Faire de la diversité cognitive une force pour les entreprises

Faire de la diversité cognitive une force pour les entreprises

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°800 Décembre 2024
Par Dorna HAFEZI

Entre­prise adap­tée, la rai­son d’être d’Auticon est de faire de la dif­fé­rence neu­ro­lo­gique ou de la diver­si­té cog­ni­tive une force. Dor­na Hafe­zi, PDG d’Auticon, nous en dit plus sur son entre­prise spé­cia­li­sée dans les ser­vices numé­riques, qui a la par­ti­cu­la­ri­té d’être enga­gée en faveur d’une meilleure inser­tion pro­fes­sion­nelle des per­sonnes se trou­vant dans cette situa­tion de han­di­cap invisible.

Quelles sont les spécificités d’Auticon ?

Entre­prise mon­diale de ser­vices numé­riques, Auti­con a la par­ti­cu­la­ri­té de n’employer que des consul­tants sur le spectre de l’autisme. Auti­con a été créée en 2011 en Alle­magne par Dirk Mul­ler-Remus, dont le fils est sur le spectre de l’autisme et qui avait consta­té que les diplô­més de la com­mu­nau­té autiste étaient géné­ra­le­ment au chô­mage ou employés sur des métiers très éloi­gnés de leurs qua­li­fi­ca­tions. Créée en 2015, la filiale fran­çaise a d’abord vu le jour comme une enti­té auto­nome sous l’initiative d’un trio, Flo­ra et Franck Thié­baut et Man­fred Moll.

L’ambition pre­mière d’Auticon a été d’aider ces per­sonnes à trou­ver un emploi en adé­qua­tion avec leur for­ma­tion et leurs com­pé­tences et de s’y déve­lop­per. Très rapi­de­ment, des fonds d’investissement et des inves­tis­seurs res­pon­sables se sont inté­res­sés à l’entreprise et l’ont accom­pa­gnée dans son déve­lop­pe­ment et sa croissance.

« En capitalisant sur notre connaissance approfondie des troubles du neurodéveloppement, depuis maintenant 3 ans, Auticon accompagne également ses clients sur un volet RH afin de les aider à recruter, intégrer, valoriser et promouvoir des personnes dans ces situations de handicap invisible. »

Le métier his­to­rique d’Auticon est les ser­vices numé­riques avec une spé­cia­li­sa­tion dans la data, l’intelligence arti­fi­cielle, la cyber­sé­cu­ri­té et le déve­lop­pe­ment d’applications et de tests pour les entre­prises. En capi­ta­li­sant sur notre connais­sance appro­fon­die des troubles du neu­ro­dé­ve­lop­pe­ment, depuis main­te­nant 3 ans, Auti­con accom­pagne éga­le­ment ses clients sur un volet RH afin de les aider à recru­ter, inté­grer, valo­ri­ser et pro­mou­voir des per­sonnes dans ces situa­tions de han­di­cap invi­sible dans une démarche d’amélioration de l’efficacité des équipes, d’innovation, d’accompagnement et d’insertion des per­sonnes neu­ro­di­ver­gentes dans l’emploi.

En 2023, Auti­con s’est rap­pro­chée de son confrère Uni­cus qui opère selon un modèle simi­laire dans les pays nor­diques. Aujourd’hui, nous sommes pré­sents dans 15 pays dans le monde, dont 11 en Europe. Par­mi nos prin­ci­paux clients, on retrouve notam­ment Socié­té Géné­rale, BNP, Air­bus, Air Liquide, EDF, CNES, L’Oréal, Décath­lon, BPI, Accen­ture et IBM.

Aujourd’hui, que représentent les troubles du neurodéveloppement ?

Les troubles du neu­ro­dé­ve­lop­pe­ment ou neu­ro­di­ver­gence englobe des troubles qui sont détec­tés par des spé­cia­listes et des pro­fes­sion­nels de san­té. Elles couvrent tous les troubles « dys » (dys­lexie, dys­praxie…), les troubles de défi­cit d’attention avec ou sans hyper­ac­ti­vi­té, ain­si que l’autisme. Ces han­di­caps invi­sibles, plus par­ti­cu­liè­re­ment l’autisme, sont des obs­tacles à l’emploi et à l’évolution au sein des entreprises.

Ces per­sonnes repré­sentent aujourd’hui près de 15 % de la popu­la­tion mon­diale. Dans le monde de l’entreprise, cela se tra­duit par des per­sonnes qui cherchent à mas­quer leurs dif­fi­cul­tés d’ordre rela­tion­nel ou d’efficacité. Cette situa­tion com­plexi­fie, par ailleurs, la tâche des mana­gers qui ne savent pas com­ment enca­drer ces per­sonnes qui ont un han­di­cap invi­sible et qui, très sou­vent, n’en ont même jamais enten­du par­ler. Pre­nons l’exemple de l’autisme. Ce trouble est très mal connu du grand public et rat­ta­ché à de nom­breux clichés.

En effet, contrai­re­ment aux idées reçues, 70 % des per­sonnes autistes n’ont pas de défi­cience intel­lec­tuelle et réus­sissent très bien leurs études supé­rieures. Avec un accom­pa­gne­ment adap­té, elles peuvent appor­ter beau­coup aux entre­prises. Concrè­te­ment, les prin­ci­pales carac­té­ris­tiques de ce trouble sont une dif­fi­cul­té dans la com­mu­ni­ca­tion et les inter­ac­tions sociales, des hypers ou hypo­sen­si­bi­li­tés à cer­tains sti­mu­li sen­so­riels tels que le bruit ou encore la lumière, ain­si que des inté­rêts spé­ci­fiques et res­treints… Et ces élé­ments vont être très dif­fé­rents d’une per­sonne à l’autre, alors que de nom­breuses per­sonnes sont même diag­nos­ti­quées très tardivement.

Face à ces constats, les prin­ci­paux enjeux sont de pou­voir iden­ti­fier ces per­sonnes et d’adapter le mana­ge­ment des équipes afin de créer de la valeur et de l’innovation dans les organisations.

Pour les entreprises, quels sont les bénéfices de l’intégration de la diversité cognitive ?

Aujourd’hui, nous enten­dons beau­coup par­ler des enjeux et des pro­blé­ma­tiques rela­tifs au han­di­cap invi­sible, mais pas assez des avan­tages et des béné­fices pour les entre­prises et les admi­nis­tra­tions à mettre en place des équipes plus diverses sur le plan neurologique.

“Nous entendons beaucoup parler des enjeux et des problématiques relatifs au handicap invisible, mais pas assez des avantages et des bénéfices pour les entreprises et les administrations à mettre en place des équipes plus diverses sur le plan neurologique.”

Au-delà des com­pé­tences tech­niques, la diver­si­té cog­ni­tive est créa­trice de valeur ajou­tée et source de réso­lu­tion de pro­blèmes. Afin d’en béné­fi­cier, les orga­ni­sa­tions peuvent trans­for­mer les carac­té­ris­tiques de ces troubles en force. Par exemple, elles peuvent capi­ta­li­ser sur l’exactitude, la grande atten­tion aux détails, la capa­ci­té d’attention éle­vée, la pen­sée laté­rale et la fran­chise qui carac­té­risent l’autisme pour gagner en pré­ci­sion et en effi­ca­ci­té sur des tâches don­nées. Enfin, cette approche per­met de valo­ri­ser ces per­sonnes à leur juste mesure et de leur don­ner la pos­si­bi­li­té d’apporter leur pierre à l’édifice et de contri­buer aux suc­cès et aux réus­sites de l’entreprise.

Sur le terrain, comment se matérialise votre accompagnement ?

Entre­prise de ser­vices numé­rique, nous met­tons nos équipes au ser­vice des pro­jets et enjeux de nos clients. Dans ce cadre, nous avons conçu et mis au point une métho­do­lo­gie de recru­te­ment adap­tée aux per­sonnes autistes afin de faire abs­trac­tion des bar­rières et per­mettre aux RH, aux mana­gers et à l’entreprise de se concen­trer sur les com­pé­tences et le poten­tiel d’évolution du can­di­dat. Par exemple, une per­sonne autiste qui aurait des dif­fi­cul­tés à regar­der le recru­teur dans les yeux, ne se ver­rait pas péna­li­ser pour cela puisque le focus serait davan­tage mis sur ses com­pé­tences et ses forces. Cette métho­do­lo­gie mêle des entre­tiens infor­mels, des tests psy­cho­lo­giques et tech­niques ain­si que des mises en situation.

En paral­lèle, nous for­mons et sen­si­bi­li­sons les entre­prises, les RH et les mana­gers à la diver­si­té cog­ni­tive afin que les per­sonnes neu­ro­di­ver­gentes puissent béné­fi­cier d’un accom­pa­gne­ment et d’une prise en charge adap­tés. Cela contri­bue aus­si à sim­pli­fier leur inté­gra­tion dans les équipes et à don­ner les clés aux mana­gers pour leur appor­ter un mana­ge­ment et un enca­dre­ment adap­tés. Nous met­tons éga­le­ment à dis­po­si­tion des psy­cho­logues du tra­vail et des coachs, ain­si qu’un enca­dre­ment tech­nique, pour accom­pa­gner dans la durée notre consul­tant neu­ro­di­vergent ain­si que le mana­ger et les équipes en fonc­tion de leurs besoins.

Cette démarche per­met notam­ment de créer des condi­tions favo­rables à l’évolution et au déve­lop­pe­ment du consul­tant dans sa façon de tra­vailler, sa com­pré­hen­sion et ses inter­ac­tions avec l’équipe. Lors du démar­rage d’une mis­sion, nous sommes atten­tifs non seule­ment à l’adéquation des exper­tises tech­niques des équipes avec les besoins clients, mais éga­le­ment aux condi­tions de tra­vail et aux atten­dus. Cer­tains consul­tants sont capables de tra­vailler dans des envi­ron­ne­ments exi­geants et avec des délais courts, alors que d’autres auront besoin de temps pour gagner en effi­ca­ci­té et auto­no­mie de travail.

« Créer des conditions favorables à l’évolution et au développement du consultant dans sa façon de travailler, sa compréhension et ses interactions avec l’équipe. »

La durée des mis­sions de nos consul­tants varie de quelques mois à quelques années. Si la tra­jec­toire d’évolution va varier d’une per­sonne à l’autre, les pro­grès sont très sou­vent impres­sion­nants et nous confortent dans notre mis­sion et notre rai­son d’être. Sou­vent, une col­la­bo­ra­tion de quelques semaines entre le client, la per­sonne autiste et le coach suf­fit pour que cha­cun trouve sa place et un fonc­tion­ne­ment per­met­tant d’atteindre les objec­tifs du projet. 

Je vais notam­ment prendre en exemple un de nos consul­tants, un ingé­nieur, qui quand il nous a rejoints était une per­sonne qua­si­ment non-ver­bale. Il ne pre­nait pas la parole en public et ne pou­vait pas répondre aux ques­tions, ou uni­que­ment par oui ou non. Au fil des mois et des mis­sions que nous lui avons confiées, cet ingé­nieur a déve­lop­pé sa confiance et a dépas­sé ses craintes. Aujourd’hui, il n’a plus aucune dif­fi­cul­té à s’exprimer et il a même été recru­té par notre client, car il a brillé par ses com­pé­tences et sa contri­bu­tion à l’entreprise ! 

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