L’Arcep : accompagner, fiabiliser et pérenniser les réseaux et infrastructures numériques en France

Dossier : Vie des entreprises - Logistique et supply chain, les infrastructures du numériqueMagazine N°800 Décembre 2024
Par Olivier COROLLEUR (X98)

Fina­li­sa­tion du déploie­ment de la fibre, 5G, fer­me­ture du réseau his­to­rique en cuivre, péren­ni­sa­tion et fia­bi­li­sa­tion des réseaux, réduc­tion de l’empreinte car­bone et envi­ron­ne­men­tale… sont autant de chan­tiers qui mobi­lisent l’Arcep, l’Autorité de régu­la­tion du sec­teur. Oli­vier Corol­leur (X98), direc­teur géné­ral de l’Arcep, nous en dit plus.

Créée en 1997, l’Arcep va bientôt fêter son 30e anniversaire. Comment son périmètre d’action et ses prérogatives ont-ils évolué au cours des dernières décennies ?

L’Arcep est une auto­ri­té admi­nis­tra­tive indé­pen­dante, active dans la régu­la­tion des sec­teurs des télé­com­mu­ni­ca­tions, des infra­struc­tures numé­riques, des postes, de la dis­tri­bu­tion de la presse. En 1997, elle a vu le jour dans un contexte mar­qué par l’ouverture du sec­teur des télé­com­mu­ni­ca­tions à la concur­rence. Depuis, le sec­teur a connu de pro­fondes muta­tions avec notam­ment le déve­lop­pe­ment l’internet fixe, le déploie­ment des réseaux mobiles, puis de la fibre optique, le pro­chain arrêt du réseau his­to­rique en cuivre…

En rai­son de l’importance crois­sante des réseaux, notam­ment pour la vie éco­no­mique du pays, le légis­la­teur euro­péen a jugé néces­saire la créa­tion d’une auto­ri­té indé­pen­dante pour assu­rer le bon déve­lop­pe­ment de ces réseaux. Son indé­pen­dance est, par ailleurs, à consi­dé­rer par rap­port aux acteurs éco­no­miques et aux pou­voirs publics et son action est contrô­lée par le Par­le­ment et la Com­mis­sion Européenne.

Depuis sa créa­tion, l’Arcep s’est, en outre, vu confier de nou­velles mis­sions, dont la régu­la­tion du sec­teur pos­tal en 2005, puis de la dis­tri­bu­tion de la presse, en 2019. Plus récem­ment, la loi visant à sécu­ri­ser et régu­ler l’espace numé­rique du 21 mai 2024 a confié de nou­velles mis­sions de régu­la­tion à l’Arcep, d’une part sur le mar­ché de l’informatique en nuage (cloud), en anti­ci­pa­tion du règle­ment euro­péen sur les don­nées (Data Act), et d’autre part sur les pres­ta­taires de ser­vices d’intermédiation de don­nées, en appli­ca­tion du règle­ment euro­péen sur la gou­ver­nance des don­nées (« Data Gover­nance Act »).

“L’Arcep vise à s’assurer que les dynamiques et les intérêts des opérateurs se concilient avec les objectifs de connectivité du territoire, de compétitivité et de concurrence au bénéfice des utilisateurs.”

Pour l’ensemble de ses mis­sions, l’Arcep vise à s’assurer que les dyna­miques et les inté­rêts des opé­ra­teurs se conci­lient avec les objec­tifs de connec­ti­vi­té du ter­ri­toire, de com­pé­ti­ti­vi­té et de concur­rence au béné­fice des uti­li­sa­teurs. L’Arcep contri­bue ain­si à créer les condi­tions d’investissements des opé­ra­teurs pri­vés et publics dans les infra­struc­tures afin notam­ment d’améliorer la connec­ti­vi­té des ter­ri­toires. En France métro­po­li­taine et en Outre-mer, cela se tra­duit notam­ment par la pour­suite de la dyna­mique de déploie­ment de la fibre optique et des réseaux mobiles, par la sur­veillance du bon fonc­tion­ne­ment des mar­chés des ser­vices pos­taux et de la dis­tri­bu­tion de la presse, qui repré­sentent des infra­struc­tures vitales au quo­ti­dien pour les entre­prises et les particuliers.

Pour ce faire, l’Arcep contri­bue aux pro­grammes gou­ver­ne­men­taux, accom­pagne les col­lec­ti­vi­tés locales et contrôle le res­pect des obli­ga­tions de déploie­ment des opé­ra­teurs. L’Arcep est aus­si le garant de l’ouverture du mar­ché à de nou­veaux acteurs et à toutes les formes d’innovations.

À la tête de l’Arcep depuis août 2024, quelles sont les grandes lignes de votre feuille de route ?

Il s’agit de conso­li­der les mis­sions his­to­riques de l’Arcep et d’intégrer les nou­veaux champs d’intervention qui lui ont été confiés dans le domaine du numé­rique et de la pro­tec­tion de l’environnement. Cela implique, dans un cadre bud­gé­taire contraint, de déployer de nou­velles équipes capables de prendre en charge ces nou­velles mis­sions, mais aus­si de faire mon­ter en com­pé­tences nos col­la­bo­ra­teurs autour des nou­veaux enjeux rela­tifs à ces missions. 

Au cœur des chantiers qui mobilisent l’Arcep, on retrouve le déploiement de la fibre optique avec notamment le plan THD. Pouvez-vous nous rappeler le contexte autour de ce chantier d’envergure, son état d’avancement et les freins qui persistent dans cette démarche ? 

Ce chan­tier a été lan­cé il y a déjà une quin­zaine d’années avec l’objectif ambi­tieux d’avoir une cou­ver­ture com­plète du ter­ri­toire natio­nal par les réseaux de fibre optique jusqu’à l’abonné. Aujourd’hui, près de 90 % des Fran­çais sont rac­cor­dables à la fibre. Un suc­cès qui per­met à la France d’être très bien posi­tion­née sur ce sujet à l’échelle inter­na­tio­nale. En paral­lèle, la fibre connaît aus­si un suc­cès com­mer­cial puisque près de 70 % des abon­ne­ments au très haut débit aujourd’hui uti­lisent les réseaux en fibre optique. Il est impor­tant de sou­li­gner que ce suc­cès est celui d’une filière : opé­ra­teurs com­mer­ciaux, opé­ra­teurs d’infrastructure et leurs sous-trai­tants, fabri­cants d’équipements… c’est l’ensemble du sec­teur qui col­lec­ti­ve­ment a réus­si ce déploie­ment indus­triel des réseaux de fibre optique à un rythme sou­te­nu avec le sou­tien des col­lec­ti­vi­tés locales et de l’État. 

« Cest l’ensemble du secteur qui collectivement a réussi ce déploiement industriel des réseaux de fibre optique à un rythme soutenu avec le soutien des collectivités locales et de l’État. »

Le déploie­ment mas­sif a, néan­moins, entraî­né cer­tains écueils. Dans cer­taines zones, les réseaux n’ont pas tou­jours été déployés dans les règles de l’art, ce qui implique aujourd’hui une exploi­ta­tion dif­fi­cile. Cer­tains réseaux ne four­nissent ain­si pas la qua­li­té de ser­vice atten­due avec des pannes fré­quentes ou d’importants délais. Ces mal­fa­çons concernent 1 à 2 % des lignes et il s’agit donc de les remettre en état en prio­ri­té. Au-delà, pour assu­rer et garan­tir dans la durée la qua­li­té des réseaux en fibre optique, il convient aus­si que les opé­ra­teurs s’inscrivent dans une démarche indis­pen­sable d’amélioration de la qua­li­té des inter­ven­tions sur les réseaux et de ren­for­ce­ment des contrôles. 

L’Arcep s’est sai­si de ces enjeux dès 2019 avec la mise en place d’un groupe de tra­vail qui a abou­ti à une feuille de route qua­li­té en 2020, puis l’engagement de l’ensemble des opé­ra­teurs du sec­teur en 2022 autour de quatre grands axes : le ren­for­ce­ment de la for­ma­tion des inter­ve­nants sur les réseaux, le ren­for­ce­ment des contrôles, l’optimisation de la qua­li­té des rac­cor­de­ments et la mise en place des plans de reprise spé­ci­fique des infra­struc­tures dégradées.

Et sur ce sujet, comment travaillez-vous avec les collectivités locales ?

Les col­lec­ti­vi­tés locales sont, en quelque sorte, nos vigies, car elles sont les pre­mières sol­li­ci­tées (notam­ment les mai­ries) en cas de dys­fonc­tion­ne­ment sur les réseaux. Grâce aux infor­ma­tions qu’elles nous remontent, nous sommes en mesure d’avoir une fine visi­bi­li­té sur la situa­tion et d’identifier plus faci­le­ment et rapi­de­ment les zones qui néces­sitent une action prioritaire. 

Les col­lec­ti­vi­tés locales agissent aus­si en tant que finan­ceur des réseaux d’initiatives publiques. Elles portent les pro­jets d’aménagement numé­rique du ter­ri­toire dans les zones rurales et notam­ment les pro­jets de réseaux d’initiative publique en fibre optique dans les zones où les opé­ra­teurs pri­vés n’ont pas sou­hai­té inves­tir sur fonds propres.

L’Arcep a aussi la mission d’accompagner la fermeture du réseau en cuivre historique d’Orange. Qu’en est-il ? Quel est le calendrier ? Quels sont les enjeux à ce niveau ?

La fer­me­ture du réseau de cuivre his­to­rique d’Orange a débu­té en 2019 et devrait être fina­li­sée à hori­zon 2030. Nous avons ache­vé les pre­mières phases d’expérimentation et allons entrer pro­gres­si­ve­ment dans une phase de mon­tée en charge de ce chantier.

Dans cette démarche, le prin­ci­pal enjeu est d’achever le déploie­ment du réseau de fibre optique, puisqu’il ne sera pas pos­sible d’arrêter le cuivre si le réseau qui a voca­tion à le rem­pla­cer n’est pas opérationnel.

En paral­lèle, il s’agit aus­si d’accompagner la migra­tion des entre­prises qui ont besoin de temps, mais aus­si d’un accom­pa­gne­ment spé­ci­fique alors que le réseau est vital pour leur activité.

Il y a éga­le­ment un enjeu de sen­si­bi­li­sa­tion et de péda­go­gie afin que toutes les par­ties pre­nantes com­prennent bien ce chan­tier, ses enjeux et ses objec­tifs afin que cette tran­si­tion s’opère dans les meilleures condi­tions possibles. 

En charge du contrôle des opérateurs mobiles et alors que le déploiement de la 5G se poursuit, quels sont les sujets qui vous mobilisent dans ce cadre ?

Tout d’abord, nous sommes mobi­li­sés sur le contrôle des obli­ga­tions des opé­ra­teurs. Dans la conti­nui­té du New Deal Mobile (un dis­po­si­tif mis en place fin 2017 – début 2018, pour accé­lé­rer la cou­ver­ture des zones rurales), les opé­ra­teurs sont actuel­le­ment dans une phase de déploie­ment inten­sive. Ils ont pris des enga­ge­ments qui ont été trans­crits dans leurs auto­ri­sa­tions d’utilisation de fré­quences et qui se sont notam­ment tra­duits par un pro­grès impor­tant de la cou­ver­ture mobile ces der­nières années, notam­ment dans les zones les plus rurales. Au niveau du déploie­ment de la 5G, la cou­ver­ture et le nombre d’utilisateurs actifs pro­gressent rapi­de­ment. La pro­chaine étape sera le déve­lop­pe­ment des ser­vices de 5G stand-alone, qui doivent per­mettre plus d’innovation.

En paral­lèle, l’Arcep a aus­si la mis­sion d’assurer la ges­tion et l’attribution des fré­quences radio­élec­triques. Actuel­le­ment, des appels à can­di­da­tures sont notam­ment en cours dans les ter­ri­toires ultramarins.

Alors que le déploiement des infrastructures du numérique se poursuit, la question de l’empreinte environnementale et carbone devient centrale. Comment l’Arcep appréhende cette question ?

Depuis 2019, l’Arcep s’est beau­coup inves­ti sur le sujet de l’empreinte envi­ron­ne­men­tale du numé­rique, avec l’objectif d’en faire un nou­veau cha­pitre de sa régu­la­tion. En sa qua­li­té de régu­la­teur, il s’agit pour l’Arcep de trou­ver les moyens qui per­mettent de conci­lier l’objectif de réduc­tion de l’empreinte envi­ron­ne­men­tale numé­rique avec les objec­tifs tra­di­tion­nels de régu­la­tion : une concur­rence loyale, équi­table et une connec­ti­vi­té de qua­li­té sur l’ensemble du ter­ri­toire, etc.

“Depuis 2019, l’Arcep s’est beaucoup investi sur le sujet de l’empreinte environnementale du numérique, avec l’objectif d’en faire un nouveau chapitre de sa régulation.”

Dans cette logique, nous avons enga­gé une réflexion col­lec­tive et un cer­tain nombre d’actions : la publi­ca­tion d’une enquête annuelle « Pour un numé­rique sou­te­nable » ; les rap­ports et publi­ca­tions de l’Arcep, dont le rap­port annuel qui intègre un bilan envi­ron­ne­men­tal du sec­teur des com­mu­ni­ca­tions élec­tro­niques, des ter­mi­naux et des centres de don­nées… L’Arcep a éga­le­ment mis en place un comi­té d’experts sur le mobile, qui a publié une étude com­pa­ra­tive de la consom­ma­tion éner­gé­tique engen­drée par le déploie­ment de réseaux 4G et 5G (dans la bande 3,5 GHz), avec celle qui aurait été engen­drée dans un scé­na­rio de déploie­ment de la 4G seule. 

Avec l’Arcom et en lien avec l’Ademe, nous avons publié en octobre 2024 une étude inédite sur l’impact envi­ron­ne­men­tal des usages audio­vi­suels en France en 2022 et à l’horizon 2030. À l’échelle euro­péenne, nous contri­buons aus­si aux tra­vaux avec le Groupe des régu­la­teurs euro­péens des télé­coms, le BEREC, qui a ren­du un pre­mier rap­port en juin 2022. Au niveau inter­na­tio­nal, nous contri­buons aux tra­vaux de l’Union inter­na­tio­nale des télé­com­mu­ni­ca­tions, de l’OCDE…

En mars dernier, vous avez publié la 3e édition de votre enquête annuelle « Pour un numérique soutenable ». Que faut-il en retenir ?

Dans cette édi­tion, nous avons élar­gi le péri­mètre de l’enquête. Alors que les pré­cé­dentes édi­tions de l’enquête se sont concen­trées sur les quatre prin­ci­paux opé­ra­teurs de réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions, nous avons com­plé­té cette édi­tion avec une ana­lyse de la consom­ma­tion élec­trique des box inter­net, répé­teurs wifi et déco­deurs TV, ain­si que des don­nées col­lec­tées auprès des opé­ra­teurs de centres de don­nées et des fabri­cants de ter­mi­naux, qui repré­sentent la majo­ri­té des impacts envi­ron­ne­men­taux du numérique.

« La consommation énergétique des réseaux fixes et des box dépend peu du trafic de données, contrairement à celle des réseaux mobiles. »

Par­mi les prin­ci­paux ensei­gne­ments de cette étude, on peut notam­ment rete­nir que :

  • Les émis­sions de gaz à effet de serre des opé­ra­teurs télé­coms pro­gressent, por­tées par la crois­sance des usages : alors qu’en 2022 les émis­sions de GES en France ont dimi­nué de 2,7 % par rap­port à 2021, celles des prin­ci­paux opé­ra­teurs télé­coms ont aug­men­té de 2 % en un an, pas­sant de 373 000 à 382 000 tonnes équi­valent CO2 ;
  • La consom­ma­tion éner­gé­tique des réseaux mobiles pro­gresse, tan­dis que celle des réseaux fixes baisse du fait notam­ment de la pour­suite de la tran­si­tion du réseau cuivre vers les réseaux en fibre optique, dont l’efficacité éner­gé­tique est net­te­ment supérieure ;
  • La consom­ma­tion élec­trique des box et déco­deurs TV est très variable selon les modèles et plus de trois fois supé­rieure à celle des réseaux fixes (défi­nis comme l’ensemble des équi­pe­ments d’un opé­ra­teur per­met­tant de four­nir l’accès télé­pho­nique ou à Inter­net par une liai­son filaire, jusqu’à la prise de ter­mi­nai­son du réseau de l’opérateur chez le client) ;
  • La consom­ma­tion éner­gé­tique des réseaux fixes et des box dépend peu du tra­fic de don­nées, contrai­re­ment à celle des réseaux mobiles ;
  • La part des télé­phones recon­di­tion­nés dans les ventes des opé­ra­teurs reste très faible ;
  • Les émis­sions de gaz à effet de serre des opé­ra­teurs de centre de don­nées ont aug­men­té de 14 % en un an, por­tées par la pro­gres­sion de la consom­ma­tion électrique ;
  • Les fabri­cants de ter­mi­naux repré­sentent la majo­ri­té des émis­sions de GES des acteurs étu­diés dans notre enquête.

Et pour conclure, quelques mots sur vos autres missions, dont la régulation des activités postales.

En matière de régu­la­tion des acti­vi­tés pos­tales, l’Arcep joue le rôle d’un tiers de confiance entre le gou­ver­ne­ment et La Poste, dans un contexte de dimi­nu­tion rapide des volumes de cour­riers qui entraîne une trans­for­ma­tion pro­fonde des acti­vi­tés pos­tales et des mis­sions de ser­vices publics confiées à La Poste. Dans ce cadre, l’Arcep est notam­ment en charge de mesu­rer le coût de trois des mis­sions de ser­vice public confiées à La Poste, à savoir le ser­vice uni­ver­sel pos­tal, l’aménagement du ter­ri­toire et la dis­tri­bu­tion de la presse impri­mée, afin de sécu­ri­ser juri­di­que­ment le ver­se­ment de la com­pen­sa­tion par le gouvernement.

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