INRAE, un acteur de la recherche au cœur des transitions et des enjeux de souveraineté

INRAE, un acteur de la recherche au cœur des transitions et des enjeux de souveraineté

Dossier : Vie des entreprises - Souveraineté industrielleMagazine N°799 Novembre 2024
Par Philippe MAUGUIN

En 2020, la fusion entre l’INRA et Irs­tea a don­né nais­sance à INRAE, un cham­pion natio­nal et euro­péen de la recherche. Acteur inter­dis­ci­pli­naire, son champ d’action couvre l’agriculture, l’alimentation, l’environnement et le déve­lop­pe­ment durable. Phi­lippe Mau­guin, son pré­sident-direc­teur géné­ral, nous en dit plus.

Né de la fusion entre l’INRA et Irstea, INRAE est un acteur majeur de la recherche et de l’innovation. Quelques mots pour nous présenter l’établissement.

INRAE, l’Institut natio­nal de recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement, est aujourd’hui le pre­mier acteur euro­péen de la recherche et de l’innovation dans le sec­teur de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement et le troi­sième mon­dial, après nos homo­logues chi­nois et amé­ri­cains. INRAE est donc né en 2020 de la fusion entre l’INRA, qui avait des com­pé­tences recon­nues dans les domaines de l’agronomie, de l’agroalimentaire, mais éga­le­ment sur les sujets envi­ron­ne­men­taux, et Irs­tea, qui avait des com­pé­tences affir­mées dans le domaine de l’eau, du numé­rique et de la robo­tique, ain­si que sur un cer­tain nombre de ques­tions environnementales.

Aujourd’hui, INRAE, c’est près de 12 000 col­la­bo­ra­teurs, ain­si qu’un bud­get de plus de 1,1 mil­liard. Ce nou­vel éta­blis­se­ment s’appuie sur 14 dépar­te­ments scien­ti­fiques qui animent les recherches dans des dis­ci­plines très variées comme l’agronomie, l’écologie, la trans­for­ma­tion ali­men­taire, les mathé­ma­tiques et l’IA, les sciences éco­no­miques et sociales, la géné­tique ani­male et végé­tale ou la micro­bio­lo­gie… Pla­cés sous la double tutelle des minis­tères en charge de l’enseignement supé­rieur et de la recherche et de l’agriculture, nous béné­fi­cions d’équipements de pointe au sein de nos labo­ra­toires et de nos pla­te­formes tech­no­lo­giques et d’un très beau dis­po­si­tif d’unités expé­ri­men­tales qui prend notam­ment la forme de fermes pilotes pour tes­ter les inno­va­tions issues de nos recherches… Ces infra­struc­tures situées dans nos 18 centres régio­naux sont à l’interface avec l’enseignement supé­rieur, les uni­ver­si­tés et les grandes écoles, ain­si que nos par­te­naires socioé­co­no­miques et les col­lec­ti­vi­tés territoriales.

En 2021, vous avez présenté INRAE 2030, votre feuille de route pour relever les défis de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement de demain. Comment s’articule-t-elle ?

Cette feuille de route ambi­tieuse à 10 ans est le fruit d’une consul­ta­tion menée auprès de nos col­lec­tifs, de nos grands par­te­naires de recherche en France et dans le monde, et de nos par­te­naires socioé­co­no­miques. Elle s’articule autour de cinq grandes prio­ri­tés de recherche :

  • Mieux connaître les évo­lu­tions du cli­mat et de la bio­di­ver­si­té pour adap­ter notre agri­cul­ture, notre forêt et nos sys­tèmes ali­men­taires et ain­si mieux maî­tri­ser et limi­ter les effets des risques naturels ;
  • Accé­lé­rer et accom­pa­gner les tran­si­tions agroé­co­lo­giques et ali­men­taires, en tenant compte de la com­pé­ti­ti­vi­té et des enjeux éco­no­miques et sociaux pour les filières ;
  • Déve­lop­per la bioé­co­no­mie ou com­ment l’agriculture et la forêt peuvent contri­buer de façon durable à la décar­bo­na­tion de l’économie ;
  • Favo­ri­ser une approche de la san­té glo­bale qui étu­die les inter­ac­tions entre la san­té ani­male, végé­tale, humaine et environnementale ;
  • Inté­grer la révo­lu­tion du numé­rique et de l’IA au ser­vice des transitions.

À cela s’ajoutent 3 prio­ri­tés transversales :

  • Ren­for­cer l’impact de nos recherches avec plus d’engagements dans l’innovation, la créa­tion de start-up et l’appui aux poli­tiques publiques ;
  • Ren­for­cer nos par­te­na­riats avec les écoles et les uni­ver­si­tés en France, en Europe et dans le monde afin de les impli­quer dans nos recherches, contri­buer à for­mer les futures géné­ra­tions de cher­cheurs, d’ingénieurs, mais aus­si afin de pou­voir riva­li­ser avec les éta­blis­se­ments scien­ti­fiques et de recherche dans le monde entier ;
  • Ins­crire INRAE dans une démarche RSE glo­bale et collective.

Cette stra­té­gie se décline de façon opé­ra­tion­nelle dans les pro­grammes stra­té­giques des dépar­te­ments scien­ti­fiques et des centres régio­naux, et fait l’objectif d’un repor­ting annuel auprès de la direc­tion et des pou­voirs publics.

Dans le cadre de France 2030, vous pilotez 6 grands programmes de recherche. Dites-nous en plus. 

En effet ! Ces pro­grammes de recherche prio­ri­taires sont en lien direct avec nos grands domaines d’intervention, l’agriculture, l’alimentation et l’environnement et l’énergie, et s’inscrivent dans une logique par­te­na­riale. Par exemple, dans le domaine de l’agriculture, nous co-pilo­tons avec INRIA un pro­gramme prio­ri­taire de recherche autour de l’agroécologie et du numé­rique visant à capi­ta­li­ser sur l’IA, le numé­rique, le deep lear­ning, les réseaux de neu­rones pour pro­po­ser des solu­tions numé­riques qui per­met­tront, par exemple, d’utiliser moins de pes­ti­cides ou d’antibiotiques, d’optimiser le pilo­tage des engins agricoles…

Avec l’INSERM, nous avons lan­cé un pro­gramme prio­ri­taire de recherche pour mieux com­prendre l’impact de l’alimentation sur le fonc­tion­ne­ment du micro­biote et la pré­ven­tion des mala­dies. Avec le CNRS, nous tra­vaillons sur un pro­gramme qui vise à faire émer­ger des solu­tions fon­dées sur la nature pour pro­té­ger la bio­di­ver­si­té dans les sec­teurs agri­cole, fores­tier et même urbains avec les col­lec­ti­vi­tés locales. En col­la­bo­ra­tion avec l’IFPEN, nous menons des recherches sur la pro­duc­tion de bio­fuels et de bio­mo­lé­cules issues des res­sources de la biomasse.

Avec INRAE Transfert, vous vous êtes dotés d’une filiale dédiée au transfert technologique et à la valorisation des recherches et des technologies innovantes au service des industriels. Qu’en est-il ? 

INRAE Trans­fert gère l’ensemble de nos par­te­na­riats socioé­co­no­miques. Dans le monde agri­cole, nous tra­vaillons ain­si avec de nom­breux par­te­naires (ins­ti­tuts tech­niques, chambres d’agriculture, coopé­ra­tives…) au ser­vice de 400 000 exploi­ta­tions agri­coles en France, mais aus­si avec le sec­teur des semences, de la trans­for­ma­tion des pro­duits agri­coles, de l’agroalimentaire, de dis­tri­bu­tion… Pour l’environnement, nous déve­lop­pons des coopé­ra­tions avec les acteurs du trai­te­ment de l’eau, de l’énergie, des déchets. Nous avons aus­si des par­te­na­riats avec les entre­prises des sec­teurs de la forêt et de l’alimentation. Cela repré­sente plus de 450 par­te­na­riats socioé­co­no­miques chaque année. Par exemple, avec Engie, nous venons de renou­ve­ler un accord-cadre sur la pro­duc­tion de bio­éner­gie à par­tir de la bio­masse agricole.

Nous sommes aus­si très atta­chés à nos rela­tions avec le tis­su entre­pre­neu­rial. INRAE contri­bue à créer des start-up et accom­pagne aus­si des start-up externes. Cela repré­sente près de 300 entre­prises inno­vantes opé­rant dans des domaines très variés : agtech, food­tech, clean­tech, bio­tech… En paral­lèle, nous déve­lop­pons des études et des recherches en asso­cia­tion avec des ONG envi­ron­ne­men­tales. Enfin, INRAE pilote 5 ins­ti­tuts Car­not qui couvrent nos dif­fé­rents domaines de recherche et de trans­fert : la pro­duc­tion agri­cole, la pro­duc­tion de bio­masse, l’élevage, l’agroalimentaire, l’eau et l’environnement.

Au travers de ses travaux de recherche, INRAE contribue aussi activement au développement de la souveraineté alimentaire et énergétique. Qu’en est-il ? 

L’alimentation est le défi prio­ri­taire de notre pla­nète avec 9 mil­liards de per­sonnes à nour­rir à l’horizon 2050 dans un contexte où le dérè­gle­ment cli­ma­tique pla­fonne les ren­de­ments agri­coles. L’enjeu est donc de nour­rir plus de monde, en décar­bo­nant l’agriculture, en rédui­sant l’utilisation des pro­duits phy­to­sa­ni­taires et des engrais, alors que les sur­faces agri­coles sont en ten­sion sous l’effet de la déser­ti­fi­ca­tion et de l’urbanisation selon les régions du monde.

Aujourd’hui, au niveau de chaque pays se pose la ques­tion de la sécu­ri­té et de la sou­ve­rai­ne­té ali­men­taires. INRAE est bien évi­dem­ment très concer­né par cet enjeu ; nous avons la convic­tion forte que cette sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire doit être durable, et soli­daire entre les grandes régions du monde. Cet objec­tif ne pour­ra pas être atteint en main­te­nant les sys­tèmes de pro­duc­tion agri­cole actuels, mais ils devront évo­luer pour faire face au défi cli­ma­tique et à la raré­fac­tion de la res­source en eau.

“L’alimentation est le défi prioritaire de notre planète avec 9 milliards de personnes à nourrir à l’horizon 2050 dans un contexte où le dérèglement climatique plafonne les rendements agricoles.”

Avec l’ensemble de nos par­te­naires, ins­ti­tuts tech­niques agri­coles, entre­prises, coopé­ra­tives, agri­cul­teurs, nous devons conce­voir aujourd’hui les sys­tèmes de pro­duc­tion agri­cole durables et pérennes des 10 à 20 pro­chaines années et accom­pa­gner la tran­si­tion agroé­co­lo­gique de nos exploi­ta­tions. En France, actuel­le­ment, nous consom­mons plus de fruits et de légumes que nous ne pro­dui­sons. Il en est de même pour les pro­téines végé­tales, dont le soja, qui sont uti­li­sées pour l’alimentation du bétail en France et en Europe et pour les­quelles nous sommes actuel­le­ment dépen­dants du Bré­sil et des États-Unis.

La recherche et l’innovation sont atten­dues pour aider à opti­mi­ser les pro­duc­tions agri­coles sur le ter­ri­toire fran­çais et euro­péen, dans le res­pect des ter­roirs et afin de déga­ger des reve­nus pour l’ensemble des pro­duc­teurs et répondre aux attentes des consom­ma­teurs. À cela s’ajoute l’enjeu de la sou­ve­rai­ne­té éner­gé­tique. Mal­gré l’accélération du déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables et l’apport du nucléaire, une contri­bu­tion de la bio­masse agri­cole et fores­tière est atten­due à l’horizon 2050 pour com­plé­ter le mix éner­gé­tique fran­çais. Il fau­dra atteindre cet objec­tif en veillant à ne pas fra­gi­li­ser la sécu­ri­té ali­men­taire et l’équilibre de nos forêts.

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