Jean-Victor Poncelet (1788-1867), gÈnÈral et mathÈmaticien franÁais. Par Ary Scheffer (1849).

Jean-Victor Poncelet (X1807), géomètre et mécanicien

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°801 Janvier 2025
Par Jacques-André LESNARD

Jean-Vic­tor Pon­ce­let (X1807) a com­man­dé l’École poly­tech­nique sous la IIe Répu­blique. Mais c’est comme scien­ti­fique qu’il est pas­sé à l’Histoire, certes un peu oublié de nos jours. Il a en outre eu une acti­vi­té de méca­ni­cien inven­tif et effi­cace, comme quoi les capa­ci­tés d’abstraction n’empêchent pas le sens pra­tique. L’évocation de son sou­ve­nir est l’occasion de rap­pe­ler aus­si celui du sous-marin qui por­ta son nom au moment de la Seconde Guerre mondiale.

C’est à Metz que naît le 1er juillet 1788 Jean-Vic­tor Pon­ce­let, enfant natu­rel mais recon­nu d’un avo­cat au par­le­ment de la cité. Éle­vé à la cam­pagne avec une ins­truc­tion fruste, il entre tar­di­ve­ment au lycée impé­rial Fabert de la ville mais, après trois ans d’efforts intenses, comble ses lacunes et réus­sit le concours d’entrée à Poly­tech­nique de 1807, au 8e rang.

Épui­sé par ses efforts, il devra dif­fé­rer d’une année, pour rai­sons de san­té, son admis­sion à l’école d’application de l’artillerie et du génie, non sans avoir ter­mi­né dès 1809 un manus­crit de géo­mé­trie, sa branche de pré­di­lec­tion. Diplô­mé en février 1812, après quelques mois de tra­vaux aux Pays-Bas (île de Wal­che­ren dans les bouches de l’Escaut), il rejoint la Grande Armée à Vitebsk, en Bié­lo­rus­sie, avec le grade de lieutenant.

Un rescapé de la campagne de Russie

Char­gé de tra­vaux construc­tifs, ponts notam­ment, il ne par­ti­cipe pas à la bataille de la Mos­ko­va (Boro­di­no) et n’entre pas à Mos­cou. Affec­té lors du regrou­pe­ment de Smo­lensk à l’arrière-garde com­man­dée par Ney, il est fait pri­son­nier lors d’un com­bat à Kras­noïe le 18 novembre 1812, après avoir per­du à ses côtés son colo­nel et vu son che­val tué sous lui. 

Dépouillé de son man­teau, il est conduit jusqu’à Sara­tov, sur la Vol­ga, soit plus de 1 500 km par­cou­rus à pied dans l’hiver russe, des­ti­na­tion atteinte en mars 1813. Pri­vé de tout livre pen­dant dix-huit mois, il se réfu­gie dans l’abstraction mathé­ma­tique d’autant que, libé­ré au prin­temps 1814, il met­tra quatre mois de plus pour ren­trer en France… où il était consi­dé­ré comme dis­pa­ru et mort.

L’essor d’un savant

Char­gé de tra­vaux d’amélioration des défenses de sa ville natale, pro­mu capi­taine rétro­ac­ti­ve­ment en 1813, il conti­nue, sans éclat ni muta­tions appa­rem­ment, une car­rière mili­taire dans le Génie, pas­sant offi­cier supé­rieur en 1831, puis colo­nel en 1845 à 57 ans, en fin de car­rière. Il pri­vi­lé­gie sa pas­sion pour les mathé­ma­tiques. Repé­ré et aidé par Gas­pard Monge, il publie en 1822 un Trai­té des pro­prié­tés pro­jec­tives des figures qui le classe par­mi les grands géo­mètres, avec le théo­rème qui porte son nom.

En 1824, il s’oriente vers la méca­nique : son Mémoire sur les roues hydrau­liques à aubes courbes lui vaut le prix Mon­tyon de l’Académie des sciences puis, sur une sug­ges­tion de F. Ara­go, la charge du cours de méca­nique à l’école d’application de l’artillerie et du génie, alors implan­tée à Metz. Il déve­loppe ses réflexions et ana­lyses pour amé­lio­rer les « machines » et les équi­pe­ments entre­te­nus par son ser­vice, dont par exemple un pont-levis à contrepoids.

Un savant renommé sur le plan international

Il entre à l’Académie des sciences en 1834, suc­cé­dant à Jean-Nico­las Hachette, un autre grand mathé­ma­ti­cien de son temps. Il devien­dra membre de la Royal Socie­ty lon­do­nienne en 1842, après les socié­tés savantes scien­ti­fiques de Prusse (1832) et de Turin (1841) et avant celles de Rus­sie (1857), de Hon­grie, puis d’Amérique. En 1845, il crée un cours de méca­nique appli­quée à la facul­té des sciences de Paris, ayant eu l’honneur de pré­si­der le jury du concours des « machines » expo­sées, lors de l’Exposition uni­ver­selle de Londres.

Sous la IIe République

Jean-Vic­tor Pon­ce­let est élu à la Consti­tuante comme repré­sen­tant de la Moselle, en rai­son de sa répu­ta­tion de savant res­té modeste, d’une inté­gri­té scru­pu­leuse et de la renom­mée de ses cours du soir, dis­pen­sés à titre gra­cieux pour éle­ver le niveau pro­fes­sion­nel des ouvriers messins.

F. Ara­go, ministre de la Guerre du gou­ver­ne­ment pro­vi­soire de la IIe Répu­blique, l’élève au rang de géné­ral de bri­gade et le nomme com­man­dant de l’École poly­tech­nique, le 15 mai 1848 : les élèves sont enthou­sias­més par ce choix qui honore l’École. Ils sui­vront leur nou­veau chef, tous en armes et uni­forme, pour se mettre à la dis­po­si­tion du gou­ver­ne­ment afin de réta­blir l’ordre en juin.

Auteur de réformes de l’enseignement au sein de l’École, il prend sa retraite à l’été 1850, rece­vant en décembre la cra­vate de com­man­deur de la Légion d’honneur. La plaque de grand offi­cier sui­vra en juillet 1853. Jean-Vic­tor Pon­ce­let meurt à 79 ans, le 23 décembre 1867.

Son souvenir de nos jours

Sa mémoire, au-delà de ses tra­vaux féconds de géo­mé­trie pro­jec­tive pour les mathé­ma­ti­ciens, sub­siste par des noms de rue à Paris (XVIIe) et Metz (à côté du cercle mili­taire, ancienne abbaye Saint-Arnould qui avait accueilli l’école d’application de l’artillerie et du génie à la Révo­lu­tion), la déno­mi­na­tion du lycée de Saint-Avold (Moselle) et un prix de l’Académie des sciences ; en 1964, l’Union astro­no­mique inter­na­tio­nale lui attri­bue la déno­mi­na­tion d’un cra­tère lunaire, alors que l’unité de mesure de puis­sance dite le pon­ce­let (= 980,665 watts) est clai­re­ment tom­bée en désué­tude. Son nom figure aus­si par­mi les 72 per­son­nages célèbres dont le nom orne le pre­mier étage de la tour Eif­fel : Pon­ce­let figure au 4e rang, en par­tant de l’extérieur, des 18 noms ins­crits sur la face nord-ouest (celle qui regarde le Trocadéro).


Le théorème de Poncelet

Ce théo­rème pre­mier, dit par­fois porisme, s’énonce ain­si : « Un poly­gone ins­crit dans une conique et en cir­cons­cri­vant une autre fait par­tie d’une famille infi­nie de poly­gones eux-mêmes ins­crits et cir­cons­crits aux mêmes coniques. » Il déve­loppe ain­si en géo­mé­trie pro­jec­tive les deux prin­cipes de dua­li­té et de continuité :


Un sous-marin remarqué…

Le nom de Pon­ce­let a été aus­si attri­bué en 1927 au sixième sous-marin dit de grande patrouille (coque Q141), lan­cé à Lorient en même temps que le Hen­ri Poin­ca­ré (Q140) puis admis au ser­vice actif fin 1932. Le lieu­te­nant de vais­seau Ber­trand de Saus­sine (comte du Pont de Gault, né en 1903), grand ami depuis La Jeanne d’Honoré d’Estienne d’Orves (X1921) – figure de proue de la Résis­tance, angles marine et aris­to­cra­tie réunis –, en prend le com­man­de­ment en octobre 1938. 

Il réus­sit l’exploit, le 26 sep­tembre 1939, d’arraisonner au large des Açores et selon les règles (en sur­face) un car­go alle­mand, le Chem­nitz, soup­çon­né de ravi­tailler les sub­mer­sibles alle­mands, puis de le conduire à Casa­blan­ca avec une « équipe de prise » de son équi­page, seul cas fran­çais enre­gis­tré. Ces sous-marins étaient alors char­gés de mis­sions d’escorte d’escadre(s) ou de convois, plu­tôt que de se livrer à la chasse, donc à contre-emploi. B. de Saus­sine, che­va­lier de la Légion d’honneur depuis 1937, reçoit pour ce fait d’armes la croix de guerre avec étoile de ver­meil, puis est pro­mu au choix capi­taine de cor­vette, pen­dant un long caré­nage consé­cu­tif de son bâti­ment à Cherbourg.

… mais à la destinée tragique

Le Pon­ce­let rejoint son port d’attache de Brest, qu’il quitte ensuite le 18 juin 1940 à 18 h 10, comme tous les sub­mer­sibles aptes à navi­guer, pour gagner Casa­blan­ca, atteint le 23 juin. Il est trans­fé­ré à Port-Gen­til et à la défense mari­time du Gabon, en août. Une par­tie de l’équipage est débar­quée pour ren­for­cer la défense à terre, mais le navire conti­nue à patrouiller.

Le 7 novembre, il repère le HMS Mil­ford et engage le com­bat : une pre­mière tor­pille passe sous le bateau anglais, mais la seconde se bloque alors que le tube res­té ouvert pro­voque une voie d’eau signi­fi­ca­tive et que les gaz d’échappement du moteur allu­mé de la tor­pille intoxiquent l’atmosphère du bord. Le sous-marin, déjà ava­rié par le gre­na­dage anglais, est contraint de faire sur­face. B. de Saus­sine pro­cède à l’évacuation de toutes les per­sonnes du bord, hors de la por­tée du tir ennemi.

Refu­sant que l’ennemi puisse s’emparer de son bâti­ment, il en assure le sabor­dage, ouvre les vannes de plon­gée purges ouvertes et se laisse cou­ler selon la tra­di­tion, appli­quant sa devise : Plu­tôt mou­rir que faillir. Une cita­tion à l’ordre de l’Armée de mer et la rosette d’officier de la Légion d’honneur s’ensuivront, à titre post­hume. Dans ses Mémoires de guerre, le géné­ral de Gaulle évoque sobre­ment cet épi­sode tra­gique, pas­sage par lequel j’avais connu le nom de Pon­ce­let, n’étant pas ver­sé dans la géo­mé­trie. Je remer­cie la Sabix pour les infor­ma­tions figu­rant dans son bul­le­tin n° 19 (paru en juin 1998).


Les sous-marins français de 1 500 t.

L’arme sous-marine, encore au stade juvé­nile de per­fec­tion­ne­ment, n’étant pas com­prise dans les limi­ta­tions des flottes de guerre du trai­té de Washing­ton de 1922, la France lance un grand pro­gramme de sub­mer­sibles de grande patrouille en six tranches : pas moins de 31 uni­tés seront pro­duites dans divers chan­tiers entre 1924 et 1937, sous la coor­di­na­tion de l’ingénieur géné­ral du Génie mari­time Léon Jean-Jacques Roque­bert (X1899). Longs de 92,3 mètres, ils pèsent 1 572 tonnes en sur­face. Ils portent le nom géné­rique de sous-marins « océaniques ».

Ils plongent en sécu­ri­té à 80 mètres mais on recen­se­ra des essais jusqu’à 120 mètres sous la sur­face. Ces navires sont rapides, avec un maxi­mum de 18,6 nœuds en sur­face et 10 envi­ron en plon­gée. Leur rayon d’action atteint 10 000 nau­tiques à 10 nœuds. S’ils sont répu­tés « éta­ler » à la mer, ils sont bruyants, incon­for­tables en l’absence de cli­ma­ti­sa­tion inté­rieure. Les appa­reils sont sou­vent fra­giles et les barres de plon­gée assez sen­sibles au gre­na­dage par l’adversaire. Cette grande série n’aura pas les effets espé­rés, entre la classe M5 Redou­table (Q136) à 4 000 che­vaux et la classe M6 Pas­cal (Q138) moto­ri­sés à 6 000 che­vaux. Des modi­fi­ca­tions diverses sont appor­tées selon les bateaux, ce qui ren­dra la main­te­nance déli­cate et las­se­ra les chan­tiers amé­ri­cains char­gés d’en moder­ni­ser cer­tains pour les FNFL (Forces navales fran­çaises libres).

« Signalons cependant les performances du Casabianca (Q183) s’extrayant du sabordage de la flotte le 27 novembre 1942, puis réalisant sept missions réussies depuis Alger pour la libération de la Corse l’année suivante. »

Deux d’entre eux cou­lèrent avant la guerre (le Pro­mé­thée en essais en 1932 et le Phé­nix en juin 1939 au Viet­nam) et 24 d’entre eux sur 29 ne par­vinrent pas à ter­mi­ner le deuxième conflit mon­dial ! Signa­lons cepen­dant les per­for­mances du Casa­bian­ca (Q183), sous le com­man­de­ment du capi­taine de fré­gate Jean l’Herminier, s’extrayant du sabor­dage de la flotte le 27 novembre 1942, puis réa­li­sant sept mis­sions réus­sies depuis Alger pour la libé­ra­tion de la Corse l’année suivante.


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