La (nouvelle) industrie, condition de la transition écologique
La prise en compte du coût du CO2 va révolutionner l’industrie. Cette transformation est à l’œuvre tant en France que dans le monde développé. C’est une occasion pour les jeunes ingénieurs, notamment polytechniciens, de participer à la fois à des innovations passionnantes et à une ambition nationale stimulante.
L’industrie, c’est la recherche permanente de l’optimisation. Sans contrainte, l’industrie minimise les salaires, tout comme la sécurité des salariés, et coupe à travers champ sur les sujets sanitaires et environnementaux. Heureusement, notre société impose des contraintes à la logique industrielle, qui sont autant de nouveaux paramètres à intégrer à l’équation pour trouver un nouvel optimum. Ces contraintes ont progressivement été des salaires minima, des normes de pollution, un droit du travail et, dernièrement, pour certains secteurs industriels, un prix du CO2.
Une contrainte révolutionnaire
Cette dernière contrainte est peut-être plus révolutionnaire encore que les précédentes. Imposer un prix du CO2 (modulo une taxe carbone aux frontières) va rendre certains procédés industriels complètement obsolètes, hors de tout prix de marché. France Stratégie, rattachée au Premier ministre, estime que le coût pour la société d’une tonne de CO2 en 2050 serait de 775 €/t. Si l’on imposait une telle taxe au CAC 40 actuel, il perdrait 180 % de son bénéfice, rendant par conséquent déficitaire la majorité des grands groupes français.
À ceux qui pensent que c’est une contrainte impossible, que cela coûterait trop cher, rappelez-vous que ce prix du CO2 n’est pas une taxe volontaire. C’est ce qu’on paie déjà en tant que société pour chaque tonne de CO2 émise dans l’atmosphère. Pire, vu que certains effets mettent des décennies à se faire sentir, ce coût devient une dette, qui nous tombera dessus par à‑coups lors d’événements climatiques futurs. Donc, si vous considérez que cela coûterait trop cher, dites-vous que nous allons quoi qu’il arrive devoir payer, donc il faudra bien trouver l’argent.
Une occasion à saisir !
Avec une nouvelle contrainte si importante, l’industrie va chercher un nouvel optimum et repenser la grande majorité de ses procédés. Certaines entreprises verront leurs actifs les plus profitables devenir en quelques années des actifs échoués et d’autres, incapables de faire la transition radicale demandée, devront rendre l’argent à leurs actionnaires et mettre la clé sous la porte. C’est cette occasion que les jeunes ingénieurs doivent saisir. Tous les équilibres sur lesquels se sont construites nos industries modernes sont bousculés, et cela ouvre une très grande place à l’innovation de rupture sur des procédés plus écologiques.
Un boom des start-up industrielles françaises
D’un point de vue macro, cela se traduit déjà par une nette croissance du secteur des start-up industrielles. Aujourd’hui, les start-up industrielles représentent 0,5 % des entreprises industrielles en France, mais 20 % des ouvertures d’usine et 50 % des levées de fonds du secteur de la tech (les start-up ne sont plus seulement des open spaces avec baby-foot !). L’État français soutient également cette dynamique, avec un fonds de 4 Md€ pour le déploiement de premières usines chez les start-up industrielles. Aujourd’hui ce sont déjà 78 start-up qui ont été lauréates de ce dispositif inédit en France.
Une dynamique internationale
À l’échelle mondiale, on peut noter le déploiement du fameux Inflation Reduction Act aux USA, qui permet d’injecter 400 Md€ dans les nouvelles industries énergie et climat, provoquant une relocalisation massive et l’émergence de beaucoup d’entreprises pionnières dans le secteur de la transition écologique. L’UE de son côté a dégainé le Net Zero Industry Act, favorisant l’émergence de technologies et d’usines dans les secteurs clés de la transition, comme les énergies renouvelables, l’hydrogène vert, la production de batteries, les pompes à chaleur ou la séquestration carbone. Enfin, il est évident aujourd’hui que la Chine a pris des mesures fortes pour être pionnier sur certaines technologies de transition, comme les panneaux solaires et la voiture électrique. La tendance du moment en tant que nation et continent est donc au développement rapide et fort de cette nouvelle industrie essentielle à notre souveraineté.
“Une nouvelle industrie essentielle à notre souveraineté.”
Polytechniciens, encore un effort !
Il est impératif que les jeunes ingénieurs participent à l’effort collectif et cherchent à développer de nouvelles technologies de rupture. C’est déjà la voie prise par de nombreux jeunes (ou moins jeunes) entrepreneurs polytechniciens. Je peux citer Sarah Lamaison de Dioxycle, X12, qui développe une technologie de recyclage de CO2 en éléments chimiques, ou Antoine Guyot de Jimmy, X13, qui développe des petits réacteurs nucléaires pour faire de la chaleur industrielle.
Pour ma part, Néolithe traite les déchets avec un procédé qui stocke du CO2 au lieu d’en émettre. Ces projets ont à eux trois le potentiel de réduire de l’ordre de 15 % les émissions de CO2 françaises, ce n’est pas négligeable. Mais il en faut plus : plus d’entrepreneurs pour lancer des projets, plus d’ingénieurs pour les réaliser, plus d’investisseurs pour les financer, plus de hauts fonctionnaires pour changer les normes et contraindre au changement, et plus de chercheurs pour créer les briques technologiques fondamentales de ces nouveaux procédés.
Des compétences et une volonté
Ces compétences, les jeunes polytechniciens les ont. Je pense qu’ils ont également démontré qu’ils avaient envie de participer à cette révolution écologique. Leur envie ne doit pas seulement se traduire par un militantisme politique ou bien par une prise de distance avec la société. En effet, la France a investi beaucoup trop d’argent sur nous pour que nous désertions ou que nous nous contentions de limiter notre empreinte carbone personnelle en mangeant végétarien ou en allant au bureau à vélo, bien que cela soit une sobriété nécessaire. L’industrie, c’est un outil, un bras de levier incroyable pour avoir un impact considérable sur le monde. C’est la possibilité, en une quinzaine d’années, de transformer un secteur d’activité et de changer les méthodes de consommation, de déplacement ou de chauffage de milliards de personnes.
Un devoir moral
Je pense qu’il est du devoir moral de chaque élève ayant choisi d’intégrer l’X de chercher à être utile à la société à la hauteur de l’ambition que la nation a placée en nous, sinon il fallait laisser sa place à plus méritant. Il y a bien sûr de multiples façons d’être utiles à la société, mais je peux vous assurer qu’en cherchant à contribuer à la création d’une nouvelle industrie écologique, qui rend soutenable notre société et qui place la France comme fer de lance de la révolution à venir, vous n’aurez pas perdu votre talent. Les défis sont immenses, incroyablement stimulants, et tout reste à faire.