Mettre en œuvre la semaine de quatre jours : pourquoi, pour qui, comment ?
Cet article est l’aboutissement de notre modal de 2A (module appliqué en laboratoire) qui s’est concentré sur l’étude de la mise en œuvre de la semaine de quatre jours en entreprise, les motivations et les modalités qui la sous-tendent, et son évaluation. Nous avons réalisé ce modal avec Florence Charue-Duboc, chercheuse au Centre de recherche en gestion de l’École polytechnique, que nous remercions vivement.
En janvier 2024, Gabriel Attal, alors Premier ministre, se déclare favorable à des « semaines différenciées » et à la « semaine en quatre jours » sans réduction du temps de travail. Reprise de nombreuses fois dans les médias, sa prise de parole fait resurgir un engouement autour du thème de la semaine de quatre jours, porté tant par le grand public que par des spécialistes en gestion. À l’image de la promotion X2022 dont font partie les deux autrices de cet article, les jeunes qui sont sur le point d’entrer sur le marché du travail s’interrogent sur le futur du travail et aspirent à une flexibilité, dont la semaine de quatre jours pourrait faire partie.
Plusieurs questions s’imposent alors : pourquoi ce sujet est-il autant débattu aujourd’hui ? Quelles sont les raisons qui poussent les entreprises à s’y intéresser ? Ce fut l’objet de notre enquête auprès de treize personnes issues du monde de l’entreprise et de l’entrepreneuriat.
Réduction du temps de travail ou transformation du travail ?
Le débat sur la semaine de quatre jours ne date pas d’aujourd’hui. Déjà dans les années 1990, des personnalités politiques comme Pierre Larrouturou, Gérard Larcher, Gilles de Robien ou encore Michel Rocard militaient pour la semaine de quatre jours, dans le but d’améliorer le bien-être et surtout de lutter contre le chômage, en partant du principe que les entreprises embaucheraient davantage. On aboutit en 1996 à la loi Robien sur l’aménagement du temps de travail, offrant la possibilité aux entreprises françaises d’adopter la semaine de quatre jours et de passer de 39 à 32 heures par semaine, en supprimant les cotisations chômage contre une création d’au moins 10 % d’emplois. Ainsi, environ 400 entreprises expérimentent la semaine de quatre jours entre 1996 et 1998.
Le débat s’articulait alors autour d’une tendance de fond de diminution du temps de travail hebdomadaire observable en France comme dans les autres pays européens sur les cent dernières années. Cette tendance peut s’appréhender par l’enchaînement de législations, avec l’entrée en vigueur de nouvelles lois telles que la loi Aubry ou Robien, mais également par les suivis statistiques, avec une continuelle diminution du temps de travail.
Au début des années 2020, les confinements successifs ont accéléré des dynamiques de transformation de l’organisation du travail : la digitalisation accrue, le télétravail à domicile et les réunions en visioconférence. Le télétravail a rendu presque obsolète le présentéisme et remet en cause l’utilité de certaines tâches, tandis que les réunions en visioconférence nous ont rendus allergiques à la réunionite. Les confinements successifs ont également été propices à un questionnement plus général sur l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle. C’est dans ce contexte qu’on note un regain d’intérêt pour la semaine de quatre jours. Aujourd’hui, lorsque l’on parle de la semaine de quatre jours, cela couvre des réalités parfois très différentes. La semaine peut être « en quatre jours », sans réduction du temps de travail (voire avec une légère augmentation), comme ce qui était proposé par Gabriel Attal pour plusieurs ministères, et consiste donc à avoir des journées plus longues pour faire en quatre jours le même nombre d’heures (ou plus) qu’en cinq. Elle peut aussi être « de quatre jours », avec une légère réduction du temps de travail mais souvent avec des journées travaillées plus longues et plus denses.
Une enquête auprès des entrepreneurs
Pour notre étude, nous avons réalisé au total treize entretiens semi-directifs, balayant un panel de onze entreprises. Toutes, à l’exception d’une, ont réussi à expérimenter la semaine de quatre jours. Quand on pense à la semaine de quatre jours, on imagine des trentenaires parisiens qui travaillent dans des bureaux aux grandes baies vitrées toute la journée et alternent temps devant l’ordinateur et pause café. Nous avons été étonnées d’apprendre que la semaine de quatre jours est plébiscitée par des entreprises dans des secteurs très variés, de la boulangerie à la logistique.
Les métiers touchés sont également divers, du travail de bureau à l’industrie. La semaine de quatre jours n’est donc pas réservée à des cadres ou cantonnée au travail sédentaire. La taille des entreprises est aussi très variable, allant de 10 à 3 000 personnes pour les plus grands groupes. Un groupe entier peut donc franchir le pas, avec tous ses différents corps de métier, tout comme une jeune entreprise aux résultats encore fluctuants. Nous avons ainsi rencontré une petite entreprise qui avait traversé une période de difficultés financières et qui malgré cela a fait le choix de passer à quatre jours.
Les sièges, usines et points de vente des entreprises interrogées sont répartis dans toute la France, principalement dans les grandes villes (Paris, Lyon, Bordeaux, Rennes, Nantes…). Les trentenaires à quatre jours ne sont donc pas forcément parisiens ! Enfin, bien que nous ayons essayé de contacter des employés et syndicats, nous avons majoritairement interrogé des personnes à la tête d’entreprises, plus enclines à prendre la parole sur ce sujet et à médiatiser leur boîte.
Des initiatives sous-tendues par des motivations managériales
De manière assez surprenante, nous avons noté que l’impulsion visant à passer à la semaine de quatre jours est toujours venue, dans les onze entreprises, du top management. La volonté de bien-être des employés n’est d’ailleurs jamais citée seule, elle vient toujours accompagnée d’autres considérations.
Certaines entreprises affirment chercher à améliorer l’attractivité de la marque employeur et à répondre à des besoins de recrutement et de fidélisation. C’est en particulier le cas dans les métiers en tension ou hautement spécialisés, en raison des difficultés non seulement à recruter mais aussi à retenir les talents. Et, dans un premier temps au moins, il y a bien eu une fidélisation des employés, une baisse du turnover et des arrêts maladie. Outre les personnes techniciennes que nous avons interrogées, des exemples se multiplient dans le monde de l’hôtellerie ou encore de la restauration.
Sur le plan organisationnel, la semaine de quatre jours est prometteuse. En effet, quand un employé est absent alors que la semaine est de cinq jours, il est difficile pour ses collègues de le ou la remplacer à l’improviste et de gérer ses dossiers. Avec la semaine de quatre jours, si les jours de repos sont tournants, les collègues doivent traiter ses dossiers toutes les semaines, ce qui favorise le partage des tâches et la communication entre les membres de l’équipe. Les managers interrogés assurent que la semaine de quatre jours responsabilise les employés et que réciproquement la culture de la confiance doit être garantie par le management, en évitant le micromanagement.
D’autres motivations incluent des considérations de justice sociale. Une entreprise a par exemple choisi de passer à quatre jours pour que les femmes qui étaient au 4⁄5 pour s’occuper de leurs enfants en bas âge, mais dont les résultats étaient similaires aux autres qui travaillaient cinq jours par semaine, puissent bénéficier d’un salaire de temps plein. Ce même chef d’entreprise a par ailleurs noté que le jour off, variable dans le cas de sa boîte, pouvait servir de congé menstruel pour ses employées. Un autre employeur a souligné sa volonté de faire profiter tous les types d’employé d’avantages offerts par les innovations organisationnelles. Dans son entreprise, les personnes travaillant dans un bureau (« cols blancs ») pouvaient déjà faire du télétravail, qui ne peut être appliqué au travail manuel (« cols bleus »). La semaine de quatre jours a ainsi d’abord été déployée auprès de la partie technique, avant de s’étendre à la majorité du groupe.
Enfin, certaines entreprises se distinguent par des motivations spécifiques liées à leurs outils de travail. Par exemple, une entreprise a mis en avant une volonté d’augmenter la productivité, en permettant aux machines de fonctionner plus longtemps grâce à des journées de travail allongées. Par cette approche, la continuité de service reste assurée et l’utilisation des équipements est maximisée.
Une mise en œuvre type
Malgré la diversité des profils des entreprises interrogées, elles adoptent toutes une mise en œuvre de la semaine de quatre jours qui présente des caractéristiques similaires.
Premièrement, aucune des entreprises n’a procédé à une réduction des salaires. Une baisse de la rémunération est même jugée impensable et inacceptable par toutes les parties prenantes interrogées.
Deuxièmement, aucune des entreprises n’a prévu de recrutement supplémentaire pour compenser le jour de travail en moins. La réorganisation du travail s’effectue donc avec les effectifs existants, et ce, afin de ne pas engager de coûts supplémentaires liés à l’embauche de nouvelles personnes. Cette volonté de ne pas recruter est le sujet de crispations pour un employé du SAV d’un grand groupe français de vente et logistique, se plaignant d’une charge de travail quotidienne plus élevée : il doit effectuer les mêmes tâches en quatre jours au lieu de cinq.
Enfin, les objectifs à réaliser restent inchangés. Les entreprises n’ont pas réduit les attentes en termes de productivité ou de performance, ce qui implique que les employés doivent maintenir le même niveau d’efficacité et de résultats qu’auparavant, mais en travaillant sur une période plus courte ou plus compacte, en réduisant les interruptions et moments de flottement dans la journée (type pause café). L’intensification des tâches et la réduction des pauses – surtout dans les travaux manuels exigeants ou les courtes réunions successives – contribuent à des journées de travail plus longues (jusqu’à 10 heures, ce qui est la limite légale) et plus fatigantes, même si des ajustements d’organisation ont lieu également.
Un déroulement par étapes
Nous avons repéré une mise en place classique de la semaine de quatre jours. Elle est tout d’abord lancée par la direction. Des ateliers préparatoires formant les employés et les managers intermédiaires à la gestion du temps et à l’optimisation de leur productivité facilitent la transition à la semaine de quatre jours. Cette préparation, souvent entre trois et six mois, permet d’annoncer l’intention du changement de manière progressive et structurée.
Le processus commence par une phase d’expérimentation de deux mois à un an, permettant d’évaluer l’impact sur la productivité et le bien-être. Durant cette période, des enquêtes régulières sont menées ponctuellement pour ajuster les modalités en fonction des retours obtenus : au premier mois, à trois mois, à six mois et enfin tous les ans.
Certaines entreprises choisissent également de s’adjoindre un cabinet de conseil spécialisé pour bénéficier d’une expertise externe ou une école de commerce. Enfin, en complément, un suivi psychologique peut être proposé pour les employés afin de les aider à gérer la nouvelle densité des journées, atténuer le stress ou les inquiétudes engendrées par la transition. Les managers sont ensuite chargés des plannings, du suivi, et communiquent à la hiérarchie tout conflit autour de la semaine de quatre jours.
Une fois l’expérimentation concluante, plusieurs étapes de validation sont nécessaires. Un sondage interne et un vote permettent de mesurer l’adhésion. Par la suite, des négociations avec les syndicats peuvent être entamées pour intégrer cette nouvelle organisation du travail dans des conventions collectives. La phase finale est souvent une consultation ou un accord avec le comité social et économique (CSE), qui officialise les modalités de mise en œuvre.
Une entreprise a toutefois également souhaité inscrire la semaine de quatre jours dans sa charte, témoignant d’une volonté de tirer parti de cette modalité de travail pour sa marque entreprise.
D’autres points communs
Dans la grande majorité des cas, soit neuf entreprises sur onze, la semaine de quatre jours est mise en place sans réduction du temps de travail. La semaine de quatre jours paraît donc aujourd’hui décorrélée d’une volonté de réduction du temps de travail pour baisser le chômage, alors que cela fut un des arguments majeurs des années 90 pour la réforme des 35 heures. Nous étions très étonnées de voir que la semaine de quatre jours est en fait souvent une semaine en quatre jours, avec des entreprises souvent réticentes à diminuer le temps de travail malgré un maintien des objectifs.
Le jour off est en général planifié à l’avance, pour l’année ou le trimestre. Lorsqu’il est variable, il y a une possibilité de roulement de ce jour d’une semaine à l’autre, selon les préférences des employés. On note une préférence pour le vendredi, parfois même rendu obligatoire afin d’avoir trois jours consécutifs de repos, ou le mercredi pour les jeunes parents, qui payent un jour de garde d’enfants en moins dans un contexte de pénurie de places en crèche. Il s’agit souvent de femmes dans des couples hétérosexuels, qui assument déjà la majeure partie du travail de care. Cependant, pour les pères dans des couples hétérosexuels qui choisissent le mercredi, la semaine de quatre jours peut constituer un pas vers une meilleure répartition du travail domestique. Certaines salariées, mères, décident d’ailleurs de ne pas utiliser leur nouveau jour off pour prendre soin des enfants, et donc plébiscitent le jeudi par exemple, pour avoir un peu de temps pour elles.
“La semaine de quatre jours est mise en place sans réduction du temps de travail.”
La semaine de quatre jours vient fréquemment avec une diminution du nombre de jours de RTT ou fériés. Lorsqu’un jour férié tombe durant la semaine, le jour férié est considéré comme le cinquième jour non travaillé. Cette pratique a été observée dans cinq des six entreprises concernées. La mise en place de la semaine de quatre jours peut parfois s’accompagner d’une réduction des jours de RTT.
Par ailleurs, le nombre de jours de télétravail se trouve souvent réduit. Plusieurs entreprises, ayant généralisé deux jours de télétravail par semaine, ont réduit le télétravail à un jour afin de garantir la présence au bureau trois jours par semaine.
La semaine de quatre jours, une acceptation à construire auprès des salariés
Le projet de semaine de quatre jours rencontre toujours des sceptiques. Les retours des salariés montrent que l’approbation du projet varie selon les profils. Les difficultés d’acceptation sont plus marquées au sein de la hiérarchie, en particulier chez les cadres plus anciens. Cet effet générationnel se traduit par une résistance plus forte des associés, souvent attachés aux méthodes de travail traditionnelles et à une idée classique de la rentabilité de l’entreprise. Doutant de la faisabilité du projet, ces personnes ont plus facilement tendance à croire que la réduction du temps de travail peut affecter négativement la productivité et les résultats financiers de l’entreprise. Après une période d’adaptation, elles finissent souvent par se convertir aux avantages du nouveau système et, dans de plus rares cas, choisissent de quitter l’entreprise. La seule catégorie qui est d’emblée favorable à la semaine de quatre jours est celle des jeunes parents.
Une optimisation managériale plus qu’une avancée sociale
Il nous est ainsi apparu que la question de la semaine de quatre jours n’est pas tant celle d’un combat idéologique, que plutôt celle d’une optimisation managériale du temps de travail. Le bien-être ressenti à la suite du passage à quatre jours est à mettre en lien avec une volonté de plus de flexibilité, pour répondre aux besoins variés des employés.
On a cependant du mal à caractériser la semaine de quatre jours comme une avancée significative des droits sociaux, surtout sans réduction du temps de travail et sans embauche supplémentaire. Il s’agit d’offrir plus de choix, plus de flexibilité, notamment pour renforcer l’attractivité auprès des jeunes générations. Au reste, sans l’implication et l’accord des syndicats et des salariés, cette mesure ne peut être considérée comme une avancée sociale.
Pour aller plus loin
- Laurent de la Clergerie, Osez la semaine de quatre jours !, Bookelis, 2023
- Pierre Larrouturou, 32 h ! La semaine de 4 jours, c’est possible, Seuil, 2024
- Timothy T. Campbell, “The four-day work week : a chronological, systematic review of the academic literature”, Management Review Quarterly, 2023
- Semaine de 4 jours : travaillez mieux, pas plus, https://4jours.work/ consulté le 20 mai 2024
Commentaire
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Si on fait 4×9 heures, très rapidement les syndicats obtiendront 4×8 h, soit 32 heures. Si on a plus de temps libre, on a envie de l’occuper (sport, balades, shoping), et ça coûte. Alors on revendique un salaire supérieur. Si on aime son travail, on va forcément ramener du travail à la maison. Je suis très opposé à cette mesure, car notre pays étant marqué par un déficit de compétitivité, il vaudrait mieux revenir aux 45 heures qu’aux 4 jours.