Transformer l’industrie cimentière au travers du prisme de la décarbonation

Transformer l’industrie cimentière au travers du prisme de la décarbonation

Dossier : Vie des entreprises - Décarbonation et économie circulaireMagazine N°799 Novembre 2024
Par Stéphane HERBIN
Par Damien MEYER

À l’instar de tous les sec­teurs indus­triels, l’industrie cimen­tière est enga­gée dans une pro­fonde trans­for­ma­tion pour aller plus loin et plus vite dans l’atteinte des objec­tifs de neu­tra­li­té car­bone. Sté­phane Her­bin, Direc­teur acti­vi­té Bâti­ment de Cim­bé­ton, au sein de France Ciment, et Damien Meyer, Direc­teur de la com­mu­ni­ca­tion de France Ciment, nous en disent plus sur cette démarche et les enjeux qui en découlent.

Qu’est-ce que France Ciment ?

France Ciment est une orga­ni­sa­tion pro­fes­sion­nelle qui repré­sente les cinq socié­tés pro­duc­trices de ciment en France : Hei­del­berg Mate­rials France, Ime­rys Alu­mi­nates SAS, Lafarge France (Membre du groupe Hol­cim), Eqiom (a CRH Com­pa­ny) et Vicat. Pré­sents sur tout le ter­ri­toire fran­çais grâce à un réseau de près de qua­rante sites indus­triels, ces entre­prises regrou­pées au sein de France Ciment emploient près de 4 500 per­sonnes. France Ciment accom­pagne ses adhé­rents dans l’ensemble des déci­sions qui peuvent être por­tées au titre de la pro­fes­sion vis-à-vis des pou­voirs publics et des médias.

Au cœur des enjeux de l’industrie cimentière, on retrouve aujourd’hui la question de la décarbonation. Quels sont les objectifs que l’industrie s’est fixée notamment dans le cadre de la feuille de route qui a été dévoilée il y a environ un an ?

La décar­bo­na­tion est une pré­oc­cu­pa­tion majeure de nos adhé­rents. En mai 2023, nous avons, en ce sens, publié notre nou­velle feuille de route qui fixe deux jalons. D’ici 2030, notre objec­tif est de réduire de 50 % les émis­sions de car­bone par rap­port à 2015. Puis d’ici 2050, notre ambi­tion sera d’atteindre la qua­si-neu­tra­li­té carbone.

Dans cette démarche, nous avons iden­ti­fié quatre leviers qui sont déployés et mis en œuvre par nos indus­triels dans leur cimen­te­rie. Le pre­mier levier est fon­dé sur l’amélioration de l’efficacité éner­gé­tique. Aujourd’hui, nos indus­triels inves­tissent mas­si­ve­ment dans leurs équi­pe­ments et outils indus­triels pour opti­mi­ser leur consom­ma­tion éner­gé­tique. Ils changent leurs fours, amé­liorent les pro­ces­sus de récu­pé­ra­tion d’énergie fatale, de précalcination…

Le deuxième levier consiste à uti­li­ser des sources de com­bus­tible moins car­bo­né. Les com­bus­tibles fos­siles sont rem­pla­cés par des déchets éner­gé­tiques, comme les CSR (com­bus­tibles solides de récu­pé­ra­tion). En 2023, les com­bus­tibles de sub­sti­tu­tion ont repré­sen­té 52 % des besoins en éner­gie ther­mique. Ce taux de sub­sti­tu­tion des com­bus­tibles fos­siles sera de 80 % en 2030. Cette démarche per­met de réuti­li­ser et de valo­ri­ser ces déchets non recy­clables géné­rés par le pro­ces­sus d’autres sec­teurs d’activité.

« Réduire durablement l’empreinte carbone de l’industrie cimentière. »

Le troi­sième levier est lié au clin­ker, le prin­cipe actif du ciment. Aujourd’hui, la manière la plus simple de réduire rapi­de­ment l’empreinte envi­ron­ne­men­tale des ciments est de dimi­nuer leur teneur en clin­ker, tout en conser­vant leur résis­tance méca­nique. Et pour ce faire, cer­taines com­bi­nai­sons se révèlent très per­ti­nentes. En com­plé­ment du clin­ker, il existe des maté­riaux qui, fine­ment broyés, peuvent par­ti­ci­per au déve­lop­pe­ment des résis­tances : d’autres com­po­sants, tels que le cal­caire, le lai­tier, les cendres volantes, les pouz­zo­lanes, les argiles cal­ci­nées… Les cimen­tiers déve­loppent de nou­velles for­mu­la­tions et com­po­si­tions des ciments à plus basse teneur en clinker.

Les trois leviers évo­qués pré­cé­dem­ment visent à réduire les émis­sions et concourent à hau­teur de ‑27 % (soit un peu plus de la moi­tié des
50 % annon­cés) d’ici 2030. Le qua­trième levier iden­ti­fié afin de réduire dura­ble­ment l’empreinte car­bone de l’industrie cimen­tière consiste à cap­ter le car­bone direc­te­ment à la sor­tie de la che­mi­née afin de le sto­cker dans des gise­ments géo­lo­giques pro­fonds ou bien pour le réuti­li­ser dans une logique de valo­ri­sa­tion pour pro­duire, par exemple, des car­bu­rants de syn­thèse ou des pro­duits chi­miques à haute valeur ajou­tée. Le CO2 ain­si cap­tu­ré ne s’accumule plus dans l’atmosphère et ne contri­bue plus à l’effet de serre res­pon­sable du dérè­gle­ment climatique.

Dans cette continuité, quelles sont les pistes explorées par l’industrie cimentière ?

L’industrie tra­vaille sur dif­fé­rents axes, comme la for­mu­la­tion de nou­veaux ciments avec un double enjeu : réduire l’empreinte car­bone sans impac­ter la per­for­mance. La for­mu­la­tion et la fabri­ca­tion de ces nou­veaux ciments ont, par ailleurs, été ren­dues pos­sibles par une évo­lu­tion du cadre nor­ma­tif. Dans ce cadre, nous voyons émer­ger de nou­velles com­po­si­tions et la mise sur le mar­ché des ciments ter­naires. Au-delà, ce tra­vail inno­vant ne concerne pas uni­que­ment le ciment, mais éga­le­ment le béton.

Dans cette démarche d’innovation, il y a, par ailleurs, un enjeu d’accompagnement de l’ensemble des par­ties pre­nantes, et plus par­ti­cu­liè­re­ment des acteurs du monde de la construc­tion, pour sai­sir les carac­té­ris­tiques des nou­veaux ciments. Au sein de France Ciment, nous esti­mons que l’évolution des pro­duits et cette tran­si­tion vers de nou­veaux modes de construc­tion vont s’opérer pro­gres­si­ve­ment. Dans ce cadre, à notre niveau, nous menons un impor­tant tra­vail de péda­go­gie et de sen­si­bi­li­sa­tion pour lever les freins en matière d’acceptation, de recon­nais­sance de la per­for­mance… afin que les acteurs de la construc­tion intègrent ces nou­veaux pro­duits et les mettent en œuvre sur le terrain.

« La décarbonation de notre industrie passe également par le dialogue et l’accompagnement progressif de toutes les parties prenantes, à tous les niveaux de la chaîne de valeur. »

En effet, la décar­bo­na­tion de notre indus­trie ne repose pas uni­que­ment sur l’évolution ou la trans­for­ma­tion d’un pro­cé­dé indus­triel, mais passe éga­le­ment par le dia­logue et l’accompagnement pro­gres­sif de toutes les par­ties pre­nantes, à tous les niveaux de la chaîne de valeur.

Au-delà de la décar­bo­na­tion, nous devons aus­si nous empa­rer des enjeux éco­lo­giques et envi­ron­ne­men­taux annexes : l’utilisation de l’eau, l’empreinte éner­gé­tique, les déchets… En effet, il ne s’agit pas de se concen­trer uni­que­ment sur la décar­bo­na­tion qui est aujourd’hui au cœur de toutes les pré­oc­cu­pa­tions, mais bien d’adopter une démarche glo­bale afin de ne pas mas­quer invo­lon­tai­re­ment des consé­quences qui pour­raient être pré­ju­di­ciables à terme.

Enfin, il s’agit aus­si d’arriver à conju­guer les enjeux éco­no­miques clas­siques de pilo­tage d’entreprise avec ces enjeux de tran­si­tion, ain­si que les poli­tiques régle­men­taires ou nor­ma­tives qui en découlent.

Pour relever ce défi, le capital humain est clé. Qu’en est-il ?

Notre indus­trie évo­lue et peut offrir de très beaux par­cours aux jeunes ingé­nieurs qui ont une appé­tence pour les sujets indus­triels et qui sou­haitent, en outre, contri­buer à la réus­site des tran­si­tions en cours. Aujourd’hui, il y a un réel dyna­misme dans notre indus­trie avec de nom­breux nou­veaux pro­jets à accom­pa­gner au ser­vice de la décar­bo­na­tion de l’industrie, comme le déve­lop­pe­ment des ins­tal­la­tions de cap­tage de car­bone, la modi­fi­ca­tion des fours, la for­mu­la­tion de nou­veaux ciments…

Sur ces sujets et enjeux, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?

La décar­bo­na­tion et la tran­si­tion éco­lo­gique ren­voient aus­si à la ques­tion de la dura­bi­li­té des ouvrages et de l’allongement de la durée de vie, notam­ment au tra­vers du recy­clage des bétons de décons­truc­tion qui per­mettent, par exemple, de pro­duire des gra­nu­lats qui sont ensuite réuti­li­sés pour fabri­quer de nou­veaux bétons.

Il est aus­si impor­tant de sou­li­gner que, au niveau inter­na­tio­nal, le ciment est, in fine, un des maté­riaux qui garan­tit les cir­cuits les plus courts avec les meilleures dis­tances entre le site de pro­duc­tion et les chan­tiers où il est mis en œuvre. C’est aus­si le prin­cipe de construc­tion le plus acces­sible dans le monde entier. En ce sens, le ciment a voca­tion à res­ter un maté­riau d’avenir afin d’assurer les besoins en construc­tion de la popu­la­tion à l’échelle mondiale.

Poster un commentaire