Compétitivité de l'industrie automobile : En quatre ans, les sept sites industriels français du Groupe Renault ont retrouvé un nouveau souffle et de nouvelles perspectives.

La compétitivité est un sport collectif

Dossier : RéindustrialisationMagazine N°799 Novembre 2024
Par Luca de MEO

L’importance de l’industrie auto­mo­bile dans le PIB euro­péen lui confère un sta­tut à part dans l’industrialisation fran­çaise et euro­péenne. Loin de se résoudre à la dés­in­dus­tria­li­sa­tion, Renault a fait le choix de redy­na­mi­ser son éco­sys­tème fran­çais et aus­si d’adopter une vision holis­tique sur les chaînes de valeur d’importance stra­té­gique. Pour Luca de Meo, il s’agit aujourd’hui de pen­ser la com­pé­ti­ti­vi­té au niveau euro­péen afin de res­ter dans la course face à la concur­rence amé­ri­caine et chinoise.

Si l’on redé­couvre aujourd’hui en Europe l’industrie et son rôle de pilier de nos modèles sociaux et de notre pros­périté, que dire alors de l’industrie auto­mo­bile ? On parle ici d’un sec­teur qui pèse 8 % du PIB de l’Union euro­péenne, 30 % de ses dépenses en R & D et 13 mil­lions d’emplois. C’est simple : enle­vez l’automobile et l’Europe se retrouve avec une balance com­mer­ciale en défi­cit structurel !

Ce moteur de notre éco­no­mie connaît depuis les der­nières années une forme d’essoufflement : le centre de gra­vi­té du mar­ché mon­dial de l’automobile s’est dépla­cé vers l’Asie. 51,6 % des voi­tures par­ti­cu­lières neuves sont ven­dues dans cette par­tie du monde. C’est deux fois plus que dans les Amé­riques du Nord et du Sud réunies (23,7 %) et qu’en Europe (19,5 %). En France, où la part de l’industrie s’est éta­blie depuis quinze ans à un niveau qui ne dépasse pas celui de la Grèce – 10 % du PIB – le sort de l’automobile mérite tout par­ti­cu­liè­re­ment d’attirer l’attention.

Le pari du développement de l’activité industrielle en France

Pro­duire en Europe et en France coûte plus cher. Une voi­ture élec­trique du seg­ment C – com­pacte, poly­va­lente, de taille moyenne – pro­duite en Chine béné­fi­cie d’un avan­tage coût de 6 000 à 7 000 euros (envi­ron 25 % du coût total) par rap­port à un modèle euro­péen équi­valent. Les coûts de l’énergie sont deux fois plus bas en Chine et trois fois plus bas aux États-Unis qu’en Europe.

Grâce à un Infla­tion Reduc­tion Act (IRA) por­té par 400 mil­liards de dol­lars, l’investissement néces­saire pour un gigawatt­heure de bat­te­ries est pas­sé aux États-Unis de 90 à 60 mil­lions de dol­lars, c’est-à-dire au niveau de la Chine, alors qu’il reste en Europe à 80 mil­lions de dol­lars. Quant aux coûts sala­riaux, ils sont 40 % plus éle­vés en Europe qu’en Chine. Je crois être bien pla­cé autant pour sou­li­gner ce constat pré­oc­cu­pant que pour rap­pe­ler que la déprise indus­trielle fran­çaise n’a rien d’une fatalité.

La situa­tion de Renault montre que l’on peut rele­ver le pari du déve­lop­pe­ment de l’activité indus­trielle en France. Recen­trer Renault sur son cœur fran­çais était certes pour moi une évi­dence pre­mière, après 30 ans d’expérience qui m’ont ensei­gné qu’il n’y a pas de sec­teur dans lequel les racines natio­nales et cultu­relles d’une entre­prise comptent davan­tage que dans l’automobile pour assu­rer sa force. Ache­ter une voi­ture, c’est tou­jours ache­ter un mor­ceau du patri­moine et de la culture du pays d’origine de son constructeur.

Un nouveau souffle pour Renault

En quatre ans, c’est ain­si la tota­li­té des sept sites indus­triels fran­çais du Groupe qui a retrou­vé un nou­veau souffle et de nou­velles pers­pec­tives. Flins que l’on disait en fin de course ? Recon­ver­ti en un pôle pilote de l’économie cir­cu­laire pour le Groupe, dans ces acti­vi­tés où il vise un chiffre d’affaires de 2,3 mil­liards d’euros à l’horizon 2030. Les sites du nord de la France, Douai, Ruitz, Mau­beuge ? Ras­sem­blés dans le pôle Elec­tri­Ci­ty, au sein d’un éco­sys­tème avec lequel nous fai­sons d’Ampere la réponse la plus convain­cante de l’industrie auto­mo­bile euro­péenne au défi des nou­velles concur­rences qui nous viennent de l’Est et de l’Ouest.

Nous allons construire à Elec­tri­Ci­ty la Renault 5 en moins de 10 heures, réduire les coûts de l’électrique de 40 % d’ici 2027–2028, nous appuyer sur un éco­sys­tème de four­nisseurs dont 80 % se trouvent à moins de 300 kilo­mètres. L’usine de Dieppe, presque vide il y a peu ? Relan­cée pour des années et fonc­tion­nant aujourd’hui à pleine capa­ci­té grâce à la réin­ven­tion d’Alpine que nous lan­çons à l’attaque des mar­chés glo­baux. San­dou­ville, dont l’avenir était aus­si mar­qué d’un point d’interrogation ? Nous venons d’y annon­cer l’affectation de FlexE­Van, une nou­velle géné­ra­tion de véhi­cules uti­li­taires ultra-connec­tés et modu­laires, qui a le poten­tiel de révo­lu­tion­ner la mobi­li­té pro­fes­sion­nelle urbaine et la logis­tique du der­nier kilo­mètre. Aujourd’hui, Renault est reve­nu en France.

Être compétitifs ensemble

Tous ces exemples sont d’abord le résul­tat de pro­jets indus­triels et com­mer­ciaux, mais aus­si celui d’un tra­vail d’équipe, en éco­sys­tème. L’implication et le sou­tien construc­tif des pou­voirs publics ont bien sûr joué un rôle fon­da­men­tal, notam­ment à tra­vers le pro­gramme France 2030, mais le retour de Renault en France illustre aus­si l’approche hori­zon­tale qui est désor­mais au cœur de la phi­lo­so­phie du Groupe.

“Adopter une vision holistique sur des chaînes de valeurs nouvelles.”

Il s’agit de nouer des par­te­na­riats avec les meilleurs pour par­ta­ger les inves­tis­se­ments et les risques, ren­for­cer notre agi­li­té stra­té­gique et sur­tout com­bi­ner les exper­tises face à des enjeux qui défient les bar­rières tra­di­tion­nelles entre sec­teurs. C’est ce que nous fai­sons quand nous nous asso­cions à Vol­vo et CMA CGM (Com­pa­gnie mari­time d’affrètement Com­pa­gnie géné­rale mari­time) autour de FlexE­Van, pour nous mettre en condi­tion de com­bi­ner nos atouts dans l’automobile, le soft­ware, la logis­tique. C’est ce que nous fai­sons encore quand nous tra­vaillons avec la start-up Ver­kor pour déve­lop­per et pro­duire les cel­lules de bat­te­ries bas car­bone et haute per­for­mance qui équi­pe­ront les véhi­cules élec­triques d’Ampere, d’Alpine ou encore les uti­li­taires FlexE­Van. Autre­ment dit, il s’agit désor­mais d’être com­pé­ti­tifs ensemble. Et la capa­ci­té à le faire dépend de notre apti­tude à adop­ter une vision holis­tique sur des chaînes de valeurs nouvelles.

Une approche englobante

Face à des concur­rents aus­si inno­vants que ceux que nous avons aujourd’hui devant nous, le plus grand écueil serait de tom­ber à pro­pos du thème de la com­pé­ti­ti­vi­té dans une conver­sa­tion seg­men­tée, laquelle revien­drait à cou­per en tranches ces chaînes de valeur qui consti­tuent à pré­sent l’épine dor­sale de nos économies.

Ce qui dis­tingue aujourd’hui la Chine et les États-Unis, c’est jus­te­ment leur capa­ci­té à déployer une vision holis­tique des défis qui sont devant nous, appré­hen­dant ensemble objec­tifs envi­ron­ne­men­taux et moyens indus­triels. Ayons l’humilité de le recon­naître. Obser­vons-les. Appre­nons. Et repas­sons à l’attaque ! La com­pé­ti­ti­vi­té chi­noise notam­ment repose, bien plus que sur tel avan­tage ponc­tuel ou sur tel fac­teur de pro­duc­ti­vi­té, sur une approche englo­bant la chaîne de valeur de la voi­ture élec­trique dans sa tota­li­té depuis l’amont jusqu’à l’aval, y com­pris dans la dimen­sion soft­ware. Car nous ferions bien d’arrêter dès main­te­nant de par­ler d’« EV » (elec­tric vehicle) pour par­ler plu­tôt d’ « iEV » (intel­li­gent elec­tric vehicle), manière de recon­naître que le soft­ware n’est pas un à‑côté de l’électrique mais qu’il en est indissociable.

Orchestrer tous les acteurs

C’est une telle approche stra­té­gique indus­trielle que nous devons à pré­sent mettre au centre de notre jeu. Et, à l’heure où les grands défis comme la tran­si­tion éner­gé­tique ou la révo­lu­tion numé­rique coupent les sec­teurs tra­di­tion­nels, cette approche stra­té­gique implique néces­sai­re­ment un rôle déci­sif des auto­ri­tés pour orches­trer tous les acteurs, tout au long de chaînes de valeur dont la struc­tu­ra­tion a été ren­due néces­saire, non seule­ment par le libre jeu du mar­ché mais aus­si par des déci­sions poli­tiques qui ont choi­si d’en fixer le rythme. 

Depuis les mines, jusqu’au recy­clage des bat­te­ries, en pas­sant par le raf­fi­nage : nous ne pou­vons plus nous per­mettre d’attendre pour nous mettre en ordre de marche, col­lec­ti­ve­ment. Nous devons retrou­ver la capa­ci­té à mettre tous les acteurs autour de la table pour tra­cer une feuille de route com­mune, qui devrait aus­si se maté­ria­li­ser dans de grands pro­jets nous per­met­tant de nous atta­quer à des chaînes de valeur à l’importance stra­té­gique majeure. Air­bus ou Gali­leo sont bien nés en Europe !

Redonner du bon sens aux régulations

Une autre dimen­sion du rôle cru­cial que les pou­voirs publics ont à jouer dans cette his­toire est de réin­jec­ter aus­si dans leur manière de régu­ler ce sens stra­té­gique et trans­ver­sal, cette vision holis­tique ou, pour le dire plus sim­ple­ment, un peu de bon sens. Et aus­si un peu de coor­di­na­tion ! Par exemple, mettre en place un orga­nisme fai­sant office de point de pas­sage unique char­gé d’évaluer l’impact et l’articulation de toutes régu­la­tions affec­tant le sec­teur auto­mo­bile serait un pre­mier levier. 

Elle nous redon­ne­rait la cohé­rence qui nous fait par­fois défaut, comme lorsque nous choi­sis­sons de ban­nir la vente de moteurs ther­miques en 2035 et que, dans le même temps, on a pu par­ler d’établir de nou­velles normes qui auraient poten­tiel­le­ment détour­né des mil­liards d’euros d’investissement vers une tech­no­lo­gie que l’on a déci­dé d’abandonner. Quand on sait que jusqu’à 25 % des res­sources en R & D des construc­teurs doivent être consa­crées à l’étude de mise en œuvre des nou­velles régle­men­ta­tions, il est clair qu’il y a de ce côté un levier majeur d’amélioration de la posi­tion des acteurs européens.

Un usage stratégique de la régulation

Il peut en revanche y avoir un usage stra­té­gique de la régle­men­ta­tion ! Obser­vons là encore ce que font nos meilleurs concur­rents et on ver­ra qu’un effort mas­sif de stan­dar­di­sa­tion a le poten­tiel de ren­for­cer notre per­for­mance de façon dras­tique. On estime ain­si que 70 % du coût d’une archi­tec­ture soft­ware pour­rait être mutua­li­sé entre constructeurs.

En Chine, favo­ri­ser la défi­ni­tion de stan­dards com­muns a per­mis à la fois de garan­tir la sou­ve­rai­ne­té (inci­ta­tion à mettre à niveau des acteurs locaux pour des achats) et la com­pé­ti­ti­vi­té (ticket d’entrée infé­rieur car les construc­teurs uti­lisent des res­sources et des tech­no­lo­gies déjà déve­lop­pées). Har­mo­ni­sons éga­le­ment l’approche de la mobi­li­té des 200 plus grandes villes euro­péennes ! Il y a là un gise­ment majeur pour four­nir un mar­ché à grande échelle aux acteurs euro­péens et lut­ter contre une frag­men­ta­tion de fait du mar­ché euro­péen, qui consti­tue un han­di­cap évident face aux immenses mar­chés domes­tiques sur les­quels s’appuient nos concurrents.

Des ordres de grandeur impressionnants

Adop­ter une vision holis­tique sur ce qui consti­tue à pré­sent notre ter­rain de jeu, c’est aus­si avoir une claire conscience des ordres de gran­deur qui consti­tuent la réa­li­té à laquelle nous sommes confron­tés, pas ceux d’il y a dix ans. Du côté de la sécu­ri­sa­tion des matières pre­mières, il faut ain­si savoir qu’à lui seul le prix du lithium conte­nu dans une bat­te­rie moyenne équi­vaut à celui d’un moteur ther­mique. Un lithium dont la Chine contrôle aujourd’hui 90 % de la capa­ci­té mon­diale de raffinage ! 

“Le déploiement des infrastructures de charge devrait être huit fois plus rapide qu’actuellement.”

Du côté de la four­ni­ture d’électricité décar­bo­née et abor­dable, ce sont 250 TWh que le parc de 40 mil­lions de voi­tures élec­triques cir­cu­lant dans l’Union euro­péenne en 2030 néces­si­te­ra, soit 10 % de la consom­ma­tion élec­trique totale. Du côté des infra­structures de recharge, on estime que le déploie­ment à l’échelle euro­péenne devrait être huit fois plus rapide qu’il ne l’est actuel­le­ment, si l’on veut atteindre les objec­tifs qui sou­tien­dront l’émergence d’un éco­sys­tème de la voi­ture élec­trique : aujourd’hui, sur cinq points de recharge dont nous aurons besoin, quatre sont encore manquants.

Reprenons la main

J’ai don­né ici quelques exemples de pro­po­si­tions qui pour­raient aider la France à reprendre la main sur sa com­pé­ti­ti­vi­té indus­trielle, dans le sillage de la Lettre à l’Europe que j’ai publiée récem­ment. Qu’ils soient reçus comme une invi­ta­tion au débat. Car une chose est sûre : la pour­suite de cette his­toire de réin­dus­tra­li­sa­tion que nous avons com­men­cé à écrire avec le Groupe Renault dépen­dra de notre capa­ci­té à inven­ter col­lec­ti­ve­ment cette compétitivité.


Union euro­péenne. « L’im­por­tance de l’in­dus­trie auto­mo­bile dans le PIB euro­péen. » Dis­po­nible sur : https://ec.europa.eu/growth/sectors/automotive_en

Renault Group. « Renau­lu­tion : Plan stra­té­gique du Groupe Renault. » Renault, 2020. Dis­po­nible sur : https://media.renaultgroup.com/renaulution/

Inter­na­tio­nal Ener­gy Agen­cy (IEA). « Glo­bal EV Out­look 2022 : Secu­ring sup­plies for an elec­tric future. » IEA, 2022. Dis­po­nible sur : https://www.iea.org/reports/global-ev-outlook-2022

Com­mis­sion euro­péenne. « Pro­gramme France 2030. » Dis­po­nible sur : https://www.gouvernement.fr/france-2030

Luca de Meo. « Lettre à l’Europe. » Renault Group, 2023. Dis­po­nible sur : https://media.renaultgroup.com/lettre-a-leurope-luca-de-meo/

Asso­cia­tion des Construc­teurs Euro­péens d’Au­to­mo­biles (ACEA). « Eco­no­mic and Mar­ket Report : State of the EU auto indus­try. » ACEA, 2022. Dis­po­nible sur : https://www.acea.auto/publication/economic-and-market-report-state-of-the-eu-auto-industry/

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