L'exemple de l'Orge en Essonne permet d'illustrer l'importance du rôle des élus dans la gestion de l'eau

Décliner les directives européennes au niveau local

Dossier : Les politiques publiques de l'eauMagazine N°798 Octobre 2024
Par François CHOLLEY (X71)

La pro­tec­tion de l’eau et des milieux aqua­tiques est une néces­si­té dont on s’est trop tar­di­ve­ment sai­si et les exi­gences régle­men­taires sont à pré­sent ambi­tieuses. Mais toute la ques­tion est de tra­duire ces exi­gences au niveau local, là où se joue le suc­cès de la poli­tique publique, avec ses contraintes par­ti­cu­lières et ses moyens limi­tés face à des dif­fi­cul­tés crois­santes à mesure que le plus facile est fait. Les résul­tats sont réels, mais encore insuf­fi­sants. Le far­deau qui pèse sur les épaules de l’élu local est bien lourd !

Nous avons l’habitude de nous plaindre quand il y a trop de pluie mais aus­si quand il n’y a pas assez d’eau, en cas de séche­resse. Par ailleurs, le volume de l’eau sur terre n’évolue guère mais elle est aus­si répar­tie de manière très hété­ro­gène entre les ter­ri­toires. Enfin, l’eau est indis­pen­sable à la vie bio­lo­gique, à l’agriculture comme à l’industrie, mais son usage peut la salir et la rendre impropre aux usages aux­quels on la destine.

Cachez cette eau sale qui sent et peut m’inonder !

His­to­ri­que­ment, l’être humain a tou­jours eu besoin d’eau. Il a très tôt cher­ché à la domes­ti­quer autant qu’à en pro­fi­ter : boire, irri­guer, se laver, pro­fi­ter de sa force motrice, pêcher des pois­sons. L’eau a aus­si accom­pa­gné la révo­lu­tion indus­trielle dans des pro­cess indus­triels, pour du chauf­fage ou du refroi­dis­se­ment. De tout temps, l’eau a été gérée comme une res­source col­lec­tive, un bien com­mun au niveau local comme au niveau du pays, car tout usage indi­vi­duel ou pro­fes­sion­nel a un impact sur la collectivité.

Au fil des siècles, les pou­voirs publics ont régle­men­té ce sec­teur : pre­mière grande loi sur l’eau en 1898, loi sur l’énergie hydrau­lique de 1919… Dans les années 1950, les concepts en vigueur étaient, pour les rivières, de les cacher dans des buses pour qu’elles ne débordent pas et ne sentent pas (sic), car on y déver­sait les eaux usées. De plus, rec­ti­fier et cana­li­ser les cours d’eau était consi­dé­ré comme la meilleure façon de trai­ter le pro­blème des inon­da­tions, pour éva­cuer l’eau au plus vite. Une for­mule tou­jours en vigueur a eu des effets dévas­ta­teurs : « le tout-à‑l’égout ».

Et, encore aujourd’hui, nous en subis­sons les consé­quences cala­mi­teuses en récu­pé­rant dans les réseaux en grande quan­ti­té des lin­gettes, des pro­duits chi­miques comme l’alcool ou des dis­sol­vants, mal­gré les cam­pagnes de sen­si­bi­li­sa­tion. L’autre effet per­vers de ce concept a été de ren­voyer sur la col­lec­ti­vi­té le trai­te­ment de ces effluents et déchets, non de res­pon­sa­bi­li­ser le citoyen qui s’en est dés­in­té­res­sé. La situa­tion est deve­nue assez déli­cate pour ne pas dire dif­fi­cile dans les années 1960.

La prise de conscience des années 1960

Les rivières étaient en très mau­vais état, les eaux des rivières étaient beau­coup trop pol­luées par les eaux usées, les intrants agri­coles et des pro­duits chi­miques. L’environnement en subis­sait les consé­quences. La ges­tion des inon­da­tions aus­si était insuf­fi­sante. Cette situa­tion n’était pas durable. La loi sur l’eau du 16 décembre 1964 orga­nise donc la ges­tion de l’eau par bas­sin, avec la créa­tion des agences de l’eau et des comi­tés de bas­sin. La même année est intro­duit le prin­cipe « pol­lueur payeur ». Puis, dans les années 70, la poli­tique publique de l’eau s’inscrit dans le cadre européen.

La légis­la­tion com­mu­nau­taire a d’abord por­té sur les usages de l’eau (dont l’eau potable), puis sur la réduc­tion des pol­lu­tions et l’environnement. L’eau est deve­nue un enjeu poli­tique au moment de la prise de conscience indi­vi­duelle et col­lec­tive pour dis­po­ser de rivières propres dans un envi­ron­ne­ment natu­rel agréable. Ces biens com­muns doivent être gérés col­lec­ti­ve­ment, au niveau local dans le res­pect d’une stra­té­gie nationale.

Des struc­tures pré­exis­taient sou­vent, comme les syn­di­cats de meu­niers du XIXe siècle que les com­munes ont sou­vent repris, ou elles se sont orga­ni­sées. Faute de dis­po­ser d’une cou­ver­ture com­plète du ter­ri­toire, à par­tir de 2014 le légis­la­teur a confié la ges­tion des milieux aqua­tiques et la pré­ven­tion des inon­da­tions (GEMAPI), et ulté­rieu­re­ment celle de l’assainissement, aux commu­nautés de com­munes ou d’agglomérations, charge à elles de les rétro­cé­der aux struc­tures pré­exis­tantes le cas échéant. Les orga­ni­sa­tions locales sont très variées, mais per­sonne n’a démon­tré que c’était un handicap.

L’Orge en 1970, un égout à ciel ouvert, et aujourd’hui.
L’Orge en 1970, un égout à ciel ouvert.
L'Orge aujourd'hui
L’Orge aujourd’­hui.

Le cadre général aujourd’hui

L’objectif affi­ché est d’atteindre en 2027 un bon état des masses d’eau super­fi­cielles et sou­ter­raines. Pour ce faire, un ensemble de direc­tives a vu le jour : direc­tive-cadre sur l’eau, direc­tive eau potable, direc­tive eaux rési­duaires urbaines, direc­tive nitrates, direc­tive inon­da­tion, com­plé­tées par des docu­ments plus spé­ci­fiques tels que le règle­ment euro­péen sur l’anguille, etc.

Ces direc­tives sont tra­duites ou reprises telles quelles par des lois et des décrets au niveau natio­nal. En France, une grande par­tie de ces objec­tifs avec leur décli­nai­son locale se retrouve dans les sché­mas direc­teurs d’aménagement et de ges­tion des eaux (SDAGE) qui sont éla­bo­rés par les agences de bas­sin. Le SDAGE est sou­vent lui-même décli­né en sché­ma d’aménagement et de ges­tion des eaux (SAGE) par bas­sin ver­sant, à l’initiative des col­lec­ti­vi­tés. Cer­tains aspects relèvent d’autres codes ; par exemple le rac­cor­de­ment des immeubles aux réseaux d’assai­nissement relève du code de la san­té publique.

En paral­lèle, les gou­ver­ne­ments ont lan­cé des plans d’action thé­ma­tiques : en 2018, les assises de l’eau, un plan bio­di­ver­si­té, un plan d’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique. En 2022, un Varenne agri­cole de l’eau et le fonds vert sont appa­rus. Enfin en 2023 le plan eau, lan­cé par le Pré­sident de la Répu­blique, vise à réduire les pré­lè­ve­ments d’eau et la consommation.

Directive cadre sur l'eau

Des objectifs multiples et ambitieux pour les collectivités

Pour les acteurs de ter­rain, le cadre pres­crip­tif est donc très copieux à connaître et à maî­tri­ser. Ain­si, l’état d’une masse d’eau est ana­ly­sé selon quatre rubriques : l’état éco­lo­gique qui com­prend un volet bio­lo­gie (diver­si­té de la faune et de la flore), une rubrique phy­si­co-chi­mique (pol­luants métal­liques et pes­ti­cides…), une rubrique hydro­mor­pho­lo­gique (conti­nui­té hydro­lo­gique non alté­rée) et enfin une rubrique état chi­mique (sui­vi d’une liste de plu­sieurs dizaines de sub­stances). Ces objec­tifs sont répu­tés volon­ta­ristes, c’est-à-dire très ambi­tieux et sans consi­dé­ra­tion ni de la situa­tion locale ni de l’ampleur de l’effort à réa­li­ser pour les atteindre, tout au moins à une échéance précise.

“Des obligations de résultat laissant aux opérateurs locaux le choix des moyens.”

Ensuite, il s’agit d’obligations de résul­tat lais­sant aux opé­ra­teurs locaux le choix des moyens. Deux par­ti­cu­la­ri­tés rendent l’exercice parti­culièrement redou­table et sont géné­ra­le­ment mécon­nues. Le pre­mier sou­ci est le prin­cipe du one out, all out, qui signi­fie que, si un cri­tère de la liste n’est pas res­pec­té, c’est cette mau­vaise appré­cia­tion qui l’emporte pour toute la rubrique. Deuxième sou­ci, il n’est pas tenu compte des pol­lu­tions héri­tées (le stock) qui atté­nuent la por­tée des efforts accom­plis (le flux).

Périmètre géographique de l’Orge et suivi qualité : d’Athis-Mons 
à Saint-Martin.
Péri­mètre géo­gra­phique de l’Orge et sui­vi qua­li­té : d’Athis-Mons à Saint-Martin.

Aménager la rivière pour la rendre saine, utile et agréable

Le syn­di­cat inter­com­mu­nal de l’Orge que je pré­side depuis plus de dix ans repré­sente un bas­sin de popu­la­tion de 430 000 habi­tants pour 62 com­munes en ban­lieue pari­sienne, 280 km de cours d’eau sur 483 km² de bas­sins ver­sants ruraux et urbains. Le bud­get annuel est de l’ordre de 14 mil­lions d’euros, qui pro­viennent pour l’essentiel des coti­sa­tions des col­lec­ti­vi­tés, des rede­vances sur la fac­ture d’eau et des sub­ven­tions. Nous assu­rons l’aménagement de la rivière et de ses abords, ain­si que la ges­tion hydrau­lique de la rivière pour pré­ve­nir et limi­ter les inondations.

La res­tau­ra­tion mor­pho­lo­gique des cours d’eau passe par la sup­pres­sion des cuve­lages rec­ti­lignes en béton ; par le méan­drage de la rivière qui s’appuie sur une poli­tique d’acquisition fon­cière ; le pro­fi­lage des berges en pente douce avec des plan­ta­tions de façon à ralen­tir le débit et aug­men­ter les capa­ci­tés de sto­ckage en cas de hautes eaux d’une part, à per­mettre le déve­loppement d’une faune et d’une flore qui contri­buent à l’autoépuration de l’eau d’autre part. De manière volonta­riste, nous sup­pri­mons les obs­tacles à l’écoulement, les seuils qui bloquent la mon­tai­son des pois­sons et la des­cente des sédi­ments. En vingt ans, nous avons remis en écou­le­ment libre plus de 20 km à par­tir de la Seine, en sup­pri­mant une tren­taine de seuils.

Rénover les réseaux d’eaux usées pour limiter les fuites

Pour l’assainissement, nous entre­te­nons les réseaux et gérons de petites sta­tions d’épuration, soit une quin­zaine. L’essentiel des tra­vaux consiste à réno­ver des cana­li­sa­tions anciennes en mau­vais état qui infiltrent dans le sol des eaux usées et se chargent en eau de pluie ou du sol par infil­tra­tion quand le sol est satu­ré. Il est par­fois néces­saire de dépla­cer des cana­li­sa­tions d’eaux usées posées à l’époque dans les berges, voire dans le lit de la rivière, car c’était plus facile sans se pré­oc­cu­per de l’exploitation future ou de leur renouvellement. 

Ces cana­li­sa­tions anciennes sont assez sou­vent en mau­vais état, soit parce qu’elles sont atta­quées par des gaz, notam­ment sul­fu­rés, soit à la suite des mou­ve­ments de sol qui les frac­turent. Paral­lè­le­ment, il est indis­pen­sable de réno­ver les sta­tions d’épuration pour main­te­nir un bon niveau de per­for­mance, lequel est régu­liè­re­ment rele­vé par la réglementation.

Évolution du taux d’ammonium (indicateur des fèces) dans la rivière.
Évo­lu­tion du taux d’ammonium (indi­ca­teur des fèces) dans la rivière.

Des actions sans regret et multifonctionnelles

Ces actions contri­buent à l’amélio­ration du milieu, mais l’évaluation des effets est frus­trante. D’un côté, nous savons mesu­rer la réduc­tion de la pol­lu­tion déver­sée loca­le­ment mais, d’un autre côté, nous ne savons pas mesu­rer l’impact sur la qua­li­té glo­bale de la rivière. En effet, c’est l’effet cumu­la­tif des actions au fil du temps qui entraîne une amé­lio­ra­tion. Il n’y a que pour les sta­tions d’épuration ou de pota­bi­li­sa­tion que l’on peut cibler un para­mètre précis. 

Par ailleurs, le milieu subit des aléas dont il faut gérer les consé­quences. Les aléas peuvent être des inon­da­tions. En effet, une cana­li­sa­tion d’eaux usées en zone urbaine peut débor­der dans les rues, qui vont les récu­pé­rer dans les réseaux d’eaux plu­viales, les­quels débouchent dans la rivière. Il existe aus­si des pol­lu­tions occa­sion­nelles ou sys­té­ma­tiques quand des habi­ta­tions ou des entre­prises envoient les eaux usées direc­te­ment dans les réseaux d’eaux pluviales. 

Nous avons donc mis en place un pro­gramme plu­ri­an­nuel de contrôle de confor­mi­té des bran­che­ments pour les habi­ta­tions et les acti­vi­tés, avec des péna­li­tés finan­cières en cas de « pas­si­vi­té ». Cepen­dant, les col­lec­ti­vi­tés ne dis­posent pas du pou­voir de police (consta­ta­tion, ins­truc­tion, amendes…) sur ces sujets qui relèvent de l’État, essen­tiel­le­ment de l’Office fran­çais de la bio­di­ver­si­té. Depuis peu, nous avons aus­si enga­gé des actions de dés­im­per­méa­bi­li­sa­tion et d’infiltration sur place des eaux de pluie, avec les collectivités.

Décuvelage de la rivière et aménagement des berges, avant…
Décu­ve­lage de la rivière et amé­na­ge­ment des berges, avant…
Décuvelage de la rivière et aménagement des berges, après…
Décu­ve­lage de la rivière et amé­na­ge­ment des berges, après…

Des résultats réels mais encore insuffisants

L’objectif de bon état en 2027 était par­ti­cu­liè­re­ment ambi­tieux et ne sera pas atteint sur notre ter­ri­toire, comme ailleurs. Pour­tant la qua­li­té de la rivière s’est gran­de­ment amé­lio­rée, ain­si que la maî­trise du trai­te­ment des eaux usées. Grâce aux actions de repro­fi­lage natu­rel de la rivière, des espèces pis­ci­coles qui avaient dis­pa­ru sont main­te­nant régu­liè­re­ment pré­sentes, comme le bar­beau flu­via­tile et les anguilles. Mais nous avons consta­té que, si les pre­miers pro­grès ont été faciles, désor­mais nos actions sont dans les ren­de­ments d’efficacité décroissants. 

Plus pré­ci­sé­ment, les niveaux moyens des pol­luants dans la rivière sont en des­sous des seuils et l’ampleur des varia­tions s’est net­te­ment réduite. Mais il est désor­mais plus dif­fi­cile de pro­gres­ser, car il y a encore trop de pol­lu­tions occa­sion­nelles (acci­dents ou déver­se­ments sau­vages) et des pol­lu­tions his­to­riques (métaux, pes­ti­cides et leurs méta­bo­lites, hydro­car­bures, médi­ca­ments…) pié­gées dans les sols, notam­ment les sédi­ments qui les relâchent au fil du temps.

Le rôle ingrat mais nécessaire de l’élu

On n’inaugure pas une cana­li­sa­tion lors de sa mise en ser­vice ! Un inves­tis­se­ment à long terme pour réha­bi­li­ter une cana­li­sa­tion ou une sta­tion ne rap­porte pas de voix ! Et enfin per­sonne n’est élu sur le taux de la rede­vance d’assainissement ! Pour autant, l’élu doit convaincre les délé­gués de sa col­lec­ti­vi­té et de son syndicat. 

Les pro­jets doivent être prio­ri­sés de manière objec­tive selon leur effi­ca­ci­té, leur effi­cience et leur degré de matu­ri­té notam­ment. Il doit com­po­ser avec l’État comme avec ses finan­ceurs qui peuvent avoir des exi­gences, certes conver­gentes et légi­times mais sou­vent dif­fé­rentes. Les délais peuvent se comp­ter en années : réa­li­sa­tion de l’inventaire faune-flore, dos­sier « loi sur l’eau » sou­mis à l’État, pas­sa­tion du mar­ché, sans comp­ter par­fois l’enquête publique. 

Enfin, il faut aus­si res­pec­ter le droit de pro­prié­té des pro­prié­taires d’ouvrage pri­vé, même quand ils « contri­buent » aux inon­da­tions ! Et subir l’absence d’entretien des berges, qui relève des rive­rains mais est rare­ment res­pec­té, etc. Alors le rôle de l’élu qui accepte de prendre la prési­dence d’un syn­di­cat de ce type, c’est de résoudre des pro­blèmes quo­ti­diens et de long terme, d’expliquer aux élus comme aux habi­tants de jus­ti­fier et d’essayer de convaincre tout en accep­tant de « prendre des coups ». Cela reste pour­tant exal­tant et inté­res­sant de tra­vailler sur et pour le bien com­mun qu’est l’eau.

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