Solvay, site de La Rochelle. Vues de drone. Alexandre Dupeyron CAPA PICTURES pour Solvay.

« Le succès des transitions écologiques et industrielles ne pourra être que collectif »

Dossier : Vie des entreprises - Souveraineté industrielleMagazine N°799 Novembre 2024
Par Philippe KEHREN (X90)

Depuis près de 160 ans, Sol­vay est à l’avant-garde de la science et de la tech­no­lo­gie, jouant un rôle clé dans l’évolution du sec­teur de la chi­mie. Aujourd’hui, il s’agit de fran­chir un nou­veau cap en bâtis­sant une indus­trie chi­mique durable, décar­bo­née, locale et régio­nale, et sou­ve­raine. Phi­lippe Keh­ren (X90), CEO de Sol­vay, nous explique com­ment son entre­prise appré­hende et relève ces défis. 

À la tête de Solvay, quelles sont les grandes lignes de votre feuille de route dans un contexte industriel qui doit faire face à la transition énergétique, environnementale et la dynamique de renaissance industrielle ?

Sol­vay est un groupe qui a une grande his­toire de plus de 160 ans. En décembre der­nier, Sol­vay a fran­chi un nou­veau cap de son his­toire avec la créa­tion de deux enti­tés indé­pen­dantes cotées : SYENSQO, qui reprend les acti­vi­tés de chi­mie de spé­cia­li­té, et Sol­vay, qui se concentre sur son cœur de métier his­to­rique, la chi­mie essen­tielle. Concrè­te­ment, la chi­mie de spé­cia­li­té consiste à inven­ter de nou­velles molé­cules, alors que la chi­mie essen­tielle consiste, quant à elle, à pro­duire des molé­cules connues sur le mar­ché et qui sont uti­li­sées depuis des années, voire des siècles, comme le car­bo­nate de soude, qui est indis­pen­sable à la pro­duc­tion du verre, le pyroxyle d’hydrogène, qui est uti­li­sé comme dés­in­fec­tant dans la fabri­ca­tion du papier, la silice, qui entre dans la com­po­si­tion des pneus…

Dans le sec­teur de la chi­mie essen­tielle, l’enjeu pour Sol­vay est de conti­nuer à pro­duire ces molé­cules de manière com­pé­ti­tive et durable, tout en pré­ser­vant sa posi­tion his­to­rique de lea­der. Pour y par­ve­nir, Sol­vay mise avant tout sur l’innovation pro­cé­dé, ain­si que l’optimisation de ses pro­ces­sus et de ses infrastructures.

En matière de transition énergétique et environnementale, quels sont vos principaux enjeux ? 

Aujourd’hui, au cœur de nos pré­oc­cu­pa­tions, on retrouve la tran­si­tion éner­gé­tique et envi­ron­ne­men­tale. L’avenir de l’industrie dépend, en effet, de notre capa­ci­té à réduire nos consom­ma­tions d’énergie, de matières pre­mières et, in fine, notre empreinte car­bone et environnementale.

Pour rele­ver cet enjeu, nous explo­rons plu­sieurs pistes. Notre pre­mier objec­tif est d’accélérer notre tran­si­tion éner­gé­tique en sor­tant des com­bus­tibles solides et du char­bon qui sont for­te­ment émet­teurs de gaz à effet de serre.

Sol­vay s’est, d’ailleurs, enga­gé à sor­tir du char­bon à l’horizon de 2030 et de le rem­pla­cer par de nou­velles sources d’énergie pri­maires bas car­bone, com­pé­ti­tives et dis­po­nibles loca­le­ment. Début 2024, nous avions 5 sites fonc­tion­nant au char­bon. Aujourd’hui, notre site aux États-Unis n’en uti­lise plus. Ce sera le tour de nos sites en Alle­magne et en France en 2025. En Alle­magne, nous avons ain­si sub­sti­tué le char­bon par du bois déchet, qui est un bois en fin de vie. En France, sur notre site de Dom­basle, près de Nan­cy, nous allons uti­li­ser des CSR (com­bus­tibles solides de récu­pé­ra­tion) qui sont, en fait, des déchets recyclés.

« Solvay s’est, d’ailleurs, engagé à sortir du charbon à l’horizon de 2030 et de le remplacer par de nouvelles sources d’énergie primaires bas carbone, compétitives et disponibles localement. »

Dans ce cadre, nous col­la­bo­rons avec Veo­lia, dont un des métiers est la col­lecte et le recy­clage de bois, de car­ton, de métaux et de plas­tiques. La frac­tion de déchets qui n’est pas recy­clable est trans­for­mée en pel­lets des­ti­nés à ali­men­ter nos chau­dières. Ce cas d’usage est une illus­tra­tion concrète de cette ambi­tion d’avoir recours à des alter­na­tives bas car­bone, locales et com­pé­ti­tives en termes de coût. Res­te­ra ensuite à sor­tir du char­bon pour notre site en Espagne, où nous déve­lop­pons un pro­jet autour de la bio­masse, et notre site en Bul­ga­rie, où nous sommes face à un enjeu impor­tant, car nous n’avons pas for­cé­ment accès à des volumes suf­fi­sants d’énergie pri­maire et locale. Nous étu­dions donc toutes les options et n’excluons pas de nous doter de SMR (Small Modu­lar Reac­tor), de petits réac­teurs nucléaires modu­laires, pour la pro­duc­tion de vapeur et d’électricité pour le site.

Tou­jours à l’horizon 2030, nous visons une réduc­tion de 30 % d’émission de gaz à effet de serre sur le scope 1 et 2 et de 20 % sur le scope 3, ain­si qu’une réduc­tion de notre consom­ma­tion éner­gé­tique de l’ordre de 30 %. 

Quelles sont les pistes explorées pour adapter votre outil industriel et vos processus ?

Nous repen­sons et fai­sons évo­luer nos pro­cé­dés. Notre entre­prise a tou­jours eu un fort ADN d’innovation. En effet, il y a 160 ans, Sol­vay avait été créé par Ernest Sol­vay qui avait alors inven­té un nou­veau pro­cé­dé de syn­thèse du car­bo­nate de soude, qui, à l’époque, avait appor­té une alter­na­tive envi­ron­ne­men­tale et com­pé­ti­tive au pro­cé­dé Leblanc qui était res­pon­sable de pluies acides autour des sites de pro­duc­tion. Aujourd’hui, nous réin­ven­tons le pro­ces­sus d’Ernest Sol­vay pour avoir un nou­veau pro­ces­sus zéro car­bone (pro­cé­dé e.Solvay), qui consomme moins de res­source en éner­gie et en eau et qui émet moins de solides dans les effluents.

« Remplacer des fours à chaud par un procédé électrochimique. »

Dans cette démarche, il s’agit donc de ne plus uti­li­ser de com­bus­tibles solides comme l’anthracite, mais aus­si de rem­pla­cer des fours à chaud par un pro­cé­dé élec­tro­chi­mique. Nous avons un pilote indus­triel sur notre site de Dom­basle, près de Nan­cy. En 2025, nous devrions lan­cer la phase d’industrialisation de ce nou­veau pro­cé­dé, ce qui nous per­met­tra ensuite de conver­tir pro­gres­si­ve­ment l’ensemble de nos usines. Nous avons voca­tion à mener ce tra­vail sur l’ensemble de nos molé­cules et nos pro­ces­sus afin de réduire de manière glo­bale notre impact environnemental. 

En paral­lèle, nous avons lan­cé deux pro­grammes de moder­ni­sa­tion de notre outil indus­triel, Star Fac­to­ry et Star Ope­ra­tions, qui capi­ta­lisent sur les nou­velles tech­no­lo­gies, dont le digi­tal. En effet, la digi­ta­li­sa­tion des sites de pro­duc­tion est un puis­sant levier de moder­ni­sa­tion. Nous avons recours à l’IoT, aux cap­teurs et à la data pour pilo­ter de manière plus fine des consom­ma­tions, d’évaluer et de mesu­rer les impacts dans une logique d’optimisation, voire de réduc­tion. La digi­ta­li­sa­tion ouvre éga­le­ment de nou­velles pers­pec­tives en matière de main­te­nance cura­tive et pré­ven­tive, qui est un enjeu finan­cier et opé­ra­tion­nel pour Sol­vay. Grâce à ces pro­grammes, Sol­vay construit aujourd’hui son outil indus­triel et de pro­duc­tion du futur. 

En parallèle, nous entendons beaucoup que la renaissance industrielle est en marche. Quel regard portez-vous sur ce sujet ? 

Sol­vay est une entre­prise d’envergure inter­na­tio­nale avec des implan­ta­tions dans le monde entier. La pan­dé­mie, la guerre en Ukraine et les ten­sions géo­po­li­tiques, qui ont for­te­ment per­tur­bé les chaînes d’approvisionnement, nous poussent à repen­ser notre stra­té­gie. Dans ce contexte, notre enjeu est de main­te­nir notre pré­sence inter­na­tio­nale en fai­sant les arbi­trages les plus per­ti­nents à l’échelle locale afin de contri­buer à la tra­jec­toire glo­bale de décar­bo­na­tion de l’industrie.

Il est essen­tiel de conti­nuer à offrir à nos clients des cir­cuits d’approvisionnement locaux tout en conser­vant une por­tée mon­diale. Pour y par­ve­nir, comme évo­qué pré­cé­dem­ment, nous nous enga­geons à accé­lé­rer la tran­si­tion éner­gé­tique sur l’ensemble de nos sites.

En paral­lèle, nous explo­rons d’autres pistes. Sol­vay a un site à La Rochelle, en France, qui est le seul site en Europe à sépa­rer et puri­fier toutes les terres rares. Il pro­duit notam­ment des terres rares des­ti­nées à la cata­lyse auto­mo­bile, l’électronique et un cer­tain nombre d’applications médi­cales. Nous pour­rions donc envi­sa­ger de capi­ta­li­ser sur site pour pro­duire des aimants per­ma­nents qui sont un com­po­sant indis­pen­sable pour fabri­quer les moteurs de voi­tures élec­triques, les tur­bines des éoliennes… Nous aurions ain­si la pos­si­bi­li­té de déve­lop­per une filière hau­te­ment stra­té­gique en France et de garan­tir notre indé­pen­dance et notre sou­ve­rai­ne­té, alors que selon le Cri­ti­cal Raw Mate­rial Act publié par l’Union euro­péenne et qui liste les matières pre­mières cri­tiques, plus de 65 % de ces matières pro­viennent d’un seul et même pays. 

« Développer une filière hautement stratégique en France et de garantir notre indépendance et notre souveraineté. »

C’est une vision par­ta­gée par de nom­breux CEO de grandes entre­prises indus­trielles fran­çaises et euro­péennes. En février der­nier, avec une soixan­taine d’entre eux, nous nous sommes réunis à Anvers pour plai­der en faveur d’un Indus­trial Deal ins­pi­ré du Green Deal euro­péen auquel Sol­vay adhère tota­le­ment afin de s’inscrire dans une dyna­mique de re-déve­lop­pe­ment des acti­vi­tés stra­té­giques en Europe. 

En paral­lèle, la réus­site des tran­si­tions éco­lo­giques et indus­trielles ne pour­ra être qu’un effort col­lec­tif. Nous devons col­la­bo­rer étroi­te­ment avec nos clients et par­te­naires qui doivent par­ta­ger notre enga­ge­ment à pri­vi­lé­gier un appro­vi­sion­ne­ment local, régio­nal et bas car­bone. Cela consti­tue une condi­tion indis­pen­sable pour per­mettre aux indus­triels, tels que Sol­vay, d’investir dans des pro­jets indus­triels, notam­ment en Europe. Dans ce contexte, le sou­tien des auto­ri­tés natio­nales et euro­péennes est éga­le­ment cru­cial. Il y a un réel tra­vail à mener pour sim­pli­fier les démarches admi­nis­tra­tives, l’obtention des per­mis et des auto­ri­tés, tout en assu­rant un sou­tien finan­cier à ces initiatives. 

Pour relever l’ensemble de ces défis, le capital humain est clé, comment appréhendez-vous cette dimension ? 

C’est, en effet, le capi­tal humain qui fait toute la dif­fé­rence ! Depuis sa créa­tion, Sol­vay est un pion­nier en res­pon­sa­bi­li­té sociale et bien-être des col­la­bo­ra­teurs. Pour rele­ver l’ensemble de ces défis, Sol­vay a mis en place des pro­grammes visant à accom­pa­gner le déve­lop­pe­ment des com­pé­tences et des car­rières, en fonc­tion des aspi­ra­tions de chacun.

Aujourd’hui, pour mener l’ensemble des chan­tiers liés à la tran­si­tion éner­gé­tique et envi­ron­ne­men­tale, l’évolution de nos pro­ces­sus et pro­cé­dés indus­triels, nous avons besoin d’attirer de jeunes talents. Auprès de ce public, qui est par­ti­cu­liè­re­ment sen­sible aux ques­tions envi­ron­ne­men­tales et éco­lo­giques, nous devons gagner en visi­bi­li­té et démon­trer que l’industrie et l’écologie sont com­pa­tibles. Sol­vay pro­duit des molé­cules indis­pen­sables à notre éco­no­mie au quo­ti­dien et doit se trans­for­mer pour offrir une pro­po­si­tion de valeur plus res­pec­tueuse de l’environnement. Nos col­la­bo­ra­teurs sont au cœur de notre ambi­tion pour une chi­mie durable, et nous sommes convain­cus que notre suc­cès futur dépend de notre capa­ci­té à atti­rer, déve­lop­per et rete­nir des talents divers et enga­gés, y com­pris de nom­breux ingénieurs !

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