Décarbonation & Ciment : Focus sur Vicat

Dossier : Vie des entreprises - Décarbonation et économie circulaireMagazine N°799 Novembre 2024
Par Éric BOURDON

La consom­ma­tion mon­diale de ciment repré­sente près de 4,5 mil­liards de tonnes par an, ce qui en fait le second pro­duit le plus consom­mé après l’eau. La décar­bo­na­tion du ciment pose donc un enjeu majeur afin de tenir les ambi­tions de neu­tra­li­té car­bone d’ici 2050. Vicat, entre­prise fami­liale, dont le cœur de métier est le ciment se mobi­lise depuis déjà plu­sieurs années pour décar­bo­ner son acti­vi­té et sa chaîne de valeur à une échelle ter­ri­to­riale. Expli­ca­tions d’Éric Bour­don, DGA de Vicat.

Quels sont les métiers et le positionnement de Vicat ?

Créée en 1853, Vicat est une entre­prise sous contrôle fami­lial. Pour la petite his­toire, c’est Louis Vicat, ingé­nieur poly­tech­ni­cien de la pro­mo­tion 1804, qui a été à l’origine de l’invention du ciment arti­fi­ciel ! Encore aujourd’hui, le ciment est notre cœur de métier. Vicat a éga­le­ment déve­lop­pé une acti­vi­té dans le béton et les gra­nu­lats. En France, nous allons éga­le­ment inter­ve­nir sur la pro­duc­tion, le trans­port et le pom­page de béton. Pré­sent dans 12 pays avec près de 10 000 col­la­bo­ra­teurs, Vicat a réa­li­sé un chiffre d’affaires de près de 4 mil­liards d’euros en 2023.

Comment votre activité est-elle impactée par les transitions environnementales et écologiques ?

La pro­duc­tion de ciment est for­te­ment émet­trice de CO₂. En cohé­rence avec le chal­lenge de l’objectif de la neu­tra­li­té car­bone, Vicat tra­vaille sur la réduc­tion de son empreinte car­bone afin d’atteindre le net zéro, mais éga­le­ment son empreinte envi­ron­ne­men­tale dans une logique de pré­ser­va­tion des res­sources natu­relles, de la bio­di­ver­si­té, de la res­source en eau et, de manière plus géné­rale, de la qua­li­té de l’air.

Plus par­ti­cu­liè­re­ment, une part impor­tante de notre empreinte car­bone est due au clin­ker, qui est l’ingrédient prin­ci­pal de la for­mu­la­tion du ciment. Ce prin­cipe actif concentre à lui seul la qua­si-inté­gra­li­té de notre empreinte car­bone dont 13 à cause de la com­bus­tion des com­bus­tibles fos­siles pri­maires tels que le gaz natu­rel, le fioul ou le char­bon. D’ici 2030, l’objectif de Vicat est ain­si de dé-fos­si­li­ser com­plè­te­ment la com­bus­tion sur ses six sites en Europe, dont deux ont déjà rem­pla­cé à 100 % ces com­bus­tibles par des alter­na­tives plus vertueuses.

Les 23 res­tants de l’empreinte car­bone du clin­ker sont dus à la décar­bo­na­tion du cal­caire qui, quand nous le chauf­fons, pro­duit de la chaux et du CO₂ sous forme gazeuse. Il s’agit d’un pro­ces­sus dit « hard to abate » ou très com­plexe à décar­bo­ner que nous devons appré­hen­der, notam­ment via la cap­ture du car­bone, pour tendre vers le net zéro.

Dans ce cadre de la décarbonation, vous vous êtes doté d’une feuille de route. Que faut-il en retenir ? 

Notre feuille de route fixe des jalons en 2030 et en 2050 en cohé­rence avec les ambi­tions natio­nales et euro­péennes. D’ici 2050, nous visons donc la neu­tra­li­té car­bone sur notre chaîne de valeur de la construc­tion. Pour ce faire, nous déployons de nom­breuses actions. Nous déve­lop­pons la sobrié­té grâce à une solu­tion d’impression 3D béton que nous avons déjà uti­li­sée dans la construc­tion de 6 mai­sons à Reims, dans le cadre du pro­jet Vilia­print. Ce pro­jet est la démons­tra­tion concrète qu’il est pos­sible de construire des loge­ments « clas­siques » en sur­face et en soli­di­té en uti­li­sant moi­tié moins de béton et en rédui­sant, par exten­sion, l’empreinte car­bone.

“Pour la petite histoire, c’est Louis Vicat, ingénieur polytechnicien, qui a été à l’origine de l’invention du ciment artificiel !”

En paral­lèle, nous menons aus­si un impor­tant tra­vail au niveau de la for­mu­la­tion des bétons de manière à réduire la quan­ti­té de ciment utilisée.

Pour réduire l’empreinte car­bone du ciment, nous sub­sti­tuons notam­ment une par­tie du clin­ker par des matières fai­ble­ment car­bo­nées. Dans ce cadre, nous déve­lop­pons la pro­duc­tion d’argile acti­vée dans notre usine de Xeuilley basée près de Nan­cy (pro­jet ARGILOR). Pour ce faire, nous uti­li­sons une tech­no­lo­gie déve­lop­pée par l’École Poly­tech­nique fédé­rale de Lau­sanne qui per­met de réduire de 50 % la part du clin­ker en le sub­sti­tuant par de l’argile acti­vée. En paral­lèle, nous com­mer­cia­li­sons CARAT, un liant à base de bio­char, qui a une teneur néga­tive en car­bone, et qui, par exten­sion, per­met de réduire le poids car­bone du ciment et d’avoir, in fine, une for­mu­la­tion qua­si-neutre en car­bone du béton.

Pour pous­ser encore plus loin notre démarche de décar­bo­na­tion, nous misons sur la cap­ture de CO₂ et son usage, le CCU (Car­bon Cap­ture and Uti­li­sa­tion). Nous pro­dui­sons des gra­nu­lats à par­tir de pous­sières de four qui vont sto­cker le car­bone via la cap­ture de CO2 par miné­ra­li­sa­tion pour réin­té­grer le CO2 pré­sent dans les fumées, avec notre par­te­naire Carbon8. Nous uti­li­sons aus­si notre CO₂ pour la pro­duc­tion de microalgues avec le pro­jet pilote Cimen­talgue avec notre par­te­naire AST dans notre usine de Montalieu-Vercieu.

“Vicat appréhende ces transitions et ces enjeux comme une opportunité afin d’être plus agile et plus innovant, mais aussi afin de proposer des produits bas carbone, respectueux de l’environnement et toujours aussi performants.”

Nous envi­sa­geons aus­si notre CO₂ pour pro­duire du e‑méthanol. Dans ce cadre, nous étu­dions avec Hyna­mics, la filiale d’EDF spé­cia­li­sée dans l’hydrogène, diverses pistes pour déve­lop­per une filière locale. Nous réflé­chis­sons aus­si à la pro­duc­tion de e‑kérosène tou­jours à par­tir du CO₂ que nous émet­tons. Ces approches nous per­mettent de maxi­mi­ser l’utilisation des molé­cules et de valo­ri­ser le CO₂ dans une logique de réduc­tion des déchets ultimes en inter­con­nec­tant de manière intel­li­gente des chaînes de valeur coexistentes. 

Nous tra­vaillons aus­si le CCS (Car­bon Cap­ture and Sto­rage) avec un impor­tant pro­jet sur notre site de Mon­ta­lieu-Ver­cieu, au nord de l’Isère, avec le pro­jet VAIA, mais aus­si en Cali­for­nie, aux États-Unis avec le pro­jet LNZ. Notre usine en Cali­for­nie fait, d’ailleurs, par­tie des deux seules cimen­te­ries qui ont été sélec­tion­nées par le dépar­te­ment d’État à l’Énergie, dans le cadre de l’Inflation Reduc­tion Act, afin de béné­fi­cier d’une sub­ven­tion à l’investissement jusqu’à 500M$, et d’un cré­dit d’impôt de 85$ par tonne séques­trée pen­dant 12 ans.

Pour relever ce défi de la décarbonation, vous privilégiez aussi une démarche partenariale. Dites-nous en plus.

Au niveau natio­nal, nous avons un par­te­na­riat avec SPSE, spé­cia­liste du trans­port ter­restre du CO₂ ain­si qu’avec ELENGY sur la liqué­fac­tion du CO₂ et dis­cu­tons avec Air Liquide autour de la cap­ture du CO₂. Sur l’hydrogène, comme pré­cé­dem­ment men­tion­né, nous avons un par­te­na­riat avec Hyna­mics. Vicat a aus­si pris des par­ti­ci­pa­tions dans l’entreprise Gen­via qui a voca­tion à construire des élec­tro­ly­seurs de l’eau à haute tem­pé­ra­ture, aux côtés du CEA, de Schlum­ber­ger, de VINCI ou encore de la région Occitanie.

En paral­lèle, nous avons noué des par­te­na­riats autour de ces enjeux avec l’intégralité de nos clients, ce qui nous per­met d’avoir une vision glo­bale de toute la chaîne de valeur. Enfin, nous avons aus­si mis en place des par­te­na­riats autour de la pré­pa­ra­tion des déchets pour pou­voir ensuite les inté­grer dans notre pro­cé­dé et tra­vaillons en ce sens avec Paprec, Deri­che­bourg, ou encore Serfim.

Pour mener de front l’ensemble de ces projets et accélérer votre démarche de décarbonation, recrutez-vous ? 

Le ciment est un sec­teur qui recoupe diverses dis­ci­plines et exper­tises scien­ti­fiques : la géo­lo­gie, la méca­nique lourde, la ther­mique, l’électrification, l’automatisme, et de plus en plus, la digitalisation. 

Au-delà, nous recher­chons des ingé­nieurs de talent qui sou­haitent contri­buer à leur niveau au déve­lop­pe­ment de nou­veaux stan­dards indus­triels qui s’inscrivent dans les tran­si­tions majeures que nous vivons. 

Nous recher­chons aus­si des per­sonnes qui sont force de pro­po­si­tion et qui ont la capa­ci­té à se pro­je­ter dans le temps. Vicat est, en effet, posi­tion­née sur un sec­teur d’activité très capi­ta­lis­tique avec des temps de retour rela­ti­ve­ment longs. Pour main­te­nir le cap, il est essen­tiel d’avoir une vision, des com­pé­tences, une capa­ci­té à tra­vailler avec tout l’écosystème, mais aus­si une réelle appé­tence pour le monde de l’industrie.

Au-delà de la dimension humaine, êtes-vous confrontés à d’autres enjeux ? 

Nous avons besoin de mobi­li­ser des inves­tis­se­ments signi­fi­ca­tifs pour tra­vailler sur l’ensemble des pistes et des pro­jets qui doivent nous per­mettre d’atteindre la neu­tra­li­té car­bone. En paral­lèle, nous avons un enjeu régle­men­taire. La régle­men­ta­tion doit, en effet, suivre pour que notre acti­vi­té reste viable sur le plan éco­no­mique, mais aus­si afin d’inciter le mar­ché à pri­vi­lé­gier les solu­tions décar­bo­nées, qui aujourd’hui sont moins com­pé­ti­tives que leur pen­dant car­bo­né. En paral­lèle, nous avons besoin de sta­bi­li­té et de péren­ni­té sur le plan régle­men­taire afin d’atteindre les objec­tifs fixés. 

Il y a aus­si tout un enjeu autour de la conduite du chan­ge­ment dans le sec­teur de la construc­tion qui est un monde très conser­va­teur où il est com­plexe de chan­ger les habi­tudes, les façons de tra­vailler et les pro­cé­dés. Nous avons un enjeu d’accompagnement de nos clients et un tra­vail de péda­go­gie à mener afin de les sen­si­bi­li­ser au fait que ces nou­veaux pro­duits bas car­bone conservent les mêmes per­for­mances, carac­té­ris­tiques et usages que les pro­duits qu’ils remplacent. 

Enfin, sur un plan plus opé­ra­tion­nel, Vicat opère essen­tiel­le­ment sur deux typo­lo­gies de pays : des pays matures, notam­ment en Europe et en Amé­rique du Nord, où on note une faible pro­gres­sion des volumes et une très forte régle­men­ta­tion en faveur de la décar­bo­na­tion, et des pays, qui connaissent un très fort déve­lop­pe­ment, notam­ment démo­gra­phique, et où il y a une très forte demande pour nos pro­duits. Nous avons fait le choix de conti­nuer à ser­vir ces deux mar­chés en pro­po­sant des solu­tions décar­bo­nées adaptées. 

Et pour conclure ? 

Vicat appré­hende ces tran­si­tions et ces enjeux comme une oppor­tu­ni­té afin d’être plus agile et plus inno­vant, mais aus­si afin de pro­po­ser des pro­duits bas car­bone, res­pec­tueux de l’environnement et tou­jours aus­si per­for­mants. 

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