La formation à l’X : un chantier permanent

La formation à l’X : un chantier permanent

Dossier : ÉducationMagazine N°801 Janvier 2025
Par Laura FIONI
Par Laurent JOLIE (X12)
Par Benjamin ABDI (X13)

La qua­li­té de la for­ma­tion dis­pen­sée aux X est la condi­tion de la recon­nais­sance de l’École comme lieu d’excellence. Elle est donc en per­pé­tuelle évo­lu­tion, pour inté­grer des pré­oc­cu­pa­tions comme la diver­si­té, le déve­lop­pe­ment durable et les dif­fé­rents défis du monde moderne. Le fon­de­ment reste la plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té afin de per­mettre aux élèves de répondre à toute la com­plexi­té de ce monde. Les étu­diants deviennent tou­jours plus acteurs de leur appren­tis­sage, qui intègre tou­jours plus les tech­niques numériques.

Quels sont vos objectifs, en tant que directrice de la formation ?

Ce qui m’anime pro­fon­dé­ment, c’est la pas­sion de trans­mettre les savoirs, de moti­ver et d’accompagner les étu­diants dans leur par­cours d’études. Il est impor­tant pour moi de conti­nuer à ensei­gner, même dans mes fonc­tions actuelles, car cette pra­tique me per­met de res­ter en prise directe avec les réa­li­tés des étu­diants et les dyna­miques de l’enseignement. Ce qui me tient à cœur est de garan­tir à cha­cun de nos étu­diants, quelle que soit la for­ma­tion sui­vie, un par­cours riche et réus­si, de les sou­te­nir à chaque étape du cur­sus et de leur four­nir les outils pour réus­sir grâce à une for­ma­tion exi­geante et de qualité. 

L’accompagnement va de pair avec une exi­gence d’excellence : celle de pro­po­ser des for­ma­tions avec un socle scien­ti­fique solide, plu­ri­dis­ci­pli­naire, qui pré­parent les étu­diants aux défis com­plexes du monde contem­po­rain. Il est aus­si essen­tiel de tra­vailler de façon très étroite avec les ensei­gnants et les dépar­te­ments d’enseignement et de recherche de l’École. Ce sont des pro­fes­sion­nels brillants et enga­gés, et mon rôle est de les sou­te­nir en déve­lop­pant de nou­velles approches péda­go­giques, en valo­ri­sant leur tra­vail et en leur per­met­tant d’exprimer plei­ne­ment leur exper­tise. Cela aide aus­si les étu­diants à tirer le meilleur de leur expérience.

Quelles sont les forces de la formation aujourd’hui ?

L’École a su pré­ser­ver ce qui fait son iden­ti­té et son excel­lence depuis sa créa­tion. Cer­taines valeurs sont pro­fon­dé­ment enra­ci­nées et conti­nuent de gui­der la for­ma­tion : l’intégrité, le sens de l’intérêt géné­ral et une ambi­tion scien­ti­fique et péda­go­gique qui se tra­duit par un haut niveau d’exigence. L’une de nos grandes forces réside dans l’ancrage de l’enseignement dans la recherche. Tous nos ensei­gnants sont des cher­cheurs, ce qui per­met aux étu­diants de déve­lop­per une démarche cri­tique, inno­vante et rigou­reuse, indis­pen­sable pour rele­ver les défis de demain.

Une autre dimen­sion essen­tielle est l’esprit de soli­da­ri­té qui se tisse au sein des pro­mo­tions. Cette cohé­sion entre étu­diants est un véri­table atout humain, qui enri­chit leur par­cours bien au-delà des appren­tis­sages aca­dé­miques. Enfin, il faut men­tion­ner l’ouverture, qui s’est ren­for­cée au fil des années. Elle se tra­duit par une dimen­sion inter­na­tio­nale de plus en plus mar­quée : plus de 40 % de notre corps pro­fes­so­ral est inter­na­tio­nal et, dans nos pro­grammes de Bache­lor et MScT (Mas­ter of Science and Tech­no­lo­gy), plus de 60 % des étu­diants sont inter­na­tio­naux. Cet éco­sys­tème mul­ti­cul­tu­rel enri­chit les échanges et pré­pare nos étu­diants à évo­luer dans un monde glo­ba­li­sé, tout en res­tant fidèles aux valeurs de l’École.

Comment l’École parvient-elle à concilier ouverture multiculturelle et diversité, tout en répondant aux défis de la reproduction sociale parfois associée au concours ?

Nous tra­vaillons acti­ve­ment à créer une vraie cohé­rence entre tous les cycles de for­ma­tion, notam­ment en termes de pra­tiques, tout en favo­ri­sant les échanges et le par­tage. Qu’il s’agisse du Bache­lor, du cycle ingé­nieur poly­tech­ni­cien ou des mas­ters, l’ambition est la même : for­mer des étu­diants à l’excellence pour qu’ils puissent ensuite mettre leurs com­pé­tences au ser­vice de l’intérêt général.

Depuis deux ans, nous avons entre­pris des actions concrètes pour ren­for­cer cette ouver­ture, comme la créa­tion d’un poste de direc­teur adjoint char­gé de la vie étu­diante dans tous les cycles de for­ma­tion, ce qui favo­rise les échanges et l’intégration entre les dif­fé­rentes popu­la­tions de l’École. Cette approche favo­rise une osmose entre des étu­diants venus d’horizons très variés.

Cette ouver­ture se tra­duit éga­le­ment par des actions pour diver­si­fier les voies d’accès, notam­ment sous l’impulsion du direc­teur des concours, Marc Ros­so, et de Domi­nique Ros­sin (X94), direc­teur de l’enseignement et de la recherche. Ces der­nières années, nous avons ouvert de nou­velles filières. Cela contri­bue non seule­ment à enri­chir la diver­si­té des pro­fils, mais aus­si à élar­gir l’éventail géo­gra­phique des candidats.

Une question qui me tient à cœur : comment justifiez-vous la présence d’un cours de psychanalyse au programme du département Humanités et Sciences sociales, alors que la scientificité de cette discipline est souvent remise en question ?

Ce sémi­naire figure dans l’offre du dépar­te­ment Huma­ni­tés et Sciences sociales, car la psy­cha­na­lyse, qu’on l’apprécie ou qu’on la cri­tique, fait par­tie du spectre des sciences humaines. Elle a mar­qué des pans entiers de la réflexion intel­lec­tuelle et cultu­relle, et il semble per­ti­nent d’offrir aux étu­diants qui le sou­haitent un aper­çu de cette discipline.

L’objectif de cette offre péda­go­gique est d’aider les étu­diants à appré­hen­der la com­plexi­té du monde et cela passe par l’exploration de cou­rants de pen­sée variés, y com­pris ceux qui sus­citent des débats. C’est d’ailleurs l’une des forces du dépar­te­ment : pré­sen­ter un éven­tail suf­fi­sam­ment large pour encou­ra­ger la réflexion cri­tique. Le sémi­naire de psy­cha­na­lyse est une option par­mi d’autres, sui­vie par un petit nombre d’étudiants – une ving­taine, en l’occurrence, bien moins que des thé­ma­tiques comme les sciences cog­ni­tives, qui attirent davantage.

En somme, ce type de cours contri­bue à ouvrir le champ des pos­sibles et à enri­chir la palette d’outils intel­lec­tuels dis­po­nibles pour nos étu­diants, dans une démarche qui valo­rise l’analyse cri­tique, quelles que soient les contro­verses asso­ciées à la dis­ci­pline en question.

Quelles sont les principales initiatives que vous portez actuellement pour adapter la formation aux enjeux contemporains ?

L’École a lan­cé plu­sieurs ini­tia­tives pour mieux pré­pa­rer les étu­diants aux défis actuels. Un exemple emblé­ma­tique est l’introduction d’un cours de tronc com­mun axé sur les pro­blé­ma­tiques socié­tales et stra­té­giques majeures. Ce cours est cocons­truit par le dépar­te­ment Huma­ni­tés et Sciences sociales (H2S) et la direc­tion de la for­ma­tion humaine et mili­taire (DFHM). Il aborde des thé­ma­tiques essen­tielles comme les équi­libres mon­diaux, la sou­ve­rai­ne­té et la cybersécurité.

“Engineering Sustainability, s’ingénier pour durer.”

Un autre exemple est le cours, inti­tu­lé Engi­nee­ring Sus­tai­na­bi­li­ty, s’ingénier pour durer, lan­cé en 2e année des X2023. Ce cours, conçu avec la par­ti­ci­pa­tion active des étu­diants, vise à déve­lop­per des com­pé­tences pour répondre de façon per­ti­nente et concrète aux ques­tions liées au déve­lop­pe­ment durable. Nous avons tra­vaillé en pro­fon­deur sur la péda­go­gie pour inté­grer des grilles d’analyse per­ti­nentes et favo­ri­ser une approche interdisciplinaire.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce cours S’ingénier pour durer ?

Il est très nova­teur, même dans le contexte de l’École poly­tech­nique, où la for­ma­tion plu­ri­dis­ci­pli­naire est une marque de fabrique. Jusqu’à pré­sent, cette pluri­disciplinarité signi­fiait sur­tout que les étu­diants abor­daient dif­fé­rentes dis­ci­plines pen­dant leur cur­sus. Ce cours pro­pose une véri­table inté­gra­tion des pers­pec­tives : conçu par neuf dépar­te­ments dif­fé­rents, il traite les sujets de déve­lop­pe­ment durable selon des approches variées, comme le mana­ge­ment de l’innovation, la méca­nique et la phy­sique du cli­mat, ou encore la biodiversité. 

Il a été éla­bo­ré de manière col­la­bo­ra­tive grâce à un groupe de tra­vail qui inté­grait les dif­fé­rents dépar­te­ments ain­si que des repré­sen­tants des élèves. Le for­mat du cours est éga­le­ment ori­gi­nal. Il débute par des cours magis­traux pour intro­duire les thé­ma­tiques, mais l’essentiel de l’apprentissage se fait ensuite en petits groupes, avec une péda­go­gie active. Les étu­diants sont encou­ra­gés à mani­pu­ler des don­nées concrètes, ce qui les confronte à la com­plexi­té des pro­blèmes abor­dés. L’objectif est non seule­ment d’acquérir des connais­sances, mais aus­si de com­prendre com­ment elles sont pro­duites et d’affiner leur esprit critique.

« Cette introduction immersive a été très bien accueillie par les élèves, qui l’ont trouvée atypique et stimulante. »

Ce tra­vail actif est com­plé­té par des exer­cices indi­vi­duels entre les séances, ce qui per­met de main­te­nir l’implication des étu­diants. Le déve­lop­pe­ment durable est éga­le­ment inté­gré à d’autres cycles de for­ma­tion. Les Bache­lor par­ti­cipent à un sémi­naire de deux jour­nées, avec des ate­liers comme « la fresque du cli­mat », des confé­rences et des tables rondes, le tout noté et valo­ri­sé par des cré­dits ECTS (Sys­tème euro­péen de trans­fert et d’accumulation de cré­dits). Les MScT, quant à eux, béné­fi­cient d’un sémi­naire d’une journée. 

Bien que les approches dif­fèrent en fonc­tion des tailles de pro­mo­tion et des contraintes péda­go­giques, ces thé­ma­tiques sont abor­dées dans tous les cycles. Der­nière par­ti­cu­la­ri­té, le cours débute de façon inédite : une pro­me­nade sonore depuis la gare de Lozère jusqu’au cam­pus. Les étu­diants écoutent un pod­cast qui mêle his­toire locale – comme la construc­tion de la gare et des bâti­ments emblé­ma­tiques – et enjeux cli­ma­tiques liés au site, notam­ment avec le SIRTA, l’observatoire cli­ma­tique de l’École. Cette intro­duc­tion immer­sive a été très bien accueillie par les élèves, qui l’ont trou­vée aty­pique et stimulante.

Atypique, en effet ! Y a‑t-il d’autres innovations pédagogiques qui se développent à l’École ?

L’École est plei­ne­ment enga­gée dans la trans­for­ma­tion péda­go­gique et le numé­rique joue déjà un rôle clé. L’objectif est de rendre les étu­diants plus acteurs de leur appren­tis­sage, en intro­dui­sant des outils col­la­bo­ra­tifs et inter­ac­tifs. Cela se tra­duit notam­ment par la créa­tion d’un Tea­ching & Lear­ning Cen­ter, qui accom­pagne les ensei­gnants dans l’adoption de nou­velles approches. Il orga­nise par exemple des for­ma­tions sur l’impact-utilisation des IA géné­ra­tives comme ChatGPT dans l’enseignement. Ces ses­sions per­mettent de réflé­chir aux meilleures façons d’intégrer ou d’encadrer l’utilisation de ces outils selon les dis­ci­plines. Cer­tains ensei­gnants uti­lisent déjà l’IA pour éla­bo­rer des QCM, struc­tu­rer des devoirs ou même pré­pa­rer des dis­cus­sions en amphi ou en TD, démon­trant ain­si une adop­tion pro­gres­sive mais variée de nou­velles approches péda­go­giques dans l’enseignement.

“Certains enseignants utilisent déjà l’IA.”

Une évo­lu­tion péda­go­gique récente est l’utilisation des note­books Jupy­ter [édi­teur de code infor­ma­tique exé­cu­table et édi­table, en ligne, de manière col­la­bo­ra­tive], qui se déve­loppe dans de nom­breux dépar­te­ments comme les mathé­ma­tiques, la méca­nique ou encore la bio­lo­gie. Ces note­books per­mettent une col­la­bo­ra­tion en temps réel et offrent aux étu­diants une visua­li­sa­tion immé­diate des résul­tats en petite classe. Par exemple, en chi­mie ou en bio­lo­gie, les élèves peuvent explo­rer les impacts de modi­fi­ca­tions molé­cu­laires de manière inter­ac­tive, ce qui rend l’apprentissage plus concret. Les ensei­gnants béné­fi­cient éga­le­ment de cette approche, qui faci­lite les échanges en classe et encou­rage une par­ti­ci­pa­tion active. L’utilisation de Woo­clap, qui per­met aux élèves de répondre à des ques­tions via leur télé­phone, avec les réponses pro­je­tées en direct, faci­lite les inter­ac­tions, ren­force l’engagement des étu­diants et enri­chit les séances en temps réel.

Les MOOCs ont-ils tenu leur promesse de révolutionner l’éducation supérieure ?

Il y a une dizaine d’années, les MOOCs (cours en ligne ouverts à tous) étaient annon­cés comme une révo­lu­tion dans l’enseignement supé­rieur, une voie inévi­table pour démo­cra­ti­ser l’accès à la connais­sance. Avec le temps et notam­ment après la période de pan­dé­mie, on observe un cer­tain recul par rap­port à cet engoue­ment ini­tial. Si les MOOCs res­tent utiles et per­ti­nents dans cer­tains contextes, ils n’ont pas rem­pla­cé les for­mats d’enseignement plus tra­di­tion­nels. L’expérience post-Covid a d’ailleurs mon­tré un besoin accru de retour aux inter­ac­tions en pré­sen­tiel, qui apportent une richesse humaine dif­fi­ci­le­ment rem­pla­çable par les for­mats 100 % en ligne. À l’École, les MOOCs res­tent une ini­tia­tive ciblée. Par exemple, notre MOOC en fran­çais langue étran­gère (FLE) répond à un besoin spé­ci­fique et ren­contre un grand suc­cès. Cepen­dant, leur déve­lop­pe­ment néces­site des res­sources impor­tantes, donc nous pri­vi­lé­gions une approche prag­ma­tique : inves­tir dans les pro­jets où leur impact est le plus significatif. 

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