Décarbonation & Ciment : Focus sur Vicat
La consommation mondiale de ciment représente près de 4,5 milliards de tonnes par an, ce qui en fait le second produit le plus consommé après l’eau. La décarbonation du ciment pose donc un enjeu majeur afin de tenir les ambitions de neutralité carbone d’ici 2050. Vicat, entreprise familiale, dont le cœur de métier est le ciment se mobilise depuis déjà plusieurs années pour décarboner son activité et sa chaîne de valeur à une échelle territoriale. Explications d’Éric Bourdon, DGA de Vicat.
Quels sont les métiers et le positionnement de Vicat ?
Créée en 1853, Vicat est une entreprise sous contrôle familial. Pour la petite histoire, c’est Louis Vicat, ingénieur polytechnicien de la promotion 1804, qui a été à l’origine de l’invention du ciment artificiel ! Encore aujourd’hui, le ciment est notre cœur de métier. Vicat a également développé une activité dans le béton et les granulats. En France, nous allons également intervenir sur la production, le transport et le pompage de béton. Présent dans 12 pays avec près de 10 000 collaborateurs, Vicat a réalisé un chiffre d’affaires de près de 4 milliards d’euros en 2023.
Comment votre activité est-elle impactée par les transitions environnementales et écologiques ?
La production de ciment est fortement émettrice de CO₂. En cohérence avec le challenge de l’objectif de la neutralité carbone, Vicat travaille sur la réduction de son empreinte carbone afin d’atteindre le net zéro, mais également son empreinte environnementale dans une logique de préservation des ressources naturelles, de la biodiversité, de la ressource en eau et, de manière plus générale, de la qualité de l’air.
Plus particulièrement, une part importante de notre empreinte carbone est due au clinker, qui est l’ingrédient principal de la formulation du ciment. Ce principe actif concentre à lui seul la quasi-intégralité de notre empreinte carbone dont 1⁄3 à cause de la combustion des combustibles fossiles primaires tels que le gaz naturel, le fioul ou le charbon. D’ici 2030, l’objectif de Vicat est ainsi de dé-fossiliser complètement la combustion sur ses six sites en Europe, dont deux ont déjà remplacé à 100 % ces combustibles par des alternatives plus vertueuses.
Les 2⁄3 restants de l’empreinte carbone du clinker sont dus à la décarbonation du calcaire qui, quand nous le chauffons, produit de la chaux et du CO₂ sous forme gazeuse. Il s’agit d’un processus dit « hard to abate » ou très complexe à décarboner que nous devons appréhender, notamment via la capture du carbone, pour tendre vers le net zéro.
Dans ce cadre de la décarbonation, vous vous êtes doté d’une feuille de route. Que faut-il en retenir ?
Notre feuille de route fixe des jalons en 2030 et en 2050 en cohérence avec les ambitions nationales et européennes. D’ici 2050, nous visons donc la neutralité carbone sur notre chaîne de valeur de la construction. Pour ce faire, nous déployons de nombreuses actions. Nous développons la sobriété grâce à une solution d’impression 3D béton que nous avons déjà utilisée dans la construction de 6 maisons à Reims, dans le cadre du projet Viliaprint. Ce projet est la démonstration concrète qu’il est possible de construire des logements « classiques » en surface et en solidité en utilisant moitié moins de béton et en réduisant, par extension, l’empreinte carbone.
“Pour la petite histoire, c’est Louis Vicat, ingénieur polytechnicien, qui a été à l’origine de l’invention du ciment artificiel !”
En parallèle, nous menons aussi un important travail au niveau de la formulation des bétons de manière à réduire la quantité de ciment utilisée.
Pour réduire l’empreinte carbone du ciment, nous substituons notamment une partie du clinker par des matières faiblement carbonées. Dans ce cadre, nous développons la production d’argile activée dans notre usine de Xeuilley basée près de Nancy (projet ARGILOR). Pour ce faire, nous utilisons une technologie développée par l’École Polytechnique fédérale de Lausanne qui permet de réduire de 50 % la part du clinker en le substituant par de l’argile activée. En parallèle, nous commercialisons CARAT, un liant à base de biochar, qui a une teneur négative en carbone, et qui, par extension, permet de réduire le poids carbone du ciment et d’avoir, in fine, une formulation quasi-neutre en carbone du béton.
Pour pousser encore plus loin notre démarche de décarbonation, nous misons sur la capture de CO₂ et son usage, le CCU (Carbon Capture and Utilisation). Nous produisons des granulats à partir de poussières de four qui vont stocker le carbone via la capture de CO2 par minéralisation pour réintégrer le CO2 présent dans les fumées, avec notre partenaire Carbon8. Nous utilisons aussi notre CO₂ pour la production de microalgues avec le projet pilote Cimentalgue avec notre partenaire AST dans notre usine de Montalieu-Vercieu.
“Vicat appréhende ces transitions et ces enjeux comme une opportunité afin d’être plus agile et plus innovant, mais aussi afin de proposer des produits bas carbone, respectueux de l’environnement et toujours aussi performants.”
Nous envisageons aussi notre CO₂ pour produire du e‑méthanol. Dans ce cadre, nous étudions avec Hynamics, la filiale d’EDF spécialisée dans l’hydrogène, diverses pistes pour développer une filière locale. Nous réfléchissons aussi à la production de e‑kérosène toujours à partir du CO₂ que nous émettons. Ces approches nous permettent de maximiser l’utilisation des molécules et de valoriser le CO₂ dans une logique de réduction des déchets ultimes en interconnectant de manière intelligente des chaînes de valeur coexistentes.
Nous travaillons aussi le CCS (Carbon Capture and Storage) avec un important projet sur notre site de Montalieu-Vercieu, au nord de l’Isère, avec le projet VAIA, mais aussi en Californie, aux États-Unis avec le projet LNZ. Notre usine en Californie fait, d’ailleurs, partie des deux seules cimenteries qui ont été sélectionnées par le département d’État à l’Énergie, dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, afin de bénéficier d’une subvention à l’investissement jusqu’à 500M$, et d’un crédit d’impôt de 85$ par tonne séquestrée pendant 12 ans.
Pour relever ce défi de la décarbonation, vous privilégiez aussi une démarche partenariale. Dites-nous en plus.
Au niveau national, nous avons un partenariat avec SPSE, spécialiste du transport terrestre du CO₂ ainsi qu’avec ELENGY sur la liquéfaction du CO₂ et discutons avec Air Liquide autour de la capture du CO₂. Sur l’hydrogène, comme précédemment mentionné, nous avons un partenariat avec Hynamics. Vicat a aussi pris des participations dans l’entreprise Genvia qui a vocation à construire des électrolyseurs de l’eau à haute température, aux côtés du CEA, de Schlumberger, de VINCI ou encore de la région Occitanie.
En parallèle, nous avons noué des partenariats autour de ces enjeux avec l’intégralité de nos clients, ce qui nous permet d’avoir une vision globale de toute la chaîne de valeur. Enfin, nous avons aussi mis en place des partenariats autour de la préparation des déchets pour pouvoir ensuite les intégrer dans notre procédé et travaillons en ce sens avec Paprec, Derichebourg, ou encore Serfim.
Pour mener de front l’ensemble de ces projets et accélérer votre démarche de décarbonation, recrutez-vous ?
Le ciment est un secteur qui recoupe diverses disciplines et expertises scientifiques : la géologie, la mécanique lourde, la thermique, l’électrification, l’automatisme, et de plus en plus, la digitalisation.
Au-delà, nous recherchons des ingénieurs de talent qui souhaitent contribuer à leur niveau au développement de nouveaux standards industriels qui s’inscrivent dans les transitions majeures que nous vivons.
Nous recherchons aussi des personnes qui sont force de proposition et qui ont la capacité à se projeter dans le temps. Vicat est, en effet, positionnée sur un secteur d’activité très capitalistique avec des temps de retour relativement longs. Pour maintenir le cap, il est essentiel d’avoir une vision, des compétences, une capacité à travailler avec tout l’écosystème, mais aussi une réelle appétence pour le monde de l’industrie.
Au-delà de la dimension humaine, êtes-vous confrontés à d’autres enjeux ?
Nous avons besoin de mobiliser des investissements significatifs pour travailler sur l’ensemble des pistes et des projets qui doivent nous permettre d’atteindre la neutralité carbone. En parallèle, nous avons un enjeu réglementaire. La réglementation doit, en effet, suivre pour que notre activité reste viable sur le plan économique, mais aussi afin d’inciter le marché à privilégier les solutions décarbonées, qui aujourd’hui sont moins compétitives que leur pendant carboné. En parallèle, nous avons besoin de stabilité et de pérennité sur le plan réglementaire afin d’atteindre les objectifs fixés.
Il y a aussi tout un enjeu autour de la conduite du changement dans le secteur de la construction qui est un monde très conservateur où il est complexe de changer les habitudes, les façons de travailler et les procédés. Nous avons un enjeu d’accompagnement de nos clients et un travail de pédagogie à mener afin de les sensibiliser au fait que ces nouveaux produits bas carbone conservent les mêmes performances, caractéristiques et usages que les produits qu’ils remplacent.
Enfin, sur un plan plus opérationnel, Vicat opère essentiellement sur deux typologies de pays : des pays matures, notamment en Europe et en Amérique du Nord, où on note une faible progression des volumes et une très forte réglementation en faveur de la décarbonation, et des pays, qui connaissent un très fort développement, notamment démographique, et où il y a une très forte demande pour nos produits. Nous avons fait le choix de continuer à servir ces deux marchés en proposant des solutions décarbonées adaptées.
Et pour conclure ?
Vicat appréhende ces transitions et ces enjeux comme une opportunité afin d’être plus agile et plus innovant, mais aussi afin de proposer des produits bas carbone, respectueux de l’environnement et toujours aussi performants.