Corsica Sole : l’entreprise qui rend l’énergie solaire pilotable et prédictible

Corsica Sole : l’entreprise qui rend l’énergie solaire pilotable et prédictible

Dossier : Vie des entreprises - Décarbonation et économie circulaireMagazine N°799 Novembre 2024
Par Matthias LÉVY (X03)
Par Michael COUDYSER (X98)

Entre­prise corse, fran­çaise et euro­péenne, Cor­si­ca Sole a déve­lop­pé des solu­tions de sto­ckage pour l’énergie solaire, trans­for­mant les défis des ter­ri­toires insu­laires en une force. Michael Cou­dy­ser (X98), direc­teur géné­ral fon­da­teur, et Mat­thias Lévy (X03), direc­teur géné­ral délé­gué aux accès réseaux et direc­teur tech­nique, reviennent sur l’aventure tech­no­lo­gique de Cor­si­ca Sole qui pro­pose des solu­tions dans toute l’Europe. Rencontre.

Quelle a été la genèse de Corsica Sole ? 

Michael Cou­dy­ser : En 2009, avec Paul Anto­niot­ti, un ami d’enfance, j’ai cofon­dé Cor­si­ca Sole. Cette aven­ture entre­pre­neu­riale avait pour but de déve­lop­per le solaire en Corse. Très vite, nous sommes deve­nus pion­niers du sto­ckage d’énergie ce qui nous a per­mis d’étendre notre acti­vi­té à l’Europe entière.

Cor­si­ca Sole emploie aujourd’hui 140 per­sonnes et a réa­li­sé en 2023 un CA de 45 mil­lions d’euros. Cor­si­ca Sole, c’est aus­si 120 MWc en pho­to­vol­taïque et 160 MWh de sto­ckage en exploi­ta­tion et 200 MWh en construction.

Ayant d’abord opéré dans un environnement insulaire, Corsica Sole a ensuite élargi son périmètre d’action. Comment cette spécificité impacte-t-elle votre positionnement et vos expertises, notamment en termes de stockage ?

M.C : Nous avons lan­cé l’activité en Corse, une île. Cette pre­mière expé­rience nous a per­mis de déve­lop­per une exper­tise que nous avons ensuite déployée sur le conti­nent. Aujourd’hui, les ter­ri­toires insu­laires repré­sentent un tiers de notre puis­sance ins­tal­lée. Les îles affichent un taux de péné­tra­tion d’énergies renou­ve­lables supé­rieur à 30 % depuis plus de dix ans, attei­gnant par­fois plus de 50 %, tan­dis que de nom­breux pays du conti­nent euro­péen n’atteindront ce niveau que dans 10 ans.

Parce qu’ils sont plus petits, les réseaux insu­laires agissent comme des pro­to­types pour les évo­lu­tions du pay­sage élec­trique. Cela demande des exper­tises, ain­si qu’une plus fine ges­tion de la part des ges­tion­naires de réseaux pour en assu­rer la stabilité.

Contrai­re­ment à la plaque conti­nen­tale, sur une île, il n’y a pas ces inter­con­nexions qui per­mettent de com­pen­ser les fluc­tua­tions. Pour pal­lier les défis des réseaux insu­laires, aus­si appe­lés zones non-inter­con­nec­tées, Cor­si­ca Sole a déve­lop­pé des com­pé­tences spé­ci­fiques dans la régu­la­tion des cen­trales solaires et le sto­ckage d’énergie.

« Nos solutions permettent donc de réduire progressivement la part des énergies fossiles tout en maintenant la stabilité du réseau. »

Pour ce faire, nous avons tra­vaillé en étroite col­la­bo­ra­tion avec les ges­tion­naires de réseau à qui nous four­nis­sons nos ser­vices. Nos sys­tèmes de sto­ckage par bat­te­rie lithium-ion per­mettent de four­nir des ser­vices de régu­la­tion, notam­ment sur la fré­quence, et de garan­tir une capa­ci­té dis­po­nible. Concrè­te­ment, Cor­si­sa Sole est en capa­ci­té de s’engager sur des puis­sances dis­po­nibles à tout ins­tant. Jusque-là, ces deux ser­vices étaient habi­tuel­le­ment four­nis par des éner­gies fos­siles. Nos solu­tions per­mettent donc de réduire pro­gres­si­ve­ment la part des éner­gies fos­siles tout en main­te­nant la sta­bi­li­té du réseau.

Mat­thias Lévy : Nous avons aus­si accor­dé une atten­tion par­ti­cu­lière à la fia­bi­li­té des ins­tal­la­tions afin que les ges­tion­naires de réseaux puissent avoir confiance dans nos tech­no­lo­gies, mais aus­si dans la filière solaire de manière glo­bale. Nous avons ain­si tra­vaillé ensemble pour aug­men­ter la capa­ci­té ins­tan­ta­née d’énergie inter­mit­tente auto­ri­sée dans les réseaux ce qui nous a per­mis de pas­ser de 30 à 35, puis plus de 50 % sans avoir à réa­li­ser de modi­fi­ca­tions majeures au niveau du réseau. L’objectif étant d’aller, bien évi­dem­ment, vers 100 % d’énergie renouvelable.

En parallèle, vous avez également développé votre propre logiciel de gestion d’énergie. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M.L : Ce logi­ciel déve­lop­pé en interne est un secret de fabri­ca­tion ! Cet Ener­gy Mana­ge­ment Sys­tem ou EMS est au cœur de la ges­tion stra­té­gique de l’énergie sto­ckée dans les bat­te­ries. Il per­met de super­vi­ser en temps réel la pro­duc­tion solaire et le sys­tème de sto­ckage, afin de pilo­ter la charge ou la décharge, puis l’injection dans le réseau. Il per­met notam­ment d’effectuer des déca­lages de pro­duc­tion en période de pointe afin de four­nir l’énergie au moment où elle est atten­due, ce qui contri­bue à garan­tir l’équilibre offre-demande, qui est, par ailleurs, une des res­pon­sa­bi­li­tés des ges­tion­naires de réseau.

En résu­mé, notre EMS opti­mise la pro­duc­tion solaire, garan­tit la sta­bi­li­té ins­tan­ta­née mal­gré le carac­tère inter­mit­tent du solaire, et fia­bi­lise l’intégration dans le réseau.

Mais ce n’est pas tout ! Notre EMS amé­liore la pré­dic­ti­bi­li­té de nos ins­tal­la­tions. Quo­ti­dien­ne­ment pour le len­de­main, nous sommes en mesure d’envoyer un plan­ning de pro­duc­tion pour cha­cune de nos cen­trales et de garan­tir son res­pect grâce à notre ges­tion de la capa­ci­té de sto­ckage adap­tée à la pro­duc­tion réelle des cen­trales solaires.

Pour ce faire, notre logi­ciel réa­lise chaque jour une très fine modé­li­sa­tion de la cen­trale solaire et du sys­tème de sto­ckage que nous cou­plons ensuite avec les pré­vi­sions météo­ro­lo­giques afin de pré­voir la pro­duc­tion à chaque ins­tant, mais aus­si de détec­ter et d’anticiper les défaillances d’équipements, les risques opé­ra­tion­nels au niveau du solaire, des bat­te­ries ou même du réseau…

Ce sys­tème de pré­vi­sion de la pro­duc­tion de la veille pour le len­de­main cou­plé à nos bat­te­ries de sto­ckage per­met aux ges­tion­naires de gagner en flexi­bi­li­té et de déli­vrer l’énergie néces­saire et atten­due à chaque minute sans impac­ter la sta­bi­li­té du réseau.

Cor­si­ca Sole met ain­si à dis­po­si­tion des ges­tion­naires de réseau les moyens de trans­for­mer l’énergie solaire inter­mit­tente en une puis­sance prévisible !

Vous êtes, par ailleurs, lauréat d’un prix de la BPI France pour votre nouveau projet autour de l’hydrogène. Dites-nous en plus. 

M.C : L’ambition pre­mière de Cor­si­ca Sole est de déployer le solaire à grande échelle. C’est une éner­gie, dont l’Humanité a tou­jours béné­fi­cié, et à laquelle nous sommes par­ti­cu­liè­re­ment atta­chés. Notre EMS résout le pro­blème de l’intermittence mais il reste le pro­blème de la sai­son­na­li­té : il y a moins d’énergie solaire en jan­vier qu’en août. Le futur enjeu sera donc de pou­voir sto­cker l’énergie solaire sur plu­sieurs mois. Une des pistes explo­rées consiste à sto­cker cette éner­gie sous forme d’hydrogène qui pour­ra ensuite être uti­li­sé tout au long de l’année : c’est l’objectif de notre prototype.

Le pro­jet est, par ailleurs, lau­réat du Concours i‑Nov de la BPI, sou­te­nu par le gou­ver­ne­ment dans le cadre de France 2030, qui recon­naît la dimen­sion tech­no­lo­gique, le côté inno­vant et l’excellence intel­lec­tuelle de notre démarche.

Avec ce pro­jet, Cor­si­ca Sole ne pro­duit pas seule­ment de l’hydrogène vert, mais pro­duit de l’hydrogène renou­ve­lable à par­tir de l’énergie solaire à un moment où il y a un sur­plus de pro­duc­tion. Une démarche ver­tueuse et à forte valeur ajou­tée pour les ter­ri­toires qui per­met non seule­ment de garan­tir de manière intel­li­gente une dis­po­ni­bi­li­té conti­nue de l’énergie, mais de réduire la consom­ma­tion d’énergie fossile.

Et où en est ce projet aujourd’hui ?

M.L : Nous avons lan­cé la construc­tion de notre démons­tra­teur qui devrait com­men­cer à pro­duire de l’hydrogène vert dès 2025, qui ser­vi­ra à appro­vi­sion­ner à Bas­tia un navire-école à pro­pul­sion à par­tir d’hydrogène.

Quels sont les défis du solaire en France ?

M.C. : Le pho­to­vol­taïque per­met de pro­duire l’énergie la moins chère du monde mais la France a pris du retard dans son déploie­ment notam­ment à cause de la com­pé­ti­tion pour le foncier.

La France a récem­ment fait le choix poli­tique d’exiger que les pro­duc­teurs conçoivent toutes leurs grandes cen­trales pho­to­vol­taïques en y fai­sant coha­bi­ter une acti­vi­té agri­cole, l’agrivoltaïsme. Cette nou­velle contrainte crée des temps de concep­tion plus long, des choix tech­niques plus coû­teux et une effi­ca­ci­té éner­gé­tique dimi­nuée. En deux ans, le prix du kWh pro­duit par du pho­to­vol­taïque en France a donc aug­men­té de plus de 30%, alors que chez nos voi­sins euro­péens il bais­sait de
10 %. Chez Cor­si­ca Sole, nous avons tou­jours fait de l’agrivoltaïsme et nous conti­nue­rons à en faire par­tout où cela est per­ti­nent. En revanche la géné­ra­li­sa­tion à tous les pro­jets nous interroge.

Et pour conclure ? 

M.C : L’énergie solaire en France a un fort poten­tiel et la France compte, à l’image de Cor­si­ca Sole, de nom­breux pro­duc­teurs indé­pen­dants dis­po­sant d’une forte exper­tise valo­ri­sée à l’export. La France ne doit pas s’enfermer dans des que­relles oppo­sant le nucléaire et les éner­gies renou­ve­lables, ou plus récem­ment le pho­to­vol­taïque et l’agriculture… au risque de rater le virage de l’énergie « pas chère ».

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