L’économie circulaire en France : des avancées et des enjeux qui persistent
Économie de la fonctionnalité, responsabilité élargie des producteurs (REP), recyclage, valorisation des déchets… sont autant de sujets au cœur du périmètre de l’action de l’Ademe en matière d’économie circulaire. Le point avec Roland Marion, directeur économie circulaire de l’Ademe.
Comment définissez-vous l’économie circulaire ?
L’Ademe travaille sur différentes thématiques de la transition écologique, dont la ville durable, la chaleur renouvelable, l’adaptation au changement climatique et l’économie circulaire. L’agence dispose de deux grands fonds, le Fonds Chaleur Renouvelable, qui accompagne le déploiement des réseaux de chaleur par exemple, ainsi que le Fonds économie circulaire, doté de 300 millions d’euros par an depuis plusieurs années et qui vise à accompagner des investissements en matière d’économie circulaire sur les territoires, du type recyclage, réemploi, mais aussi réalisation d’études pour mieux connaître les filières industrielles, anticiper leurs évolutions et être en mesure d’adapter les dispositifs et les actions.
Concrètement, l’économie circulaire renvoie à l’économie qui préserve les ressources naturelles. C’est aussi l’économie qui va faire tourner la matière de manière à minimiser l’épuisement des matières premières non renouvelables, voire renouvelables. À terme, l’économie circulaire nous permettra de garantir un maintien durable de l’activité économique sans une pression insoutenable sur les ressources naturelles.
“La feuille de route de l’Ademe a été reprise en grande partie dans la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire de 2020.”
Très souvent, l’économie circulaire est opposée à l’économie linéaire que l’on résume ainsi « exploiter, produire, consommer, jeter ». Dans le contexte actuel, il est de plus en plus évident que ce modèle est obsolète. Au-delà, il nourrit à tort l’idée que le recyclage nous permettra de rentrer dans un monde circulaire. Face au rythme de croissance économique et démographique du monde, tous les jours, nous avons besoin de toujours plus de matières premières que la veille. Même si nous arrivions à atteindre 100 % de recyclage (ce qui est aussi illusoire), nous ne couvririons pas l’intégralité de nos besoins.
D’ailleurs, au-delà du recyclage, au sein de l’Ademe, nous envisageons l’économie au travers de plusieurs piliers complémentaires : l’adaptation des modèles de production pour qu’ils soient plus circulaires et sobres ; l’accompagnement des habitudes de consommation pour qu’elles soient plus respectueuses d’un modèle circulaire ; la gestion des déchets (collecter, recycler et mieux valoriser les déchets).
En 2019, la France s’est d’ailleurs dotée d’une feuille de route économie circulaire. Pouvez-vous nous en dire ?
Cette feuille de route est le fruit d’un travail collaboratif qui a impliqué des entreprises, des associations, des professionnels des déchets, du recyclage… Cette feuille de route a donné lieu à un certain nombre de préconisations, dont une grande partie a été reprise dans la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) en 2020, qui fixe des objectifs extrêmement ambitieux sur la circularité avec des contraintes, mais aussi des opportunités. Au-delà, la loi fixe aussi une trajectoire et une vision autour desquelles se rassemblent aujourd’hui tous les acteurs de la chaîne de valeur, notamment les consommateurs, les producteurs, les gestionnaires de déchets, vers un objectif commun. Et en ce sens, c’est aussi là que réside la plus grande réussite de cette feuille de route.
Au-delà, un des leviers de l’économie circulaire consiste à abandonner notre vision linéaire de l’économie pour aller vers une économie de la fonctionnalité. Comment accompagnez-vous cette démarche au sein de l’Ademe ?
L’économie linéaire favorise une production de masse, ainsi qu’une durée de vie limitée des produits, voire une forme d’obsolescence.
Il s’agit aujourd’hui d’inventer et de proposer des modèles économiques alternatifs et plus sophistiqués autour de la notion de fonctionnalité qui établit une nouvelle relation entre l’offre et la demande basée sur une contractualisation autour des effets utiles ou bénéfiques, une offre qui va s’adapter aux besoins réels de l’utilisateur et d’une prise en compte des enjeux de développement durable.
Cette approche implique des transformations profondes des modes de production et de consommation : consommation sans propriété des biens, investissement stratégique dans les ressources immatérielles de l’entreprise (développement des compétences des salariés, management coopératif…), développement du réemploi et de la réparation des biens, revenus liés aux effets utiles, répartition équitable de la valeur entre les partenaires de l’offre, nouvelle gouvernance…
Enfin, l’économie de la fonctionnalité implique aussi un nouveau référentiel pour le développement durable des territoires et conduit à la mise en place d’écosystèmes coopératifs territorialisés associant des entreprises, des collectivités et des associations citoyennes.
« Il s’agit aujourd’hui d’inventer et de proposer des modèles économiques alternatifs et plus sophistiqués autour de la notion de fonctionnalité qui établit une nouvelle relation entre l’offre et la demande basée sur une contractualisation autour des effets utiles ou bénéfiques. »
L’Ademe a lancé plusieurs actions pour promouvoir cette économie de la fonctionnalité. Nous avons travaillé sur une vision prospective de ce nouveau modèle économique à l’horizon 2050, nous travaillons au développement de ce modèle notamment avec l’Institut européen de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (IE-EFC), nous accompagnons les entreprises afin qu’elles adoptent ce nouveau modèle de production et de consommation. En 2020, nous avons notamment lancé le programme de recherche-intervention pour le développement durable des territoires, Coop’ter (territoire de services et de coopérations), qui soutient le lancement de nouvelles dynamiques territoriales d’innovation inspirées de l’économie de la fonctionnalité.
Nous avons aussi créé un Club de l’économie de la fonctionnalité qui regroupe des entreprises engagées sur le sujet et avec qui nous travaillons pour identifier les axes prioritaires pour accélérer son développement. Nous avons déjà 6 grands groupes et de plus en plus d’entreprises qui nous sollicitent sur ce sujet.
Dans cette démarche de promotion de l’économie de fonctionnalité, il persiste néanmoins de nombreux freins. Elle reste complexe à mettre en place, même si elle est intrinsèquement vertueuse en termes d’éco-conception, de durée de vie, de relation entre le client et le fournisseur… Néanmoins, les modèles sur le segment B2B commencent à se mettre en place et à se structurer. Mais sur le segment B2C, la démarche reste plus complexe car les exigences des consommateurs, qui restent très attachés à la notion de propriété, dépassent cette notion de fonctionnalité.
Qu’en est-il des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) ? Comment fonctionnent-elles et comment s’inscrivent-elles dans le concept plus large de l’économie circulaire ?
Les filières à Responsabilité Élargie du Producteur (filières REP) sont des objets économiques particuliers qui vont dépendre du droit français ou européen. Elles ont été construites autour du principe selon lequel un producteur qui met un produit sur le marché sait que ce dernier a vocation à devenir un déchet. Selon le principe de « pollueur-payeur », il doit donc assumer aussi une part de responsabilité dans la gestion du déchet qui sera généré par le produit qu’il met sur le marché.
En France, la très grande majorité des produits et des biens de consommation du quotidien sont visés par une filière REP. Concrètement, cela veut dire que le prix d’achat inclut une « contribution » qui est collectée par un organisme agréé par l’État et qui a aussi la responsabilité de répondre à un cahier des charges de l’État pour la gestion du déchet. Ces éco-organismes sont aussi, désormais, responsables aussi de la circularité des produits mis sur le marché et à contribuer à structurer les filières de réemploi et de réparation (c’est-à-dire d’augmentation de la durée de vie), en plus du recyclage et de la valorisation des déchets.
Les premières filières remontent à 1992. Leur déploiement s’accélère avec la loi AGEC de 2020 qui prévoit la création de plusieurs nouvelles filières REP (articles de sport, bricolage, tabac, bâtiment…). Autrefois plutôt axées sur une logique de gestion de déchets, elles s’inscrivent dorénavant de plus en plus dans une logique de gestion de l’ensemble du cycle de vie des produits : l’éco-conception des produits, la prévention des déchets, l’allongement de la durée d’usage (le réemploi, la réutilisation, la réparation), et la gestion de fin de vie des produits.
En parallèle, la gestion et la valorisation des déchets restent un des leviers clés de l’économie circulaire. Comment appréhendez-vous ce volet au sein de l’ADEME ?
Face à la rareté croissante et l’épuisement des ressources, les tensions au niveau de l’approvisionnement énergétique et le changement climatique, la sortie du modèle classique « linéaire » de production et de consommation est une véritable urgence.
Dans ce cadre, l’État a confié à l’Ademe, au travers du Fonds Économie Circulaire, la mission de financer une partie de la politique des déchets et, in fine, d’économie circulaire sur le terrain. Nous menons ainsi plusieurs actions historiques renforcées depuis l’entrée en vigueur de la Loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 : aide à la connaissance, aide à la réalisation, aide au changement de comportement et aides aux programmes territoriaux afin de contribuer à l’atteinte des objectifs et ambitions de cette nouvelle politique déchets.
“L’État a confié à l’Ademe, au travers du Fonds Économie Circulaire, la mission de financer une partie de la politique des déchets et, in fine, d’économie circulaire sur le terrain.”
En parallèle, nous travaillons aussi sur le tri à la source des biodéchets, la prévention, le tri des déchets des activités économiques, la tarification incitative du service public déchets, le soutien au déploiement des plans régionaux de prévention et gestion des déchets…
De manière plus générale, nous ciblons aussi les entreprises pour les inciter à intégrer des matières recyclées, plutôt que des matières vierges, pour répondre à la nécessité d’une économie de la « seconde vie ».
Au-delà de la performance de l’ensemble de la chaîne de valeur, nous accordons une attention particulière au plastique. Nous sommes face à un enjeu de sourcing, de caractérisation et de tri afin d’optimiser leur recyclage dans les usines de recyclage mécanique et chimique.
Sur les déchets ménagers, 30 % environ sont des biodéchets, une matière vivante qui peut être valorisée par exemple via la méthanisation. Cela représente un volume de 8 à 10 millions de tonnes qui peuvent être valorisées en énergie.
Qu’en est-il des enjeux à ce niveau ?
Nous sommes face à un enjeu de prévention afin d’inciter toutes les parties prenantes à produire moins de déchets. Il s’agit aussi de recycler toujours plus et mieux ! Il y a notamment une réflexion à mener sur les REP, qui est modèle d’organisme de droit privé agréé par l’État et qui répond à une mission que l’on peut qualifier d’intérêt général, qui vient percuter le modèle historique qui s’appuie sur les collectivités qui ont historiquement la compétence relative au recyclage (et les financements liés à ces compétences, la fameuse TEOM, taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères).
En parallèle, il y a aussi un enjeu économique : la matière issue du recyclage et qui est mise sur le marché a un prix qui n’est pas assez compétitif par rapport à la matière première vierge, notamment celle qui est importée. Cela passe par des dispositifs opérés par l’Ademe ou d’autres organismes pour inciter à intégrer plus de matières recyclées dans les produits, par la modulation des écocontributions des filières à responsabilité élargie du producteur, enfin, à un dernier niveau, une réglementation européenne qui imposerait des taux minimums d’incorporation de matières recyclées dans la production, comme c’est déjà le cas pour certaines résines plastiques.
Et pour conclure ?
S’il est difficile de nous positionner parce que les références d’analyse diffèrent d’un pays à un autre, en Europe, la France fait partie des leaders et des pionniers en matière d’économie circulaire. L’écosystème français, qui s’est très tôt emparé du sujet, est très dynamique. Il est composé d’entreprises de toute taille, de start-ups et d’associations. Il est aussi très innovant et travaille sur des sujets à la pointe de la technologie comme, par exemple, la reconnaissance automatique de déchets…
À une échelle nationale, nous devons poursuivre nos efforts en la matière. Pour accompagner ce mouvement, nous travaillons à l’Ademe sur un indicateur de circularité pour identifier les leviers d’optimisation à actionner. Ce sera sans doute, dans les prochaines années, notre indicateur principal de gestion et de préservation des ressources.