La gestion de la ressource en eau : la clé de voûte de la résilience des territoires

Dossier : Vie des entreprises, les politiques publiques de l'eauMagazine N°798 Octobre 2024
Par Elodie GALKO (X98)

Mar­queurs forts des effets du chan­ge­ment cli­ma­tique dans nos quo­ti­diens, l’accès à l’eau et la pré­ser­va­tion des milieux aqua­tiques sont au cœur des enjeux de tran­si­tion dans le grand Sud-Ouest. Élo­die Gal­ko (X98), direc­trice géné­rale de l’Agence de l’eau Adour-Garonne, depuis le 1er octobre 2024, revient sur le mode de fonc­tion­ne­ment d’une Agence et nous expose les enjeux qui mobi­lisent son éta­blis­se­ment entre opti­mi­sa­tion de la ges­tion de la res­source en eau, pré­ser­va­tion des milieux aqua­tiques et déve­lop­pe­ment de la rési­lience territoriale.

Quels sont le périmètre d’action et les missions de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne ?

L’Agence de l’eau Adour-Garonne fait par­tie des 6 Agences de l’eau en France créées en 1964 par la Loi sur l’Eau. Ces éta­blis­se­ments publics d’État ont une mis­sion d’intérêt géné­ral : gérer et pré­ser­ver les res­sources en eau et les milieux aqua­tiques. Avec la créa­tion des Agences de l’eau, la Loi sur l’Eau a consa­cré un modèle fran­çais de ges­tion de l’eau par bas­sin ver­sant, recon­nais­sant que les pro­blèmes de l’eau doivent être gérés à l’échelle per­ti­nente pour la res­source, c’est-à-dire le bas­sin hydrographique.

Le péri­mètre d’action de l’Agence s’étend ain­si sur un vaste ter­ri­toire allant des Pyré­nées jusqu’à l’Atlantique en pas­sant par le Mas­sif Cen­tral. Il com­prend les bas­sins ver­sants de la Garonne et de ses affluents (Tarn, Lot…), de la Cha­rente, de l’Adour, de la Dor­dogne et des fleuves côtiers du sud-ouest, soit près de 20 % du ter­ri­toire natio­nal ou 118 000 km². Au total, 26 dépar­te­ments sont concer­nés et répar­tis entre la Nou­velle-Aqui­taine, l’Occitanie et une par­tie de l’Auvergne-Rhône-Alpes.

Au-delà, les mis­sions de l’Agence découlent en par­tie de la direc­tive cadre sur l’Eau qui fixe un objec­tif d’atteinte du bon état des eaux à l’horizon 2027 pour l’ensemble des états membres.

L’Agence de l’eau déve­loppe ain­si une poli­tique trans­ver­sale à toutes les échelles de son ter­ri­toire, afin de contri­buer à l’atteinte de ce bon état des eaux et des milieux aqua­tiques dans le grand Sud-Ouest et au main­tien d’un équi­libre entre les dif­fé­rents usages de l’eau, les besoins de la nature et la quan­ti­té d’eau disponible.

Ini­tia­le­ment cen­trées sur les ser­vices d’alimentation en eau potable et d’assainissement par notam­ment la lutte contre les pol­lu­tions domes­tiques et dif­fuses, ses actions se sont pro­gres­si­ve­ment élar­gies vers le grand cycle de l’eau et la prise en compte de l’eau comme élé­ment fon­da­teur de notre envi­ron­ne­ment face au défi de l’adaptation au chan­ge­ment climatique.

Vous avez récemment pris vos fonctions à la tête de l’Agence. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelques mots sur les grandes lignes de votre feuille de route ?

À l’instar des autres Agences, nous éla­bo­rons actuel­le­ment le 12e pro­gramme plu­ri­an­nuel d’intervention, qui revêt une impor­tance cru­ciale pour la stra­té­gie d’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique de notre bas­sin. Ce pro­gramme d’intervention est une tra­duc­tion opé­ra­tion­nelle de la poli­tique de l’eau dans le bas­sin pour les 6 pro­chaines années (2025−2030), défi­nis­sant les domaines et moda­li­tés d’intervention de l’Agence mais aus­si les dépenses et recettes néces­saires pour décli­ner le SDAGE 2022–2027 (le sché­ma direc­teur d’aménagement et de ges­tion des eaux).

Le prin­ci­pal enjeu de ce pro­gramme et l’axe majeur de notre feuille de route seront de doter la mosaïque de ter­ri­toires qui com­pose notre bas­sin de solu­tions concrètes et effi­cientes pour s’adapter au chan­ge­ment cli­ma­tique. Les années à venir doivent bâtir les condi­tions de rési­lience de nos amé­na­ge­ments et de sou­te­na­bi­li­té de nos usages face aux impacts crois­sants du dérè­gle­ment cli­ma­tique. L’adaptation doit se mettre en œuvre rapi­de­ment, il y a urgence à agir.

Le 12e pro­gramme vient appor­ter une réponse opé­ra­tion­nelle au Plan Eau annon­cé à la suite du grave épi­sode de séche­resse qu’a connu notre pays à l’été 2022. Un sujet que je connais­sais avant mon arri­vée à l’Agence. J’ai en effet, tra­vaillé très étroi­te­ment avec le ministre de l’Écologie Chris­tophe Bechu, en tant que direc­trice adjointe de cabi­net, pour éla­bo­rer et décli­ner ce plan qui a ren­for­cé les moyens d’interventions des Agences.

Les actions portées par les Agences de l’eau s’inscrivent donc au cœur des territoires. Comment cela se traduit-il ?

La pre­mière ori­gi­na­li­té de la poli­tique publique de ges­tion de l’eau en France réside dans son orga­ni­sa­tion spa­tiale, qui est celle du bas­sin ver­sant hydro­gra­phique. On ne s’appuie pas sur les limites admi­nis­tra­tives, mais sur des ter­ri­toires cohé­rents phy­si­que­ment pour la ges­tion de l’eau.

La deuxième ori­gi­na­li­té de cette poli­tique est sa gou­ver­nance qui se tra­duit par le rôle confié au comi­té de bas­sin véri­table par­le­ment de l’eau com­po­sé d’acteurs repré­sen­tants les dif­fé­rents usa­gers de l’eau à l’échelle du ter­ri­toire (ser­vices de l’État, col­lec­ti­vi­tés, acteurs éco­no­miques et non- éco­no­miques). C’est à lui qu’il appar­tient de défi­nir les grandes orien­ta­tions de la poli­tique de l’eau à l’échelon local. Ce mode de fonc­tion­ne­ment per­met aux Agences de tra­vailler avec les acteurs des ter­ri­toires à l’échelle du bas­sin et de ses sous-bassins.

L’Agence de l’eau Adour-Garonne est, d’ailleurs, pion­nière sur ce sujet, puisqu’elle a la par­ti­cu­la­ri­té d’avoir bâti, dès 2020, des stra­té­gies ter­ri­to­riales dans les grands sous-bas­sins en asso­cia­tion avec les acteurs locaux. Ces stra­té­gies, pilo­tées par les pré­fets de sous-bas­sins et ani­mées dans le cadre des com­mis­sions ter­ri­to­riales, ont pour objec­tif d’être décli­nées de manière opé­ra­tion­nelle notam­ment par les éta­blis­se­ments publics ter­ri­to­riaux de bas­sin (EPTB). Un atout pour notre ter­ri­toire : la cou­ver­ture totale de notre bas­sin par 6 EPTB ou struc­tures assi­mi­lées en voie de le devenir.

Notre 12e pro­gramme ira encore plus loin et recherche une mobi­li­sa­tion sur des ter­ri­toires encore plus réduits, des sous-bas­sins ver­sants de ges­tion, de l’ordre de 1000 à 1500 km². L’idée est que les acteurs locaux s’approprient, par­tagent des objec­tifs et coor­donnent leurs actions au sein d’une maî­trise d’ouvrage forte sur les ques­tions liées à l’eau domes­tique, comme la sécu­ri­sa­tion de l’alimentation en eau potable ou la réno­va­tion des réseaux, mais aus­si sur des pro­blé­ma­tiques envi­ron­ne­men­tales : pré­ser­va­tion de la res­source, main­tien de la biodiversité…

Par cette approche ter­ri­to­riale, la ques­tion de l’eau sort de ses fron­tières clas­siques pour être consi­dé­rée par les col­lec­ti­vi­tés comme un enjeu d’aménagement du territoire.

Comment vos actions s’inscrivent-elles dans le cadre du Plan Sobriété Eau du gouvernement ? Quels sont, dans cette continuité, vos enjeux et vos ambitions ?

Ce plan a recon­nu l’eau comme l’un des prin­ci­paux mar­queurs des impacts du chan­ge­ment cli­ma­tique dans nos ter­ri­toires. En réponse à la séche­resse de 2022, il adresse les enjeux quan­ti­ta­tifs et de sobrié­té, selon la même logique que pour l’énergie. Il adresse éga­le­ment les enjeux qua­li­ta­tifs car les acti­vi­tés humaines génèrent des pol­lu­tions, dont il faut limi­ter les impacts sur la qua­li­té de l’eau et les séche­resses ren­forcent ces effets en concen­trant les polluants.

Les moyens don­nés aux Agences avec ce plan vont nous per­mettre d’agir plus vite et plus fort pour atteindre une plus grande sobrié­té des usages, opti­mi­ser la dis­po­ni­bi­li­té de la res­source et pré­ser­ver la qua­li­té de l’eau et le bon état des milieux aqua­tiques. L’ambition qu’il porte se tra­duit par la mobi­li­sa­tion de moyens consé­quents et nou­veaux dédiés à la concré­ti­sa­tion de ses 53 mesures avec des moyens majeurs por­tés par les Agences de l’eau.

Stress hydrique, réchauffement climatique, préservation de la ressource en eau… sont des enjeux clés auxquels vous devez faire face. Dites-nous en plus.

Sur la ques­tion de l’impact du chan­ge­ment cli­ma­tique sur l’hydrologie, le pro­gramme de recherche EXPLORE 2, por­té par INRAE et l’Office Inter­na­tio­nal de l’eau (OiEau), a ren­du public ses pre­miers résul­tats à la fin du mois de juin der­nier. Il nous confirme que le quart sud-ouest de la France sera l’un des « Hot-spots » du ter­ri­toire natio­nal en matière d’impact du chan­ge­ment cli­ma­tique sur l’eau. Il montre aus­si que l’eau est aux enjeux d’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique ce que l’énergie est aux enjeux d’atténuation.

La pers­pec­tive en fin de siècle est, en effet, celle d’un réchauf­fe­ment glo­bal à l’échelle de la France de + 4 °C, plus impor­tant encore dans le Sud-Ouest, et notam­ment sur la chaîne pyré­néenne où il pour­rait atteindre + 6 °C en moyenne annuelle.

L’hydrologie de notre bas­sin va connaître des modi­fi­ca­tions radi­cales : baisse des pré­ci­pi­ta­tions en moyenne annuelle, dimi­nu­tion des débits, chan­ge­ment de régime des rivières, séche­resses plus fortes et plus fréquentes…

Ces résul­tats nous incitent à agir dès main­te­nant. C’est tout l’enjeu du 12e pro­gramme. Pour aider les usa­gers et les col­lec­ti­vi­tés à pro­po­ser des actions d’adaptation à l’Agence, des cartes de vul­né­ra­bi­li­té seront produites.

Et pour conclure, des pistes de réflexion à partager avec nos lecteurs sur le défi que représente la préservation de la ressource en eau ?

Depuis les pre­mières civi­li­sa­tions, les cours d’eau ont déter­mi­né l’emplacement des villes, nour­ri les cultures, et sou­te­nu les échanges com­mer­ciaux. Aujourd’hui, la res­source en eau est en pre­mière ligne face aux défis du chan­ge­ment cli­ma­tique. La col­la­bo­ra­tion entre tous (État, éta­blis­se­ments publics, acteurs éco­no­miques, asso­cia­tions et citoyens) aux bonnes échelles est déter­mi­nante afin d’élaborer des stra­té­gies d’utilisation ration­nelle de l’eau, en inté­grant des approches telles que la réuti­li­sa­tion des eaux usées, l’optimisation des sys­tèmes d’irrigation, et la pro­tec­tion des bas­sins ver­sants, ce qui sera une condi­tion sine qua non de déve­lop­pe­ment économique.

Une gou­ver­nance struc­tu­rée à chaque échelle est la pre­mière clé de l’adaptation des ter­ri­toires au chan­ge­ment cli­ma­tique. Les inon­da­tions dans le Pas-de-Calais ont, par exemple, per­mis d’accélérer la struc­tu­ra­tion d’une bonne gou­ver­nance de l’eau sur ce ter­ri­toire sen­sible aux risques d’inondations. Fai­sons de cet exemple un modèle pour anti­ci­per la mise en place des bons outils de gou­ver­nance afin de rendre nos ter­ri­toires rési­lients face aux chan­ge­ments cli­ma­tiques à venir.

Poster un commentaire