Corsica Sole : l’entreprise qui rend l’énergie solaire pilotable et prédictible
Entreprise corse, française et européenne, Corsica Sole a développé des solutions de stockage pour l’énergie solaire, transformant les défis des territoires insulaires en une force. Michael Coudyser (X98), directeur général fondateur, et Matthias Lévy (X03), directeur général délégué aux accès réseaux et directeur technique, reviennent sur l’aventure technologique de Corsica Sole qui propose des solutions dans toute l’Europe. Rencontre.
Quelle a été la genèse de Corsica Sole ?
Michael Coudyser : En 2009, avec Paul Antoniotti, un ami d’enfance, j’ai cofondé Corsica Sole. Cette aventure entrepreneuriale avait pour but de développer le solaire en Corse. Très vite, nous sommes devenus pionniers du stockage d’énergie ce qui nous a permis d’étendre notre activité à l’Europe entière.
Corsica Sole emploie aujourd’hui 140 personnes et a réalisé en 2023 un CA de 45 millions d’euros. Corsica Sole, c’est aussi 120 MWc en photovoltaïque et 160 MWh de stockage en exploitation et 200 MWh en construction.
Ayant d’abord opéré dans un environnement insulaire, Corsica Sole a ensuite élargi son périmètre d’action. Comment cette spécificité impacte-t-elle votre positionnement et vos expertises, notamment en termes de stockage ?
M.C : Nous avons lancé l’activité en Corse, une île. Cette première expérience nous a permis de développer une expertise que nous avons ensuite déployée sur le continent. Aujourd’hui, les territoires insulaires représentent un tiers de notre puissance installée. Les îles affichent un taux de pénétration d’énergies renouvelables supérieur à 30 % depuis plus de dix ans, atteignant parfois plus de 50 %, tandis que de nombreux pays du continent européen n’atteindront ce niveau que dans 10 ans.
Parce qu’ils sont plus petits, les réseaux insulaires agissent comme des prototypes pour les évolutions du paysage électrique. Cela demande des expertises, ainsi qu’une plus fine gestion de la part des gestionnaires de réseaux pour en assurer la stabilité.
Contrairement à la plaque continentale, sur une île, il n’y a pas ces interconnexions qui permettent de compenser les fluctuations. Pour pallier les défis des réseaux insulaires, aussi appelés zones non-interconnectées, Corsica Sole a développé des compétences spécifiques dans la régulation des centrales solaires et le stockage d’énergie.
« Nos solutions permettent donc de réduire progressivement la part des énergies fossiles tout en maintenant la stabilité du réseau. »
Pour ce faire, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les gestionnaires de réseau à qui nous fournissons nos services. Nos systèmes de stockage par batterie lithium-ion permettent de fournir des services de régulation, notamment sur la fréquence, et de garantir une capacité disponible. Concrètement, Corsisa Sole est en capacité de s’engager sur des puissances disponibles à tout instant. Jusque-là, ces deux services étaient habituellement fournis par des énergies fossiles. Nos solutions permettent donc de réduire progressivement la part des énergies fossiles tout en maintenant la stabilité du réseau.
Matthias Lévy : Nous avons aussi accordé une attention particulière à la fiabilité des installations afin que les gestionnaires de réseaux puissent avoir confiance dans nos technologies, mais aussi dans la filière solaire de manière globale. Nous avons ainsi travaillé ensemble pour augmenter la capacité instantanée d’énergie intermittente autorisée dans les réseaux ce qui nous a permis de passer de 30 à 35, puis plus de 50 % sans avoir à réaliser de modifications majeures au niveau du réseau. L’objectif étant d’aller, bien évidemment, vers 100 % d’énergie renouvelable.
En parallèle, vous avez également développé votre propre logiciel de gestion d’énergie. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M.L : Ce logiciel développé en interne est un secret de fabrication ! Cet Energy Management System ou EMS est au cœur de la gestion stratégique de l’énergie stockée dans les batteries. Il permet de superviser en temps réel la production solaire et le système de stockage, afin de piloter la charge ou la décharge, puis l’injection dans le réseau. Il permet notamment d’effectuer des décalages de production en période de pointe afin de fournir l’énergie au moment où elle est attendue, ce qui contribue à garantir l’équilibre offre-demande, qui est, par ailleurs, une des responsabilités des gestionnaires de réseau.
En résumé, notre EMS optimise la production solaire, garantit la stabilité instantanée malgré le caractère intermittent du solaire, et fiabilise l’intégration dans le réseau.
Mais ce n’est pas tout ! Notre EMS améliore la prédictibilité de nos installations. Quotidiennement pour le lendemain, nous sommes en mesure d’envoyer un planning de production pour chacune de nos centrales et de garantir son respect grâce à notre gestion de la capacité de stockage adaptée à la production réelle des centrales solaires.
Pour ce faire, notre logiciel réalise chaque jour une très fine modélisation de la centrale solaire et du système de stockage que nous couplons ensuite avec les prévisions météorologiques afin de prévoir la production à chaque instant, mais aussi de détecter et d’anticiper les défaillances d’équipements, les risques opérationnels au niveau du solaire, des batteries ou même du réseau…
Ce système de prévision de la production de la veille pour le lendemain couplé à nos batteries de stockage permet aux gestionnaires de gagner en flexibilité et de délivrer l’énergie nécessaire et attendue à chaque minute sans impacter la stabilité du réseau.
Corsica Sole met ainsi à disposition des gestionnaires de réseau les moyens de transformer l’énergie solaire intermittente en une puissance prévisible !
Vous êtes, par ailleurs, lauréat d’un prix de la BPI France pour votre nouveau projet autour de l’hydrogène. Dites-nous en plus.
M.C : L’ambition première de Corsica Sole est de déployer le solaire à grande échelle. C’est une énergie, dont l’Humanité a toujours bénéficié, et à laquelle nous sommes particulièrement attachés. Notre EMS résout le problème de l’intermittence mais il reste le problème de la saisonnalité : il y a moins d’énergie solaire en janvier qu’en août. Le futur enjeu sera donc de pouvoir stocker l’énergie solaire sur plusieurs mois. Une des pistes explorées consiste à stocker cette énergie sous forme d’hydrogène qui pourra ensuite être utilisé tout au long de l’année : c’est l’objectif de notre prototype.
Le projet est, par ailleurs, lauréat du Concours i‑Nov de la BPI, soutenu par le gouvernement dans le cadre de France 2030, qui reconnaît la dimension technologique, le côté innovant et l’excellence intellectuelle de notre démarche.
Avec ce projet, Corsica Sole ne produit pas seulement de l’hydrogène vert, mais produit de l’hydrogène renouvelable à partir de l’énergie solaire à un moment où il y a un surplus de production. Une démarche vertueuse et à forte valeur ajoutée pour les territoires qui permet non seulement de garantir de manière intelligente une disponibilité continue de l’énergie, mais de réduire la consommation d’énergie fossile.
Et où en est ce projet aujourd’hui ?
M.L : Nous avons lancé la construction de notre démonstrateur qui devrait commencer à produire de l’hydrogène vert dès 2025, qui servira à approvisionner à Bastia un navire-école à propulsion à partir d’hydrogène.
Quels sont les défis du solaire en France ?
M.C. : Le photovoltaïque permet de produire l’énergie la moins chère du monde mais la France a pris du retard dans son déploiement notamment à cause de la compétition pour le foncier.
La France a récemment fait le choix politique d’exiger que les producteurs conçoivent toutes leurs grandes centrales photovoltaïques en y faisant cohabiter une activité agricole, l’agrivoltaïsme. Cette nouvelle contrainte crée des temps de conception plus long, des choix techniques plus coûteux et une efficacité énergétique diminuée. En deux ans, le prix du kWh produit par du photovoltaïque en France a donc augmenté de plus de 30%, alors que chez nos voisins européens il baissait de
10 %. Chez Corsica Sole, nous avons toujours fait de l’agrivoltaïsme et nous continuerons à en faire partout où cela est pertinent. En revanche la généralisation à tous les projets nous interroge.
Et pour conclure ?
M.C : L’énergie solaire en France a un fort potentiel et la France compte, à l’image de Corsica Sole, de nombreux producteurs indépendants disposant d’une forte expertise valorisée à l’export. La France ne doit pas s’enfermer dans des querelles opposant le nucléaire et les énergies renouvelables, ou plus récemment le photovoltaïque et l’agriculture… au risque de rater le virage de l’énergie « pas chère ».