François Mayer (X45) : la jeunesse éternelle !
La rédaction est tombée amoureuse de François Mayer. On a ses faiblesses… Ça a commencé par la lecture de La Digue de sable et ça a empiré lorsqu’elle a rencontré ce vieux camarade si simple, charmant et tout bonnement « intéressant ». Alors qu’il est en pleine centième année de son âge, elle a voulu lui demander le secret de sa longévité et de sa variété de talents. Voici la réponse ! on peut en prendre de la graine.
Tout d’abord, quel effet cela fait-il d’être dans sa centième année ? Nous avons bien l’intention d’y aller, alors nous avons besoin de conseils…
Je n’y pense pas. J’ai beaucoup de chance de rester actif jusqu’à maintenant. Le jazz et l’écriture y ont beaucoup contribué.
Revenons au départ de ce siècle d’existence. Tu n’as pas été le premier X de ta famille… Y aurait-il un déterminisme en la matière ?
Le premier polytechnicien de ma famille a été un oncle de ma grand-mère paternelle, promo 1848, artilleur et professeur de géométrie à l’X et inventeur d’une règle à calcul. Le second fut le frère aîné de mon grand-père – promo 1877 – officier du Génie, mort en 1892 dans un duel qui annonçait l’affaire Dreyfus. Il y a eu aussi des cousins, mais pour moi le troisième était mon père – 1913 – corps des Mines. Comme on attachait moins d’importance aux diplômes dans la famille de ma mère, j’ai été conditionné par les Mayer. Jusqu’en 1943, je n’ai envisagé que d’entrer à l’X. Ensuite c’est une autre histoire. Mon frère, moins influençable, est entré à HEC. J’aurais eu plus de facilité dans une filière économico-littéraire. [Lire aussi : François Mayer (X45), un littéraire contrarié]
Tu as voulu faire l’X. Les circonstances étaient un peu compliquées. Content d’y être arrivé ? Tu en as retiré quoi, et quel regret as-tu en la matière ?
Le cursus scientifique (prépa et École) m’a appris à travailler beaucoup et dans des matières pour lesquelles je n’avais guère de facilité ni de goût. Cela m’a beaucoup servi. D’autre part, à l’École nous étions internes, milieu très homogène. J’ai reçu une formation par osmose, en débattant avec de vrais scientifiques.
Tu as eu une carrière riche et pleine de réalisations remarquables. Nous ne te demandons pas de tout nous raconter, mais dis-nous quand même ce dont tu te souviens particulièrement.
Ma génération était celle des trente glorieuses où le travail abondait et où l’industrie était sous-encadrée (morts de 39–40, résistants, déportés ou fusillés, juifs exterminés, collaborateurs internés). On pouvait accéder très jeunes à des responsabilités. J’ai eu la chance d’avoir quelques patrons aux CV non conventionnels et qui aimaient mettre leurs subordonnés à l’épreuve. Le directeur général de la banque d’affaires du groupe où j’ai été recruté voulait me former pour prendre la direction des participations industrielles.
Ainsi, quatre mois après ma sortie de l’X, j’ai remplacé un cadre malade à la tête d’une section des changes. J’avais sous mes ordres une quinzaine de femmes, plus ou moins jeunes. J’ai beaucoup appris, plus sur les employés que sur les changes. Au bout d’un an, détaché dans une usine de mécanique, j’ai créé la surprise en demandant à travailler sur une machine, à l’atelier. Je voulais éviter de regarder les autres travailler dans un bureau, je ne me suis pas ennuyé et là aussi j’ai beaucoup appris sur le plan humain. Ma première responsabilité a été de redresser un service de petit outillage dont la situation était catastrophique. Je succédais à un bon technicien qui ne s’intéressait pas au commercial. La maîtrise m’a fait confiance et j’ai obtenu assez vite des résultats, puis j’ai fait le même travail dans d’autres services.
De retour à la banque, j’ai été détaché pendant cinq ans à la direction d’une grosse PME, de métaux frittés. Cette technique était alors utilisée principalement dans l’industrie automobile (coussinets autolubrifiants et petites pièces mécaniques). Avec le directeur technique, centralien chef de laboratoire à l’École centrale, nous nous sommes intéressés aux barrières de séparation isotopique destinées à l’enrichissement de l’uranium. Le CEA avait développé une solution à base de céramique et son industrialisation était un casse-tête. On savait que les Américains utilisaient du nickel.
“J’ai reçu une formation par osmose.”
À partir de semi-confidences ou de propos d’après boire, nous avons entrevu la solution. Nous en avons parlé à Claude Fréjacques (X43) au CEA, puis à Georges Besse (X48) alors chargé du projet USSI (usine de séparation isotopique). Celui-ci m’a convoqué le vendredi saint : « Pourriez-vous monter en deux mois un atelier semi-industriel de quarante personnes, capable de produire ces barrières en préséries ? » Sacré défi pour une PME de 400 personnes dont quatre travaillaient à la R & D. Réponse exigée pour le mardi, je lui ai rappelé que le lundi serait férié. Georges Besse m’a accordé un jour de plus.
Nous avons installé deux écoles préfabriquées (sans permis de construction), nous avons emprunté des techniciens aux actionnaires de Metafram (c’était le nom de la société) et recruté des thésards. J’avais l’appui de mon président et un nihil obstat du conseil d’administration. Nous avons lancé l’opération avec pour seule garantie un coup de téléphone de Robert Galley (directeur industriel du projet au CEA). En bonne gestion, c’était de la folie. Mais tout le monde savait que ce projet était une priorité absolue pour le Général. Pas question de se laisser freiner par l’intendance.
Deux mois après, les premières barrières en métal sortaient et leur montage ne posait pas de problème mécanique. C’était la solution, mais le producteur canadien de la poudre de nickel ultra-fine nous a fait savoir qu’il ne pourrait pas nous en livrer des quantités industrielles, en raison du véto américain. Tout n’était pas perdu, car le CEA a continué à commander des barrières en nickel, en petites séries, pour être prêt au cas où le véto américain serait levé. Et surtout le CEA a transposé certaines de nos solutions sur les barrières en céramique, ce qui a permis leur industrialisation, l’enrichissement de l’uranium et la fabrication de la bombe. Malgré l’échec, cette opération a été ma grande fierté.
Avoir travaillé pendant des mois sur un projet stratégique national, avec Besse, Fréjacques, Michel Pecqueur (X52) et Robert Galley, a été un privilège. Deux années exaltantes sans autre satisfaction que celle d’avoir participé à une grande aventure.
Un autre souvenir professionnel marquant ?
Avant le premier choc pétrolier, nous avions concouru en Irak pour un projet d’usine sidérurgique basée sur la réduction directe. Nous avions des références en aciérie, coulée continue, laminoir et parachèvement. Et nous avions un accord de licence avec le détenteur du seul procédé de réduction directe industrialisé. Le contrat nous a été attribué le lendemain de la première hausse des prix du pétrole. C’était un « clé en main » incluant les travaux locaux sous-traités à des entreprises irakiennes. Nous les avions fait auditer par les sociétés de génie civil et de montage du groupe. Elles avaient l’expérience et les moyens.
Mais, dès l’ouverture du chantier (entre Bassorah et le Koweït), la mobilisation des ouvriers a été très insuffisante, moins du tiers du chiffre que nos sous-traitants considéraient eux-mêmes comme nécessaire. Nos relances étaient sans effet. Nous devions apprendre après la fin du chantier que Saddam Hussein avait réquisitionné ces entreprises pour effectuer des travaux stratégiques dans le Kurdistan, en leur imposant le secret-défense.
Cela n’empêchait pas notre client (le ministère de l’Industrie) de nous rappeler que nous avions la responsabilité du clé en main. Nous avons donc traité avec les GTM (Grands Travaux de Marseille, aujourd’hui filiale de Vinci Construction), qui encadraient des entreprises indiennes. Le chantier a été débloqué, mais à quel prix ! En ce qui concerne le montage, nous avons eu plus de temps pour nous organiser, avec une main‑d’œuvre polonaise encadrée par nous. Mais là aussi le supplément était important. Nous avons demandé de l’aide à la CFP (aujourd’hui Total) dont les dirigeants se considéraient un peu comme les « parrains » des entreprises françaises travaillant en Irak. Ils nous ont mis en rapport avec un agent très proche du n° 3 du régime (Saddam Hussein n’était alors que n° 2). Ce n° 3 était chargé des affaires économiques. Nous avons exposé nos difficultés à cet agent. Il nous a conseillé de mener le projet à bien, sans les entreprises irakiennes défaillantes. Une fois l’usine mise en route, nous pourrions déposer une réclamation qui serait étudiée. La Compagnie française des pétroles nous a confirmé que c’était la procédure en Irak. Dans notre groupe, certains étaient partisans d’aller tout de suite à l’arbitrage. Philippe Boulin (X44) pensait comme moi qu’il fallait suivre le conseil de l’agent de la CFP. Mais c’était un risque énorme car les pertes étaient estimées à plusieurs centaines de millions. Avec le nouveau dispositif, nous avons pu rattraper une partie du temps perdu.
Là-dessus, le président al-Bakr prit sa retraite. Saddam Hussein devint n° 1 et découvrit peu après un complot contre lui. Il a réagi en faisant fusiller des dizaines de cadres du Parti. Son adjoint pour l’économie (ex‑n° 3) et le ministre de l’Industrie, qui était notre interlocuteur, faisaient partie du complot. Ils ont été exécutés. En quelques jours, nous avions perdu nos contacts et la CFP ne pouvait plus rien faire pour nous. Monsieur Barre, alors Premier ministre, a suivi le dossier de très près et a arraché à Saddam un engagement de nous traiter avec bienveillance « quand l’usine serait en exploitation ». Malgré toutes nos mises en garde, le client n’avait rien fait pour recruter et former les équipes de production. Au moment du démarrage, ils ont enfin compris et ont embauché des Polonais. J’étais en très bons termes avec le ministre polonais du Commerce extérieur, qui leur a donné la consigne de coopérer avec nous. Grâce aux usines métallurgiques de Creusot-Loire, nous avons pu envoyer une équipe complète pour le démarrage (une cinquantaine d’agents de maîtrise, de techniciens et d’ingénieurs coiffés par un directeur dynamique). Ils ont démarré l’usine sans problème et elle a été réceptionnée dans la foulée.
Entre-temps, la guerre entre l’Iran et l’Irak s’était intensifiée. Problème sérieux car l’usine était proche de la zone des combats. Nous voulions engager la discussion de nos réclamations (ce que le ministère refusait) mais d’abord veiller à la sécurité de notre personnel. Les Allemands et les Anglais avaient donné des instructions précises à leurs industriels. Par exemple, les entreprises allemandes devaient évacuer les chantiers qui étaient en dessous d’une certaine latitude. L’ambassade de France nous a laissés juges, en nous incitant officieusement à rester pour des raisons commerciales. Pas question de jouer avec la sécurité des personnes. Nous avons autorisé le retour en France de toutes celles qui le désiraient. Mais les hostilités se sont aggravées et le gazoduc qui alimentait l’usine a été fermé. Il restait seulement à assurer l’entretien et la surveillance. Nous avons donc rapatrié la quasi-totalité des effectifs et envoyé un commando d’anciens militaires, techniciens informés des risques (de tirs iraniens) et payés en conséquence. D’autre part, en liaison avec l’ambassade de France au Koweït, tout était prêt pour pouvoir en quelques heures rejoindre le Koweït (50 km) sur décision de notre responsable local. Dans le même temps, je suis parti pour Bagdad dont l’aéroport était fermé. Il fallait atterrir à Amman et rejoindre Bagdad par la route. Le couvre-feu était strict et de temps à autre il y avait un raid iranien. Le chant des sirènes nous rappelait l’occupation, mais l’importance des bombardements était dérisoire par rapport à ceux de La Chapelle ou de Renault. Pendant les six premiers jours, je n’ai pu obtenir qu’un rendez-vous et mon interlocuteur a refusé de parler de réclamation. Il nous conseillait de rentrer à Paris. Mais, avec les quatre personnes qui m’accompagnaient, nous lui avons fait comprendre que nous ne partirions pas avant d’avoir entamé les discussions.
C’était en avril 1981. Les pays arabes craignaient l’arrivée au pouvoir de Mitterrand, considéré comme ami d’Israël et ennemi des Arabes. Le président Giscard d’Estaing a envoyé le ministre du Commerce extérieur à Ryad pour rassurer les Saoudiens. Monsieur Barre a ajouté à ce programme une halte de quelques heures à Bagdad où il a apporté le même message à Saddam Hussein, en y ajoutant la prière insistante d’examiner notre réclamation et celle d’une autre société. Nous avons vu ce qu’étaient les décisions du n° 1 d’une dictature.
Le lendemain, notre interlocuteur du ministère a été envoyé en mission à l’étranger et il a été remplacé par un homme qui venait de mener à bien un très grand projet. En une dizaine de jours de travail intensif, nous avons réglé les problèmes tout en sauvant la face de nos interlocuteurs. Par exemple en remplaçant un montant appelé compensation par un prêt sans intérêt du même montant et sans date de remboursement. Nous avons également signé un contrat bien rémunéré pour une assistance technique sur plusieurs années.
Nous sommes rentrés à Paris en passant par l’usine et par le Koweït. C’était le début de mai. Quelques jours plus tard, un missile iranien tombait sur l’usine, heureusement sans exploser, et nous évacuions l’usine. Puis la situation des combats a permis le retour de notre personnel dans le cadre de cette assistance technique.
Quand on a une telle vie professionnelle a‑t-on le temps d’avoir une vie personnelle ? Voit-on ses enfants grandir ? Parle-nous de ton épouse
et du mariage. Derrière tout individu, il y a d’autres personnes, une autre personne, sans qui les choses n’auraient pas été ce qu’elles ont été.
Ma femme était une personne remarquable. Sans elle, rien n’eût été possible. Fille d’un homme exceptionnel (major de l’X à 18 ans), elle avait été habituée à ce qu’il soit souvent absent. Elle était très autonome, avec ses propres activités. Elle était donc prête à accepter la même chose de ma part. Mais je me suis souvent reproché de ne pas l’avoir aidée davantage pour l’éducation de nos enfants. Heureusement, dans le domaine des sciences exactes, ceux-ci ont eu des précepteurs de choix (leurs deux grands-pères étaient corpsards). Avec ma femme, nous nous occupions surtout de leur éducation littéraire et artistique. Quand notre fils a rencontré des problèmes, elle a sacrifié sa carrière pour s’occuper de lui. Il faut aussi noter que mes absences étaient fréquentes, mais qu’elles ne duraient rarement plus d’une quinzaine de jours. En revanche, elles étaient impossibles à planifier. Finalement, c’est surtout le côté mondain et « social » qui a été sacrifié. Nous étions, grâce à elle, une famille très unie.
Tu as deux hobbies : la musique et l’écriture. Mais peut-être aussi d’autres, que nous connaissons moins ?
J’ai beaucoup joué au tennis, mais je n’ai jamais été classé. Ma femme n’avait pas de goût pour ce sport ; alors j’ai arrêté. Elle n’aimait pas non plus le ski, mais j’ai toujours gardé l’habitude de longs week-ends, avec un ami. Et ce jusqu’à ce qu’un genou me lâche, à plus de quatre-vingts ans. Jusque-là, j’avais fait beaucoup de jogging mais à un niveau médiocre.
La musique, donc. Tu as bénéficié à la fois d’un milieu favorable et d’une capacité à ne pas suivre ses voies…
La musique occupait une grande place dans la famille Mayer. Ma grand-mère avait étudié le chant avec Pauline Viardot. Yvonne Lefébure, célèbre concertiste et enseignante, m’a dit un jour que mon père était le meilleur pianiste amateur qu’elle eût rencontré. Mon père avait trois frères, et une cousine qui avait eu un prix de violon au conservatoire de la rue de Madrid. Le cadet était violoncelliste, les deux derniers se partageaient le second violon et l’alto. Ils faisaient beaucoup de musique de chambre. La guerre de 14 mit fin à cette aventure car le violoncelliste est mort des suites de ses blessures. Pour le remplacer, la cousine violoniste a recruté un adolescent doué qui n’était autre que Pierre Fournier. Ce nouveau quintette fonctionna pendant quelques années.
Mon père avait envisagé de faire une carrière de concertiste, mais son père le convainquit de faire l’X d’abord. Et il quitta le piano quand ses occupations dans le corps des Mines l’empêchèrent d’en faire les deux heures quotidiennes indispensables pour maintenir son niveau. Voilà l’exigence à laquelle, mon frère violoncelliste et moi violoniste, nous avons été confrontés. Mon père avait sélectionné un professeur tyrannique. Je garde un très mauvais souvenir de ces séances d’avant-guerre. À Biarritz pendant la « drôle de guerre », le premier violon de l’orchestre du casino était réformé et il m’a redonné le goût du violon en me rendant moins ambitieux. En 1942, j’ai commencé à faire un peu de quatuor et cela me plaisait. Mais les partenaires quittèrent Paris pour la zone libre. La charge de travail scolaire en math spé m’a fourni un prétexte pour finalement arrêter le violon.
“La littérature est restée un hobby, comme le jazz.”
Et le jazz ? En 1940 dans un cinéma, j’ai vu un documentaire sur le Quintette du Hot Club de France. En introduction, il y avait un morceau interprété par Louis Armstrong. Coup de foudre ! Ensuite, Stéphane Grappelli et Django Reinhardt m’ont donné l’envie de les imiter. Mais il ne me fallut pas une heure pour comprendre que, avant d’imiter Grappelli, il faudrait élever considérablement mon niveau technique. Je devrais donc me contenter d’écouter. Le jazz (noir et américain) était prohibé mais le swing (blanc et français) était autorisé. Les concerts remplissaient la salle Pleyel ; les formations françaises (Combelle, Rostaing, Reinhardt) copiaient les orchestres de Duke Ellington, de Count Basie et de Benny Goodman. C’est à la fin de l’occupation que le jazz de la Nouvelle-Orléans a fait son apparition. D’abord avec Claude Abadie (X38), dont le trompettiste était Boris Vian, et un peu plus tard avec Claude Luter dans la cave de l’hôtel des Lorientais à 200 m de l’École. Nous faisions le mur pour aller l’écouter.
En novembre 1946, nous avons décidé de former un orchestre. Claude Naud qui était clarinettiste a pris le leadership. J’ai choisi le trombone par horreur du solfège et parce que l’on pouvait chercher les notes à tâtons et à l’oreille, sans avoir à faire des exercices [Lire aussi : François Mayer (45), en coulisse d’un trombone]. J’ai mis des années à sortir de cette illusion. Nous avons travaillé tous les soirs, au grand dam de nos camarades de promo et des voisins du quartier. Mais, à la fin de la deuxième année, nous jouions assez souvent pour des concerts à l’École ou des surprises-parties. La sortie de l’École dispersa l’orchestre.
Au bout de deux ans, le hasard me fit rencontrer un très bon pianiste avec lequel j’ai repris mon instrument. Pendant huit ans, nous avons joué quand notre travail le permettait. Mais il est mort brutalement et j’ai arrêté de jouer jusqu’au cinquantenaire de l’entrée de l’École. Les organisateurs nous ont demandé de reconstituer une formation avec ceux qui en étaient encore capables. Notre prestation a eu du succès et certains d’entre nous ont décidé de continuer en engageant des musiciens non polytechniciens. Les Dixieland Seniors étaient nés. Une dizaine d’années plus tard, j’ai commencé à prendre des leçons… et j’ai fait depuis lors des progrès continus. Progresser à un âge où tout décline, c’est roboratif.
Et la littérature ? Tu sais notre enthousiasme pour les deux volumes de la biographie romancée de ta famille. Mais tu n’as pas écrit que ça…
En effet, j’ai écrit plusieurs romans avant La Digue de sable. D’abord Blues en si bémol avec pour cadre l’industrie après l’Épuration et le milieu du jazz amateur au Quartier latin et à Lyon (encore assez biographique). Autoédité. Ensuite Un Portrait peut en cacher un autre, une fiction. Autoéditée aussi. Enfin Négos, publié par Lemieux éditeur, qui a cessé son activité il y a trois ans. Ce roman a pour thème la négociation d’un grand contrat dans un pays en voie de développement (ou émergent).
Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… Tu écrirais quelles lettres à un jeune poète polytechnicien ?
Je ne suis pas qualifié pour cela. J’ai écrit cinq romans et, en vingt ans, je n’ai pas réussi à intéresser un grand éditeur. Je pense en avoir déjà donné la raison. La littérature est restée un hobby, comme le jazz. Mon conseil serait donc de travailler dans le milieu de l’édition, qui est assez fermé. Ou de consacrer beaucoup de temps à se créer des contacts. Et, de toute manière, les réseaux sociaux sont en train de tout changer. C’est peut-être par là qu’il faudrait commencer.