Déportés pour l’éternité. Survivre à l’exil stalinien, 1939–1991.
Ouvrage de 380 bonnes pages, Déportés pour l’éternité présente au moins trois intérêts. D’abord il illustre l’activité d’un camarade de la 78 qui a fait de l’histoire non un hobby, comme pas mal d’entre nous, mais son activité principale et professionnelle. Il a raconté son itinéraire dans l’excellent dossier publié dans La Jaune et la Rouge n° 771 de janvier 2022 au sujet des « X et l’histoire » (Statistiques, modélisation mathématique, URSS : itinéraire d’un X historien). Il s’est spécialisé dans l’histoire des populations d’un espace couvrant le territoire des États qui furent sous domination soviétique jusqu’en 1989–1991.
Ensuite, avec sa collègue Emilia Koustava, il ouvre une fenêtre sur un sujet peu fréquenté des historiens : la question des déplacés des territoires baltes et ukrainiens, non pas enfermés, mais relégués et assignés à un travail forcé dans le Grand Nord ou en Sibérie, parce que membres de la famille d’une personne identifiée – à tort ou à raison – comme koulak ou résistant.
« Mais surtout dans ce livre la petite histoire, individuelle, et la grande histoire se rencontrent pour offrir une vision singulièrement « complète » de ce dont il traite. »
Il s’agit de la synthèse du travail d’un grand nombre d’années, consistant dans le recueil et l’exploitation de témoignages des survivants (principalement lituaniens et ukrainiens), notamment certains restés en Russie, rassemblés dans une base de données, et de documents, notamment dans les archives russes – tant qu’elles sont restées accessibles. Le polytechnicien de formation démographe tente d’en tirer des statistiques et des enseignements généraux.
Mais surtout dans ce livre la petite histoire, individuelle, et la grande histoire se rencontrent pour offrir une vision singulièrement « complète » de ce dont il traite. Enfin les larges citations des témoignages et des lettres des déplacés émeuvent aux larmes. Par-delà l’histoire, le lecteur ne peut réprimer sa pitié, sa compassion et sa révolte devant la barbarie bureaucratique du régime soviétique, stalinien mais aussi poststalinien, dont l’absurde le dispute à l’inhumain.
La conclusion des auteurs ne touche pas moins, auteurs qui ont été rattrapés par l’histoire et n’imaginaient pas l’ampleur de la régression mémorielle qui frapperait la Russie poutinienne. L’histoire, la vraie, est plus que jamais nécessaire pour contrer les dictatures impérialistes !