Arnaud Pichard (E20) fondateur du « Retour de l’industrie en France »

Arnaud Pichard (E20) fondateur du « Retour de l’industrie en France »

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°799 Novembre 2024
Par Isabelle TANCHOU (X80)

Dans un contexte où la réin­dus­tria­li­sa­tion de la France devient une ques­tion cru­ciale, Arnaud Pichard (E20), direc­teur géné­ral d’Energy Pool France, par­tage son par­cours aty­pique et son enga­ge­ment pour redy­na­mi­ser l’industrie fran­çaise. Fort d’une expé­rience de plus de vingt-cinq ans dans l’industrie, il évoque les défis ren­con­trés, les leçons tirées de son par­cours per­son­nel et pro­fes­sion­nel, ain­si que les com­pé­tences néces­saires pour réus­sir dans ce domaine. À tra­vers son ini­tia­tive « Retour de l’industrie en France », il pro­pose des solu­tions concrètes pour recons­truire les fon­da­tions de notre éco­no­mie et invite à une réflexion pro­fonde sur le rôle de cha­cun dans cette mis­sion collective.

Arnaud, peux-tu me rappeler qui tu es, ton parcours, et dans quel contexte tu as été amené à t’intéresser à la réindustrialisation de la France ? Qu’en retires-tu pour toi-même ?

Âgé de 49 ans, père de trois enfants, je suis le direc­teur géné­ral France d’Energy Pool. Ancien spor­tif de bon niveau (judo, avi­ron, vélo type long road, alpi­nisme, tous pra­ti­qués inten­sé­ment dès mon ado­les­cence), j’ai gran­di dans les ban­lieues sen­sibles du Val-de-Marne et, après avoir redou­blé trois fois avant le bac, j’ai décro­ché un bac S et un DUT mesures phy­siques. Extrê­me­ment tour­né vers le concret, j’ai fait mon ser­vice mili­taire et j’ai tra­vaillé pen­dant un an et demi en tant que tech­ni­cien ; je me suis rapi­de­ment ennuyé et j’ai repris des études pour décro­cher un diplôme d’ingénieur en alter­nance avec Air Liquide.

J’ai pas­sé vingt-cinq ans dans l’industrie en fran­chis­sant progres­sivement les étapes jusqu’à prendre la mis­sion de vice-pré­sident chez Schnei­der, direc­teur de la stra­té­gie. Pen­dant ces vingt-cinq ans, j’ai été constam­ment sur le ter­rain, per­son­nel­le­ment avec mes équipes, en France et à l’international. C’est là que j’ai vu notre indus­trie dis­pa­raître, ain­si que celle d’autres pays. Et c’est aus­si là que j’ai vu d’autres pays gagner ce com­bat, pro­gres­si­ve­ment, au prix d’intenses efforts.

À l’âge de 33 ans, j’ai eu un grave acci­dent de sport (snow­board), lequel m’a fait res­ter presque un an ali­té. Au-delà des bles­sures phy­siques que j’avais déjà bien connues dans d’autres cir­cons­tances, ce fut là un moment qui m’a per­mis de réflé­chir à mon pays, à ma place, à mon enga­ge­ment, à ma par­ti­ci­pa­tion à ma modeste échelle. Du temps est pas­sé, la France n’allait pas si mal, en apparence.

“Des gens trop conformistes, il ne naît rien.”

J’ai com­plé­té ma for­ma­tion à l’Insead et, lorsque j’ai par­ti­ci­pé à la sélec­tion pour entrer à l’École poly­tech­nique pour l’Executive Mas­ter, j’étais éga­le­ment admis pour inté­grer le MBA de Chi­ca­go Booth. Je me suis dit qu’il était temps d’avoir une action pour mon pays. J’ai donc choi­si l’École poly­tech­nique et, à mon entrée à l’X, j’ai tout de suite pro­po­sé à ma pro­mo­tion, à ceux à qui la France parle, de fon­der une asso­cia­tion ; c’est ain­si qu’est né le « Retour de l’industrie en France ».

Invi­tés à l’Élysée, à Ber­cy, ain­si qu’aux minis­tères des Affaires étran­gères et de l’Industrie, nous avons publié deux ouvrages en col­la­bo­ra­tion avec de nom­breuses per­son­na­li­tés : La France sous-trai­tée et Recons­truire les fon­da­tions de notre indus­trie. Nous avons été inter­viewés par le jour­nal de l’Assemblée natio­nale sur le thème « D’une indus­trie opti­mi­sée à une indus­trie hyper­fra­gi­li­sée ». Nos échanges ont été variés, incluant des per­son­na­li­tés telles que Jean-Claude Mailly, Fré­dé­ric Pie­ruc­ci, Alain Juillet, Chris­tian Har­bu­lot, Hen­ri Guai­no, Nico­las Sar­ko­zy, Arnaud Mon­te­bourg et Louis Gallois.

Par ailleurs, nous avons orga­ni­sé ou par­ti­ci­pé à des dizaines de confé­rences (Sor­bonne, Poly­tech­nique, E5T, French Fab, Agro­pole, Quai Alpha…). Le RIF (Retour de l’industrie en France) se veut force de pro­po­si­tion pour la stra­té­gie indus­trielle fran­çaise, avec 50 pro­jets d’envergure natio­nale et plus de 20 mesures pour les concré­ti­ser. J’y ai consa­cré trois années de ma vie, sans autre emploi et sans rému­né­ra­tion, car je crois pro­fon­dé­ment en cette mission.

Plaidoyer pour un « Retour de l’industrie en France »

Faut-il des compétences spécifiques ? Si oui, lesquelles et comment les acquérir ?

Mon père, ensei­gnant d’art à l’École Boulle, aimait dire à ses élèves : « Des gens trop confor­mistes, il ne naît rien. » À l’inverse, ma mère, comp­table et prag­ma­tique, m’a sou­vent répé­té : « C’est encore un truc d’ingénieur », face à la com­plexi­té de cer­taines situations.

Il est essen­tiel d’être curieux, mais la curio­si­té doit être accom­pa­gnée de per­sé­vé­rance. Il faut s’investir sur la durée dans un domaine pour com­prendre qu’être expert dans un sec­teur implique de connaître les limites de son savoir dans d’autres. Savoir s’entourer de per­sonnes com­pé­tentes, tra­vailler en équipe et appor­ter sa contri­bu­tion à un pro­jet com­mun est pri­mor­dial. Aucun pro­jet ne réus­sit sans une équipe performante.

La notion de per­for­mance doit être cen­trale dans nos choix de consti­tuer des équipes. Ce cri­tère, à la fois neutre et uni­ver­sel, doit retrou­ver un sens par­ta­gé par tous.

Enfin, il est cru­cial, sur­tout à des postes de res­pon­sa­bi­li­té, de prendre du recul sur ses actions et leurs consé­quences, de pen­ser sur le long terme, que ce soit pour son entre­prise, pour ses col­la­bo­ra­teurs, pour son pays ou pour l’environnement. Nous devons agir en lea­ders res­pon­sables, en gar­dant à l’esprit les valeurs essen­tielles pour bâtir un ave­nir durable.

En tant que dirigeant, quels conseils donnerais-tu à un polytechnicien souhaitant s’engager dans ce domaine ? Quel parcours suivre et quelles en seraient les implications sur sa carrière ?

Lorsqu’on intègre l’École poly­tech­nique, on connaît bien ses valeurs : Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire. L’engagement au ser­vice de la col­lec­ti­vi­té et du pays doit pri­mer sur l’ambition personnelle.

Il est impor­tant, dans les pre­mières étapes de sa car­rière, de prendre le temps de com­prendre le monde pro­fes­sion­nel, en réa­li­sant des tâches concrètes, même simples, quel que soit son diplôme. Cela per­met de mieux assi­mi­ler les pro­ces­sus et de com­prendre les per­sonnes que l’on sera ame­né à diri­ger. Prendre le temps d’acquérir des bases solides per­met de pro­gres­ser plus serei­ne­ment et effi­ca­ce­ment par la suite.

J’ai sou­vent vu des indi­vi­dus se foca­li­ser sur leur pro­chaine pro­mo­tion sans réel­le­ment maî­tri­ser leurs fonc­tions actuelles. Cette approche finit par frei­ner leur pro­gres­sion à long terme. Chaque car­rière suit un rythme dif­fé­rent et la réus­site ne se mesure pas tou­jours à la rapi­di­té de l’ascension, mais à la cohé­rence entre ses prio­ri­tés, ses valeurs et les objec­tifs atteints.

Vois-tu d’autres points à évoquer ?

Soyez libres. Libres de pen­ser, de dire et d’agir dans une époque mar­quée par l’incertitude : envi­ron­ne­ment, éco­no­mie, insta­bi­li­té géo­po­li­tique, insé­cu­ri­té… La peur, si elle peut par­fois nous pous­ser à réagir, para­lyse sou­vent et peut conduire à de mau­vaises déci­sions. Ne lais­sez pas la peur gui­der vos choix. Nous avons le pou­voir de façon­ner l’avenir par nos actions.


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