Décarbonation & réindustrialisation : Développer les standards industriels et environnementaux de demain
Dans la course à la décarbonation, l’industrie doit repenser ses modèles, ses processus, ses métiers et même ses infrastructures. Cette réalité entraîne une vague de réindustrialisation et la création de nouveaux sites plus vertueux sur le plan environnemental, circulaire et toujours plus digitalisés. Capgemini accompagne les industriels dans leurs réflexions et les aide à construire et mettre en œuvre ces nouveaux sites industriels qui allient performance industrielle et environnementale. Explications de Amira Elaraki, Vice-Présidente en charge des sujets Net Zéro industriels chez Capgemini Invent, et Manuel Chareyre, Vice-Président responsable monde des activités autour des Usines Intelligentes chez Capgemini Invent.
La décarbonation de l’industrie est de plus en plus appréhendée comme un vecteur de réindustrialisation. Pourquoi ?
On estime que 40 % des nouveaux projets industriels français visent à répondre aux enjeux de décarbonation. Le monde de l’acier doit, par exemple, repenser et réinventer ses processus de production pour fabriquer de l’acier bas carbone et se doter ainsi de nouvelles unités de production : réduction directe du fer, électrification des fours, capture carbone. Dans le secteur de l’automobile, pour décarboner, il faut des gigafactories qui produisent des batteries électriques, mais aussi des usines fabriquant des carburants synthétiques. En aval, il s’agit aussi de mettre en place des usines circulaires qui vont assurer la réparation et la remise en état de pièces en fin de vie pour les réutiliser, permettant de réduire l’impact carbone des véhicules. Dans le monde de l’aviation, le secteur se mobilise autour de la création d’usines pour produire du SAF, Sustainable Aviation Fuel, un carburant bas carbone.
Cette dynamique de réindustrialisation liée aux objectifs Net Zéro des industriels est une réalité internationale : les États-Unis, la Chine et l’Union Européenne investissent massivement dans ces « technologies climat ». En complément de la sobriété et de l’efficacité énergétique, ces nouvelles technologies ont vocation à contribuer à près de 55 % de la réduction des émissions CO2 en Europe d’après un récent rapport de Capgemini.
Quels sont les enjeux que posent ces nouveaux projets de réindustrialisation ?
La construction d’une nouvelle usine est, d’abord, un enjeu de vitesse. Au démarrage du projet, il y a bien évidemment des enjeux d’ordre administratif et réglementaire afin notamment d’obtenir les permis de construire, même si depuis quelques années, il y a une volonté de l’État de faciliter la mise à disposition des friches industrielles pour des projets de ce type. Une fois l’infrastructure construite, il faut alors mettre en place la ligne de production, l’outil industriel… L’enjeu durant cette phase d’installation et tests est d’éviter que des inefficacités entre les parties prenantes – industriel, ingénieriste, fabricant de machines, réseaux électriques et utilités… provoquent des délais.
Dans cette typologie de projets faisant appel à des technologies nouvelles, les entreprises font face à un enjeu humain et RH plus marqué. Il s’agit, en effet, de recruter des talents et des équipes sur un marché du travail où il y a non seulement des pénuries sur plusieurs métiers, mais aussi une véritable concurrence entre les entreprises. Il s’agit ensuite d’intégrer et de former ces personnes au bon moment et de s’assurer qu’elles disposent bien de tout le matériel nécessaire pour être opérationnelles.
« Aujourd’hui, ces nouveaux projets sont aussi une opportunité pour créer des usines aux meilleurs standards environnementaux afin d’inspirer les prochaines générations d’usines et de sites industriels. »
Dans la continuité du démarrage de l’activité, il faut également être en mesure d’anticiper la productivité et la performance industrielles, mais aussi la rentabilité du produit final. Cela demande de mettre en place des processus de design et de conception des produits et des lignes de production intégrés, mais aussi d’être en mesure de modéliser les flux au sein de l’usine (processus, approvisionnement, produit…) avant même le démarrage de l’usine.
Enfin, il y a aussi un enjeu de performance environnementale. L’usine doit être construite dans une logique d’efficacité énergétique, de réduction maximisée des déchets de production, de mise en place de boucle de circularité pour la gestion des déchets et de l’eau.
Aujourd’hui, ces nouveaux projets sont aussi une opportunité pour créer des usines aux meilleurs standards environnementaux afin d’inspirer les prochaines générations d’usines et de sites industriels.
Pouvez-vous nous donner des exemples de projets sur lesquels vous êtes intervenus pour accompagner les industriels sur l’ensemble de ces différentes dimensions ?
Avec un grand acteur de la batterie, nous intervenons sur plusieurs dimensions : la gestion de programme, la formation, les plans de compétences, la stratégie digitale et data, l’optimisation des modèles et processus de delivery… Nous travaillons aussi sur le déploiement d’une application pour optimiser la gestion de la production et de la qualité. L’objectif de cette démarche est de fluidifier les échanges au sein de l’usine afin de gagner en efficacité et en productivité.
Avec certains de nos clients, nous collaborons autour de la notion de blueprint afin de leur permettre de répliquer de manière efficace et facilement le modèle d’une usine dans d’autres zones géographiques. Dans ce cadre, notre rôle est d’assurer la réplicabilité et la scalabilité afin de mettre en place des sites de production similaires avec les mêmes performances.
Comment la technologie et le digital contribuent-ils à améliorer la performance ?
Le digital joue un rôle fondamental, quelle que soit la phase du projet industriel. En phase de design, les jumeaux numériques et la modélisation des processus et des lignes de production permettent d’anticiper les éventuels freins et obstacles qui pourraient impacter la construction ou le commissioning. Au niveau de la production, le digital est présent dans toutes les fonctions du site industriel avec des applications qui vont couvrir l’ensemble des dimensions : production, pilotage de la performance, qualité, maintenance, achats, finance… En parallèle, la data et l’IA sont de plus en plus utilisées dès le démarrage des projets pour améliorer la maîtrise du produit et du processus, faire du contrôle, de la supervision, de l’analyse d’images et de la détection de défauts ; automatiser les tests et la résolution de problèmes, et tant d’autres utilisations.
Comment peut-on minimiser les impacts environnementaux de ces projets ?
Dans cette démarche, il faut appréhender plusieurs facteurs environnementaux. Tout d’abord, le facteur énergétique qui est fortement lié à l’impact carbone. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de construire de nouvelles usines intégrant les meilleurs standards d’efficacité énergétique : optimisation des surfaces des bâtiments, isolation, choix de systèmes de génération et de consommation d’énergie efficients, autoproduction d’énergie verte, récupération de la chaleur sur site…
En parallèle, la performance environnementale passe aussi par la capacité à optimiser la gestion des déchets, mettre en place des filières de valorisation des déchets… Le digital et la data jouent là aussi un rôle fondamental : gérer les données du produit et du process dès les phases pilotes permet d’accélérer la compréhension du processus et donc son efficacité énergétique et matière. Enfin, il s’agit aussi de penser à l’environnement dès la conception du produit : design compact et léger, sourcing des matières premières bas carbone et recyclables, etc.
Pour accompagner ces projets de réindustrialisation, Capgemini s’associe à Siemens qui fournit des solutions clés de digitalisation du produit et du processus.
Pina Schlombs – Sustainability Lead at Siemens
Siemens est un leader technologique mondial, moteur de la transformation digitale et de l’innovation durable. Avec plus de 300 000 employés dans plus de 200 pays, nous sommes spécialisés dans l’automatisation, l’électrification et la numérisation. En 2023, Siemens a réalisé un chiffre d’affaires mondial de 78,5 Md€.
Siemens a récemment ouvert en Chine l’usine « Digital and Sustainable Native ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Notre usine de Nanjing illustre la synergie entre les technologies numériques avancées et les pratiques durables. « Digital and Sustainable Native » signifie que l’usine est conçue pour intégrer pleinement la digitalisation et la durabilité. Cela inclut l’utilisation de notre technologie de jumeau numérique, couvrant la conception, la production et la maintenance, et permettant de surveiller et d’optimiser les opérations en temps réel pour minimiser l’impact environnemental.
Comment cette intégration digitale se traduit-elle en avantages concrets ?
Les avantages sont considérables. Grâce à la surveillance en temps réel, nous avons augmenté notre productivité de 20 % en résolvant les problèmes avant qu’ils ne deviennent critiques, réduisant ainsi les temps d’arrêt. Les technologies de pointe telles que la fabrication additive, la robotique et les véhicules à guidage automatique améliorent la précision et l’efficacité, nous permettant de nous adapter rapidement aux demandes du marché.
En matière de durabilité, comment cette usine se démarque-t-elle ?
La durabilité est une pierre angulaire de notre usine de Nanjing. Nous avons réduit la consommation d’énergie de 30 % grâce à des systèmes à haut rendement énergétique et à l’utilisation d’énergies renouvelables. L’infrastructure intelligente, avec des appareils et capteurs IoT, optimise l’utilisation des ressources et permet une maintenance prédictive, réduisant les coûts opérationnels de 15 %. La conception modulaire et compacte de l’usine a amélioré l’efficacité de l’espace de 40 %. Nous avons réduit la consommation d’eau de 35 % grâce à des systèmes avancés de recyclage, et les émissions de CO2 ont diminué de 30 %.
Comment ces pratiques affectent-elles la main‑d’œuvre dans l’usine ?
La synergie entre les travailleurs et les machines de pointe est essentielle. Les robots collaboratifs (cobots) et les outils de réalité augmentée assistent notre main‑d’œuvre, améliorant productivité et sécurité. Cette intégration technologique permet aux travailleurs d’effectuer des tâches complexes avec plus de facilité et de précision, réduisant les taux d’erreur de 25 %.
Il s’agit aussi d’une configuration très flexible. Quels sont les avantages de cette flexibilité pour vos activités ?
La flexibilité est un atout majeur. La conception modulaire de l’usine nous permet d’ajuster les opérations et d’intégrer de nouvelles technologies au fur et à mesure. Cette adaptabilité est cruciale pour répondre aux conditions changeantes du marché et aux exigences de production, et elle nous permet de reconfigurer les lignes de production 50 % plus rapidement que les usines traditionnelles.
Globalement, qu’est-ce que cela signifie pour Siemens à l’échelle mondiale ?
L’usine de Nanjing établit une nouvelle norme, démontrant l’impact puissant de la combinaison de la digitalisation et de la durabilité.
Quelles sont les perspectives autour de ce sujet de la réindustrialisation ?
Aujourd’hui, il y a une dynamique évidente qui a vocation à s’intensifier sur le court et le moyen terme et qui est, en plus, créatrice de valeur et d’emplois. On peut notamment citer l’exemple de l’usine de Flins de Renault qui était en perte de vitesse et qui a été reconvertie en usine de démantèlement et de recyclage de véhicules, ce qui a permis de préserver les emplois et de reformer les salariés. Le lien entre la réindustrialisation et la décarbonation est porteur de sens et a vocation à offrir une large diversité de métiers et d’opportunités de carrière. Enfin, il est aussi à l’origine d’un nouveau pacte social et environnemental en France.
Charlotte Pierron-Perlès Managing Director Intelligent Industry – Capgemini Invent : « Plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre industrielles sont générées en dehors du périmètre direct des opérations des entreprises. À mesure que le calcul de l’impact environnemental s’améliore, l’enjeu est d’en tirer des actions concrètes, ciblées, et transformationnelles pour avoir un impact positif sur la réduction de l’empreinte carbone dans la durée. Après la mesure, le temps est à l’action. Ce n’est qu’en maîtrisant mieux la chaîne de valeur, depuis la sélection des fournisseurs jusqu’à l’usage et la gestion de la fin de vie des produits que les industriels pourront générer cet impact de manière pérenne. Cette dynamique contribue à un nouveau pacte où performance économique et responsabilité environnementale se conjuguent pour façonner une réindustrialisation durable et responsable. »