­ciers, un entre­pre­neur peut s’entourer d’experts et de spé­cia­listes. Mais, sur le plan humain, le diri­geant doit soi­gner la qua­li­té rela­tion­nelle déployée envers des col­la­bo­ra­teurs très sou­vent plus jeunes et issus de géné­ra­tions aux attentes dif­fé­rentes. J’ai appris la péda­go­gie pen­dant mon ser­vice mili­taire et cer­tains aspects du lea­der­ship à l’X. Je les ai mis en pra­tique à l’U­ni­ver­si­té et dans mes pre­mières expé­riences pro­fes­sion­nelles suite à ma thèse. La rela­tion avec des étu­diants en thèse est, par ailleurs, très proche de celle que l’on peut déve­lop­per avec une équipe d’in­gé­nieurs brillants (cer­tains eux-mêmes doc­teurs), res­pon­sables de déve­lop­per l’innovation. 

Enfin, je dois immen­sé­ment à plu­sieurs cama­rades et amis d’é­tudes pour avoir cru en mon pro­jet dès son lan­ce­ment et encore aujourd’hui. Je dois éga­le­ment beau­coup aux réseaux d’en­tre­pre­neurs régio­naux qui ont été d’une géné­ro­si­té constante. J’ai plei­ne­ment pro­fi­té de la for­ma­tion des accé­lé­ra­teurs, en pou­vant citer la SATT Sud Est, Mar­seille Inno­va­tion, Zebox, Sta­tion F avec Thales. Ma for­ma­tion a donc été essen­tiel­le­ment continue !

Et quels souvenirs avez-vous conservés de vos années à l’école ?

J’ai pris à cœur mon rôle de Rug­by­man Khô­miss­saire tru­blion un peu exces­sif… Mais quelles aven­tures ! J’ai le sou­ve­nir d’en­sei­gnants remar­quables et d’une immer­sion scien­ti­fique allant de la phy­sique quan­tique à la bio­lo­gie, avec des détours par l’ar­chi­tec­ture et la photographie.

À mon entrée à l’X, j’avais pour pro­jet de tra­vailler dans la bio­lo­gie. Je me suis plu­tôt diri­gé vers l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle et aujourd’hui, je finis ma car­rière dans un tout autre domaine. On apprend d’a­bord, puis on évo­lue et on s’adapte !

Enfin, je garde de l’école de grands amis, dont cer­tains sont asso­ciés de KeeeX aujourd’­hui, et un réseau for­mi­dable de générosité. 

https://keeex.me

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