Jean-François Bénard (X62), le service public chevillé au corps

Jean-François Bénard (X62), le service public chevillé au corps

Dossier : TrajectoiresMagazine N°801 Janvier 2025
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

Depuis Louis Atha­nase Ren­du, X1794 qui en 1816 fut nom­mé pro­cu­reur géné­ral près la Cour des comptes par Louis XVIII, Jean-Fran­çois Bénard est le qua­trième poly­tech­ni­cien à avoir occu­pé cette pres­ti­gieuse fonc­tion. Elle vient conclure un par­cours pro­fes­sion­nel d’une grande richesse, émaillé d’anecdotes que notre cama­rade raconte avec truculence.

Commen­çons par l’une d’elles, pour plan­ter le décor – elle rap­pel­le­ra une scène d’un film popu­laire sur un fac­teur muté dans le nord de la France. Jeune énarque en stage à la pré­fec­ture de Châ­teau­roux, Jean-Fran­çois Bénard est char­gé de faire le tour des bourgs du dépar­te­ment, afin de déter­mi­ner les­quels se ver­ront attri­buer le label « vil­lage fleu­ri ». À chaque étape, la délé­ga­tion est accueillie avec de bons vins. Et curieu­se­ment, au fur et à mesure de la jour­née, les notes attri­buées par le comi­té ont ten­dance à être de plus en plus géné­reuses, allez savoir pourquoi.

Le choix de l’État

Ce choix d’une car­rière admi­nis­tra­tive, juste après Poly­tech­nique, était peut-être la consé­quence incons­ciente d’une forme d’atavisme fami­lial : du côté de la mère de Jean-Fran­çois, nom­breux étaient ceux qui avaient embras­sé la fonc­tion publique, comme pos­tiers, mili­taires ou ins­ti­tu­teurs. Son père, lui, don­nait à ses enfants un bel exemple d’ascension sociale : ayant débu­té sa car­rière de des­si­na­teur indus­triel en tra­çant les courbes de semelles de chaus­sures, il devien­dra archi­tecte diplô­mé. Né à Auxerre en 1943, Jean-Fran­çois Bénard arrive à Billan­court à l’âge de sept ans, fait sa sco­la­ri­té au lycée Claude-Ber­nard et sa pré­pa à Louis-le-Grand. Un temps inté­res­sé par la phy­sique théo­rique (« j’étais per­sua­dé que notre géné­ra­tion trou­ve­rait l’équation uni­fiant la phy­sique quan­tique et la rela­ti­vi­té géné­rale, j’étais per­sua­dé qu’elle maî­tri­se­rait la fusion nucléaire »), il lui pré­fère fina­le­ment l’ENA « à une époque où l’on pou­vait pla­cer de nom­breux espoirs dans les capa­ci­tés d’action de l’État ».

Humain, trop humain !

Nom­mé audi­teur à la Cour des comptes, il garde de ses pre­miers contrôles des répliques savou­reuses. Par exemple, lorsque la res­pon­sable d’une régie muni­ci­pale, embar­ras­sée par ses ques­tions, lui dit : « Écou­tez, dites-moi plu­tôt com­bien je vous dois. » Ou lorsqu’il fait remar­quer qu’un bâti­ment admi­nis­tra­tif tout neuf a mani­festement été sur­di­men­sion­né, et obtient en retour cette remarque : « Non, nous ne nous sommes pas trom­pés, c’est la réa­li­té qui n’a pas été conforme à ce qui aurait été sou­hai­table. » Fort de cette pre­mière expé­rience, Jean-Fran­çois Bénard rejoint ensuite la direc­tion géné­rale des impôts.

“Le contrôle fiscal, c’était une sorte de confessionnal.”

Diri­geant le sen­sible ser­vice du contrôle fis­cal, il voit pas­ser toutes les per­son­na­li­tés un peu connues qui sont en déli­ca­tesse avec le fisc. « C’était une sorte de confes­sion­nal, on me disait par exemple : Vous savez, j’ai une maî­tresse, il faut bien que je lui fasse des cadeaux. » Il quit­te­ra ses fonc­tions peu après que son épouse lui aura fait remar­quer que, rien qu’en obser­vant les expres­sions de son mari lorsqu’il regar­dait la télé­vi­sion, elle pou­vait dire si la per­sonne qui y appa­rais­sait subis­sait ou non les dili­gences de son service.

L’expérience de l’industrie

Il passe alors quelques années comme direc­teur finan­cier de l’Aérospatiale, puis devient direc­teur géné­ral de la SNCF, où il s’occupe notam­ment de la déli­cate trans­for­ma­tion d’une orga­ni­sa­tion « par métiers » (maté­riel, infra­struc­tures, etc.) en orga­ni­sa­tion « par acti­vi­tés » (TGV, Fret, Lignes régio­nales…). Reve­nu à la Cour des comptes, il pré­side le comi­té éco­no­mique du médi­ca­ment, qui fixe les prix de vente des pres­crip­tions rem­bour­sées par la Sécu­ri­té sociale. Il doit alors tran­cher cette épi­neuse ques­tion : faut-il que le Via­gra, qui arrive sur le mar­ché, soit pris en charge par les pou­voirs publics ? La réponse sera non, mal­gré les plai­doi­ries de ceux qui estiment que la molé­cule contri­bue aus­si à réduire le taux des dépressions. 

On le voit ensuite pas­ser deux années à la direc­tion de Réseau fer­ré de France – durant une période où l’on conti­nue sans relâche à étendre le réseau des lignes à grande vitesse. Reve­nu à la Cour en 2002, il est nom­mé pro­cu­reur géné­ral trois ans plus tard. Il col­la­bo­re­ra alors quo­ti­dien­ne­ment avec Phi­lippe Séguin mais, sachant dis­tin­guer au pre­mier coup d’œil les bons et les mau­vais jours de ce pre­mier pré­sident qu’il estime beau­coup, il par­vien­dra à com­po­ser heureuse­ment avec son carac­tère répu­té difficile.

Une retraite active

En retraite depuis 2012, Jean-Fran­çois Bénard reste actif sur de nom­breux fronts. Intel­lec­tuel tout d’abord : sa deuxième épouse, ren­con­trée après son veu­vage, fut pro­fes­seur de phi­lo­so­phie ; ensemble ils donnent par­fois des confé­rences sur des sujets de socié­té comme la laï­ci­té ou l’égalité femme-homme. Admi­nis­tra­tif ensuite : il est membre de la Com­mis­sion natio­nale consul­ta­tive des droits de l’homme et s’occupe par exemple de la pré­ven­tion contre les infâmes « sex­tor­sions », ces demandes de paie­ment en échange de la non-dif­fu­sion de fausses vidéos porno­graphiques réa­li­sées par intel­li­gence arti­fi­cielle à par­tir de pho­to­gra­phies d’adolescentes volées sur les réseaux sociaux. Fami­lial, enfin : il est le père de quatre enfants – dont Pierre X91 –, qui lui ont don­né onze petits-enfants – dont Jean X15. Deux poly­tech­ni­ciens, donc, mais aucun énarque. 

Poster un commentaire