U.S.A.

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Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°799 Novembre 2024
Par Jean SALMONA (56)

« Le mérite de la décou­verte de l’Amérique ne revient pas aux Amé­ri­cains. Quelle honte ! »
Sta­nisław Jer­zy Lec, Nou­velles pen­sées échevelées

Pour le vul­gum pecus, même éclai­ré, la « grande musique » amé­ri­caine se limite à Ger­sh­win, Bern­stein, Bar­ber, peut-être Copland et, pour les plus éru­dits, Charles Ives, Steve Reich, John Adams, John Cage et les mini­ma­listes. Il est vrai que le jazz, la comé­die musi­cale et la musique de film d’origine outre-Atlan­tique (puis le rock et ses suc­cé­da­nés) ont enva­hi la pla­nète depuis un siècle et n’ont guère lais­sé de place à la musique amé­ri­caine dite sérieuse.

Et pour­tant…

Claire Huangci – Made in USA

On découvre Claire Huang­ci, pia­niste amé­ri­caine dont la vir­tuo­si­té ébou­rif­fante n’efface pas la sen­si­bi­li­té, dans ce CD consa­cré à quatre com­po­si­teurs : Samuel Bar­ber, Amy Beach, Earl Wild et George Ger­sh­win. La Sonate de Bar­ber, dont il a déjà été ques­tion dans ces colonnes, est un pur chef‑d’œuvre, une œuvre com­plexe et riche d’une vir­tuo­si­té débri­dée – créée par Horo­witz – qui emporte l’enthousiasme et que l’on peut situer sans hési­ter au-des­sus de toutes les Sonates de Pro­ko­fiev. La fugue qui la clôt devrait figu­rer par­mi les pièces majeures de la musique pour pia­no du XXe siècle.

La Rhap­so­dy in Blue est jouée dans sa ver­sion pour pia­no seul, ver­sion ori­gi­nale de Ger­sh­win (on sait qu’elle a été orches­trée non par Ger­sh­win mais par Ferde Gro­fé). Elle est sui­vie par 7 Études vir­tuoses d’après Ger­sh­win d’Earl Wild, pièces exquises et brillan­tis­simes, varia­tions lisz­tiennes sur des chan­sons bien connues de Ger­sh­win – deve­nues des stan­dards du jazz – dont Liza, Some­bo­dy Loves Me, The Man I Love, Embra­ceable You.

Enfin, last but not least, les Varia­tions sur des thèmes des Bal­kans d’Amy Beach qui, dit l’interprète, « forment le cœur et l’âme de l’album » vau­draient à elles seules le détour.

1 CD ALPHA CLASSICS

Trifonov – My American Story

C’est une Amé­rique très dif­fé­rente que Daniil Tri­fo­nov nous invite à décou­vrir dans son album récent My Ame­ri­can Sto­ry – North. D’Aaron Copland, il joue les Varia­tions pour pia­no, com­plexes, dif­fi­ciles, rare­ment enre­gis­trées. Chi­na Gates de John Adams et Fan­ta­sia on an Osti­na­to de John Cori­glia­no emploient les modes du mini­ma­lisme. Deux musiques de film : Mem­phis Stomp de Dave Gru­sin pour The Firm et Ame­ri­can Beau­ty de Tho­mas New­man pour le film épo­nyme de Sam Mendes. Incur­sion dans le jazz : Tri­fo­nov a rele­vé et joue les impro­vi­sa­tions ter­ri­fiantes de vir­tuo­si­té et d’invention har­mo­nique d’Art Tatum sur le stan­dard I Cover the Water­front, et celles, déli­cieuses, de Bill Evans sur When I Fall in Love.

Enfin, Tri­fo­nov joue deux concer­tos pour pia­no avec l’Orchestre de Phi­la­del­phie diri­gé par Yan­nick Nézet-Séguin, le Concer­to en fa de Ger­sh­win et celui de Mason Bates, tout récent, qui lui est dédié.

Tri­fo­nov, bien connu pour ses inter­pré­ta­tions lumi­neuses de Scria­bine et Rach­ma­ni­nov, vit désor­mais aux USA et il a clai­re­ment adop­té la manière amé­ri­caine pour ces musiques qui ne se prennent pas trop au sérieux : clar­té, pré­ci­sion, décon­trac­tion, pour notre grand plaisir.

2 CD Deutsche Grammophon

Kurt Weill

Il n’est pas abu­sif de clas­ser Kurt Weill par­mi les com­po­si­teurs amé­ri­cains : fuyant le nazisme en 1933, il s’établit aux États-Unis en 1935 après un séjour court mais pro­duc­tif à Paris où il se heurte à l’antisémitisme. C’est aux USA qu’il a ren­con­tré les plus grands suc­cès, cer­tains de ses songs repris par Arm­strong, Ella Fitz­ge­rald, Frank Sina­tra, Billie Holi­day… Cela dit, les trois œuvres de l’album récent enre­gis­tré par le Kon­zer­thau­sor­ches­ter Ber­lin diri­gé par Joa­na Mall­witz sont anté­rieures à son séjour aux USA. La 2e Sym­pho­nie est une œuvre majeure, expres­sion­niste, à mi-che­min entre Mah­ler et Schoen­berg. La 1re Sym­pho­nie dite Sym­pho­nie Ber­lin n’a été décou­verte que récemment. 

L’œuvre la plus forte de l’album est Die sie­ben Tod­sün­den der Kleinbür­ger (Les sept péchés capi­taux des petits-bour­geois), un bal­let chan­té où l’on retrouve le Kurt Weill de L’Opéra de quat’sous et de Maha­gon­ny, avec ses har­mo­nies sub­tiles et ses enchaî­ne­ments har­mo­niques impro­bables. Le per­son­nage prin­ci­pal, Anna, est mer­veil-leu-se-ment inter­pré­té par Katha­rine Mehr­ling dont le timbre rap­pelle celui des pre­mières inter­prètes (Lotte Lenya, Gise­la May). Un grand disque. 

1 CD Deutsche Grammophon

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