Focus sur le renouvellement des compétences scientifiques et industrielles de la propulsion nucléaire

Focus sur le renouvellement des compétences scientifiques et industrielles de la propulsion nucléaire

Dossier : Vie des entreprises - Souveraineté industrielleMagazine N°799 Novembre 2024
Par Laurent SELLIER (X87)

Laurent Sel­lier (X87), direc­teur de la pro­pul­sion nucléaire à la direc­tion des appli­ca­tions mili­taires du CEA (CEA/DAM), revient sur les enjeux de péren­ni­sa­tion et de renou­vel­le­ment des com­pé­tences en matière de pro­pul­sion nucléaire, un sujet au cœur de la sou­ve­rai­ne­té de la France.

Aujourd’hui, nous entendons de plus en plus parler de renaissance industrielle. La propulsion nucléaire est-elle concernée par cette dynamique ? Pourquoi ?

La pro­pul­sion nucléaire n’est pas réel­le­ment concer­née par cette dyna­mique de renais­sance indus­trielle. Par essence, c’est une acti­vi­té qui n’a jamais dimi­nué car elle ne peut être que fran­çaise et sou­ve­raine et ne peut dépendre d’un autre pays !

Depuis les années 60 avec les pre­miers pro­grammes en la matière, nous nous sommes assu­rés de la maî­trise dans la durée de toute la chaîne de valeur afin d’être tou­jours en mesure de fabri­quer toutes les pièces non-duales qui par­ti­cipent à la pro­pul­sion nucléaire.

Dès le départ, il y a eu cette volon­té de main­te­nir et péren­ni­ser toutes les com­po­santes du tis­su indus­triel qui tra­vaillent sur la pro­pul­sion nucléaire. Ce choix fort a été assu­ré par une cer­taine régu­la­ri­té des pro­jets : SNLE type Le Redou­table, SNA type Rubis, SNLE type Le Triom­phant, porte-avions Charles de Gaulle, SNA type Suf­fren, SNLE 3G, porte-avions de nou­velle génération…

à titre d’exemple, depuis 2019, la pro­pul­sion nucléaire a mis en ser­vice quatre nou­veaux réac­teurs : le réac­teur d’essai (RES) à Cada­rache et trois chauf­fe­ries pour les trois pre­miers sous-marins du pro­gramme Bar­ra­cu­da, le pro­gramme de sous-marins nucléaires d’attaque. L’industrie de la pro­pul­sion nucléaire ne s’arrête jamais !

Néan­moins, si la pro­pul­sion nucléaire a gar­dé un niveau d’activité rela­ti­ve­ment constant et n’a pas besoin de renaître, elle s’inscrit aujourd’hui dans une dyna­mique de renou­vel­le­ment des com­pé­tences et de main­tien de ses capa­ci­tés indus­trielles. 

Qu’est-ce que le renouvellement des compétences en propulsion nucléaire implique ?

Le renou­vel­le­ment des com­pé­tences en pro­pul­sion nucléaire cor­res­pond aujourd’hui au pas­sage de témoin entre la géné­ra­tion qui avait mis au point les chauf­fe­ries nucléaires du porte-avions Charles de Gaulle et des SNLE du type Le Triom­phant et la géné­ra­tion qui conçoit les futures chaufferies.

“Le renouvellement des compétences en propulsion nucléaire correspond aujourd’hui au passage de témoin entre la génération qui avait mis au point les chaufferies nucléaires du porte-avions Charles de Gaulle et des SNLE du type Le Triomphant et la génération qui conçoit les futures chaufferies.”

Pour garan­tir ce pas­sage de témoin entre deux géné­ra­tions, tant dans l’industrie (Tech­ni­cA­tome et Naval Group) qu’au CEA, il est néces­saire d’avoir des pro­grammes d’ampleur suf­fi­sante pour faire coha­bi­ter et cotra­vailler ces deux géné­ra­tions. C’est un rôle assu­mé par le pro­gramme de porte-avions de nou­velle géné­ra­tion. Au-delà, cette pas­sa­tion de relais entre deux géné­ra­tions reprend les com­pé­tences acquises par les anciens dans un nou­veau cadre de tra­vail avec l’intégration des outils modernes, du type IA.

Dans ce cadre, quels sont les projets et les chantiers qui vous mobilisent ?

Nous sommes mobi­li­sés sur le porte-avions de nou­velle géné­ra­tion, un pro­jet ini­tié à la fin des années 2010 et début des années 2020 avec des réflexions nou­velles autour du mode de pro­pul­sion. Pour des rai­sons opé­ra­tion­nelles, aujourd’hui, nous retra­vaillons la concep­tion des chauf­fe­ries des anciens sous-marins pour en amé­lio­rer signi­fi­ca­ti­ve­ment les per­for­mances, car le dépla­ce­ment du futur porte-avions attein­dra 75 000 tonnes, alors que celui du Charles de Gaulle n’en fai­sait que 45 000. Nous avons besoin de déve­lop­per des chauf­fe­ries plus puis­santes et plus endu­rantes pour ne pas réduire sa vitesse et main­te­nir sa disponibilité.

Cette recon­cep­tion, qui s’inscrit jus­te­ment dans ce cadre de la réno­va­tion des com­pé­tences, a per­mis de revoir pro­fon­dé­ment l’ensemble des domaines appe­lés par les chauf­fe­ries nucléaires : la neu­tro­nique, la ther­mo­hy­drau­lique, la ther­mique du com­bus­tible… Au niveau de la sidé­rur­gie, nous avons tra­vaillé avec Fra­ma­tome et Aubert & Duval afin de nous assu­rer de leur capa­ci­té à pro­duire des pièces de plus grandes dimensions.

« Avec ce porte-avions de nouvelle génération, nous avons une très belle illustration du meilleur savoir-faire français. »

En paral­lèle, nous sommes res­tés mobi­li­sés sur la fabri­ca­tion en cours des der­niers sous-marins nucléaires d’attaque, les SNA, et le déve­lop­pe­ment et la réa­li­sa­tion du pre­mier sous-marin nucléaire lan­ceur d’engins, le SNLE3G, qui avaient été conçus et déve­lop­pés sur le modèle des anciennes chauf­fe­ries. Avec ce porte-avions de nou­velle géné­ra­tion, nous avons une très belle illus­tra­tion du meilleur savoir-faire fran­çais. Le pro­jet est vrai­ment au cœur de la réno­va­tion des com­pé­tences et il consti­tue un cadre extra­or­di­naire pour de jeunes ingé­nieurs qui ont une appé­tence pour ce domaine d’excellence.

Enfin, nous res­tons mobi­li­sés sur la base arrière de la pro­pul­sion nucléaire située à Cada­rache où il y a une refonte et un renou­vel­le­ment de l’outil indus­triel. De nom­breux tra­vaux ont été enga­gés pour mettre à niveau un outil indus­triel qui datait des années 60 et 70. Le renou­vel­le­ment des com­pé­tences et du savoir-faire fran­çais passe aus­si par la réno­va­tion de cette base arrière. À Cada­rache, sont ain­si pré­vus des nou­veaux bâti­ments et ins­tal­la­tions, notam­ment pour l’entretien des équi­pe­ments des chauf­fe­ries nucléaires et la mesure des per­for­mances des cœurs nucléaires.

Renouvellement des compétences en propulsion nucléaire : enjeux et projets du CEA

Quels sont les enjeux et freins auxquels vous êtes confrontés ?

Dans cette démarche de réno­va­tion des com­pé­tences, notre enjeu est de trou­ver le meilleur équi­libre entre l’innovation et la prise de risque. Les chauf­fe­ries que nous déve­lop­pons actuel­le­ment atteignent les limites du savoir-faire des capa­ci­tés de notre indus­trie. En paral­lèle, nous avons un impor­tant défi en matière de tenue des plan­nings, avec des chauf­fe­ries dont la réa­li­sa­tion doit s’inscrire dans le calen­drier de rem­pla­ce­ment du porte-avions Charles de Gaulle. La même exi­gence touche le pro­gramme de sous-marin nucléaire lan­ceur d’engins qui par­ti­cipe à la force océa­nique de dis­sua­sion. Il s’agit donc de faire coha­bi­ter un très haut niveau d’exigences et une grande maî­trise des risques, de garan­tir le plus haut stan­dard de sûre­té nucléaire et la meilleure maî­trise des coûts.

Dans ce domaine de la propulsion nucléaire, quelles sont les ambitions du CEA ?

La prin­ci­pale ambi­tion por­tée par le CEA est de garan­tir au minis­tère des Armées que la France sau­ra tou­jours réa­li­ser des réac­teurs de pro­pul­sion nucléaire dans des calen­driers et des coûts rai­son­nables. Nous tra­vaillons aujourd’hui, en paral­lèle de la péren­ni­sa­tion du tis­su indus­triel et du main­tien de sa capa­ci­té scien­ti­fique et d’innovation, sur le déve­lop­pe­ment de moyens de simu­la­tion du fonc­tion­ne­ment des chauf­fe­ries pour capi­ta­li­ser toutes les connais­sances accu­mu­lées depuis plus de six décennies…

Poster un commentaire