Transport & Logistique : « Nous vivons un véritable changement de paradigme qui nous pousse à repenser nos modèles »
CMA CGM est un acteur incontournable du monde du transport maritime et de la logistique. À la croisée des principales transitions, environnementale, énergétique, écologique, numérique et technologique, le groupe se réinvente pour contribuer à la construction d’un monde plus durable et efficient. Le point avec Hadi Zablit, Executive Vice President, Chief Information & Technology Officer de CMA CGM.
Au cours des dernières années, comment ce secteur a‑t-il évolué ? Quelles sont les tendances qui se dessinent ?
Selon la CNUCED, le transport maritime représente 80 % du volume du commerce mondial de marchandises. Pourtant, avant la crise sanitaire, l’importance du transport maritime était peu connue et reconnue et son rôle vital pour l’économie mondiale et les échanges internationaux. Aujourd’hui, le marché de la logistique est de plus en plus instable et incertain. Ce phénomène s’explique par la multiplication des crises, dont la plus marquante reste la pandémie, par les nombreux conflits armés, comme la guerre en Ukraine, et l’instabilité politique entre les grandes puissances. Ce contexte perturbe les routes maritimes, ce qui demande aux acteurs de la logistique maritime une capacité d’adaptation constante, une plus grande agilité et une réactivité accrue.
En parallèle, le secteur doit accélérer sa décarbonation et contribuer à développer une logistique plus verte. En cohérence avec les objectifs fixés par l’Organisation Maritime International, le secteur vise une baisse de 30 % des gaz à effet de serre d’ici 2030 et 80 % d’ici 2040.
Le secteur évolue et se transforme sous l’impulsion des nouvelles technologies, dont l’IA, qui permettent l’émergence d’une logistique connectée. Au-delà, comme tout opérateur de services, nous capitalisons sur ces technologies pour optimiser notre relation avec les clients, notamment pour mieux gérer les chaînes logistiques, la gestion des stocks dans un contexte où le e‑commerce est en forte croissance.
Sur ce secteur, comment vous positionnez-vous ?
CMA CGM est un groupe familial créé par en 1978. À l’époque, l’entreprise s’est développée autour d’une rupture : l’utilisation du conteneur dans le transport maritime. Ce standard a permis d’accélérer le temps de chargement et de déchargement d’un navire, d’optimiser les espaces de stockage, de gagner en efficacité opérationnelle et du temps et, in fine, d’avoir des coûts à la tonne transportée beaucoup plus compétitif. CMA CGM a aussi la particularité de s’être installé en Chine avant même son intégration au commerce mondial.
Aujourd’hui, le groupe est présent dans plus de 160 pays et emploie plus de 160 000 collaborateurs dans le monde. Le Groupe CMA CGM diversifie également son activité dans la presse et les médias et a créé en 2023 le pôle CMA Media.
Sur un plan plus opérationnel, nous couvrons tous les maillons de la chaîne logistique :
- Le shipping avec plus de 20 millions d’EVP (équivalent vingt pieds), plus de 620 navires et plus de 50 terminaux portuaires ;
- La logistique avec 10,5 millions de m² d’entrepôts et d’espace de stockage, 5,5 millions de véhicules transportés et 26 millions de tonnes de fret terrestre.
La pandémie a été un facteur de renforcement de notre positionnement. Durant cette période, les principaux acteurs du transport et de la logistique ont, d’ailleurs, enregistré des résultats solides.
Afin d’accompagner les évolutions du secteur et renforcer notre positionnement, le groupe réinvestit jusqu’à 90 % de ses profits dans la modernisation de sa flotte de navires, l’achat de terminaux, la décarbonation et la digitalisation du groupe.
Comment contribuez-vous au mouvement de décarbonation ainsi qu’à la transition énergétique ?
Les activités de transport représentent 24 % des émissions mondiale de gaz à effet de serre. 3 % de ces émissions sont générées par la flotte maritime de commerce. Lors de la COP28, le groupe CMA CGM s’est engagé, comme précédemment mentionné, à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % en 2030 et 80 % en 2040. Pour ce faire, nous nous concentrons sur deux axes : la réduction de nos consommations énergétiques et un recours plus systématique aux énergies renouvelables et/ou décarbonées. Le groupe a ainsi investi 18 milliards dans le renouvellement de la flotte pour 131 navires au GNL et méthanol qui peuvent également consommer des carburants décarbonés comme le biométhanol. Nous visons également la neutralité à horizon 2050.
Nous nous inscrivons aussi dans une démarche d’excellence opérationnelle. Cela se traduit par le suivi des navires afin de vérifier les risques de surconsommation, l’optimisation de la vitesse pour éviter le temps d’attente aux terminaux et donc une consommation inutile…
« Nous explorons toutes les pistes énergétiques. »
Nous explorons toutes les pistes énergétiques. Notamment, nous avons initié la coalition NewEnergies avec Airbus, le Bureau Veritas ou encore de PSA International, engagée en faveur de l’accélération de la transition énergétique du transport et de l’ensemble de la chaîne logistique. Fin 2023, nous avons lancé une collaboration avec Maersk pour développer l’utilisation de carburants alternatifs.
D’ici 2026, nous avons également l’objectif d’équiper tous nos entrepôts de panneaux solaires, soit 2,1 millions de m2. Dès 2025, CEVA opérera 1 400 fourgons et camions électriques.
Nous nous sommes engagés en faveur de la préservation de la biodiversité. Dans ce cadre, nos Fleet Centers basés à Miami, Marseille et Singapour sont équipés d’une technologie de repérage (RECEPT et Whale Safe) qui permet de repérer les baleines afin d’éviter les collisions. Nous avons noué de nombreux partenariats pour la restauration des écosystèmes fragiles. Enfin, depuis 2022, nous ne transportons plus de déchets plastiques.
Quelle place occupe l’innovation et quelles sont les pistes explorées par votre groupe en ce sens ?
L’innovation est un pilier stratégique pour le Groupe, qui investit dans les nouvelles technologies, notamment en matière d’IA, grâce à de nombreux partenariats à valeur ajoutée. Ces collaborations, avec des acteurs tels que Mistral AI, Kuytaï et Google, visent non seulement à optimiser les coûts, mais aussi à créer de nouveaux services et à imaginer de nouveaux business models.
Le Groupe CMA CGM multiplie, d’ailleurs, les partenariats inédits afin de favoriser l’émergence de solutions innovantes pour le transport maritime et la logistique. Nous travaillons ainsi avec le CNES.
En 2018, nous avons lancé notre incubateur et accélérateur de start-ups international, ZEBOX qui offre à sa communauté d’entrepreneurs, de leaders de l’industrie et d’experts un ensemble de programmes, de ressources et d’opportunités. Depuis, nous avons accompagné plus 100 start-ups dans nos 6 hubs dans le monde. Enfin, dans cette démarche d’innovation, nous accordons aussi une attention particulière à la montée en compétences des collaborateurs et au développement de nouvelles compétences. Pour ce faire, nous capitalisons sur TANGRAM, notre centre d’excellence pour la formation et l’innovation pour créer le transport et la logistique durables de demain.
Pour relever ces défis, le capital humain est clé. Quels sont les profils d’ingénieurs que vous recrutez ? Quelles perspectives de carrières un acteur comme CMA CGM peut leur offrir ?
Nous comptons plusieurs X parmi les cadres du groupe. Pour mener de front l’ensemble de nos chantiers et pour tenir nos engagements, nous recrutons des ingénieurs pour travailler sur la décarbonation de l’industrie et accompagner le déploiement de l’IA au service de nos métiers. Un groupe comme CMA CGM peut offrir de nombreuses opportunités pour ces profils dans des domaines variés (R&D, Energie, Ingé maritime, log & supply chain, IT & data, RSE, QSE) sur des fonctions diverses souvent transverses (postes techniques, gestion de projet, chefferie de cabinet, etc.), mais aussi des opportunités à l’international via des programmes d’excellence dédiés comme Emerging Talents ou nos Graduate Programs.
Comment imaginez-vous la logistique et la supply chain ? Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?
Aujourd’hui, nous vivons un véritable changement de paradigme qui nous pousse à repenser nos modèles afin de faire face à des crises de plus en plus fréquentes et souvent simultanées. Face à ce contexte, le secteur doit repenser son organisation, identifier des routes alternatives, voire réinventer son modèle, alors que les crises, les guerres et la pandémie qui sont responsables de ruptures d’approvisionnement poussent vers une production plus locale ou régionale.
Sur le plan technologique, nous explorons aussi de nombreuses pistes visant à accélérer l’automatisation des entrepôts avec une utilisation accrue des robots, drones et systèmes automatisés pour la gestion des stocks et la livraison des produits, ce qui permettra d’augmenter l’efficacité, mais aussi de réduire les coûts. La technologie est aussi centrale pour améliorer l’expérience client et offrir aux clients un accès continu et en temps réel aux informations, une assistance instantanée…
Enfin, il s’agit d’intégrer de plus en plus de modèles d’économie circulaire pour contribuer aux efforts globaux en matière de transition écologique et construire un avenir plus durable.