Pierre de La Grand’Rive (X16), cofondateur de Delos Intelligence

« L’IA générative constitue une nouvelle branche de l’informatique » Pierre de La Grand’Rive (X16), cofondateur de Delos Intelligence

Dossier : TrajectoiresMagazine N°801 Janvier 2025
Par Hervé KABLA (X84)

En 2023, Pierre de La Grand’Rive (X16) a cofon­dé Delos Intel­li­gence, qui est une agence de ser­vices et de conseil infor­ma­tique spé­cia­li­sée dans l’IA géné­ra­tive. Face aux dif­fi­cul­tés posées par cette tech­no­lo­gie, telles que les fuites des don­nées ou les hal­lu­ci­na­tions des machines, Delos Intel­li­gence aide ses clients, au moyen de LLMs sur mesure, à éva­luer les risques encou­rus, puis à construire des solu­tions sécu­ri­sées, robustes et fiables. Les gains de temps de tra­vail sont dans cer­tains domaines énormes.

Quelle est l’activité de Delos Intelligence ?

Delos Intel­li­gence est une jeune entre­prise, spé­cia­li­sée en IA géné­ra­tive. Nous déve­lop­pons des modèles d’orchestration, une nou­velle géné­ra­tion de tech­no­lo­gies d’IA géné­ra­tive, des­ti­nés à mettre en action les LLMs (grands modèles de lan­gage) en les spé­cia­li­sant sur des tâches par­ti­cu­lières. Ces tech­no­lo­gies avant-gar­distes, encore peu étu­diées, ont pour objet de sor­tir du cadre du LLM omni­po­tent. Nous met­tons ces modèles à dis­po­si­tion dans la pla­te­forme Cos­mos, un espace de tra­vail cen­tra­li­sé, fon­dé sur l’IA géné­ra­tive, qui per­met de réin­ven­ter com­plè­te­ment la manière dont nous tra­vaillons et d’assister le col­la­bo­ra­teur du ter­tiaire dans toutes les tâches de son quo­ti­dien : réflexion, rédac­tion, recherche inter­net, réunion, trai­te­ment documentaire.

Quel est le parcours des fondateurs ?

L’entreprise a été mon­tée par moi-même, Pierre de La Grand’Rive (direc­teur exé­cu­tif, X16), et mon frère, Thi­baut de La Grand’Rive (direc­teur com­mer­cial, IÉSEG), deux frères aux pro­fils com­plé­men­taires. À l’X, j’avais fait le mas­ter « algo­rith­mique avan­cée », avant un pas­sage en algo­rith­mique quan­tique chez EDF, puis de revi­rer com­plè­te­ment pour trois années sur le ter­rain dans le sec­teur du BTP. Thi­baut de son côté tra­vaillait aupa­ra­vant comme ache­teur inter­na­tio­nal chez Stellantis.

Comment vous est venue l’idée ?

Cela fai­sait un moment que nous cher­chions à déve­lop­per une acti­vi­té propre, sans savoir encore pré­ci­sé­ment dans quel domaine. Nous avons mené quelques expé­ri­men­ta­tions au cours de l’année 2022, qui sont res­tées infruc­tueuses, mais qui nous ont mis dans une vraie dyna­mique d’entre­preneuriat. La sor­tie de GPT‑3.5 nous a véritable­ment sidé­rés, nous inci­tant immé­diatement à appro­fon­dir le sujet. Nous avons donc lan­cé un pro­jet de jour­nal auto­nome, en paral­lèle avec notre tra­vail. Après quelques mois d’expérimentation, nous étions plei­ne­ment convain­cus et avons déci­dé de fon­der l’entreprise en juillet 2023.

Qui sont les concurrents ?

L’IA géné­ra­tive est un sec­teur très concur­ren­tiel. Nos concur­rents sont prin­ci­pa­le­ment les mas­to­dontes amé­ri­cains, comme Micro­soft, qui tentent d’intégrer de l’IA géné­ra­tive dans leurs solu­tions tra­di­tion­nelles (ce qui jusqu’à main­te­nant n’est pas très concluant), ou de jeunes acteurs, qui déve­loppent de nou­velles pla­te­formes. À notre avis, le prin­ci­pal défaut de la plu­part des acteurs du sec­teur réside dans leur choix una­nime d’une approche cen­trée sur l’expérience du chat­bot, une stra­té­gie en laquelle nous croyons peu. Nous nous sommes démar­qués en pro­po­sant un espace de tra­vail offrant des inter­ac­tions avec l’IA très dif­fé­rentes et bien plus intui­tives, car conçues autour des usages et de l’interaction homme-IA. Notre deuxième point fort réside dans notre rapi­di­té d’exécution : nous sommes enga­gés dans des pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment per­ma­nent et nous intro­dui­sons de nou­veaux ser­vices sur la pla­te­forme envi­ron tous les mois.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?

La pre­mière étape clé a évi­dem­ment été la signa­ture de notre pre­mier gros contrat, avec Allianz France, après quelques mois de pros­pec­tion, qui nous a per­mis de décol­ler, de mon­ter l’équipe et de nous consti­tuer une pre­mière réfé­rence inter­na­tio­nale. La deuxième a été la mise sur le mar­ché de notre pla­te­forme Cos­mos, en sep­tembre 2024, qui a connu très vite un grand suc­cès et a confir­mé notre tran­si­tion vers un modèle de SaaS (ser­vice fon­dé sur le cloud).

Qu’est-ce qui distingue l’IA générative des trois dernières décennies d’IA ?

Si Delos s’est spé­cia­li­sée immé­dia­te­ment en IA géné­ra­tive, c’est parce que nous avons rapi­de­ment com­pris que cette nou­velle géné­ra­tion d’IA était fon­da­men­ta­le­ment dif­fé­rente des tech­no­lo­gies pré­cé­dentes, en par­ti­cu­lier des tech­niques tra­di­tion­nelles de data et de machine lear­ning. Selon nous, voi­ci deux dif­fé­rences essen­tielles : l’absence d’entraînement (contrai­re­ment aux techno­logies de machine lear­ning, il n’est pas néces­saire de pro­cé­der à un entraî­ne­ment, seule­ment à un para­mé­trage ; cela sim­pli­fie et accé­lère consi­dé­ra­ble­ment le déve­lop­pe­ment des sys­tèmes) ; la poly­va­lence (nous tra­vaillons avec des sys­tèmes non spé­cia­li­sés, capables aus­si bien de rédi­ger du texte, de coder, que d’extraire des don­nées tex­tuelles d’un docu­ment ; cela change com­plè­te­ment l’approche du fonc­tion­ne­ment en silo qui pré­va­lait jusqu’à présent).

Le potentiel offert par ce type de technologie est-il si énorme qu’on le dit, et pourquoi ?

Le poten­tiel est véri­ta­ble­ment immense. Plu­sieurs métiers seront pro­fon­dé­ment trans­for­més dans un futur proche, notam­ment les centres d’appels et le sou­tien client. Par exemple, dans un cas d’usage déve­lop­pé pour Allianz, nous avons réus­si à réduire le temps de rédac­tion d’un docu­ment com­plexe de trois heures à seule­ment trois minutes, soit une divi­sion par cent. Pour un cabi­net de conseil, l’une de nos tech­no­lo­gies de véri­fi­ca­tion de confor­mi­té a per­mis de dimi­nuer le temps de tra­vail d’un consul­tant de cinq jours à moins d’une demi-jour­née. Même si ce sont des tâches pré­cises, voi­là les pre­miers signes des chan­ge­ments consi­dé­rables qui sont à venir.

“Des changements considérables sont à venir.”

Et quelles en sont les limites ?

D’une part, il y a le pro­blème de fia­bi­li­té et d’hallucinations, lar­ge­ment média­ti­sé, qui néces­site la mise en place de sys­tèmes de contrôle et de tech­no­lo­gies robustes pour les contrer. Ce pro­blème est prin­ci­pa­le­ment d’ordre tech­nique et les amé­lio­ra­tions à venir per­met­tront rapi­de­ment de cor­ri­ger ce genre de défauts. D’autre part, il y a le chan­ge­ment orga­ni­sa­tion­nel au sein des entre­prises, qui doivent adop­ter un état d’esprit ouvert à ces trans­for­ma­tions et les inté­grer plei­ne­ment, sans exa­gé­rer ce qu’il est pos­sible de faire à l’heure actuelle. Nous sommes encore bien loin de la dis­pa­ri­tion du tra­vail humain qu’annonçait Elon Musk il y a un an.

Après le buzz généré par ChatGPT il y a deux ans, on a pourtant l’impression que l’en­thousiasme diminue ?

Je ne suis vrai­ment pas inquiet : nous sommes actuel­le­ment dans la deuxième phase du cycle de Gart­ner. De nom­breux acteurs se sont pré­ci­pi­tés après la sor­tie de ChatGPT, inves­tis­sant mas­si­ve­ment en mar­ke­ting sans réel­le­ment réflé­chir aux cas d’usage concrets. Pen­dant un an et demi, les réseaux ont été inon­dés de vidéos de démons­tra­tion, ali­men­tées par une véri­table eupho­rie. Cepen­dant, une phase de dés­illu­sion a sui­vi, les résul­tats n’étant pas à la hau­teur des pro­messes. Aujourd’hui, les uti­li­sa­teurs sont deve­nus plus exi­geants et recherchent des retours sur inves­tis­se­ment tan­gibles. C’est pré­ci­sé­ment dans cette phase que nous sou­hai­tons nous impo­ser et faire connaître notre solu­tion, qui a été conçue dès le départ avec une logique de solidité.

Les X sont-ils particulièrement préparés pour devenir les leaders dans ce domaine ?

Je suis convain­cu que l’IA géné­ra­tive consti­tue une nou­velle branche de l’informatique, par­ti­cu­liè­re­ment adap­tée aux X. Com­pa­rée aux tech­no­lo­gies pré­cé­dentes, elle est extrê­me­ment com­plexe et néces­site des tech­no­lo­gies robustes, qui ne peuvent être déve­lop­pées que par des per­sonnes ayant une for­ma­tion scien­ti­fique et mathé­ma­tique aus­si rigou­reuse que celle dis­pen­sée par les grandes écoles d’ingénieurs fran­çaises. Nous nous diri­geons vers une com­pé­ti­tion intel­lec­tuelle de plus en plus intense, où la puis­sance céré­brale joue­ra un rôle crois­sant. Les X sont par­fai­te­ment pré­pa­rés pour rele­ver ce défi ! 

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