« Quand la logistique est forte, c’est l’ensemble de l’économie du pays qui est plus résiliente ! »
Compétitivité économique, réindustrialisation, aménagement du territoire, transition écologique et environnementale, décarbonation, mobilité électrique… sont autant d’enjeux au cœur du développement de la logistique et du transport de marchandises de demain. Dans cette interview, Maxime Forest (X05), directeur général de France Logistique, nous présente cette association professionnelle de la filière logistique et nous explique comment elle se mobilise afin de servir les intérêts de ce secteur indispensable à l’économie du pays.
Qui est France Logistique et quelles sont ses missions ?
Créée en 2020, France Logistique est l’association qui représente les acteurs privés de la filière de la logistique et du transport de marchandises en France. France Logistique se positionne comme un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, du gouvernement, du Parlement et des élus locaux, alors que la logistique est plus que jamais au cœur des principales transformations du pays, en particulier la réindustrialisation et la transition écologique. Ces enjeux sont à la croisée des politiques publiques : aménagement du territoire, énergie, innovation, attractivité, emploi… L’association est présidée par Anne-Marie Idrac, ancienne secrétaire d’État aux Transports.
Quelques mots sur vos membres et votre organisation.
France Logistique rassemble les acteurs privés de la filière, avec des entreprises et des organisations professionnelles qui représentent toute la diversité du monde des transports de marchandises et de la logistique. Nos membres fondateurs sont les organisations professionnelles : Afilog, AUTF, CGF, OTRE et Union TLF. Parmi les entreprises adhérentes, on retrouve des sociétés qui interviennent en France à tous les maillons des chaînes logistiques, avec tous les modes de transport.
Que représente votre filière dans le paysage économique national ?
La logistique et le transport de marchandises jouent un rôle indispensable au fonctionnement de toute l’économie matérielle. La filière occupe une place considérable avec près de 10 % des emplois salariés en France. Dans l’économie, les dépenses logistiques représentent environ 10 % du PIB. La filière est, dans le même temps, à l’origine d’environ 10 % des émissions de carbone en France, ce qui lui donne un grand rôle à jouer.
Aujourd’hui en France, 88 % des marchandises (en tonnes.kilomètres) sont transportées par route, 10 % par train et 2 % par voie d’eau. La diversité des produits transportés illustre le rôle transversal de la logistique dans l’économie : 30 % des marchandises transportées sont des produits manufacturés et des machines, 27 % des produits agricoles et alimentaires, 15 % des matériaux de construction et 28 % sont d’autres produits.
Vous avez identifié trois champs d’actions prioritaires : la compétitivité, l’écologie et les territoires. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La logistique joue un rôle central dans la vie économique. Elle contribue à la performance et à l’adaptabilité de l’ensemble des secteurs d’activité du pays. Des chaînes logistiques puissantes et compétitives sur notre territoire bénéficient à toute l’économie. Quand la logistique est forte, c’est l’ensemble de l’économie du pays qui est plus résiliente !
À l’heure du grand défi de la réindustrialisation, la filière est bien évidemment en première ligne pour accompagner l’augmentation des flux et des stocks de marchandises, et pour développer des chaînes logistiques fiables, robustes et résilientes, afin d’aider les filières économiques à s’adapter à des contextes géopolitiques, énergétiques et économiques changeants. France Logistique est mobilisée afin de faire reconnaître, dans les politiques publiques, ce caractère essentiel de la filière et sa contribution majeure à toute l’économie. Il s’agit d’éviter que des mesures « anti-logistiques », notamment fiscales, aient pour effet de délocaliser les équipements et les flux logistiques à l’étranger, ce qui aurait pour conséquence principale de renforcer nos concurrents européens et internationaux et d’affaiblir notre économie.
“Des chaînes logistiques puissantes et compétitives sur notre territoire bénéficient à toute l’économie.”
La logistique est engagée dans sa transition écologique et environnementale. Elle passe par un recours accru à la massification du transport (avec par exemple le ferroviaire, fluvial…), au verdissement des motorisations routières (notamment les camions électriques) et à une meilleure organisation de l’armature logistique sur le territoire. Aujourd’hui, l’évolution de la réglementation (reporting extra-financier, bilan GES, normes d’émission, ZFE…) et de la fiscalité (marchés carbone, taxe carbone aux frontières, écotaxes…), ainsi que les exigences renforcées des parties prenantes, sont des moteurs puissants pour susciter la transformation des chaînes logistiques. Les transformations ont lieu sur le plan humain, financier, technologique et organisationnel. Dans cette phase de transition, le soutien des pouvoirs publics et la stabilité des politiques publiques sont critiques.
Enfin, le développement de la logistique est intimement lié à la question de l’aménagement du territoire. La logistique consomme de l’espace : les ports, les entrepôts, les bornes de recharge pour les camions ont besoin de foncier aux endroits où cela a du sens économique. À l’heure des politiques de sobriété foncière, il faut avoir une approche fine et concertée pour que la logistique ait accès aux zones les plus stratégiques, tout en limitant le rythme de l’artificialisation. L’État, les collectivités et les entreprises doivent s’inscrire dans une logique de planification territoriale de la logistique, en partant des besoins économiques et des impératifs environnementaux.
Sur ces sujets et enjeux stratégiques, comment se traduit votre engagement sur le terrain ?
France Logistique œuvre à la prise en compte de l’ensemble de ces sujets par les pouvoirs publics au niveau local et national. France Logistique a contribué à la mise en place d’un comité interministériel de la logistique (CILOG), et au lancement d’une stratégie nationale logistique dont elle assure conjointement le suivi avec les ministères. Au niveau local, des conférences logistiques sont désormais organisées au niveau de chaque région, pour permettre aux acteurs publics et privés de se rencontrer et de débattre de l’adéquation entre les besoins et les politiques locales. La maille des agglomérations est aussi un échelon naturel de décision pour les enjeux de logistique urbaine, de stationnement, de circulation, etc.
Sur l’ensemble de ces sujets territoriaux, nous sommes aujourd’hui au milieu du chemin, et nous pouvons aller encore plus loin pour améliorer l’impact des décisions prises.
Au-delà, la logistique a également un rôle clé à jouer dans le cadre du mouvement de la réindustrialisation et de la renaissance industrielle du pays. Qu’en est-il et comment appréhendez-vous ce sujet ?
On a parfois tendance à opposer logistique et industrie, comme s’il fallait choisir un modèle de développement économique plutôt qu’un autre. En réalité, ce sont les deux faces d’une même pièce : logistique et industrie avancent ensemble, et la seconde a besoin de la première. À chaque nouvelle usine sur le territoire, ce sont des flux logistiques nouveaux qu’il faut mettre en place en amont et en aval.
Les pays qui ont beaucoup d’industrie ont aussi beaucoup de logistique : c’est donc la responsabilité de notre filière que d’accompagner le mouvement de réindustrialisation, qui est une chance pour l’Europe et pour la France. Il s’agit d’un défi essentiel pour la maîtrise de notre destin économique, social et environnemental.
Qu’en est-il du rôle de l’innovation et de la technologie dans la transformation de la logistique ?
Dans cette filière où l’optimisation est un objectif permanent, l’innovation et la technologie ont un rôle moteur. La filière s’est très tôt lancée dans l’automatisation progressive des entrepôts, pour gagner en performance et en compétitivité, mais aussi pour offrir aux salariés des conditions de travail améliorées en les allégeant des tâches les plus difficiles.
L’innovation joue aussi un rôle central dans la course à la mobilité décarbonée. La filière explore toutes les pistes technologiques, notamment en termes de motorisation. Aujourd’hui, 1 % des poids lourds neufs vendus en France sont électriques. Nous sommes aux prémices d’une nouvelle histoire industrielle, avec l’électrique qui a vocation à prendre des parts de marché à la motorisation thermique. Nous avons la chance d’avoir des industriels français et européens qui sont engagés pour produire ces nouveaux véhicules, qui sont encore coûteux aujourd’hui. Cette transformation va fortement affecter le secteur ; elle va nécessiter d’importants investissements ainsi qu’un véritable changement dans les organisations opérationnelles.
La donnée, naturellement, est au cœur de toutes ces transformations, et elle est aussi centrale pour répondre aux attentes réglementaires, notamment en matière de reporting CSRD.
Et pour conclure ?
La filière logistique emploie près de 2 millions d’hommes et de femmes en France. Elle a cette capacité, de plus en plus rare, d’offrir des carrières à tous les niveaux de qualification. Emploi, innovation, écologie et économie : pour progresser sur tous ces plans, la France a certainement besoin d’une filière logistique puissante sur son territoire.