Le concours d’entrée à l’X : un outil éprouvé qui s’adapte à l’époque
Le concours d’entrée à l’X a évolué au cours du temps et il évolue actuellement plus rapidement qu’autrefois, pour prendre en compte les besoins de recrutement dans un contexte de mutations sociétales, techniques et économiques. Il s’agit néanmoins de doser soigneusement les changements, afin que les effets de mode n’entraînent pas une dénaturation de l’outil ou n’aient pas des conséquences néfastes, mal anticipées. Un des objectifs des évolutions actuelles n’en est pas moins d’améliorer la diversité du recrutement : de genre, sociale et géographique, et de développer les recrutements universitaires, conformément à la stratégie de l’École.
Quels sont les objectifs du concours ?
Un des objectifs principaux du concours est de s’assurer que tous les élèves, de toutes les filières, pourront suivre le cycle ingénieur, qui est exigeant en termes de niveau en sciences. Évidemment, un bon concours classe bien les gens, c’est-à-dire qu’il est discriminant là où ça nous intéresse. Pour l’écrit, l’objectif principal est de différencier les élèves les plus faibles de ceux qui pourront prétendre être admissibles. Des sujets trop difficiles dès les premières questions ne permettent pas cela. Le fait d’avoir une progressivité dans la complexité des sujets est clé.
Un bon concours est également équitable. Cela signifie en particulier rester dans le cadre du programme, et pour cela les meilleurs garde-fous sont les inspecteurs généraux qui scrutent de près les sujets afin, entre autres, de dénoncer les questions hors programme, qui seraient plus susceptibles d’être travaillées dans les grandes prépas. Cela signifie également traiter les réclamations qui sont formulées, que ce soit pour l’écrit ou l’oral. Enfin, cela signifie se poser la question de la représentativité des élèves qui réussissent (provenance géographique ou sociale, genre), ce qui est un sujet sur lequel on peut sans cesse s’améliorer.
C’est un concours à la notoriété particulière…
En effet, un des aspects que l’on a tendance à négliger est que le concours est également une vitrine : il s’agit d’une des premières expériences que les élèves vont avoir de l’École, et cela au moment où ils devront choisir. Nous avons mis en place un amphi de présentation de l’École pendant la semaine de concours, ce qui permet à la directrice du cycle ingénieur de présenter l’enseignement, à la DFHM (direction de la formation humaine et militaire) de présenter le cadre militaire, au binet admissibles de présenter et valoriser la vie sociale de l’X, et aux candidats de poser leurs questions.
Au-delà de la présentation, l’expérience du concours en lui-même est importante et pour cela nous nous concentrons sur le recrutement d’examinateurs oraux qui ont bien sûr les capacités pour faire passer l’examen, mais qui sauront aussi proposer une expérience positive et bienveillante au candidat. On prend le temps de les accompagner et de les former sur ce point.
Le judiciarisation frappe chez vous aussi ?
Le dernier aspect, ce sont les réclamations. On constate un changement de mentalité et une augmentation du nombre des réclamations (mes homologues des autres concours me rapportent la même situation). Cela concerne à la fois l’écrit, pour demander une réévaluation de la copie, et l’oral, pour se plaindre d’une question éventuellement hors programme ou de l’attitude d’un examinateur qui n’aurait pas regardé le candidat pendant la planche ou lui aurait mal parlé. Nous instruisons systématiquement chaque demande de vérification ou réclamation, en sachant pertinemment que 99 % d’entre elles se révèlent non fondées. Mais c’est capital pour le pourcent restant, à la fois en termes d’équité et pour l’image de l’École.
Hervé Joly (voir l’article) nous a parlé de la mise en place de l’écrit dans le concours de l’X qui, à l’époque, soulevait
de vraies questions. En particulier, l’écrit était vu moins pertinent, car on pouvait avoir de la chance en tombant sur le bon sujet que l’on avait bachoté, alors que l’oral permettait à l’examinateur de sonder un élève et de passer rapidement à un autre sujet une fois qu’il avait constaté que l’élève maîtrisait le premier. Aujourd’hui, intuitivement, je dirais qu’on perçoit l’écrit comme plus égalitaire. Est-ce que les mentalités ont changé à ce sujet ?
« La part de chance est aussi très présente à l’oral : on peut tomber sur un exercice portant sur un chapitre que l’on a bien révisé. »
La part de chance est aussi très présente à l’oral : on peut tomber sur un exercice portant sur un chapitre que l’on a bien révisé. Et, si l’examinateur peut varier les questions, de toute façon il ne couvrira pas tout le programme… L’écrit est plus efficace économiquement pour faire un premier tri parmi les candidats. Par exemple, on a plus de 800 candidats inscrits en MP option Informatique, pour 86 places. Cela coûterait trop cher et demanderait une logistique beaucoup trop importante que d’organiser des oraux pour tous les candidats.
En ce qui concerne la note globale, les oraux ont un poids beaucoup plus important que l’écrit. Par exemple en filière MP il y a en maths deux épreuves écrites de coefficients 8 et 7 et deux épreuves orales chacune de coefficient 16. Donc il est fort possible que cette pondération soit effectivement le reflet d’une perception de l’oral comme plus représentatif que l’écrit pour évaluer les élèves. Mais pour autant, lorsque dans une filière deux candidats de commissions différentes ont la même note globale, on utilise la note de l’écrit comme tiebreaker, en se disant que les candidats ont eu le même sujet, donc que cela est plus équitable.
Comment le concours évolue-t-il ?
Toute décision passe par le conseil d’administration (CA). Il faut convaincre et parfois rassurer les membres du CA, notamment sur le fait que le niveau des élèves sera suffisant, particulièrement en maths qui est le point d’attention systématique. Il est effectivement essentiel de maîtriser les bases des maths – je suis moi-même chercheur en maths, je prêche pour ma paroisse –, qui sont un outil pour toutes les sciences. Ensuite, le poids accordé peut paraître excessif au vu des besoins effectifs dans les autres sciences.
“C’est essentiel de maîtriser les bases des maths.”
Je ne me suis pas beaucoup posé la question des hypothèses de convergence des séries depuis ma sortie de l’X (ni même pendant l’X d’ailleurs)…
Oui, c’est un exemple qui revient souvent. Mais cette rigueur de raisonnement, qui laisse des traumatismes si je comprends bien, est formatrice pour toutes les sciences, donc ça a son intérêt. C’est important pour le développement de l’ouverture vers une démarche scientifique et de l’esprit critique (même si ce sont des résultats qui ne seront pas utilisés dans la suite de la carrière). Et l’X, ce sont aussi les grands anciens, avec des mathématiciens brillants… Le poids de la tradition est fort !
Un exemple concret d’évolution majeure du concours ?
L’École a procédé ces dernières années à un élargissement thématique avec l’ouverture d’une filière BCPST (biologie, chimie, physique, sciences de la terre) en classes préparatoires, qui sera suivie en 2026 d’une ouverture aux sciences de la vie et biomédicales en filière universitaire française (FUF). Lorsqu’on a ouvert la filière BCPST, la grande crainte portait effectivement (autant que je sache, car je n’étais pas en poste) sur le niveau en maths. L’enjeu était tel que l’on a complètement délaissé la biologie à l’oral, qui n’avait pas son épreuve jusqu’à cette année, au profit d’un renforcement des mathématiques : un oral de maths avec un fort coefficient et une épreuve d’ADS (analyse de document scientifique) nécessairement en maths. Pour revenir au concours comme vitrine de l’École, cela est peut-être dommageable en termes d’image.
Après avoir discuté avec des professeurs de classes préparatoires de cette filière, je pense que ça a pu contribuer, dans une certaine mesure, à notre initialement important taux de désistements. J’ai obtenu que désormais on organise une épreuve orale de biologie ; cela permettra de valoriser cette matière dans le concours, et donc de valoriser la filière auprès des candidats – je l’espère. Et les changements prennent parfois beaucoup de temps. Nous venons de voter le changement des épreuves sportives de course à pied pour les femmes, dont les distances passent à 100 mètres et 1 000 mètres, plutôt que 80 mètres et 600 mètres, avec l’adaptation correspondante des barèmes. C’était un reliquat du passé ; difficile de ne pas effectuer ce changement, surtout au moment des Jeux olympiques où les distances sont les mêmes pour les femmes et pour les hommes !
À ce sujet, la féminisation de l’X est une priorité de la direction ; comment cela se traduit-il dans le concours ?
On essaye d’agir sur les paramètres que l’on peut influencer ; la proportion de femmes admises à l’X reflète la féminisation des filières dont elles proviennent. Le premier levier est de réduire l’autocensure par des actions de communication, pour que toutes les femmes qui en ont le potentiel se présentent au concours. Le deuxième levier, c’est la féminisation des filières d’entrée, sur laquelle nous n’avons pas la main. Le dernier levier, c’est le choix des filières d’entrée et des nombres de places dans chaque filière. Certains choix d’ouverture de filières se révèlent bénéfiques pour le taux de féminisation, par exemple la filière BCPST dont les admises sont à un taux de 50 %.
La filière MPI (mathématiques, physique, informatique), que nous avons ouverte récemment, est malheureusement une catastrophe de ce point de vue, avec un taux d’admission de femmes de l’ordre de 5 %. Le levier des filières est toutefois extrêmement contraint : la création d’une filière d’entrée ou l’augmentation du nombre de places dans une filière existante nécessite soit d’augmenter le contingent d’étudiants, ce qui requiert une dotation supplémentaire pour l’École, soit de rogner sur d’autres filières d’entrée, qui sont évidemment scrutées de près par les personnes qui en dépendent.
On parle souvent des 4C (collaboration, créativité, pensée critique et communication) comme les compétences du XXIe siècle… Comment l’X
les évalue-t-elle ?
Le concours ne les évalue que peu de façon directe, soyons honnêtes. Les épreuves de l’X restent éminemment scolaires. L’exception qui confirme cette règle, toutefois, c’est l’épreuve d’analyse de document scientifique, dont une des composantes principales est tout de même la réflexion critique sur un texte scientifique.
Vous parliez des JO ; à quand la breakdance comme épreuve de sport à l’entrée de l’X, comme évaluation de la créativité ?
La breakdance, sur le papier, pourquoi pas… mais je vais reprendre un instant ma casquette de directeur du concours, qui se préoccupe aussi de toute sa composante logistique. La DFHM fait un énorme boulot pour organiser toutes les épreuves sportives, qui se tiennent en particulier sur une seule journée pour chaque série.
L’avantage des épreuves actuelles, c’est que le barème est extrêmement objectif et clair si bien que les résultats sont difficilement contestables. J’ose imaginer le nombre de réclamations que nous obtiendrions chaque année si l’ensemble des admissibles devaient présenter une épreuve de breakdance. Au-delà de l’objectivité de l’évaluation se poserait aussi la question de la préparation : la course à pied et la natation sont deux sports qui sont accessibles à tout un chacun, à coût modeste. Si un jour la breakdance arrive au concours de l’X, le nombre de professeurs particuliers dans cette discipline va exploser !
Hervé Joly se questionne sur la filière universitaire, réputée plus juste socialement : quelles sont les perspectives ? quels sont les critères de succès ? est-ce qu’on fait tout ce qu’il faut pour attirer ces étudiants, sachant que beaucoup viennent des mêmes universités, de manière analogue à ce qu’on constate dans les CPGE ?
Ce sont des questions que nous nous posons. Cette année, on a pu dresser une liste complémentaire, ce qui atteste d’une augmentation des bonnes candidatures. On a beaucoup d’autocensure même au niveau de candidats admissibles qui n’osent pas venir aux épreuves orales. Cette année nous sommes aussi allés sur le terrain (visites dans quelques universités pour promouvoir la filière et encourager les candidatures) et on a eu plus de candidats provinciaux. Il faut se rendre compte qu’il s’agit de tout un écosystème. En ce moment, des milieux favorables se créent dans les universités.
Des licences pluridisciplinaires se développent, où les enseignants motivent les candidats à présenter le concours. C’est quelque chose qui monte en puissance, mais ça n’est pas si rapide. Un des points délicats, c’est que les universités n’ont pas envie de perdre leurs meilleurs éléments. Mais elles peuvent aussi trouver un intérêt : certains élèves de cette filière reviennent pour leur master dans leurs universités d’origine et, une fois que des élèves intègrent l’X, c’est un gage de qualité pour la formation universitaire dont ils sont issus, qui peut ainsi attirer d’autres élèves.
Est-ce qu’on ne risque pas de recréer finalement des prépas dans les universités ?
Les CUPGE (cycles universitaires préparatoires aux grandes écoles, une formation des universités qui prépare en deux ans aux concours des grandes écoles) existent déjà ; toutes les grandes écoles ont des recrutements universitaires. Beaucoup d’universités ont désormais leur école d’ingénieur, écoles pour lesquelles elles aiment bien qu’il y ait un cycle préparatoire, sans que ce soit forcément une prépa intégrée. Mais effectivement, sur nos recrutements actuels en filière universitaire, on doit être vigilant.
Une grande partie de nos élèves viennent d’un petit nombre d’universités de la région parisienne, car elles ont des étudiants d’assez bon niveau, qu’elles préparent et entraînent. Donc la filière universitaire n’est pas une réponse magique à la diversité sociale ou la diversité en profils, cela dépend de la mise en œuvre, des efforts de communication, etc. Rendre le concours moins scolaire serait la manière d’intégrer des profils plus divers, la question peut se poser pour les deux voies : CPGE et universitaire, mais ce serait une grosse révolution. Le contrôle des programmes par l’inspection générale pour les classes prépas et le fait que les concours doivent porter sur le programme de CPGE contraignent énormément les choses.
Une autre source de diversité serait la filière B/L (lettres et sciences sociales), mais honnêtement je ne sais pas si l’on est mûr pour ça pour l’instant ; le niveau en maths reste le point de vigilance majeur. L’ouverture de la FUF aux sciences de la vie et sciences biomédicales a donné lieu à une présentation à l’assemblée des doyens de faculté de médecine. Ce ne seraient pas des gros chiffres initialement, mais il pourrait y avoir d’excellents profils intéressés.
Est-ce que les avancées des IA génératives remettent en question les compétences évaluées des élèves ?
Pas vraiment. Je rappelle que pour l’instant on interdit tous les outils lors des épreuves, dont les calculatrices. Du point de vue des compétences, on cherche une capacité d’abstraction et d’analyse, qui permet d’être critique. Et, au vu des résultats actuels des modèles de langage, le fait de pouvoir être critique semble être une qualité primordiale. Même dans le cadre scolaire d’un devoir maison, qui peut être entièrement réalisé par un modèle de langage, cela nécessite d’avoir suffisamment confiance dans ce qu’il raconte pour rendre sereinement la copie.
Pour avoir enseigné en petite classe, la préparation des pâles ressemblait pour une bonne partie à un travail méthodique de stabilotage du poly, afin de retrouver rapidement l’information pendant l’épreuve. Aux yeux de l’enseignant-chercheur qui vient partager sa discipline, ce n’est évidemment pas l’idéal attendu, mais ça correspond sans doute aux attentes de la vie professionnelle ensuite : agréger rapidement des informations de domaines divers et être critique. De ce point de vue, l’arrivée de ces technologies ne me semble pas remettre en question ce qu’on attend des élèves.
En toute cohérence, faut-il alors autoriser le chat de Mistral AI ou de Cosmos suite pendant les pâles ?
Vous en discuterez avec Laura Fioni [directrice de l’enseignement] !
De belles histoires de candidats ?
Le plus sympa, c’est quand on annonce les bonnes nouvelles : un candidat de la filière TSI (technologie et sciences industrielles, 2 places) qu’on appelle pour l’informer qu’il doit se présenter deux jours plus tard à Paris pour passer l’ADS, alors qu’il habite à Toulouse. Et, malgré la logistique que ça représente, il y a un côté « c’est la chance de ma vie »… Il vient et réussit ! Au concours 2023, une candidate BCPST admise, a démissionné pour choisir véto, mais s’est rendu compte que cela ne lui plaisait pas et a voulu revenir sur sa démission : trop tard, sa place avait été réattribuée. Pendant sa première année de véto, elle a préparé le concours CPGE toute seule, et elle a été admise à nouveau cette année !
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Etant de la promo 1961, je regrette vivement la grande dispersion du concours actuel avec des voies multiples, ainsi que l’enseignement dispersé dans un grand nombre de filières, lesquelles veulent coller à l’actualité (IA par exemple).
Le concours puis l’enseignement des deux premières années interviennent à un stade précoce du parcours universitaire des élèves, lequel doit à mon humble avis reposer sur un tronc commun de disciplines et de connaissances. Après ces quatre ‑éventuellement cinq- premières années du cursus il est largement temps de se spécialiser, si possible car ce ne semble même pas être toujours le cas, dans des disciplines, des voies de recherche, ou des enseignements professionnels qui peuvent bénéficier directement des apports des premières années. Sans quoi on peut se demander à quoi a pu servir tout ce « cirque », très contraignant et très éprouvant.
Alain Bernard, Ingénieur Général honoraire des Ponts et Chaussées, ancien maître de conférences en économie à l’X puis examinateur, ancien professeur d’Economie à l’ENPC et à l’IFP