Jean-Victor Poncelet (X1807), géomètre et mécanicien
Jean-Victor Poncelet (X1807) a commandé l’École polytechnique sous la IIe République. Mais c’est comme scientifique qu’il est passé à l’Histoire, certes un peu oublié de nos jours. Il a en outre eu une activité de mécanicien inventif et efficace, comme quoi les capacités d’abstraction n’empêchent pas le sens pratique. L’évocation de son souvenir est l’occasion de rappeler aussi celui du sous-marin qui porta son nom au moment de la Seconde Guerre mondiale.
C’est à Metz que naît le 1er juillet 1788 Jean-Victor Poncelet, enfant naturel mais reconnu d’un avocat au parlement de la cité. Élevé à la campagne avec une instruction fruste, il entre tardivement au lycée impérial Fabert de la ville mais, après trois ans d’efforts intenses, comble ses lacunes et réussit le concours d’entrée à Polytechnique de 1807, au 8e rang.
Épuisé par ses efforts, il devra différer d’une année, pour raisons de santé, son admission à l’école d’application de l’artillerie et du génie, non sans avoir terminé dès 1809 un manuscrit de géométrie, sa branche de prédilection. Diplômé en février 1812, après quelques mois de travaux aux Pays-Bas (île de Walcheren dans les bouches de l’Escaut), il rejoint la Grande Armée à Vitebsk, en Biélorussie, avec le grade de lieutenant.
Un rescapé de la campagne de Russie
Chargé de travaux constructifs, ponts notamment, il ne participe pas à la bataille de la Moskova (Borodino) et n’entre pas à Moscou. Affecté lors du regroupement de Smolensk à l’arrière-garde commandée par Ney, il est fait prisonnier lors d’un combat à Krasnoïe le 18 novembre 1812, après avoir perdu à ses côtés son colonel et vu son cheval tué sous lui.
Dépouillé de son manteau, il est conduit jusqu’à Saratov, sur la Volga, soit plus de 1 500 km parcourus à pied dans l’hiver russe, destination atteinte en mars 1813. Privé de tout livre pendant dix-huit mois, il se réfugie dans l’abstraction mathématique d’autant que, libéré au printemps 1814, il mettra quatre mois de plus pour rentrer en France… où il était considéré comme disparu et mort.
L’essor d’un savant
Chargé de travaux d’amélioration des défenses de sa ville natale, promu capitaine rétroactivement en 1813, il continue, sans éclat ni mutations apparemment, une carrière militaire dans le Génie, passant officier supérieur en 1831, puis colonel en 1845 à 57 ans, en fin de carrière. Il privilégie sa passion pour les mathématiques. Repéré et aidé par Gaspard Monge, il publie en 1822 un Traité des propriétés projectives des figures qui le classe parmi les grands géomètres, avec le théorème qui porte son nom.
En 1824, il s’oriente vers la mécanique : son Mémoire sur les roues hydrauliques à aubes courbes lui vaut le prix Montyon de l’Académie des sciences puis, sur une suggestion de F. Arago, la charge du cours de mécanique à l’école d’application de l’artillerie et du génie, alors implantée à Metz. Il développe ses réflexions et analyses pour améliorer les « machines » et les équipements entretenus par son service, dont par exemple un pont-levis à contrepoids.
Un savant renommé sur le plan international
Il entre à l’Académie des sciences en 1834, succédant à Jean-Nicolas Hachette, un autre grand mathématicien de son temps. Il deviendra membre de la Royal Society londonienne en 1842, après les sociétés savantes scientifiques de Prusse (1832) et de Turin (1841) et avant celles de Russie (1857), de Hongrie, puis d’Amérique. En 1845, il crée un cours de mécanique appliquée à la faculté des sciences de Paris, ayant eu l’honneur de présider le jury du concours des « machines » exposées, lors de l’Exposition universelle de Londres.
Sous la IIe République
Jean-Victor Poncelet est élu à la Constituante comme représentant de la Moselle, en raison de sa réputation de savant resté modeste, d’une intégrité scrupuleuse et de la renommée de ses cours du soir, dispensés à titre gracieux pour élever le niveau professionnel des ouvriers messins.
F. Arago, ministre de la Guerre du gouvernement provisoire de la IIe République, l’élève au rang de général de brigade et le nomme commandant de l’École polytechnique, le 15 mai 1848 : les élèves sont enthousiasmés par ce choix qui honore l’École. Ils suivront leur nouveau chef, tous en armes et uniforme, pour se mettre à la disposition du gouvernement afin de rétablir l’ordre en juin.
Auteur de réformes de l’enseignement au sein de l’École, il prend sa retraite à l’été 1850, recevant en décembre la cravate de commandeur de la Légion d’honneur. La plaque de grand officier suivra en juillet 1853. Jean-Victor Poncelet meurt à 79 ans, le 23 décembre 1867.
Son souvenir de nos jours
Sa mémoire, au-delà de ses travaux féconds de géométrie projective pour les mathématiciens, subsiste par des noms de rue à Paris (XVIIe) et Metz (à côté du cercle militaire, ancienne abbaye Saint-Arnould qui avait accueilli l’école d’application de l’artillerie et du génie à la Révolution), la dénomination du lycée de Saint-Avold (Moselle) et un prix de l’Académie des sciences ; en 1964, l’Union astronomique internationale lui attribue la dénomination d’un cratère lunaire, alors que l’unité de mesure de puissance dite le poncelet (= 980,665 watts) est clairement tombée en désuétude. Son nom figure aussi parmi les 72 personnages célèbres dont le nom orne le premier étage de la tour Eiffel : Poncelet figure au 4e rang, en partant de l’extérieur, des 18 noms inscrits sur la face nord-ouest (celle qui regarde le Trocadéro).
Le théorème de Poncelet
Ce théorème premier, dit parfois porisme, s’énonce ainsi : « Un polygone inscrit dans une conique et en circonscrivant une autre fait partie d’une famille infinie de polygones eux-mêmes inscrits et circonscrits aux mêmes coniques. » Il développe ainsi en géométrie projective les deux principes de dualité et de continuité :
Un sous-marin remarqué…
Le nom de Poncelet a été aussi attribué en 1927 au sixième sous-marin dit de grande patrouille (coque Q141), lancé à Lorient en même temps que le Henri Poincaré (Q140) puis admis au service actif fin 1932. Le lieutenant de vaisseau Bertrand de Saussine (comte du Pont de Gault, né en 1903), grand ami depuis La Jeanne d’Honoré d’Estienne d’Orves (X1921) – figure de proue de la Résistance, angles marine et aristocratie réunis –, en prend le commandement en octobre 1938.
Il réussit l’exploit, le 26 septembre 1939, d’arraisonner au large des Açores et selon les règles (en surface) un cargo allemand, le Chemnitz, soupçonné de ravitailler les submersibles allemands, puis de le conduire à Casablanca avec une « équipe de prise » de son équipage, seul cas français enregistré. Ces sous-marins étaient alors chargés de missions d’escorte d’escadre(s) ou de convois, plutôt que de se livrer à la chasse, donc à contre-emploi. B. de Saussine, chevalier de la Légion d’honneur depuis 1937, reçoit pour ce fait d’armes la croix de guerre avec étoile de vermeil, puis est promu au choix capitaine de corvette, pendant un long carénage consécutif de son bâtiment à Cherbourg.
… mais à la destinée tragique
Le Poncelet rejoint son port d’attache de Brest, qu’il quitte ensuite le 18 juin 1940 à 18 h 10, comme tous les submersibles aptes à naviguer, pour gagner Casablanca, atteint le 23 juin. Il est transféré à Port-Gentil et à la défense maritime du Gabon, en août. Une partie de l’équipage est débarquée pour renforcer la défense à terre, mais le navire continue à patrouiller.
Le 7 novembre, il repère le HMS Milford et engage le combat : une première torpille passe sous le bateau anglais, mais la seconde se bloque alors que le tube resté ouvert provoque une voie d’eau significative et que les gaz d’échappement du moteur allumé de la torpille intoxiquent l’atmosphère du bord. Le sous-marin, déjà avarié par le grenadage anglais, est contraint de faire surface. B. de Saussine procède à l’évacuation de toutes les personnes du bord, hors de la portée du tir ennemi.
Refusant que l’ennemi puisse s’emparer de son bâtiment, il en assure le sabordage, ouvre les vannes de plongée purges ouvertes et se laisse couler selon la tradition, appliquant sa devise : Plutôt mourir que faillir. Une citation à l’ordre de l’Armée de mer et la rosette d’officier de la Légion d’honneur s’ensuivront, à titre posthume. Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle évoque sobrement cet épisode tragique, passage par lequel j’avais connu le nom de Poncelet, n’étant pas versé dans la géométrie. Je remercie la Sabix pour les informations figurant dans son bulletin n° 19 (paru en juin 1998).
Les sous-marins français de 1 500 t.
L’arme sous-marine, encore au stade juvénile de perfectionnement, n’étant pas comprise dans les limitations des flottes de guerre du traité de Washington de 1922, la France lance un grand programme de submersibles de grande patrouille en six tranches : pas moins de 31 unités seront produites dans divers chantiers entre 1924 et 1937, sous la coordination de l’ingénieur général du Génie maritime Léon Jean-Jacques Roquebert (X1899). Longs de 92,3 mètres, ils pèsent 1 572 tonnes en surface. Ils portent le nom générique de sous-marins « océaniques ».
Ils plongent en sécurité à 80 mètres mais on recensera des essais jusqu’à 120 mètres sous la surface. Ces navires sont rapides, avec un maximum de 18,6 nœuds en surface et 10 environ en plongée. Leur rayon d’action atteint 10 000 nautiques à 10 nœuds. S’ils sont réputés « étaler » à la mer, ils sont bruyants, inconfortables en l’absence de climatisation intérieure. Les appareils sont souvent fragiles et les barres de plongée assez sensibles au grenadage par l’adversaire. Cette grande série n’aura pas les effets espérés, entre la classe M5 Redoutable (Q136) à 4 000 chevaux et la classe M6 Pascal (Q138) motorisés à 6 000 chevaux. Des modifications diverses sont apportées selon les bateaux, ce qui rendra la maintenance délicate et lassera les chantiers américains chargés d’en moderniser certains pour les FNFL (Forces navales françaises libres).
« Signalons cependant les performances du Casabianca (Q183) s’extrayant du sabordage de la flotte le 27 novembre 1942, puis réalisant sept missions réussies depuis Alger pour la libération de la Corse l’année suivante. »
Deux d’entre eux coulèrent avant la guerre (le Prométhée en essais en 1932 et le Phénix en juin 1939 au Vietnam) et 24 d’entre eux sur 29 ne parvinrent pas à terminer le deuxième conflit mondial ! Signalons cependant les performances du Casabianca (Q183), sous le commandement du capitaine de frégate Jean l’Herminier, s’extrayant du sabordage de la flotte le 27 novembre 1942, puis réalisant sept missions réussies depuis Alger pour la libération de la Corse l’année suivante.