Transport & Logistique : « Nous vivons un véritable changement de paradigme qui nous pousse à repenser nos modèles »

Transport & Logistique : « Nous vivons un véritable changement de paradigme qui nous pousse à repenser nos modèles »

Dossier : Vie des entreprises - Logistique et supply chain, les infrastructures du numériqueMagazine N°800 Décembre 2024
Par Hadi ZABLIT

CMA CGM est un acteur incon­tour­nable du monde du trans­port mari­time et de la logis­tique. À la croi­sée des prin­ci­pales tran­si­tions, envi­ron­ne­men­tale, éner­gé­tique, éco­lo­gique, numé­rique et tech­no­lo­gique, le groupe se réin­vente pour contri­buer à la construc­tion d’un monde plus durable et effi­cient. Le point avec Hadi Zablit, Exe­cu­tive Vice Pre­sident, Chief Infor­ma­tion & Tech­no­lo­gy Offi­cer de CMA CGM.

Au cours des dernières années, comment ce secteur a‑t-il évolué ? Quelles sont les tendances qui se dessinent ?

Selon la CNUCED, le trans­port mari­time repré­sente 80 % du volume du com­merce mon­dial de mar­chan­dises. Pour­tant, avant la crise sani­taire, l’importance du trans­port mari­time était peu connue et recon­nue et son rôle vital pour l’économie mon­diale et les échanges inter­na­tio­naux. Aujourd’hui, le mar­ché de la logis­tique est de plus en plus instable et incer­tain. Ce phé­no­mène s’explique par la mul­ti­pli­ca­tion des crises, dont la plus mar­quante reste la pan­dé­mie, par les nom­breux conflits armés, comme la guerre en Ukraine, et l’instabilité poli­tique entre les grandes puis­sances. Ce contexte per­turbe les routes mari­times, ce qui demande aux acteurs de la logis­tique mari­time une capa­ci­té d’adaptation constante, une plus grande agi­li­té et une réac­ti­vi­té accrue.

En paral­lèle, le sec­teur doit accé­lé­rer sa décar­bo­na­tion et contri­buer à déve­lop­per une logis­tique plus verte. En cohé­rence avec les objec­tifs fixés par l’Organisation Mari­time Inter­na­tio­nal, le sec­teur vise une baisse de 30 % des gaz à effet de serre d’ici 2030 et 80 % d’ici 2040.

Le sec­teur évo­lue et se trans­forme sous l’impulsion des nou­velles tech­no­lo­gies, dont l’IA, qui per­mettent l’émergence d’une logis­tique connec­tée. Au-delà, comme tout opé­ra­teur de ser­vices, nous capi­ta­li­sons sur ces tech­no­lo­gies pour opti­mi­ser notre rela­tion avec les clients, notam­ment pour mieux gérer les chaînes logis­tiques, la ges­tion des stocks dans un contexte où le e‑commerce est en forte croissance.

Sur ce secteur, comment vous positionnez-vous ?

CMA CGM est un groupe fami­lial créé par en 1978. À l’époque, l’entreprise s’est déve­lop­pée autour d’une rup­ture : l’utilisation du conte­neur dans le trans­port mari­time. Ce stan­dard a per­mis d’accélérer le temps de char­ge­ment et de déchar­ge­ment d’un navire, d’optimiser les espaces de sto­ckage, de gagner en effi­ca­ci­té opé­ra­tion­nelle et du temps et, in fine, d’avoir des coûts à la tonne trans­por­tée beau­coup plus com­pé­ti­tif. CMA CGM a aus­si la par­ti­cu­la­ri­té de s’être ins­tal­lé en Chine avant même son inté­gra­tion au com­merce mondial.

Aujourd’hui, le groupe est pré­sent dans plus de 160 pays et emploie plus de 160 000 col­la­bo­ra­teurs dans le monde. Le Groupe CMA CGM diver­si­fie éga­le­ment son acti­vi­té dans la presse et les médias et a créé en 2023 le pôle CMA Media.

Sur un plan plus opé­ra­tion­nel, nous cou­vrons tous les maillons de la chaîne logistique :

  • Le ship­ping avec plus de 20 mil­lions d’EVP (équi­valent vingt pieds), plus de 620 navires et plus de 50 ter­mi­naux portuaires ;
  • La logis­tique avec 10,5 mil­lions de m² d’entrepôts et d’espace de sto­ckage, 5,5 mil­lions de véhi­cules trans­por­tés et 26 mil­lions de tonnes de fret terrestre.

La pan­dé­mie a été un fac­teur de ren­for­ce­ment de notre posi­tion­ne­ment. Durant cette période, les prin­ci­paux acteurs du trans­port et de la logis­tique ont, d’ailleurs, enre­gis­tré des résul­tats solides.

Afin d’accompagner les évo­lu­tions du sec­teur et ren­for­cer notre posi­tion­ne­ment, le groupe réin­ves­tit jusqu’à 90 % de ses pro­fits dans la moder­ni­sa­tion de sa flotte de navires, l’achat de ter­mi­naux, la décar­bo­na­tion et la digi­ta­li­sa­tion du groupe.

Comment contribuez-vous au mouvement de décarbonation ainsi qu’à la transition énergétique ? 

Les acti­vi­tés de trans­port repré­sentent 24 % des émis­sions mon­diale de gaz à effet de serre. 3 % de ces émis­sions sont géné­rées par la flotte mari­time de com­merce. Lors de la COP28, le groupe CMA CGM s’est enga­gé, comme pré­cé­dem­ment men­tion­né, à réduire ses émis­sions de gaz à effet de serre de 30 % en 2030 et 80 % en 2040. Pour ce faire, nous nous concen­trons sur deux axes : la réduc­tion de nos consom­ma­tions éner­gé­tiques et un recours plus sys­té­ma­tique aux éner­gies renou­ve­lables et/ou décar­bo­nées. Le groupe a ain­si inves­ti 18 mil­liards dans le renou­vel­le­ment de la flotte pour 131 navires au GNL et métha­nol qui peuvent éga­le­ment consom­mer des car­bu­rants décar­bo­nés comme le bio­mé­tha­nol. Nous visons éga­le­ment la neu­tra­li­té à hori­zon 2050.

Nous nous ins­cri­vons aus­si dans une démarche d’excellence opé­ra­tion­nelle. Cela se tra­duit par le sui­vi des navires afin de véri­fier les risques de sur­con­som­ma­tion, l’optimisation de la vitesse pour évi­ter le temps d’attente aux ter­mi­naux et donc une consom­ma­tion inutile…

« Nous explorons toutes les pistes énergétiques. »

Nous explo­rons toutes les pistes éner­gé­tiques. Notam­ment, nous avons ini­tié la coa­li­tion NewE­ner­gies avec Air­bus, le Bureau Veri­tas ou encore de PSA Inter­na­tio­nal, enga­gée en faveur de l’accélération de la tran­si­tion éner­gé­tique du trans­port et de l’ensemble de la chaîne logis­tique. Fin 2023, nous avons lan­cé une col­la­bo­ra­tion avec Maersk pour déve­lop­per l’utilisation de car­bu­rants alternatifs.

D’ici 2026, nous avons éga­le­ment l’objectif d’équiper tous nos entre­pôts de pan­neaux solaires, soit 2,1 mil­lions de m2. Dès 2025, CEVA opé­re­ra 1 400 four­gons et camions électriques.

Nous nous sommes enga­gés en faveur de la pré­ser­va­tion de la bio­di­ver­si­té. Dans ce cadre, nos Fleet Cen­ters basés à Mia­mi, Mar­seille et Sin­ga­pour sont équi­pés d’une tech­no­lo­gie de repé­rage (RECEPT et Whale Safe) qui per­met de repé­rer les baleines afin d’éviter les col­li­sions. Nous avons noué de nom­breux par­te­na­riats pour la res­tau­ra­tion des éco­sys­tèmes fra­giles. Enfin, depuis 2022, nous ne trans­por­tons plus de déchets plastiques.

Quelle place occupe l’innovation et quelles sont les pistes explorées par votre groupe en ce sens ?

L’innovation est un pilier stra­té­gique pour le Groupe, qui inves­tit dans les nou­velles tech­no­lo­gies, notam­ment en matière d’IA, grâce à de nom­breux par­te­na­riats à valeur ajou­tée. Ces col­la­bo­ra­tions, avec des acteurs tels que Mis­tral AI, Kuy­taï et Google, visent non seule­ment à opti­mi­ser les coûts, mais aus­si à créer de nou­veaux ser­vices et à ima­gi­ner de nou­veaux busi­ness models.

Le Groupe CMA CGM mul­ti­plie, d’ailleurs, les par­te­na­riats inédits afin de favo­ri­ser l’émergence de solu­tions inno­vantes pour le trans­port mari­time et la logis­tique. Nous tra­vaillons ain­si avec le CNES.

En 2018, nous avons lan­cé notre incu­ba­teur et accé­lé­ra­teur de start-ups inter­na­tio­nal, ZEBOX qui offre à sa com­mu­nau­té d’entrepreneurs, de lea­ders de l’industrie et d’experts un ensemble de pro­grammes, de res­sources et d’opportunités. Depuis, nous avons accom­pa­gné plus 100 start-ups dans nos 6 hubs dans le monde. Enfin, dans cette démarche d’innovation, nous accor­dons aus­si une atten­tion par­ti­cu­lière à la mon­tée en com­pé­tences des col­la­bo­ra­teurs et au déve­lop­pe­ment de nou­velles com­pé­tences. Pour ce faire, nous capi­ta­li­sons sur TANGRAM, notre centre d’excellence pour la for­ma­tion et l’innovation pour créer le trans­port et la logis­tique durables de demain.

Pour relever ces défis, le capital humain est clé. Quels sont les profils d’ingénieurs que vous recrutez ? Quelles perspectives de carrières un acteur comme CMA CGM peut leur offrir ?

Nous comp­tons plu­sieurs X par­mi les cadres du groupe. Pour mener de front l’ensemble de nos chan­tiers et pour tenir nos enga­ge­ments, nous recru­tons des ingé­nieurs pour tra­vailler sur la décar­bo­na­tion de l’industrie et accom­pa­gner le déploie­ment de l’IA au ser­vice de nos métiers. Un groupe comme CMA CGM peut offrir de nom­breuses oppor­tu­ni­tés pour ces pro­fils dans des domaines variés (R&D, Ener­gie, Ingé mari­time, log & sup­ply chain, IT & data, RSE, QSE) sur des fonc­tions diverses sou­vent trans­verses (postes tech­niques, ges­tion de pro­jet, chef­fe­rie de cabi­net, etc.), mais aus­si des oppor­tu­ni­tés à l’international via des pro­grammes d’excellence dédiés comme Emer­ging Talents ou nos Gra­duate Programs.

Comment imaginez-vous la logistique et la supply chain ? Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?

Aujourd’hui, nous vivons un véri­table chan­ge­ment de para­digme qui nous pousse à repen­ser nos modèles afin de faire face à des crises de plus en plus fré­quentes et sou­vent simul­ta­nées. Face à ce contexte, le sec­teur doit repen­ser son orga­ni­sa­tion, iden­ti­fier des routes alter­na­tives, voire réin­ven­ter son modèle, alors que les crises, les guerres et la pan­dé­mie qui sont res­pon­sables de rup­tures d’approvisionnement poussent vers une pro­duc­tion plus locale ou régionale.

Sur le plan tech­no­lo­gique, nous explo­rons aus­si de nom­breuses pistes visant à accé­lé­rer l’automatisation des entre­pôts avec une uti­li­sa­tion accrue des robots, drones et sys­tèmes auto­ma­ti­sés pour la ges­tion des stocks et la livrai­son des pro­duits, ce qui per­met­tra d’augmenter l’efficacité, mais aus­si de réduire les coûts. La tech­no­lo­gie est aus­si cen­trale pour amé­lio­rer l’expérience client et offrir aux clients un accès conti­nu et en temps réel aux infor­ma­tions, une assis­tance instantanée…

Enfin, il s’agit d’intégrer de plus en plus de modèles d’économie cir­cu­laire pour contri­buer aux efforts glo­baux en matière de tran­si­tion éco­lo­gique et construire un ave­nir plus durable. 

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