Jean-François Bénard (X62), le service public chevillé au corps
Depuis Louis Athanase Rendu, X1794 qui en 1816 fut nommé procureur général près la Cour des comptes par Louis XVIII, Jean-François Bénard est le quatrième polytechnicien à avoir occupé cette prestigieuse fonction. Elle vient conclure un parcours professionnel d’une grande richesse, émaillé d’anecdotes que notre camarade raconte avec truculence.
Commençons par l’une d’elles, pour planter le décor – elle rappellera une scène d’un film populaire sur un facteur muté dans le nord de la France. Jeune énarque en stage à la préfecture de Châteauroux, Jean-François Bénard est chargé de faire le tour des bourgs du département, afin de déterminer lesquels se verront attribuer le label « village fleuri ». À chaque étape, la délégation est accueillie avec de bons vins. Et curieusement, au fur et à mesure de la journée, les notes attribuées par le comité ont tendance à être de plus en plus généreuses, allez savoir pourquoi.
Le choix de l’État
Ce choix d’une carrière administrative, juste après Polytechnique, était peut-être la conséquence inconsciente d’une forme d’atavisme familial : du côté de la mère de Jean-François, nombreux étaient ceux qui avaient embrassé la fonction publique, comme postiers, militaires ou instituteurs. Son père, lui, donnait à ses enfants un bel exemple d’ascension sociale : ayant débuté sa carrière de dessinateur industriel en traçant les courbes de semelles de chaussures, il deviendra architecte diplômé. Né à Auxerre en 1943, Jean-François Bénard arrive à Billancourt à l’âge de sept ans, fait sa scolarité au lycée Claude-Bernard et sa prépa à Louis-le-Grand. Un temps intéressé par la physique théorique (« j’étais persuadé que notre génération trouverait l’équation unifiant la physique quantique et la relativité générale, j’étais persuadé qu’elle maîtriserait la fusion nucléaire »), il lui préfère finalement l’ENA « à une époque où l’on pouvait placer de nombreux espoirs dans les capacités d’action de l’État ».
Humain, trop humain !
Nommé auditeur à la Cour des comptes, il garde de ses premiers contrôles des répliques savoureuses. Par exemple, lorsque la responsable d’une régie municipale, embarrassée par ses questions, lui dit : « Écoutez, dites-moi plutôt combien je vous dois. » Ou lorsqu’il fait remarquer qu’un bâtiment administratif tout neuf a manifestement été surdimensionné, et obtient en retour cette remarque : « Non, nous ne nous sommes pas trompés, c’est la réalité qui n’a pas été conforme à ce qui aurait été souhaitable. » Fort de cette première expérience, Jean-François Bénard rejoint ensuite la direction générale des impôts.
“Le contrôle fiscal, c’était une sorte de confessionnal.”
Dirigeant le sensible service du contrôle fiscal, il voit passer toutes les personnalités un peu connues qui sont en délicatesse avec le fisc. « C’était une sorte de confessionnal, on me disait par exemple : Vous savez, j’ai une maîtresse, il faut bien que je lui fasse des cadeaux. » Il quittera ses fonctions peu après que son épouse lui aura fait remarquer que, rien qu’en observant les expressions de son mari lorsqu’il regardait la télévision, elle pouvait dire si la personne qui y apparaissait subissait ou non les diligences de son service.
L’expérience de l’industrie
Il passe alors quelques années comme directeur financier de l’Aérospatiale, puis devient directeur général de la SNCF, où il s’occupe notamment de la délicate transformation d’une organisation « par métiers » (matériel, infrastructures, etc.) en organisation « par activités » (TGV, Fret, Lignes régionales…). Revenu à la Cour des comptes, il préside le comité économique du médicament, qui fixe les prix de vente des prescriptions remboursées par la Sécurité sociale. Il doit alors trancher cette épineuse question : faut-il que le Viagra, qui arrive sur le marché, soit pris en charge par les pouvoirs publics ? La réponse sera non, malgré les plaidoiries de ceux qui estiment que la molécule contribue aussi à réduire le taux des dépressions.
On le voit ensuite passer deux années à la direction de Réseau ferré de France – durant une période où l’on continue sans relâche à étendre le réseau des lignes à grande vitesse. Revenu à la Cour en 2002, il est nommé procureur général trois ans plus tard. Il collaborera alors quotidiennement avec Philippe Séguin mais, sachant distinguer au premier coup d’œil les bons et les mauvais jours de ce premier président qu’il estime beaucoup, il parviendra à composer heureusement avec son caractère réputé difficile.
Une retraite active
En retraite depuis 2012, Jean-François Bénard reste actif sur de nombreux fronts. Intellectuel tout d’abord : sa deuxième épouse, rencontrée après son veuvage, fut professeur de philosophie ; ensemble ils donnent parfois des conférences sur des sujets de société comme la laïcité ou l’égalité femme-homme. Administratif ensuite : il est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et s’occupe par exemple de la prévention contre les infâmes « sextorsions », ces demandes de paiement en échange de la non-diffusion de fausses vidéos pornographiques réalisées par intelligence artificielle à partir de photographies d’adolescentes volées sur les réseaux sociaux. Familial, enfin : il est le père de quatre enfants – dont Pierre X91 –, qui lui ont donné onze petits-enfants – dont Jean X15. Deux polytechniciens, donc, mais aucun énarque.