« Il faut avant tout donner du sens aux données ! » Jean-Bernard Mateu (X83), cofondateur de Kwadaï
En 2018, Jean-Bernard Mateu (X83) a cofondé Kwadaï, dont la mission est de rendre l’exploitation des données accessible à tous, en combinant la simplicité du langage naturel avec la puissance de l’automatisation.
Qu’est-ce que Kwadaï ?
Kwadaï est un nouveau langage de programmation « en français », tellement simple que n’importe qui peut comprendre un programme sans jamais avoir été formé, ni même avoir fait de l’informatique. D’autant que Kwadaï guide l’utilisateur en permanence. En bref, un programme Kwadaï est un document dynamique, réunissant en français le code, la documentation, les résultats de l’exécution, les conseils et alertes.
Quel est le parcours des fondateurs ?
Après l’X et Télécom ParisTech, j’ai entamé mon parcours professionnel dans l’intelligence artificielle. À la suite de quoi j’ai exercé plus de vingt-cinq ans en tant qu’opérationnel, puis dirigeant de banques. Laurence Le Buzullier, Ensae, a été data scientist principalement dans les domaines du risque et du marketing. Nous avons fondé ensemble il y a six ans notre activité de conseil en stratégie, data et IT.
Comment vous est venue l’idée ?
À travers notre expérience dans l’entreprise, nous avons identifié une problématique récurrente sur la maîtrise des données et leur signification. Les données sont présentes en quantités astronomiques, leurs sources sont diverses et leur exploitation doit respecter des règles métier parfois complexes. En tant que dirigeants, nous avons souvent été confrontés à des données traitées dans Excel, dont plus personne ne connaissait le sens réel, alors que la prise de décision doit être rapide et éclairée ! Aucune solution ne répondait totalement aux besoins métier. Nous avons donc décidé de concevoir un nouveau langage à la fois simple et puissant. C’est ainsi que Kwadaï est né, au croisement de nos compétences data science et intelligence artificielle.
Qui sont les concurrents ?
Kwadaï est né du constat qu’il n’existait aucune solution adaptée permettant aux métiers de reprendre la maîtrise de leurs données. Kwadaï est donc une autre solution, naturelle, face aux outils habituels. On peut citer par exemple les tableurs dont l’utilisation peut être risquée : formules complexes, limitation sur la taille des fichiers, erreurs potentielles. Le « no-code », bien que prometteur dans sa philosophie, s’avère en fait souvent très technique. De l’autre côté du spectre, les langages type Python ou SAS sont handicapés par leur complexité, par la rareté des ressources compétentes et par un coût de maintenance élevé. Kwadaï a donc été créé pour rassembler les atouts des outils professionnels (puissance et fonctionnalités) et le respect des exigences métier : accessibilité, maintenabilité, auditabilité, collaboration et répétabilité.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
De 2018 à 2020, nous avons conduit plusieurs missions auprès d’entreprises qui n’arrivaient pas à rendre opérationnels des outils issus du machine learning. Nous avons aussi mené des travaux sur la fiabilisation de calculs financiers. À chaque fois, la qualité et l’adéquation de la donnée au problème étaient clés. Constatant l’absence d’outil adéquat sur le marché, nous avons commencé à développer Kwadaï en 2021. Dès 2022, les programmes écrits en Kwadaï servaient de support collaboratif lors des réunions avec nos clients. Nous avons donc décidé de tester Kwadaï auprès d’autres utilisateurs pendant environ un an. Essais concluants ! Nous avons lancé notre start-up en 2023, avec une levée de fonds en Love Money. Depuis lors, nous avons procédé au dépôt d’un brevet et nous développons une nouvelle version de Kwadaï, plus performante et conviviale. En même temps, nous accélérons la prospection et la recherche de partenaires.
Les données sont-elles le pétrole du XXIe siècle et pourquoi ?
Les données sont devenues une ressource aussi précieuse que polyvalente. Elles jouent un rôle crucial dans notre ère numérique. Mais, tout comme le pétrole doit être extrait, raffiné et utilisé pour être véritablement précieux, les données nécessitent d’être collectées, analysées et interprétées pour générer de la valeur. Il faut avant tout donner du sens aux données ! Les entreprises qui parviennent à maîtriser cet art peuvent prendre des décisions plus éclairées, identifier de nouvelles chances de croissance et améliorer l’efficacité de leurs opérations. L’exploitation intelligente des données est essentielle pour en faire une véritable richesse.
N’est-ce pas justement le but de l’intelligence artificielle ?
L’IA statistique, sous toutes ses formes, permet résolument des avancées exceptionnelles ! Mais elle est parfois déconcertante, si l’on évoque par exemple les hallucinations de l’IA générative ou la reproduction de biais induits par les échantillons d’apprentissage. Parfois même, le caractère « probabiliste » n’est tout simplement pas acceptable : demandez à un directeur financier s’il veut un résultat juste ou seulement vraisemblable !
« Il est nécessaire d’encadrer ces outils par du savoir humain. »
Il est nécessaire d’encadrer ces outils par du savoir humain, dans la phase de sélection, de préparation, ainsi que dans l’exploitation des données. Kwadaï, par ses capacités à intégrer les connaissances métier au traitement de données, permet la découverte des données, leur préparation et leur correction. En ayant recours à des techniques d’IA symbolique (inférences, grammaires formelles, expressions régu–lières…), Kwadaï simule le raisonnement des experts métier de manière simple et explicable. Kwadaï permet donc aussi d’intégrer des outils issus du machine learning dans des processus de décision contrôlés et pilotés.
Le knowledge management est donc au cœur de la démarche…
Oui, bien sûr ! Et l’enjeu est de taille en termes de prise de décision, d’efficacité opérationnelle et de maîtrise des risques par exemple. Aujourd’hui, certaines entreprises demandent même aux opérationnels d’écrire des procédures en Kwadaï afin de les documenter, les préciser et les faire évoluer rapidement. Ce sont les procédures elles-mêmes qui s’exécutent. On court-circuite ainsi le cycle habituel : spécification, développement, utilisation des résultats, en privilégiant l’opérationnalité.
Comment faites-vous pour convaincre de grandes entreprises de travailler avec une jeune entreprise comme la vôtre ?
Grâce à nos expériences professionnelles passées et notre activité de conseil, Laurence et moi-même sommes beaucoup intervenus auprès de dirigeants, dont nous connaissons bien le langage et les besoins liés à la data. Cette séniorité nous procure un certain gage de confiance de la part des grandes entreprises. Et c’est au cœur de leurs préoccupations que notre solution prend tout son sens : face à des tableaux de bord défaillants ou à un dialogue difficile entre les métiers, les informaticiens et les data scientists, nous apportons une solution collaborative très productive. Les avantages sont tout de suite perçus par les entreprises et l’adoption est rapide et pérenne.
Est-il préférable de créer son entreprise après une carrière dans de grands groupes ou bien vaut-il mieux se lancer dès la sortie d’école ?
Peu importe. Ce qui fait la différence dans la création d’entreprise est davantage lié à l’énergie dont on dispose, à l’envie et à l’état d’esprit dont on fait preuve. Notre expérience et notre compétence nous ont certainement permis d’aller plus vite, notamment via notre réseau et grâce à notre connaissance terrain. Mais elles n’auraient pas suffi à elles seules au développement de Kwadaï. Nous souhaitons d’ailleurs recruter de plus jeunes profils (CEO, CTO, responsable commercial) qui apporteront d’autres perspectives. Tout est dans l’état d’esprit : il est essentiel d’avoir de la conviction, de l’audace, une forte capacité à innover et à rebondir en toute circonstance.