Décarbonation industrielle : Oui, les alternatives durables et performantes au plastique vierge existent !
PME industrielle normande, Skytech transforme certains plastiques issus d’équipements en fin de vie, en résines régénérées premium et accompagne les industriels dans leur décarbonation. Frédéric Delaval, directeur général de Skytech, nous en dit plus.
Présentez-nous Skytech.
Skytech est une PME industrielle normande, spécialisée dans la transformation des plastiques ABS (acrylonitrile butadiène styrène), PS (polystyrène) et PP (polypropylène). Ils proviennent d’une première phase de recyclage et sont transformés en résines régénérées premium, directement réemployables par nos clients industriels et plasturgistes.
Nous récupérons donc des gisements de matières plastiques recyclées ABS, PS, PP auprès d’entreprises spécialisées, les prétraitons (nettoyage, broyage, élimination des impuretés), puis les séparons en flux homogènes grâce à notre procédé breveté TRIBLAST, qui nous permet d’atteindre des taux de pureté de l’ordre de 99 %. Enfin, nous procédons à la formulation et à la granulation de ces plastiques pour répondre aux cahiers des charges de nos clients et les réincorporer dans leur processus de fabrication. Le bénéfice est considérable en termes d’émissions carbone, puisqu’une tonne de résines régénérées par Skytech représente une économie de 2,695 tonnes d’équivalent CO2, soit 5,5 fois moins d’émissions d’équivalent CO2 qu’une résine vierge issue du pétrole. Nous accompagnons ainsi nos clients industriels et plasturgistes dans leur décarbonation.
Notre siège et principale usine de production est située au Val d’Hazey dans l’Eure et nous employons plus d’une cinquantaine de personnes. Notre usine a une capacité de production maximale annuelle de plus de 40 000 tonnes de résines régénérées. Actuellement, nous sommes en phase de montée en régime de notre outil industriel et produisons entre 8 000 et 10 000 tonnes de résines plastiques, principalement livrées en Europe. Nous exportons aussi une partie de notre production notamment vers la Malaisie, plusieurs pays d’Amérique du Sud. Nous nous développons en Inde et certaines de nos résines commencent à être testées en Turquie.
Au cœur de votre modèle, on retrouve donc la notion d’économie circulaire. Qu’en est-il ?
Skytech est un maillon essentiel de la chaîne de l’économie circulaire. Suite au démantèlement des produits en fin de vie, la matière plastique récupérée est généralement constituée d’un mélange de polymères et ne peut pas être directement réutilisée en tant que matière première. Notre métier consiste à extraire de cette matière plastique hétérogène des flux homogènes d’ABS, PS, PP pour les transformer en résines premium, substituables aux résines vierges, et réinjectables dans le cycle industriel de production de nouveaux biens de consommation. Nous rendons la boucle de l’éco-circularité opérationnelle pour de nombreux industriels en quête d’alternatives pour se décarboner et réduire leur impact environnemental.
Comment accompagnez-vous le développement des matières plastiques régénérées ?
Au démarrage de notre activité, nous produisions uniquement des résines standards destinées au plus grand nombre. Progressivement, nous avons commencé à développer des formules plus élaborées pour répondre à des spécifications techniques extrêmement précises : résistance au choc, tenue en température, qualité d’extrusion…
Notre positionnement dual nous permet de répondre à des demandes de matière standard et de matière bien plus complexe. Nous avons beaucoup investi en R&D et déposé plusieurs brevets sur le volet formulation. Enfin, l’idée est aussi de co-construire avec nos clients le produit « parfait » en fonction de leurs besoins. Cela nous permet de créer des liens forts avec nos clients industriels et de contribuer à la réindustrialisation de la France et de notre belle région normande.
Revenons plus particulièrement sur la place de l’innovation et de la R&D…
Elle est au cœur de notre projet depuis toujours. Notre savoir-faire en matière de séparation des plastiques a nécessité 8 années de R&D et est protégé depuis 2019 par 4 brevets. Pour aller plus loin, nous avons mobilisé des ingénieurs, des chimistes, des experts en injection et des scientifiques afin de monter en gamme sur le volet formulation et proposer des produits parfaitement adaptés aux besoins et cahiers des charges de nos clients. Le résultat est là : en 2023, nous avons déposé 5 nouveaux brevets sur la formulation.
L’innovation et la R&D constituent un levier fondamental de notre différenciation, car ils nous permettent d’atteindre des niveaux de qualité équivalents, voire parfois supérieurs aux résines vierges, sans même parler du bilan carbone ! C’est aussi un gage de confiance, de crédibilité et une garantie pour nos clients qui peuvent être au départ circonspects à l’idée des changer leurs habitudes.
Durant cette phase de R&D, nous avons bénéficié du soutien constant de notre principal actionnaire Xerys Invest, de partenaires académiques et institutionnels comme l’Ademe, Bpifrance, le CNRS, l’École Normale Supérieure de Paris-Saclay, la région Normandie ou encore l’Université de Poitiers. Nous maintenons nos efforts pour développer de nouveaux produits et de nouvelles caractéristiques, couvrir de nouvelles applications, et répondre aux attentes du marché.
Pour accélérer la transition vers ces matières régénérées, l’accompagnement des industriels est aussi un enjeu. Comment contribuez-vous à lever ce frein ?
Je passe plus des deux tiers de mon temps à la rencontre de mes interlocuteurs pour présenter, expliquer, vulgariser et convaincre qu’il existe des solutions viables et performantes pour se passer des résines vierges issues du pétrole. Si l’accueil est généralement très positif, je suis aussi conscient que c’est une démarche de longue haleine ! Mais, c’est à ce prix que nous parviendrons à décarboner progressivement l’industrie.
Les personnes qui viennent visiter notre usine sont surprises de découvrir que nous sommes une industrie comme les autres avec des processus très rigoureux, basés sur les principes de lean manufacturing et d’excellence industrielle. Nous nous positionnons le plus en amont pour que nos produits puissent être testés au même titre que les autres et démontrer ainsi toutes leurs qualités.
Quels sont vos enjeux actuels ?
Nous vivons une période complexe sur le plan macroéconomique. D’autre part, le marché pour nos produits est mondial, et nous faisons notamment face à un cours du pétrole au plus bas depuis trois ans, qui impacte le prix des résines vierges.
Même si les actions en faveur de la transition écologique font actuellement face à des obstacles, l’industrie doit combler son retard en matière d’émissions. Les industriels qui auront anticipé une réglementation CO2 à venir, seront sans doute les mieux placés dans la compétition internationale. Il est essentiel de renouer avec une vision à long terme et de faire les meilleurs choix pour un développement durable. Fort heureusement, de nombreux acteurs économiques maintiennent ou renforcent leurs ambitions en matière de décarbonation.
Nous devons de notre côté valoriser nos avantages compétitifs : nous proposons des résines de très bonne qualité, voire meilleures que les résines vierges, et sommes alignés sur les mêmes prix et voire parfois moins chers. Mais surtout, à qualité et prix égaux, nous avons un bilan CO₂ extrêmement favorable !
Comment vous projetez-vous sur le marché ?
Notre ambition est de devenir un leader européen sur le moyen et long terme en capitalisant sur nos forces : l’innovation, la qualité, le prix et la décarbonation. Nous travaillons à l’élargissement de nos portefeuilles produits et clients et sommes présents sur de nouveaux marchés.
Nous restons particulièrement attentifs aux évolutions réglementaires qui jouent un rôle essentiel dans la décision des entreprises d’opter pour tel ou tel produit. Enfin, nous sommes persuadés que nous sommes dans le sens de l’histoire et que nous avons un très bel avenir devant nous !