« C’était impossible ? Nous l’avons fait ! »

Dossier : Vie des entreprises, FintechMagazine N°798 Octobre 2024
Par Philippe VINCENT (X61)

Phi­lippe Vincent (X61), fon­da­teur du groupe INOVATIC, nous explique le tour­nant pris par sa socié­té suite à un chan­ge­ment régle­men­taire qui ren­dait alors obso­lète son busi­ness model. Il revient, par ailleurs, sur la place cen­trale des PME dans le tis­su éco­no­mique natio­nal et nous par­tage éga­le­ment sa vision du mana­ge­ment. Rencontre.

Quelques mots pour vous présenter.

Je suis Doc­teur ès sciences mathé­ma­tiques avec une thèse de Doc­to­rat d’État pré­pa­rée et sou­te­nue à l’Institut Hen­ri Poin­ca­ré (Paris 1969). Pré­cur­seur de la Lec­ture Auto­ma­tique de Docu­ments en 1985, en 2000, j’ai créé INOVATIC TECHNOLOGIES et sa filiale de pro­duc­tion INOVATIC SERVICES pour répondre au besoin des banques confron­tées à l’obligation d’effectuer des ana­lyses de risques à par­tir des bilans reçus de leurs entre­prises clientes, ce qui néces­si­tait l’extraction préa­lable des don­nées finan­cières conte­nues dans ces bilans, com­pé­tence qu’elles n’avaient pas voca­tion à développer.

Vingt ans plus tard, j’ai été confron­té à l’exigence ren­for­cée de confi­den­tia­li­té des don­nées comp­tables des entre­prises éma­nant de l’EBA, (Euro­pean Bank Autho­ri­ty ins­tal­lé à la Défense) obli­geant les banques de l’UE à réin­ter­na­li­ser les sai­sies bilan­cielles au motif d’éviter tout risque de fuites de don­nées par les opé­ra­trices de sai­sies, j’ai réin­ven­té le métier et le positionnement
d’INOVATIC afin de sau­ver son acti­vi­té d’une mort pro­gram­mée. Concrè­te­ment, j’ai inven­té un pro­cé­dé per­met­tant d’effectuer toutes les véri­fi­ca­tions, cor­rec­tions et com­plé­tions néces­saires par des opé­ra­teurs humains sans qu’à aucun moment, ils n’aient accès aux don­nées confi­den­tielles ou la pos­si­bi­li­té de les reconstituer.

De ce revi­re­ment inat­ten­du découle notre nou­velle devise : « C’était impos­sible ? Nous l’avons fait ! ».

Aujourd’hui, en France, toute invention faite par une entreprise privée renvoie au concept de Crédit d’Impôt Recherche, dispositif destiné à soutenir et encourager ces entreprises à travers une aide de l’État. En tant que PME, quel regard portez-vous sur ce dispositif ?

Le sys­tème actuel pousse les PME à deve­nir des chas­seurs de primes et les conduit à pri­vi­lé­gier la forme au fond ! Il oblige les PME à s’appuyer sur des socié­tés de conseil spé­cia­li­sées pour pré­sen­ter un dos­sier répon­dant à la forme atten­due. Ain­si, ces der­nières réa­lisent la recherche d’antériorité sup­po­sée avoir été faite par la PME (qui connaît son mar­ché et peut éco­no­mi­ser cet effort super­flu pour elle). Dans la situa­tion actuelle, le para­doxe est que cette recherche d’antériorité est faite après coup, en contra­dic­tion avec l’esprit de la règle ! Tout le monde le sait, mais la forme est respectée !

Les gagnantes sont les PME déli­bé­ré­ment chas­se­resses de primes, qui n’ont fait aucun effort de R&D et qui, même ampu­tées des 50 % payés à leur « conseil », engrangent la moi­tié du CIR !

Si je dénonce l’hypocrisie actuelle, ce n’est pas pour faire le malin, mais pour contri­buer, dans l’éternel anta­go­nisme entre le Pou­voir et le Savoir, à faire triom­pher le Savoir pour le plus grand bien de notre Patrie, des Sciences et de la Gloire !

INOVATIC, avec son bre­vet main­te­nant inter­na­tio­nal, est l’exemple d’une PME per­for­mante en matière de R&D, et qui a réus­si à s’imposer, mal­gré le CIR et les mul­tiples tra­cas­se­ries qui lui ont été opposés !

Vous faites allusion à une invention destinée à propulser le groupe INOVATIC dans l’ensemble de l’Union européenne puis des pays industrialisés, ce qui est une perspective exceptionnelle pour notre pays. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Cette inven­tion est l’aboutissement de 24 ans de R&D au ser­vice des banques et autres orga­nismes Finan­ciers qui sou­haitent effec­tuer des ana­lyses de risques de leurs entre­prises clientes afin d’adapter leurs condi­tions finan­cières consen­ties pour cou­vrir ces risques en fonc­tion des forces et fai­blesses révé­lées par leurs comptes de résul­tats annuels.

Les bilans et autres comptes de résul­tats deman­dés par les banques à leurs entre­prises clientes sont en géné­ral reçus sous forme de docu­ments scan­nés sur les­quels il faut effec­tuer des Recon­nais­sances Optiques de Carac­tères (OCR), tech­niques uni­ver­sel­le­ment consi­dé­rées comme sujettes à erreurs. L’exactitude requise pour les mon­tants finan­ciers extraits oblige à les faire véri­fier, cor­ri­ger et confir­mer par des opé­ra­teurs humains, tâche sous-trai­tée à des socié­tés de sai­sie telles qu’INOVATIC.

Avec l’expansion mon­diale du libé­ra­lisme éco­no­mique comme source de pro­grès pour nos socié­tés démo­cra­tiques, il y avait lieu de garan­tir la confi­den­tia­li­té des don­nées comp­tables des entre­prises comme règle du jeu éco­no­mique néces­saire à la com­pé­ti­tion loyale sou­hai­tée. À ce titre, les banques de l’Union euro­péenne ont été som­mées de réin­ter­na­li­ser, à terme, ces sai­sies afin de mettre sous leur res­pon­sa­bi­li­té le res­pect de cette confi­den­tia­li­té. Cette injonc­tion sup­po­sait impli­ci­te­ment que, pour sai­sir, véri­fier et cor­ri­ger les mon­tants recon­nus que les opé­ra­teurs du sous-trai­tant en voient l’image sur leur écran, occa­sion­nant de pos­sibles fuites. Pour contour­ner cet argu­ment, nous avons trou­vé un moyen per­met­tant la véri­fi­ca­tion indi­recte des chiffres par les opé­ra­teurs, hors toute loca­li­sa­tion de cha­cun sur le document !

Sur un bilan, il y a en moyenne plus de 6 000 chiffres à vérifier ! Et on ne peut bénéficier des cases « total » pour renforcer ses possibilités de vérification ! De quoi commettre des fautes d’inattention…

L’invention béné­fi­cie de la tech­no­lo­gie déve­lop­pée par INOVATIC, qui sait regrou­per les images de chiffres en « modèles » selon des algo­rithmes de simi­li­tude de forme. Or, ces algo­rithmes ne garan­tissent pas que, dans un même modèle, il n’y ait pas deux chiffres dif­fé­rents. Pour lever ce frein, INOVATIC a inven­té une rela­tion de proxi­mi­té de forme rédui­sant le nombre d’images de modèles à véri­fier tout en garan­tis­sant l’absence de faux regrou­pe­ments. On peut alors faire recon­naître la valeur asso­ciée à chaque modèle par un OCR clas­sique appli­qué à une ins­tan­cia­tion quel­conque du modèle, qui pour­ra ensuite être véri­fiée et cor­ri­gée par un opé­ra­teur sans tra­hir la confi­den­tia­li­té des données.

Cette rela­tion au cœur de l’invention a été bap­ti­sée Coïn­ci­dence Forte et sa pro­prié­té n’a jamais été mise en défaut pour­vu que le docu­ment soit scan­né à une réso­lu­tion d’au moins 200 points par pouce.

Si je comprends bien l’Ordinateur de l’application pourra reconstituer les montants à l’abri des regards indiscrets en comparant les chiffres constituant les montants de chaque case aux modèles générés par la Coïncidence Forte pour en déduire celui coïncidant avec lui, puis sa valeur vérifiée par opérateur. Cependant, les opérateurs doivent aussi vérifier que l’ordinateur a pu localiser par leurs identifiants les cases attendues, les rubriques alphanumériques des lignes et colonnes permettant cette localisation étant sujettes à variantes terminologiques, qui peuvent ne pas avoir été déjà rencontrées, et donc enregistrées comme variantes possibles par l’ordinateur de l’application.

C’est là que réside la deuxième com­po­sante de l’invention : le Bilan Défi­gu­ré. Pour véri­fier la nature des cases du docu­ment sans rompre l’obligation de confi­den­tia­li­té, le pro­cé­dé a inven­té le concept de Docu­ment Défi­gu­ré. Le Docu­ment Défi­gu­ré est une image du docu­ment trai­té où l’ordinateur de l’application a vidé toutes les cases de ses chiffres. C’est ce Docu­ment Défi­gu­ré qui est pré­sen­té pour véri­fi­ca­tion visuelle à un autre groupe d’opérateurs, leur per­met­tant de
véri­fier /corriger inter­ac­ti­ve­ment cer­taines affec­ta­tions erro­nées, en toute confi­den­tia­li­té ! Le résul­tat de ces deux véri­fi­ca­tions est retour­né à tra­vers un fichier conte­nant la suite des couples « iden­ti­fiant, loca­li­sa­tion de la case ».

En résu­mé, la Coïn­ci­dence Forte et le Bilan Défi­gu­ré consti­tuent les deux concepts de l’invention.

Et pour aller dans toute l’Union européenne, puis les autres pays industrialisés, comment vous vous y prendrez ?

Tous les ingré­dients de l’invention per­mettent de

s’adapter à toutes les variantes des docu­ments des pays concer­nés, à leurs alpha­bets et à leurs voca­bu­laires. Encore faut-il pro­cé­der à des études pré­li­mi­naires pour docu­men­ter les par­ti­cu­la­ri­tés de cha­cun ! Cepen­dant, la recon­nais­sance des mon­tants béné­fi­cie­ra d’une chance inouïe : les chiffres arabes se sont impo­sés depuis de nom­breux siècles dans tous les pays. On pour­ra ain­si effec­tuer en France la recon­nais­sance des chiffres avec nos opé­ra­trices, ne délo­ca­li­sant, éven­tuel­le­ment, que le trai­te­ment des Docu­ments Défigurés.

Quel est l’élément qui fait toute la différence ?

La cerise sur le gâteau est la pos­si­bi­li­té d’archiver le tra­vail des opé­ra­trices, tout en res­pec­tant la confi­den­tia­li­té qui y est atta­chée, pour pou­voir réac­ti­ver ce « Dos­sier Révé­la­teur » conte­nant les modèles ren­sei­gnés et la loca­li­sa­tion des cases, si on détecte que l’on a déjà trai­té ce bilan (Siret, Année), par exemple à tra­vers une autre banque cliente d’INOVATIC. Cela ren­force notre situa­tion d’exclusivité en France, puis dans chaque Pays de l’Union européenne…

Vous avez souhaité terminer cette interview en exposant votre conception très particulière du management de votre entreprise. Quelle en est la philosophie principale ?

J’ai gar­dé de mon édu­ca­tion chez les Jésuites un pro­fond atta­che­ment aux valeurs huma­nistes du chris­tia­nisme. Si j’ai pris quelques dis­tances avec les croyances, c’est parce que, selon moi, elles jouent un rôle néga­tif en créant une bar­rière de dif­fé­ren­cia­tion pro­tec­trice contre la concur­rence des autres reli­gions, tout en per­met­tant de main­te­nir, auprès de leurs adeptes, le pou­voir de leurs digni­taires, déten­teurs de la vraie religion.

Cette pro­fonde convic­tion m’a ame­né à consi­dé­rer chaque employé comme une per­sonne unique qui ne se défi­nit pas à tra­vers ses déter­mi­na­tions sociales, cultu­relles ou reli­gieuses. J’ai alors fait le choix d’appeler chaque employé par son pré­nom, pour mar­quer qu’il était consi­dé­ré comme une per­sonne unique ce qui contri­bue à créer une com­mu­nau­té col­lec­ti­ve­ment res­pon­sable, sou­dée, et moti­vée avec en retour des per­for­mances inégalées.

Avez-vous affiché vos convictions d’une autre manière ?

Oui, affi­ché au sens propre ! Sur le fron­ton de la salle de pro­duc­tion, j’ai affi­ché deux de mes maximes phi­lo­so­phiques pré­fé­rées liées à mon inven­ti­vi­té et à mes convic­tions humanistes :
« Toute créa­tion inven­tive résulte tou­jours, d’une manière ou d’une autre, d’une trans­gres­sion de l’ordre éta­bli de nos pen­sées. Ph. VINCENT » et « Plu­tôt que de sous­traire nos dif­fé­rences, addi­tion­nons nos sin­gu­la­ri­tés ». Au-des­sus de la porte de la direc­trice de pro­duc­tion (à l’extrémité de la grande salle), le chal­lenge rele­vé par INOVATIC qui est deve­nue notre nou­velle devise : « C’était impos­sible ? Nous l’avons fait ! ».

Et le mot de la fin ? 

Les PME sont les Vol­ti­geurs de la Répu­blique, à l’image de ces uni­tés mobiles de la Guerre de Séces­sion qui har­ce­laient les troupes Sudistes. Sachons pré­ser­ver cet esprit d’entreprise de nos PME créa­trices de richesses au béné­fice de l’économie de notre pays !

“Les PME sont les Voltigeurs de la République. Sachons préserver cet esprit d’entreprise de nos PME créatrices de richesses au bénéfice de l’économie de notre pays !”

Poster un commentaire