Francis Poulenc : Dialogues des Carmélites
C’est après une magnifique soirée à l’Opéra de Vienne début 2024 que j’ai décidé de vous orienter au milieu des méandres de cette œuvre phénoménale. Évidemment une soirée à l’Opéra de Vienne, où c’est un des plus beaux orchestres du monde (le Philharmonique de Vienne) qui joue dans la fosse, a beaucoup de chance d’être un souvenir inoubliable. Cela a été le cas ce soir-là, un orchestre magnifique, une acoustique tellement plus riche que ce que l’on entend à Bastille, une Sabine Devieilhe divine et une musique merveilleuse. Il faut dire que, comme Strauss avec l’Électre de Hofmannsthal ou la Salomé d’Oscar Wilde, Francis Poulenc a réussi à accentuer l’impact de la pièce d’origine, en n’affaiblissant aucun effet mais au contraire en ajoutant de l’émotion.
Le texte de Georges Bernanos peut paraître bien daté. Un très beau film de la pièce a été réalisé en 1983 par Pierre Cardinal pour la télévision, avec Suzanne Flon et Nicole Courcel. La diction des actrices est remarquable, la pièce est très prenante ainsi, d’autant que la réalisation n’est en rien symbolique, les décors et costumes sont d’époque et les exécutions à la guillotine sont bien réalistes. Mais la musique de Poulenc transcende cette histoire réelle des Carmélites d’un couvent de Compiègne arbitrairement condamnées à mort par la Terreur. Francis Poulenc est un grand compositeur français, auteur à la fois de pochades de potache, d’œuvres classiques faciles d’accès et d’œuvres sacrées mémorables, à la fois « moine et voyou » disait-on. Le Salve Regina final, qui commence par un chœur à 16 voix, puis continue avec 15, 14… 3, 2, puis une seule, et où l’on entend à 16 reprises le couperet de la guillotine, est éprouvant de tension dramatique et musicale.
Cet opéra au déroulement linéaire mais plein de symbolisme peut donner lieu à des réalisations et mises en scène très différentes.
On a beaucoup aimé la version dirigée par Muti à la Scala, avec la grande Anja Silja en mère supérieure. Une mise en scène sobre, avec des inventions chorégraphiques symboliques des carmélites imaginées par Robert Carsen. Un chef charismatique ; et l’orchestre est très bien filmé, notamment pour les préludes des douze scènes.
À Hambourg, on dispose d’une meilleure qualité technique (image et son) du DVD. Et une forte direction de Simone Young, très bien enregistrée dans une belle acoustique qui rend justice à Poulenc et à l’excellent orchestre. Mise en scène très théâtrale, décors élégants. Toutes les mises en scène citées ici évitent le réalisme de la guillotine et symbolisent les morts successives des carmélites par différentes astuces généralement élégantes. Mais seule la mise en scène de Hambourg symbolise également la présence de la guillotine, plus suggérée que soulignée toutefois, guillotine qu’on entend très bien à l’orchestre.
À l’Opéra du Rhin en 1999, la mise en scène de Marthe Keller est très classique, on y retrouve Anne-Sophie Schmidt et Laurence Dale qui étaient des piliers de l’équipe de la période phénoménale du Théâtre impérial de Compiègne des années 1990–2000. L’image est un rien vieillie mais le son tout à fait agréable.
Le DVD le plus connu est aussi le plus controversé. La production très commentée de Tcherniakov à l’Opéra de Bavière, dans une réalisation filmée par le génial Andy Sommer, est égale-ment la plus dérangeante. Le DVD a même été un temps interdit à la vente, à la demande des ayants droit de Bernanos et Poulenc, la Cour de cassation en 2017 ayant finalement autorisé sa diffusion. Il faut reconnaître que la mise en scène s’éloigne constamment de l’histoire originale, que l’esthétique est absente malgré la réalisation filmée et que le suicide collectif dans une cabane au fond de la scène, au lieu d’une mort grandiose et symbolique sur l’échafaud, ne nous a pas convaincus.
Vous l’avez compris, au jeu artificiellement sadique du choix de l’interprétation à emporter sur une île déserte, je ne sais pas choisir. Mais si j’ai le droit à deux versions je pars avec Muti à la Scala et Simone Young à Hambourg.
Scala de Milan, direction Riccardo Muti, mise en scène Robert Carsen, 1 DVD Arthaus
Opéra du Rhin, mise en scène Marthe Keller, 1 DVD Arthaus
Opéra de Hambourg, direction Simone Young, mise en scène N. Lehnhoff, 1 DVD Arthaus
Opéra de Bavière, direction Kent Nagano, Mise en scène Tcherniakov, 1 DVD Bel Air