Anora / Juré no 2 / Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde / L’amour Ouf / The Apprentice
Un mois plutôt intéressant. Deux livres d’images appliqués qui manquent un peu la cible (Monsieur Aznavour de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, et Louise Violet d’Éric Besnard). Une comédie allénienne très judéo-centrée assez amusante (Carla et Moi de Nathan Silver). Une fable psycho-écologique qui porte à discuter (Fario de Lucie Prost). Une comédie-thriller inégale mais très étonnante-détonante (Miséricorde d’Alain Guiraudie) et une tout à fait bonne et savoureuse comédie dramatique (Trois amies d’Emmanuel Mouret). Mais on choisit d’insister sur ce qui suit.
Anora
Réalisateur : Sean Baker – 2 h 19.
Palme d’or 2024 très surcotée qui commence par la (trop) longue exposition des prémices : fils à papa soviétique totalement immature et tête à claques abusant aux USA de la colossale fortune paternelle sur le créneau du sexe et de la drogue, jusqu’à épouser à Las Vegas une escort girl. Fatigant. Mais il y a la suite, soit 110 minutes d’une formidable comédie burlesque, enlevée, inénarrable, merveilleusement jouée, où des gros bras dépassés chargés de mettre bon ordre à la pagaille subissent l’extraordinaire vitalité de l’actrice principale, avant de se lancer dans la quête comique du fils à papa échappé. C’est un festival. Et, quand le rire est apaisé, les dernières minutes du film ouvrent une étonnante et attachante brèche sentimentale dans le jeu de rôles jusque-là tenu.
Juré n° 2
Réalisateur : Clint Eastwood – 1 h 54
D’un classicisme impeccable et impeccablement réussi. Le cas de conscience est là, construit devant nous, du juré responsable (mais non coupable) de la mort dont est accusé celui qu’avec onze autres il doit juger (Guilty or not guilty ?). Mélange de Sidney Lumet (Douze hommes en colère) et de Victor Hugo (la « tempête sous un crâne » de Jean Valjean). Un sans-faute. Les acteurs sont excellents, le scénario est au rasoir, il ne manque pas un bouton de guêtre. Reste le caractère impossible du choix qui, verdict prononcé, demeure suspendu dans une dernière scène brève, silencieuse et tendue de face-à-face entre procureur et ex-juré, nous laissant avec des hypothèses. Passionnant.
Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde
Réalisateur : Emanuel Parvu – 1 h 45
Beau film. D’abord, un geste homophobe ultra-violent. Ensuite, par l’ouverture qu’il provoque dans l’épaisseur du non-su, ses conséquences progressives sur une petite île protégée du delta du Danube. Construction passionnante où se mettent à jour les strates du tissu humain d’une ruralité accrochée à ses simplismes, empêtrée dans des croyances qui vont jusqu’à l’obscurantisme, soucieuse de fuir le scandale, d’étouffer la rumeur et de régler ses problèmes en interne au risque des compromissions nécessaires, faisant front commun contre l’autorité extérieure. Formidablement analysé. Un tableau précis, rigoureux, complet et des personnages tous attachants.
L’amour Ouf
Réalisateur : Gilles Lellouche – 2 h 40
Sans doute, ce n’est pas parfait, mais il y a l’Amour, François Civil et Adèle Exarchopoulos. Passé l’impressionnant prologue, une (longue) première partie sans eux, adolescence et mises en place, n’échappe pas au convenu et à la bluette, mais avec un bon Alain Chabat, un bon Benoît Poelvorde et des bastons crédibles. Karim Leklou, bien, et Élodie Bouchez pleine de charme. Sauf qu’on attend les deux têtes d’affiche. On n’est pas déçu. Concentrés. Convaincants. Décisifs. C’est dur et c’est violent. Au milieu, Vincent Lacoste à contre-emploi, bien pâlichon. Et, soudain, un retournement totalement imprévu va embarquer définitivement le spectateur jusqu’à une magnifique scène de redécouverte amoureuse réciproque. Et on se met à croire à tout.
The Apprentice
Réalisateur : Ali Abbasi – 2 h 00
Très bon film. Étonnamment, le portrait (qui pourtant n’épargne pas le modèle) ne parvient pas à rendre le personnage aussi négatif qu’on l’attendrait. Magie du cinéma ? Sa folie des grandeurs qui le pousse à accepter les mensonges, les manœuvres et l’ignominie de son Pygmalion (Trump manipulé initialement par Roy Cohn) ne le hausse pas au niveau d’abjection de celui-ci. Donald Trump aurait essayé de bloquer la sortie du film. Je ne suis pas persuadé pourtant qu’il joue tant en sa défaveur. On reste devant une œuvre cinématographique particulière-ment bien conçue, organisée, filmée, jouée, montée, et on a du mal à transposer cette ascension d’une sorte de Bernard Tapie (en beaucoup moins sympathique mais sur des ressorts voisins) en prémices d’un point de bascule angoissant et possible des USA. On voit simplement un film sur un « mégalo », et ce film est très bon.