Anora / Juré no 2 / Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde / L’amour Ouf / The Apprentice

Anora / Juré no 2 / Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde / L’amour Ouf / The Apprentice

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°800 Décembre 2024
Par Christian JEANBRAU (63)

Un mois plu­tôt inté­res­sant. Deux livres d’images appli­qués qui manquent un peu la cible (Mon­sieur Azna­vour de Grand Corps Malade et Meh­di Idir, et Louise Vio­let d’Éric Bes­nard). Une comé­die allé­nienne très judéo-cen­trée assez amu­sante (Car­la et Moi de Nathan Sil­ver). Une fable psy­cho-éco­lo­gique qui porte à dis­cu­ter (Fario de Lucie Prost). Une comé­die-thril­ler inégale mais très éton­nante-déto­nante (Misé­ri­corde d’Alain Gui­rau­die) et une tout à fait bonne et savou­reuse comé­die dra­ma­tique (Trois amies d’Emmanuel Mou­ret). Mais on choi­sit d’insister sur ce qui suit.

Anora Anora

Réa­li­sa­teur : Sean Baker – 2 h 19.

Palme d’or 2024 très sur­co­tée qui com­mence par la (trop) longue expo­si­tion des pré­mices : fils à papa sovié­tique tota­le­ment imma­ture et tête à claques abu­sant aux USA de la colos­sale for­tune pater­nelle sur le cré­neau du sexe et de la drogue, jusqu’à épou­ser à Las Vegas une escort girl. Fati­gant. Mais il y a la suite, soit 110 minutes d’une for­mi­dable comé­die bur­lesque, enle­vée, iné­nar­rable, mer­veilleu­se­ment jouée, où des gros bras dépas­sés char­gés de mettre bon ordre à la pagaille subissent l’extraordinaire vita­li­té de l’actrice prin­ci­pale, avant de se lan­cer dans la quête comique du fils à papa échap­pé. C’est un fes­ti­val. Et, quand le rire est apai­sé, les der­nières minutes du film ouvrent une éton­nante et atta­chante brèche sen­ti­men­tale dans le jeu de rôles jusque-là tenu.


Juré n° 2Juré n° 2

Réa­li­sa­teur : Clint East­wood – 1 h 54

D’un clas­si­cisme impec­cable et impec­ca­ble­ment réus­si. Le cas de conscience est là, construit devant nous, du juré res­pon­sable (mais non cou­pable) de la mort dont est accu­sé celui qu’avec onze autres il doit juger (Guil­ty or not guil­ty ?). Mélange de Sid­ney Lumet (Douze hommes en colère) et de Vic­tor Hugo (la « tem­pête sous un crâne » de Jean Val­jean). Un sans-faute. Les acteurs sont excel­lents, le scé­na­rio est au rasoir, il ne manque pas un bou­ton de guêtre. Reste le carac­tère impos­sible du choix qui, ver­dict pro­non­cé, demeure sus­pen­du dans une der­nière scène brève, silen­cieuse et ten­due de face-à-face entre pro­cu­reur et ex-juré, nous lais­sant avec des hypo­thèses. Passionnant.


Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde

Réa­li­sa­teur : Ema­nuel Par­vu – 1 h 45

Beau film. D’abord, un geste homo­phobe ultra-violent. Ensuite, par l’ouverture qu’il pro­voque dans l’épaisseur du non-su, ses consé­quences pro­gres­sives sur une petite île pro­té­gée du del­ta du Danube. Construc­tion pas­sion­nante où se mettent à jour les strates du tis­su humain d’une rura­li­té accro­chée à ses sim­plismes, empê­trée dans des croyances qui vont jusqu’à l’obscurantisme, sou­cieuse de fuir le scan­dale, d’étouffer la rumeur et de régler ses pro­blèmes en interne au risque des com­pro­mis­sions néces­saires, fai­sant front com­mun contre l’autorité exté­rieure. For­mi­da­ble­ment ana­ly­sé. Un tableau pré­cis, rigou­reux, com­plet et des per­son­nages tous attachants.


L’amour Ouf L’amour Ouf

Réa­li­sa­teur : Gilles Lel­louche – 2 h 40

Sans doute, ce n’est pas par­fait, mais il y a l’Amour, Fran­çois Civil et Adèle Exar­cho­pou­los. Pas­sé l’impressionnant pro­logue, une (longue) pre­mière par­tie sans eux, ado­les­cence et mises en place, n’échappe pas au conve­nu et à la bluette, mais avec un bon Alain Cha­bat, un bon Benoît Poel­vorde et des bas­tons cré­dibles. Karim Lek­lou, bien, et Élo­die Bou­chez pleine de charme. Sauf qu’on attend les deux têtes d’affiche. On n’est pas déçu. Concen­trés. Convain­cants. Déci­sifs. C’est dur et c’est violent. Au milieu, Vincent Lacoste à contre-emploi, bien pâli­chon. Et, sou­dain, un retour­ne­ment tota­le­ment impré­vu va embar­quer défi­ni­ti­ve­ment le spec­ta­teur jusqu’à une magni­fique scène de redé­cou­verte amou­reuse réci­proque. Et on se met à croire à tout.


The apprenticeThe Apprentice

Réa­li­sa­teur : Ali Abba­si – 2 h 00

Très bon film. Éton­nam­ment, le por­trait (qui pour­tant n’épargne pas le modèle) ne par­vient pas à rendre le per­son­nage aus­si néga­tif qu’on l’attendrait. Magie du ciné­ma ? Sa folie des gran­deurs qui le pousse à accep­ter les men­songes, les manœuvres et l’ignominie de son Pyg­ma­lion (Trump mani­pu­lé ini­tia­le­ment par Roy Cohn) ne le hausse pas au niveau d’abjection de celui-ci. Donald Trump aurait essayé de blo­quer la sor­tie du film. Je ne suis pas per­sua­dé pour­tant qu’il joue tant en sa défa­veur. On reste devant une œuvre ciné­ma­to­gra­phique par­ti­cu­lière-ment bien conçue, orga­ni­sée, fil­mée, jouée, mon­tée, et on a du mal à trans­po­ser cette ascen­sion d’une sorte de Ber­nard Tapie (en beau­coup moins sym­pa­thique mais sur des res­sorts voi­sins) en pré­mices d’un point de bas­cule angois­sant et pos­sible des USA. On voit sim­ple­ment un film sur un « méga­lo », et ce film est très bon.

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