Cinéma novembre 2024

Quand vient l’automne / L’Histoire de Souleymane / All we imagine as light / Tatami / Les graines du figuier sauvage

Dossier : Quand vient l’automne / L’Histoire de Souleymane / All we imagine as light / Tatami / Les graines du figuier sauvageMagazine N°Quand vient l’automne / L’Histoire de Souleymane / All we imagine as light / Tatami / Les graines du figuier sauvage
Par Christian JEANBRAU (63)

Huit can­di­dats ce mois-ci. Écar­ter le Mega­lo­po­lis de Fran­cis F. Cop­po­la, bour­sou­flure affli­geante, était un devoir. Si l’on aime Agnès Jaoui jusqu’à l’indigestion, on pour­ra s’accorder Ma vie, ma gueule de Sophie Fillières. Si le côté potache de Julie Del­py ne déplaît pas, Les Bar­bares pour­ront consti­tuer un diver­tis­se­ment non dépour­vu de quelques leçons utiles. Et puis on a sau­vé ci-après (de jus­tesse) Fran­çois Ozon pour l’adjoindre à quatre bons films.

Quand vient l’automne

Réa­li­sa­teur : Fran­çois Ozon – 1 h 42

Pas embal­lant mais pas indigne. En fait, c’est l’intrigue poli­cière sous-jacente qui retient pro­gres­si­ve­ment l’intérêt. Les mises en place sont assez ennuyeuses, avant qu’on ne soit accro­ché par la ques­tion de la mon­tée puis du dévoi­le­ment (ou pas) du fil poli­cier. La dimen­sion psy­cho­lo­gique, pré­sente, n’est pas très convain­cante, les « vedettes » (Hélène Vincent et Josiane Balas­ko) font le job, sans atta­cher. Pierre Lot­tin dans son rôle habi­tuel d’énervé (plus rete­nu, ici) est très bien. Très bien aus­si, Sophie Guille­min en enquê­trice. La trame scé­na­ris­tique capte l’attention mais l’ensemble, s’il fonc­tionne, est un peu juste.


L’Histoire de Souleymane

Réa­li­sa­teur : Boris Loj­kine – 1 h 33

Un docu-fic­tion for­mi-dable. Atta­chant et mer­veilleux Sou­ley­mane (émou­vant Abou San­gare). Sans doute, l’accumulation « d’emmerdes » sur un type qui incarne tant de qua­li­tés humaines frôle le too much, mais ce par­cours de migrant sans papiers éclaire bien, sous toutes leurs tristes facettes et sans doute avec d’autant plus de force que le trait, lucide et acé­ré, ne va pas jusqu’au cari­ca­tu­ral, les dif­fi­cul­tés addi­tion­nées d’une inser­tion pour laquelle, à la fin du film, on croise les doigts tant est grande la sym­pa­thie qu’a su nous ins­pi­rer le requé­rant. Avec le sen­ti­ment que le pays s’enrichirait de ce citoyen sup­plé­men­taire. Un plai­doyer, en somme, pour plus d’humanité. Avec des torts assez judi­cieu­se­ment par­ta­gés. Indis­cu­ta­ble­ment à voir.


All we imagine as light

Réa­li­sa­trice : Payal Kapa­dia – 1 h 58

Lent, atten­tif, d’un cer­tain fata­lisme apai­sé qui n’a pas tota­le­ment renon­cé à cher­cher des issues mais accepte sans démons­tra­tion les blo­cages. Faut-il dans l’« ima­gine » du titre lire un espoir ou une illu­sion ? L’ennui côtoie l’intérêt éton­né devant ces femmes qui che­minent si dif­fi­ci­le­ment, par­fois si tris­te­ment, toutes digne­ment, le long de des­tins empê­chés, jamais pleins, mal­gré tout accep­tés dans leurs bon­heurs seule­ment esquis­sés. Des vies qui se vivent mais qu’on n’envie pas. Tous les acteurs sont dans la rete­nue, et bons.


Tatami

Réa­li­sa­teurs : Zar Amir Ebra­hi­mi, Guy Nat­tiv – 1 h 43

Impres­sion­nant. L’austérité du noir et blanc inten­si­fie la ten­sion constante. Une com­pé­ti­tion de judo per­ver­tie par les exi­gences du régime théo­cra­tique ira­nien. La résis­tance obs­ti­née d’une cham­pionne. Un cas­ting entiè­re­ment fémi­nin et des actrices for­mi­dables. On suit avec fas­ci­na­tion le déve­lop­pe­ment iné­luc­table d’un conflit où l’ambition per­son­nelle – et à sa façon patrio­tique – se heurte aux aber­ra­tions idéo­lo­giques d’un pou­voir oppres­seur, absurde et mons­trueux. C’est éclai­rant et magni­fique d’humanité et de rigueur. Une leçon d’indocilité cou­ra­geuse et impec­cable. Avec les ter­ribles limites de la révolte individuelle.


Les graines du figuier sauvage

Réa­li­sa­teur : Moham­mad Rasou­lof – 2 h 46

Pen­dant deux heures, on regarde un film inten­sé-ment poli­tique et for­mi­da­ble­ment réus­si sur l’accablante situa­tion faite au peuple ira­nien par sa théo­cra­tie. On en prend conscience à tra­vers le por­trait équi­li­bré, sub­til, de la dété­rio­ra­tion pro­gres­sive d’une famille. Le père est un fonc­tion­naire zélé du régime qui voit son aveu­gle­ment ébran­lé tan­dis que les deux filles, res­pec­tu-euses mais tra­ver­sées par le besoin de liber­té de la jeu­nesse, peinent à res­ter sous le joug des pou­voirs (poli­tique, fami­lial) et ouvrent les yeux. Au milieu, déchi­rée, la mère tente l’équilibre. Oui, deux heures de réus­site com­plète qui rendent indis­pen­sable ce film. Mais il y a un mais. Le choix de faire bas­cu­ler le récit pour les der­nières 30 ou 40 minutes dans le thril­ler intra­fa­mi­lial exa­cer­bé déna­ture sou­dain le pro­pos ini­tial, et la juste dénon­cia­tion d’un régime mons­trueux s’efface der­rière la para­noïa dans laquelle sombre le père de famille, pour ne plus nous livrer que le spec­tacle d’un homme à bout sou­met­tant femme et enfants à sa folie, jusqu’à sa propre perte. Il y a là un déra­page qui n’enlève rien à la puis­sante démons­tra­tion des deux pre­mières heures mais qui, en fai­sant sor­tir le film de ses rails, en égare mal­gré tout la fin. Acteurs formidables. 

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