« Quand la logistique est forte, c’est l’ensemble de l’économie du pays qui est plus résiliente ! »

Dossier : Vie des entreprises - Logistique et supply chain, les infrastructures du numériqueMagazine N°800 Décembre 2024
Par Maxime FOREST (X05)

Com­pé­ti­ti­vi­té éco­no­mique, réin­dus­tria­li­sa­tion, amé­na­ge­ment du ter­ri­toire, tran­si­tion éco­lo­gique et envi­ron­ne­men­tale, décar­bo­na­tion, mobi­li­té élec­trique… sont autant d’enjeux au cœur du déve­lop­pe­ment de la logis­tique et du trans­port de mar­chan­dises de demain. Dans cette inter­view, Maxime Forest (X05), direc­teur géné­ral de France Logis­tique, nous pré­sente cette asso­cia­tion pro­fes­sion­nelle de la filière logis­tique et nous explique com­ment elle se mobi­lise afin de ser­vir les inté­rêts de ce sec­teur indis­pen­sable à l’économie du pays.

Qui est France Logistique et quelles sont ses missions ?

Créée en 2020, France Logis­tique est l’association qui repré­sente les acteurs pri­vés de la filière de la logis­tique et du trans­port de mar­chan­dises en France. France Logis­tique se posi­tionne comme un inter­lo­cu­teur pri­vi­lé­gié des pou­voirs publics, du gou­ver­ne­ment, du Par­le­ment et des élus locaux, alors que la logis­tique est plus que jamais au cœur des prin­ci­pales trans­for­ma­tions du pays, en par­ti­cu­lier la réin­dus­tria­li­sa­tion et la tran­si­tion éco­lo­gique. Ces enjeux sont à la croi­sée des poli­tiques publiques : amé­na­ge­ment du ter­ri­toire, éner­gie, inno­va­tion, attrac­ti­vi­té, emploi… L’association est pré­si­dée par Anne-Marie Idrac, ancienne secré­taire d’État aux Transports. 

Quelques mots sur vos membres et votre organisation.

France Logis­tique ras­semble les acteurs pri­vés de la filière, avec des entre­prises et des orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles qui repré­sentent toute la diver­si­té du monde des trans­ports de mar­chan­dises et de la logis­tique. Nos membres fon­da­teurs sont les orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles : Afi­log, AUTF, CGF, OTRE et Union TLF. Par­mi les entre­prises adhé­rentes, on retrouve des socié­tés qui inter­viennent en France à tous les maillons des chaînes logis­tiques, avec tous les modes de transport.

Que représente votre filière dans le paysage économique national ?

La logis­tique et le trans­port de mar­chan­dises jouent un rôle indis­pen­sable au fonc­tion­ne­ment de toute l’économie maté­rielle. La filière occupe une place consi­dé­rable avec près de 10 % des emplois sala­riés en France. Dans l’économie, les dépenses logis­tiques repré­sentent envi­ron 10 % du PIB. La filière est, dans le même temps, à l’origine d’environ 10 % des émis­sions de car­bone en France, ce qui lui donne un grand rôle à jouer.

Aujourd’hui en France, 88 % des mar­chan­dises (en tonnes.kilomètres) sont trans­por­tées par route, 10 % par train et 2 % par voie d’eau. La diver­si­té des pro­duits trans­por­tés illustre le rôle trans­ver­sal de la logis­tique dans l’économie : 30 % des mar­chan­dises trans­por­tées sont des pro­duits manu­fac­tu­rés et des machines, 27 % des pro­duits agri­coles et ali­men­taires, 15 % des maté­riaux de construc­tion et 28 % sont d’autres produits.

Vous avez identifié trois champs d’actions prioritaires : la compétitivité, l’écologie et les territoires. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La logis­tique joue un rôle cen­tral dans la vie éco­no­mique. Elle contri­bue à la per­for­mance et à l’adaptabilité de l’ensemble des sec­teurs d’activité du pays. Des chaînes logis­tiques puis­santes et com­pé­ti­tives sur notre ter­ri­toire béné­fi­cient à toute l’économie. Quand la logis­tique est forte, c’est l’ensemble de l’économie du pays qui est plus résiliente !

À l’heure du grand défi de la réin­dus­tria­li­sa­tion, la filière est bien évi­dem­ment en pre­mière ligne pour accom­pa­gner l’augmentation des flux et des stocks de mar­chan­dises, et pour déve­lop­per des chaînes logis­tiques fiables, robustes et rési­lientes, afin d’aider les filières éco­no­miques à s’adapter à des contextes géo­po­li­tiques, éner­gé­tiques et éco­no­miques chan­geants. France Logis­tique est mobi­li­sée afin de faire recon­naître, dans les poli­tiques publiques, ce carac­tère essen­tiel de la filière et sa contri­bu­tion majeure à toute l’économie. Il s’agit d’éviter que des mesures « anti-logis­tiques », notam­ment fis­cales, aient pour effet de délo­ca­li­ser les équi­pe­ments et les flux logis­tiques à l’étranger, ce qui aurait pour consé­quence prin­ci­pale de ren­for­cer nos concur­rents euro­péens et inter­na­tio­naux et d’affaiblir notre économie.

“Des chaînes logistiques puissantes et compétitives sur notre territoire bénéficient à toute l’économie.”

La logis­tique est enga­gée dans sa tran­si­tion éco­lo­gique et envi­ron­ne­men­tale. Elle passe par un recours accru à la mas­si­fi­ca­tion du trans­port (avec par exemple le fer­ro­viaire, flu­vial…), au ver­dis­se­ment des moto­ri­sa­tions rou­tières (notam­ment les camions élec­triques) et à une meilleure orga­ni­sa­tion de l’armature logis­tique sur le ter­ri­toire. Aujourd’hui, l’évolution de la régle­men­ta­tion (repor­ting extra-finan­cier, bilan GES, normes d’émission, ZFE…) et de la fis­ca­li­té (mar­chés car­bone, taxe car­bone aux fron­tières, éco­taxes…), ain­si que les exi­gences ren­for­cées des par­ties pre­nantes, sont des moteurs puis­sants pour sus­ci­ter la trans­for­ma­tion des chaînes logis­tiques. Les trans­for­ma­tions ont lieu sur le plan humain, finan­cier, tech­no­lo­gique et orga­ni­sa­tion­nel. Dans cette phase de tran­si­tion, le sou­tien des pou­voirs publics et la sta­bi­li­té des poli­tiques publiques sont critiques.

Enfin, le déve­lop­pe­ment de la logis­tique est inti­me­ment lié à la ques­tion de l’aménagement du ter­ri­toire. La logis­tique consomme de l’espace : les ports, les entre­pôts, les bornes de recharge pour les camions ont besoin de fon­cier aux endroits où cela a du sens éco­no­mique. À l’heure des poli­tiques de sobrié­té fon­cière, il faut avoir une approche fine et concer­tée pour que la logis­tique ait accès aux zones les plus stra­té­giques, tout en limi­tant le rythme de l’artificialisation. L’État, les col­lec­ti­vi­tés et les entre­prises doivent s’inscrire dans une logique de pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale de la logis­tique, en par­tant des besoins éco­no­miques et des impé­ra­tifs environnementaux.

Sur ces sujets et enjeux stratégiques, comment se traduit votre engagement sur le terrain ?

France Logis­tique œuvre à la prise en compte de l’ensemble de ces sujets par les pou­voirs publics au niveau local et natio­nal. France Logis­tique a contri­bué à la mise en place d’un comi­té inter­mi­nis­té­riel de la logis­tique (CILOG), et au lan­ce­ment d’une stra­té­gie natio­nale logis­tique dont elle assure conjoin­te­ment le sui­vi avec les minis­tères. Au niveau local, des confé­rences logis­tiques sont désor­mais orga­ni­sées au niveau de chaque région, pour per­mettre aux acteurs publics et pri­vés de se ren­con­trer et de débattre de l’adéquation entre les besoins et les poli­tiques locales. La maille des agglo­mé­ra­tions est aus­si un éche­lon natu­rel de déci­sion pour les enjeux de logis­tique urbaine, de sta­tion­ne­ment, de cir­cu­la­tion, etc.

Sur l’ensemble de ces sujets ter­ri­to­riaux, nous sommes aujourd’hui au milieu du che­min, et nous pou­vons aller encore plus loin pour amé­lio­rer l’impact des déci­sions prises.

Au-delà, la logistique a également un rôle clé à jouer dans le cadre du mouvement de la réindustrialisation et de la renaissance industrielle du pays. Qu’en est-il et comment appréhendez-vous ce sujet ?

On a par­fois ten­dance à oppo­ser logis­tique et indus­trie, comme s’il fal­lait choi­sir un modèle de déve­lop­pe­ment éco­no­mique plu­tôt qu’un autre. En réa­li­té, ce sont les deux faces d’une même pièce : logis­tique et indus­trie avancent ensemble, et la seconde a besoin de la pre­mière. À chaque nou­velle usine sur le ter­ri­toire, ce sont des flux logis­tiques nou­veaux qu’il faut mettre en place en amont et en aval.

Les pays qui ont beau­coup d’industrie ont aus­si beau­coup de logis­tique : c’est donc la res­pon­sa­bi­li­té de notre filière que d’accompagner le mou­ve­ment de réin­dus­tria­li­sa­tion, qui est une chance pour l’Europe et pour la France. Il s’agit d’un défi essen­tiel pour la maî­trise de notre des­tin éco­no­mique, social et environnemental.

Qu’en est-il du rôle de l’innovation et de la technologie dans la transformation de la logistique ?

Dans cette filière où l’optimisation est un objec­tif per­ma­nent, l’innovation et la tech­no­lo­gie ont un rôle moteur. La filière s’est très tôt lan­cée dans l’automatisation pro­gres­sive des entre­pôts, pour gagner en per­for­mance et en com­pé­ti­ti­vi­té, mais aus­si pour offrir aux sala­riés des condi­tions de tra­vail amé­lio­rées en les allé­geant des tâches les plus difficiles.

L’innovation joue aus­si un rôle cen­tral dans la course à la mobi­li­té décar­bo­née. La filière explore toutes les pistes tech­no­lo­giques, notam­ment en termes de moto­ri­sa­tion. Aujourd’hui, 1 % des poids lourds neufs ven­dus en France sont élec­triques. Nous sommes aux pré­mices d’une nou­velle his­toire indus­trielle, avec l’électrique qui a voca­tion à prendre des parts de mar­ché à la moto­ri­sa­tion ther­mique. Nous avons la chance d’avoir des indus­triels fran­çais et euro­péens qui sont enga­gés pour pro­duire ces nou­veaux véhi­cules, qui sont encore coû­teux aujourd’hui. Cette trans­for­ma­tion va for­te­ment affec­ter le sec­teur ; elle va néces­si­ter d’importants inves­tis­se­ments ain­si qu’un véri­table chan­ge­ment dans les orga­ni­sa­tions opérationnelles.

La don­née, natu­rel­le­ment, est au cœur de toutes ces trans­for­ma­tions, et elle est aus­si cen­trale pour répondre aux attentes régle­men­taires, notam­ment en matière de repor­ting CSRD.

Et pour conclure ?

La filière logis­tique emploie près de 2 mil­lions d’hommes et de femmes en France. Elle a cette capa­ci­té, de plus en plus rare, d’offrir des car­rières à tous les niveaux de qua­li­fi­ca­tion. Emploi, inno­va­tion, éco­lo­gie et éco­no­mie : pour pro­gres­ser sur tous ces plans, la France a cer­tai­ne­ment besoin d’une filière logis­tique puis­sante sur son territoire.

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