La chaleur, premier usage énergétique en France

Dossier : Vie des entreprises - Décarbonation et économie circulaireMagazine N°799 Novembre 2024
Par Antoine BEAUVOIS

Com­prendre les usages des éner­gies que nous consom­mons est une étape clé pour conduire la tran­si­tion éco­lo­gique et s’ouvrir à de nou­velles options d’approvisionnement locales. En France, c’est la cha­leur qui arrive en tête des usages avec près de 50 % des besoins, comme le pré­cise Antoine Beau­vois, délé­gué géné­ral adjoint des Nou­veaux Sys­tèmes Éner­gé­tiques, qui nous pré­sente dans cet article les enjeux autour de la pro­duc­tion de cha­leur renou­ve­lable et décarbonée.

Vous avez pour habitude d’aborder la question de l’énergie au regard des « usages énergétiques ». Pouvez-vous expliciter cette approche ?

Les éner­gies que nous ache­tons sont géné­ra­le­ment de l’électricité, du gaz, du bois ou des pro­duits pétro­liers. L’énergie que nous uti­li­sons se pré­sente sous des formes moins bien iden­ti­fiées comme la cha­leur, le mou­ve­ment, le froid ou l’éclairage ; on parle alors « d’usages énergétiques ».

Dans l’industrie, 70 % de la consom­ma­tion d’énergie sert à pro­duire de la cha­leur, prin­ci­pa­le­ment pour les fours de cuis­son, les séchoirs, la pro­duc­tion de vapeur, d’eau chaude ou d’air chaud. Dans le rési­den­tiel-ter­tiaire, c’est près de 60 % et dans l’agriculture, envi­ron 25 %. Au glo­bal, la cha­leur repré­sente donc près de 50 % des usages éner­gé­tiques en France, sui­vie par la force méca­nique des véhi­cules ou des moteurs indus­triels (35 %) et l’électricité spé­ci­fique dans le bâti­ment et l’industrie.

Cette repré­sen­ta­tion cen­trée sur les « usages » prend tout son sens dans une démarche de tran­si­tion éco­lo­gique où l’on cherche à inter­ro­ger ses consom­ma­tions pour consom­mer moins et mieux, décar­bo­ner et pen­ser des sys­tèmes s’intégrant dans des éco­sys­tèmes natu­rels. Elle est d’ailleurs la pre­mière étape pour l’analyse de cycle de vie et la concep­tion de solu­tions ren­trant dans une logique d’économie circulaire.

Quels sont les enjeux techniques principaux pour la chaleur renouvelable et décarbonée ?

La pro­duc­tion de cha­leur décar­bo­née n’est pas un défi tech­nique en soi. En revanche, la pro­duire au bon moment, en quan­ti­té suf­fi­sante, au bon coût, à la bonne puis­sance et à la bonne tem­pé­ra­ture l’est. Le sujet prin­ci­pal est donc celui de l’intégration des équi­pe­ments ther­miques décar­bo­nés dans les sys­tèmes éner­gé­tiques exis­tants ou de la créa­tion de nou­veaux sys­tèmes énergétiques.

Les réseaux de cha­leur per­mettent d’intégrer sur un ter­ri­toire des sources renou­ve­lables et de récu­pé­ra­tion : bio­masse, géo­ther­mie, solaire ther­mique ou cha­leur indus­trielle réuti­li­sée. Les éner­gies ther­miques forment une famille de solu­tions locales par excel­lence : là où l’électricité se stocke mal mais se trans­porte bien sur de longues dis­tances, la cha­leur se trans­porte moins bien sur de longues dis­tances mais se stocke bien dans la durée.

Les sources ther­miques renou­ve­lables et de récu­pé­ra­tion peuvent d’autre part être inté­grées direc­te­ment au niveau du point de consom­ma­tion. Dans un pro­cé­dé indus­triel ou un grand bâti­ment, cela implique sou­vent des briques de sto­ckage et de régu­la­tion de tem­pé­ra­ture dont l’intégration dans le sys­tème glo­bal requiert des com­pé­tences pous­sées en ingénierie.

70 % de la consommation d’énergie sert à produire de la chaleur dans l’industrie.”

Dans l’industrie, on dis­tin­gue­ra par exemple la cha­leur pro­duite de manière cen­tra­li­sée (vapeur, air chaud, eau chaude) par des uti­li­tés et celle pro­duite direc­te­ment dans les fours, via des brû­leurs ou des résis­tances électriques.

On a éga­le­ment l’habitude de dire que la cha­leur est une forme d’énergie « dégra­dée » : dans un four indus­triel, l’énergie réel­le­ment « utile » peut ne repré­sen­ter que 5 à 20 % de l’énergie totale consom­mée ; dans un loge­ment, même bien iso­lé, une por­tion impor­tante de la cha­leur pro­duite s’échappe par le toit, les murs et fenêtres ou finit éva­cuée par la ven­ti­la­tion. Dans les deux cas, on chauffe une enceinte com­plète alors que seule la cha­leur au contact du « corps » à réchauf­fer sera valorisée.

De manière géné­rale, les sys­tèmes ther­miques reposent sur l’abondance et le faible coût des éner­gies fos­siles avec une pro­duc­tion de cha­leur en excès par rap­port aux besoins. C’est vrai pour toutes formes d’énergie, mais par­ti­cu­liè­re­ment avec la cha­leur. C’est en tout cas un vrai sujet pour la cha­leur renou­ve­lable, dont le coût com­plet est lar­ge­ment domi­né par un inves­tis­se­ment dimen­sion­né par la puis­sance appe­lée, pour fina­le­ment un besoin moindre de cha­leur réel­le­ment « utile ».

Quels travaux menez-vous au sein des Nouveaux Systèmes Énergétiques sur la chaleur ?

La vision de fond que nous por­tons chez les Nou­veaux Sys­tèmes Éner­gé­tiques est que nous devons inté­grer la com­po­sante indus­trielle et de sécu­ri­sa­tion des chaînes de valeur dans la tran­si­tion éner­gé­tique. La tran­si­tion éner­gé­tique nous fait pas­ser, en France, d’une situa­tion de dépen­dance aux res­sources éner­gé­tiques impor­tées (pétrole, gaz fos­sile…) et de rela­tive maî­trise de la pro­duc­tion d’équipements (véhi­cules ther­miques, chau­dières, etc.) à une situa­tion de meilleure maî­trise des res­sources (éner­gie solaire, géo­ther­mie, bio­masse, cha­leur fatale, etc.) avec un risque de dépen­dance sur les équi­pe­ments (pompes à cha­leur, pan­neaux pho­to­vol­taïques, bat­te­ries, etc.) si nous ne nous posi­tion­nons pas acti­ve­ment sur le sujet.

Le rôle des Nou­veaux Sys­tèmes Éner­gé­tiques est jus­te­ment d’appuyer le déve­lop­pe­ment de l’industrie de la tran­si­tion éner­gé­tique et de la décar­bo­na­tion en France. Par exemple, nous voyons un inté­rêt par­ti­cu­lier à déve­lop­per les com­pé­tences de concep­tion et fabri­ca­tion d’échangeurs ther­miques. Bien qu’un échan­geur soit en appa­rence très « simple », sa concep­tion et sa fabri­ca­tion pour des hautes per­for­mances repré­sentent un réel savoir-faire qu’il convient de déve­lop­per et d’entretenir. Dans de nom­breuses appli­ca­tions, l’échangeur est typi­que­ment un exemple de com­po­sant à valeur ajou­tée limi­tée dans le coût com­plet du sys­tème – refroi­dis­se­ment des véhi­cules, l’électroménager domes­tique, l’aviation, les pro­cé­dés indus­triels et même dans nos smart­phones – mais qui reste un point névral­gique du système.

Vous parliez également de l’imbrication entre les systèmes énergétiques et hydriques ?

Dans un bâti­ment ou sur un site indus­triel, une chauf­fe­rie cen­tra­li­sée uti­li­se­ra le vec­teur eau pour trans­por­ter ses calo­ries. Au-delà de la consom­ma­tion pure, on remarque éga­le­ment que les per­for­mances hydriques et ther­miques sont étroi­te­ment liées au sein des systèmes.

Nous avons donc déci­dé de sou­te­nir les indus­triels dans leur pro­jet de per­for­mance éner­gé­tique et hydrique en déve­lop­pant à leur inten­tion une pla­te­forme de mise en rela­tion entre émet­teurs de besoins ou offreurs de solu­tions. Ce pro­gramme d’accompagnement s’intitule Je-decarbone.fr et il se déploie prio­ri­tai­re­ment à tra­vers une pla­te­forme numé­rique qui réper­to­rie à ce jour près de 1 000 solu­tions « made in Europe » et des ren­contres régio­nales qui per­mettent aux indus­triels d’identifier, sur leur ter­ri­toire, les acteurs de la tran­si­tion éner­gé­tique et hydrique prêts à les épau­ler. Ceux qui connaissent Je-decar­bone savent com­bien la cha­leur occupe une place cen­trale dans ce pro­gramme, aux côtés de l’efficacité énergétique. 

Poster un commentaire