La recherche de sa voie
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Témoignage d’un cheminement qui explore la maïeutique d’un engagement personnel vers un engagement professionnel. Un seul crédo à retenir : il existe autant d’engagements que de compétences ou d’envies à valoriser !
Diplômé de l’École polytechnique (X05), je commence ma carrière dans la finance et le conseil. Progressivement, des expériences personnelles et professionnelles me conduisent à m’investir dans des engagements citoyens, puis à orienter ma carrière vers des projets à impact social. Mon premier engagement significatif se concrétise au sein de la Croix-Rouge française.
Une première approche de l’engagement : le bénévolat
Alors que je suis en stage de 3e année à l’étranger, mon père tombe gravement malade. Face à mon impuissance lors d’urgences médicales dont il relève, je décide de me former aux gestes de premiers secours en tant que citoyen. C’est lors de cette journée que je perçois la responsabilité de chacun et que je décide de m’engager. Quelques mois après son décès, en 2010, je rejoins l’unité locale de la Croix-Rouge française de mon arrondissement. Après une période de formation, je deviens bénévole secouriste.
Mon engagement s’intensifie rapidement et je deviens moi-même formateur premiers secours (pour le grand public et, plus tard, pour les bénévoles secouristes). Après deux années d’engagement, j’ai l’occasion dans cette même structure de prendre des responsabilités d’encadrement et de gestion de projet, tout en poursuivant mon bénévolat sur le terrain. Pendant près de huit ans, j’occupe tour à tour les rôles de responsable formation, secrétaire, président. Même si c’est un engagement qui prend parfois trop de place et qui expose à des difficultés de gestion humaine du fait de la pluralité des milieux dont sont issus les bénévoles et les personnes accompagnées, c’est un engagement utile et enrichissant.
Le point de bascule : la prise de conscience des inégalités dans le système économique
Après dix années d’engagement, je décide de raccrocher les gants pour me consacrer à ma famille qui s’agrandit. Je ressors enrichi de cette expérience. D’abord avec le sentiment d’avoir contribué modestement mais utilement à la société, et également enrichi de compétences et de soft skills tout aussi valorisables dans le secteur professionnel. Mais aussi moins naïf sur la réalité du bénévolat ; sur ses difficultés de rester engagé dans la durée, de respecter un équilibre vie pro-vie perso-bénévolat et sur les défauts d’organisation inhérents à toute structure.
Parallèlement à cet engagement personnel, j’exerce dans la finance de marché, puis dans le conseil en stratégie, pendant huit ans. C’est lors de ces expériences, au demeurant très instructives, que je prends conscience du poids des classes sociales dominantes et des limites d’un modèle économique qui tend non seulement à exclure une partie non négligeable des foyers vivant en France mais également à appauvrir les plus précaires par ce qu’on appelle « la double pénalité de pauvreté ».
Effectivement, des structures telles que l’Action Tank que je rejoindrai plus tard ont documenté ce phénomène selon lequel les ménages à faibles revenus, en plus de disposer d’un pouvoir d’achat réduit, paient proportionnellement plus cher pour des biens et services identiques que les ménages au revenu médian. Par exemple, en 2023, les ménages français les plus pauvres ont dépensé en moyenne 700 € de plus par an pour accéder aux mêmes biens et services que les consommateurs médians. Cette situation s’explique par divers facteurs tels que des coûts fixes incompressibles, une exclusion de certaines offres avantageuses, un manque d’information ou des biais cognitifs, ainsi que des effets liés à la localisation.
Du caritatif à la justice sociale : le début d’un nouvel engagement professionnel
Bien qu’issu de la classe ouvrière – mon père ayant été chauffeur routier et ma mère aide à domicile – je n’ai pas jusqu’alors pleinement conscience de la notion d’assignation sociale à résidence, dès lors que je reste persuadé que le travail permet à chacun de réussir et de s’émanciper de son milieu d’origine. La diversité de mes missions me permet de prendre de la hauteur, de nuancer ma vision de la méritocratie et d’observer l’ampleur des inégalités sociales et économiques résultant notamment d’un marché prévu principalement pour le consommateur médian.
“Investir dans une approche de justice sociale.”
C’est dans ce contexte que je souhaite me réorienter pour exercer une activité professionnelle au sein d’une structure à impact. À la fois conscient des limites d’un engagement limité à des actions curatives et ponctuelles, et également de l’importance d’une économie de marché, vecteur d’émancipation en dépit de sa perfectibilité, je recherche une structure qui prenne en considération cette dimension économique. Mon ambition n’est plus alors d’inscrire mon engagement dans une vision de charité telle que j’ai pu le concevoir en tant que bénévole au sein de la Croix-Rouge française, mais de m’investir dans une approche de justice sociale.
Place à l’action : l’engagement au sein d’un laboratoire d’innovation sociale
En 2016, j’ai rejoint l’Action Tank Entreprise et Pauvreté, qui est une structure partenaire du cabinet de conseil dans lequel je travaillais et aux profils très qualifiés. En complément des actions de plaidoyer militant qui visent à sensibiliser et influencer les politiques publiques ou l’analyse stratégique, souvent menée par des think tanks, dont l’ambition est d’éclairer les décisionnaires en apportant des réflexions documentées et rigoureuses, l’Action Tank est un laboratoire d’innovation sociale qui s’inscrit dans une démarche d’expérimentation pratique. Sa vocation est de transformer des idées en solutions concrètes, de les tester, puis de les déployer à échelle réelle aux fins de bâtir une société plus équitable et solidaire.
La première singularité de l’Action Tank est de travailler avec des grandes entreprises françaises, notamment du CAC 40, ce qui permet d’entreprendre des actions de grande ampleur. La seconde particularité, et peut-être la plus distinguable, est de travailler au plus proche du cœur du métier de l’entreprise en mobilisant le plus souvent possible les directions métiers au-delà des traditionnelles RSE. Agir au sein desdites directions permet de corriger en amont l’injustice générée par le système économique, en proposant un modèle économique innovant qui a pour ambition de concilier des objectifs de profitabilité et des objectifs d’inclusion sociale.
L’expérimentation d’un nouveau paradigme économique : la mobilité pour tous
À titre d’exemple, nous avons développé un programme nommé Club Mobilité. Ce programme, conçu avant l’instauration d’un dispositif similaire par le gouvernement, propose une forme de leasing social pour des véhicules neufs, économiques et sobres, qu’ils soient thermiques ou électriques. Il s’attache également à réduire le non-recours aux aides publiques et à répondre aux besoins de mobilité des ménages précaires. En effet, il est communément admis que le premier frein à l’emploi, hors compétences, concerne la mobilité et plus de la moitié des Français en situation de fragilité économique a déjà dû renoncer à un emploi en raison d’un problème de mobilité.
Pourtant, ces personnes ne peuvent pas accéder à des véhicules fiables récents (neufs ou occasion) faute de solution de financement (crédit, leasing, épargne) et se tournent alors vers l’unique solution à leur disposition : des véhicules anciens fortement kilométrés au coût d’acquisition faible, mais dont le coût total au kilomètre se révèle supérieur à celui d’un véhicule neuf. Ce modèle a pour objectif de rechercher l’équilibre financier contrairement à une démarche philanthropique et permet au constructeur d’automobiles, dans un marché très concurrentiel soumis à une recherche de forte profitabilité, d’expérimenter d’autres méthodes business dans un contexte d’innovation frugale.
Le temps de l’épanouissement : un plaidoyer pour l’engagement
Ainsi, travailler dans une structure comme l’Action Tank est très gratifiant : on y mobilise des compétences proches de celles des entreprises avec lesquelles on travaille, mais avec un impact positif pour la société. Il reste un défi pour des structures de ce type : le passage à l’échelle massif pour être à la hauteur des enjeux sociaux. Aujourd’hui, je continue à me projeter dans ma carrière au sein de structures à impact, même si évidemment le secteur de l’économie sociale n’est pas exempt de critiques (charge de travail, poids du politique, etc.). J’ai effectivement trouvé un équilibre entre intérêt professionnel et alignement avec mes valeurs, facteur d’épanouissement. Pour conclure, je souhaite rappeler que l’engagement est protéiforme dans la sphère tant personnelle que professionnelle, de sorte qu’il y a une place pour chacun d’entre nous !