La dérivée est négative
Faute d’une distinction entre ce qui en anglais se dit teach ou learn, l’ambiguïté se niche derrière le mot d’éducation. Manière d’éduquer ou de recevoir un enseignement, résultat d’un parcours de formation, et bien sûr le cas particulier de l’X, c’est un dossier à plusieurs entrées que La Jaune et la Rouge ouvre ce mois-ci. Comme le suggère Hervé Joly sur le contenu des enseignements à l’X, il convient de voir les choses dans la longue durée et de faire le départ entre les mouvements de fond et les effets de mode. Les articles qui suivent proposent de se mettre à la page sur les tendances actuelles.
Lorsque la communauté polytechnicienne prend la parole sur ce thème, ce n’est pas gratuit tant les questions relatives à la transmission des savoirs y suscitent de débats animés mais posent aussi celle du rôle de l’École polytechnique, institution-de-référence, dont la place éminente est due à la qualité des savoirs qu’elle transmet mais peut-être encore davantage à la sélectivité de son recrutement.
Le fait polytechnicien est en réalité la somme de trois dimensions se confortant mutuellement, une infrastructure d’apprentissage (des profs, des équipes de recherche, des lieux), des élèves scolairement aguerris, et des anciens qui s’aideront les uns les autres à tracer leur route singulière. Au XXe siècle l’X a progressivement quitté le statut d’école de formation de nombreux militaires et au début du XXIe elle n’était plus que très minoritairement une formation aux corps techniques de l’État. Et pourtant, dans cette longue mutation des besoins, l’X est complètement restée elle-même, on est passé des officiers d’active aux « officiers de la guerre économique » comme disait Bernard Esambert, au tournant des années 80–90, mais l’X est restée ce lieu d’excellence qui fait des envieux et voit naître une variété de carrières sans pareille.
“Dans cette longue mutation des besoins, l’X est complètement restée elle-même.”
Entretemps, le niveau moyen requis en sciences dans le secondaire a baissé de façon régulière ces trente dernières années. Les résultats de l’étude internationale TIMSS publiés au mois de décembre montrent que la baisse se poursuivait ces derniers temps. Le baccalauréat a perdu (de) son sens et, dernièrement, les jeunes filles ont beaucoup profité de la proposition qui était faite par la réforme de 2019 pour se détourner des sciences « dures » en fin de lycée. Il se peut que ces circonstances aient eu pour conséquence de faire reculer la diversité sociale dans les promotions des grandes écoles (les enfants-de-bonne-famille-et‑d’enseignants se débrouillent mieux que les autres pour se hisser au-dessus du modeste niveau demandé), et aussi que cela explique que la promo d’ingénieurs X2024 y ait marqué un recul de l’accession des filles.
On n’est plus aux temps où l’enseignement à l’X était exclusivement composé de sciences dures, prolongeant la scolarité des classes préparatoires en tirant seulement les concepts plus loin. Depuis lors la pluridisciplinarité est devenue la règle, l’École s’est vraiment ouverte à l’international et a élargi son recrutement aux étudiants de l’université. Les transitions actuelles, numérique – à marche forcée, écologique – petit à petit, géopolitique, ont conduit l’École à épouser en partie les poussées économiques et sociétales de l’époque. Pourvu que les enseignements, quelles que soient les matières, soient de haute tenue, le triptyque Infrastructure/Élèves/Alumni continuera de faire briller la flamme de l’École.
Chers lecteurs fidèles de La Jaune et la Rouge, le conseil et l’équipe de l’AX à votre service vous souhaitent une très belle année 2025 !
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