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À Fos-sur-Mer, l’État engagé au plus près des entreprises industrielles

Dossier : RéindustrialisationMagazine N°799 Novembre 2024
Par Randy KOTTI (X16)

Sous l’égide du pré­fet, la direc­tion régio­nale de l’économie, de l’emploi, du tra­vail et des soli­da­ri­tés (DREETS) via le ser­vice éco­no­mique de l’État en région (SEER) sou­tient le pro­ces­sus de réin­dus­tria­li­sa­tion et de tran­si­tion envi­ron­ne­men­tale en faci­li­tant une coopé­ra­tion inédite avec les col­lec­ti­vi­tés locales. Atteindre l’objectif « net zéro 2050 » tout en cata­ly­sant l’essor de l’industrie verte demande de par­ve­nir à des com­pro­mis dif­fi­ciles, ren­dus pos­sibles par la cocons­truc­tion avec les acteurs locaux, en com­plé­ment de l’action de l’État auprès des TPE, PME et ETI indus­trielles et innovantes.

Fière de ses 250 jours de vent à l’année, la ville de Fos-sur-Mer compte par­mi les rives les plus ven­teuses de France. Tous les week-ends ou pres­que s’y mêlent joyeuse­ment débu­tants et confir­més de sports nau­tiques. Tout juste arri­vé à Mar­seille, le kite gon­flé de Mis­tral et le surf à la main, c’est ain­si que je m’élançai de la plage Napo­léon, comme un clin d’œil aux années poly­tech­ni­ciennes qui me menèrent jusque-là. Ce fai­sant et sans m’en dou­ter, je navi­guais pour la pre­mière fois dans la poli­tique indus­trielle pro­ven­çale et nationale.

Le cas de Fos-sur-Mer

Le golfe de Fos-sur-Mer se situe de fait à la confluence entre l’industrie d’hier et celle de demain, des raf­fi­ne­ries pétro­chi­miques aux
gigan­tesques pro­jets de pro­duc­tion de pan­neaux pho­to­vol­taïques, des hauts-four­neaux emblé­ma­tiques à la pro­duc­tion de fer réduit à l’hydrogène renou­ve­lable, des darses arti­fi­cia­li­sées du grand port mari­time depuis les années soixante à la richesse mil­lé­naire et fra­gile de la Camargue. La zone de Fos allant jusqu’à l’étang de Berre, et plus lar­ge­ment la région Pro­vence-Alpes-Côte d’Azur, connaissent un vent de réindus­trialisation et de tran­si­tion inédit. Avec plus de 40 % des efforts à consen­tir, l’industrie consti­tue le pre­mier poste de réduc­tion des émis­sions régio­nales de gaz à effet de serre, loin devant les trans­ports. En réponse, 20 mil­liards d’investissement pri­vés et publics sont atten­dus pour la seule zone de Fos-Berre dans les dix ans qui viennent, avec 10 000 emplois à la clé. Autant de familles à loger, à soi­gner, et d’enfants à éduquer.

Travailler en mode projet

Pour accom­pa­gner ce mou­ve­ment, l’État ter­ri­to­rial et les col­lec­ti­vi­tés locales s’organisent. L’objectif est d’abord de réunir autour de la table du sous-pré­fet d’Istres et du com­mis­saire à la réin­dus­tria­li­sa­tion une mul­ti­tude de direc­tions, d’opérateurs et de col­lec­ti­vi­tés aux com­pé­tences variées – déve­lop­pe­ment éco­nomique, dévelop­pement por­tuaire, emploi, for­ma­tion, pro­tec­tion de l’environnement, risques techno­logiques, amé­nage­ment du ter­ri­toire, loge­ment, mobi­li­té, eau, éner­gie, rac­cor­de­ments élec­triques, etc. – et quel­que­fois anta­go­nistes, habi­tués à conduire entre les glis­sières sécu­ri­santes de leurs hié­rar­chies. Nos orga­ni­sa­tions sont cali­brées pour assu­rer des mis­sions de ser­vice public claires et cadrées, mais les moyens d’assurer véritable­ment la tran­si­tion indus­trielle du ter­ri­toire res­tent à défi­nir. Tous les acteurs détiennent une par­tie de la véri­té. Dès lors, résoudre le puzzle néces­site de tra­vailler en qua­si-mode pro­jet dans les équipes, d’itérer, d’échouer et de recom­men­cer, tout en par­ta­geant de l’information de manière hori­zon­tale sans tra­hir ses « ver­ti­cales » respectives.

Une collaboration exemplaire

C’est dans cet esprit que, à l’initiative du pré­fet de région, le pré­fet des Bouches-du-Rhône, le pré­sident du conseil régio­nal et la pré­si­dente de la métro­pole Aix-Mar­seille-Pro­vence ont accep­té le prin­cipe d’une cogou­ver­nance avec l’État dédiée à la réin­dus­tria­li­sa­tion du bas­sin de Fos-Berre. Cette col­la­bo­ra­tion est ren­due pos­sible grâce aux rela­tions saines et pro­duc­tives entre l’État et les col­lec­ti­vi­tés locales en Pro­vence-Alpes-Côte d’Azur. Tous les acteurs se réunissent men­suel­le­ment à l’occasion de comi­tés opé­ra­tion­nels dédiés au sui­vi des pro­jets indus­triels en cours, à la fois de tran­si­tion et d’implantation, afin de par­ta­ger un même niveau de don­nées et de résoudre les pro­blèmes des por­teurs de manière plus effi­cace et intégrée.

“Un niveau de coopération entre acteurs locaux sans précédent.”

Finis les douze tra­vaux d’Astérix ou les ren­vois en boucle d’un ser­vice à l’autre. En paral­lèle, des groupes de tra­vail échangent en vue d’établir une feuille de route com­mune détaillant les condi­tions sine qua non de réus­site de la tran­si­tion indus­trielle de la zone, à l’horizon 2030 d’abord, puis de manière pros­pec­tive pour 2040 et 2050. D’aucuns y liront une nou­velle couche d’organisation pour répondre aux pro­blèmes d’organisation. Néan­moins, cette usine à bio­gaz admi­nis­tra­tive est la cha­pe­ronne qui per­met un niveau de coopé­ra­tion entre acteurs locaux sans pré­cé­dent. Elle nous donne les moyens, pour la pre­mière fois, de ne pas subir, mais de choi­sir l’industrie que l’on veut.

Objectif « net zéro »

Car les voies pour par­ve­nir au « net zéro » en 2050 sont mul­tiples et relèvent de réels choix de socié­té. C’est ce que nous rap­pelle l’Agence de l’environnement et de la maî­trise de l’énergie (Ademe) au moyen de ses quatre scé­na­rios, syn­thèses des pos­sibles entre fru­ga­li­té et tech­no­so­lu­tion­nisme. Garan­tir l’acceptation de la popu­la­tion, c’est la rai­son d’être d’autorités telles que la Com­mis­sion natio­nale du débat public (CNDP) ou d’initia­tives plus locales telles que le Lab ter­ri­to­rial de Fos.

Cette mis­sion se révèle ardue à l’heure où la sup­pres­sion des impôts de pro­duc­tion au béné­fice des col­lec­ti­vi­tés réduit les inci­ta­tions des popu­la­tions et des élus à accueillir des indus­tries. Les concer­ta­tions s’accumulent au risque de satu­rer le public et de pola­ri­ser le débat. Démon­trer que les retom­bées indi­rectes en matière d’emploi et de niveau de vie com­pen­se­ront à terme les nui­sances directes et immé­diates d’une usine don­née ne suf­fit pas. Il faut en reve­nir au pro­jet de socié­té plus glo­bal qui nous est pro­po­sé et que nous tâchons de décli­ner sur notre ter­ri­toire : l’industrie pour la tran­si­tion envi­ron­ne­men­tale et la souveraineté.

Port de Marseille Fos-sur-Mer
Port de Mar­seille Fos-sur-Mer.

Rendre l’industrie désirable

Mais jusqu’où sommes-nous prêts à aller ? L’exemple récent des réunions publiques rela­tives au pro­jet de ligne élec­trique 400 kilo­volts reliant Jon­quières-Saint-Vincent à Fos-sur-Mer pro­jette la ques­tion au centre de l’agora pro­ven­çale. La région, déjà importa­trice nette d’électricité, doit dou­bler sa puis­sance élec­trique rac­cor­dée au réseau afin de per­mettre la décar­bo­na­tion de la zone de Fos-Berre, ain­si que le déve­lop­pe­ment des nou­veaux pro­jets d’industrie verte.

Sans cette ligne élec­trique nou­velle, la tran­si­tion ne se fera pas. Les emplois indus­triels exis­tants en région seront mena­cés. Mais cette ligne mobi­lise contre elle en plein cœur de la Camargue. C’est là un véri­table dilemme du tram­way à la Phi­lip­pa Foot qui nous pousse à choi­sir entre bio­di­ver­si­té et décarbo­nation, entre tou­risme arlé­sien et indus­trie fos­séenne, le tout alors que le wagon en tête de la com­pé­ti­tion inter­na­tio­nale pour l’industrie ne s’arrêtera pas.

La tran­si­tion sera le résul­tat de com­pro­mis dif­fi­ciles qui néces­sitent du cou­rage poli­tique et admi­nis­tra­tif. Le retour des lud­distes nous guette. Dès lors, charge à nous de sor­tir le débat de la cari­ca­ture et de mon­trer qu’une syner­gie entre éco­lo­gie et éco­no­mie est pos­sible dans l’industrie. Rendre l’industrie dési­rable, c’est l’un des enjeux du plai­doyer « Pro­vence : Fabrique des Pos­sibles » lan­cé en octobre 2024 par un col­lec­tif de 100 diri­geants indus­triels du pour­tour de l’étang de Berre. État, col­lec­ti­vi­tés, indus­triels : nous pous­sons tous pour « faire de la Pro­vence un ter­ri­toire lea­der de la décar­bo­na­tion » au pro­fit de sa population.

L’action de l’État en région

Cet enjeu ne se can­tonne pas aux pro­jets emblé­ma­tiques de notre zone indus­tria­lo-por­tuaire. Par­tout en région, le vent de l’industrie se lève et ren­contre par­fois des obs­tacles légi­times. Au-delà des grands pro­jets de réin­dus­tria­li­sa­tion et de décar­bo­na­tion, l’État ter­ri­to­rial s’évertue à accom­pa­gner les TPE, PME et ETI qui maillent la voile dif­fuse de l’industrie, sans laquelle la tran­si­tion n’aurait pas de quoi décol­ler. C’est le sens du dis­po­si­tif « ETIn­celles », qui vise à pro­po­ser une action dédiée des ser­vices éco­no­miques de l’État en région (SEER) en faveur de PME à forte crois­sance, afin de les aider à pas­ser le cap de la taille cri­tique. C’est aus­si la mis­sion des com­mis­saires aux restruc­tu­ra­tions et pré­ven­tion des dif­fi­cul­tés des entre­prises (CRP) au sein des SEER, qui œuvrent par exemple pour sou­te­nir sur le ter­rain les PME et ETI indus­trielles mises en dif­fi­cul­té par la hausse récente des coûts de l’énergie.

Une communauté de fonctionnaires dévoués

Sou­te­nir le déve­lop­pe­ment éco­no­mique de l’industrie au sein de l’État en région, c’est choi­sir d’apprendre au quo­ti­dien auprès d’agents amou­reux de leur ter­ri­toire, agis­sant au ser­vice du public, des indus­triels et des entre­pre­neurs, tels des tra­duc­teurs aguer­ris du jar­gon admi­nis­tra­tif. C’est aus­si aider au der­nier kilo­mètre des par­faites poli­tiques publiques lorsqu’elles vivent mal le pas­sage du péri­phé­rique. C’est enfin faire par­tie d’une com­mu­nau­té de fonc­tion­naires, par­fois eux aus­si épris de kite­surf, qui naviguent dans des réa­li­tés ter­ri­to­riales dif­fé­rentes et par­tagent avec ami­tié leurs appren­tis­sages, chutes et envols.

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