Inondation sur un village du nord du Bangladesh.

Économiste, mais pas trop !

Dossier : SolidaritéMagazine N°802 Février 2025
Par Sébastien POSTIC (X08)

Sébas­tien Pos­tic est un X qui a choi­si l’économie et la soli­da­ri­té tout en même temps, une éco­no­mie pra­tique et appli­quée, une éco­no­mie qui lui per­met de conci­lier enga­ge­ment, vie pro­fes­sion­nelle et vie per­son­nelle. Il raconte com­ment on peut trou­ver un équi­libre que peu arrivent à bâtir. Il donne envie de signer !

Je m’appelle Sébas­tien, je fais par­tie de la pro­mo 2008 et je suis cher­cheur à l’Institut de l’économie pour le cli­mat (ou I4CE, pour Ins­ti­tute for Cli­mate Eco­no­mics), un think tank qui contri­bue au débat sur les poli­tiques publiques liées au chan­ge­ment cli­ma­tique et à leur mise en œuvre. J’accompagne les minis­tères des Finances, en par­ti­cu­lier ceux de pays en déve­lop­pe­ment, sur l’intégration d’objectifs cli­ma­tiques natio­naux dans leurs outils de ges­tion et de pla­ni­fi­ca­tion des finances publiques.

Les hasards de la carrière

Je suis arri­vé dans la recherche un peu par hasard, et dans l’économie, beau­coup. Et même le cli­mat, ça n’était pas vrai­ment pré­vu… Ma pre­mière moti­va­tion était la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale. Quelques années avant l’X, j’avais décou­vert avec les scouts que l’enfance à Ant­sam­pa­ni­ma­ha­zo, Mada­gas­car, avait peu à voir avec celle que je connais­sais, ou même que j’imaginais, et que mes pers­pec­tives auraient été bien dif­fé­rentes si je n’avais pas eu la chance de naître dans un pays pro­po­sant un accès assez large à une édu­ca­tion gra­tuite de qua­li­té. J’avais aus­si consta­té que la bonne volon­té a ses limites et qu’investir trois mois de petits bou­lots pour se payer un billet d’avion et aller don­ner des cours de fran­çais à 15 élèves de pri­maire-col­lège pen­dant leurs deux semaines de vacances, c’était se trom­per sur l’échelle du pro­blème, et de solution.

Les vertus de l’expérience

À l’époque de mon pas­sage à Palai­seau, mon grand sujet était l’accès à l’énergie. En stage ouvrier, j’installais des pan­neaux solaires en Boli­vie. Sur un de nos pro­jets, je découvre un jour un groupe élec­tro­gène flam­bant neuf à l’abandon dans le caba­non qui doit accueillir nos bat­te­ries. Incom­pré­hen­sion… Ren­sei­gne­ments pris, cet équi­pe­ment avait été ins­tal­lé dans le cadre d’un pro­gramme euro­péen et, à la suite d’une inau­gu­ra­tion en grande pompe, il avait fonc­tion­né en tout et pour tout… un mois. Au pre­mier inci­dent, on s’était aper­çu qu’aucun tech­ni­cien n’était for­mé pour le répa­rer, que les ins­tal­la­teurs étaient injoi­gnables… Le géné­ra­teur avait été lais­sé là à rouiller et le vil­lage avait can­di­da­té à un autre pro­gramme. Cinq ans plus tard.

Deux leçons

De cet épi­sode, j’ai rete­nu deux choses. Pre­miè­re­ment, dans le déve­lop­pe­ment l’argent n’est qu’une variante de la bonne volon­té : on peut en avoir beau­coup et l’utiliser très mal. Sur­tout si l’on télé­guide des inves­tis­se­ments de l’autre côté de l’océan, sans s’appuyer sur des capa­ci­tés et des besoins locaux et sans accom­pa­gner les pro­jets dans la durée. Et, deuxiè­me­ment, le plus dif­fi­cile dans un pro­jet de ce type est rare­ment son volet tech­no­lo­gique, même s’il est cru­cial et plus visible, mais plu­tôt l’existence de filières, de modèles d’affaires, d’intervenants qua­li­fiés, d’institutions, de régle­men­ta­tions… Une nou­veau­té, dans mon tout récent par­cours d’ingénieur.

La part du climat

J’ai enchaî­né après les années à l’X sur une thèse de pla­ni­fi­ca­tion éner­gé­tique au Chi­li au moment de l’Accord de Paris, et le cli­mat s’est invi­té dans mon pay­sage. Jusqu’alors, je clas­sais plu­tôt les éoliennes dans la caté­go­rie « pro­blème de riches »… et puis j’ai réa­li­sé qu’en fait non, que l’accès à l’énergie c’est impor­tant ; mais que les voi­tures en France et le char­bon en Chine, ça pré­pare les inon­da­tions en Boli­vie et les séche­resses au Chi­li. Que 60 degrés res­sen­tis à Rio ou la sali­ni­sa­tion des régions côtières du Ban­gla­desh, ça ne peut qu’aggraver les ten­sions ter­ri­to­riales, les migra­tions, les inéga­li­tés. Que, si l’on ignore ce sujet, on peut rem­por­ter des vic­toires aujourd’hui mais on est sûr de perdre la bataille demain.

Une économie concrète

Alors, de fil en aiguille, je suis arri­vé à I4CE. L’économie théo­rique de mes (rares) cours de l’X m’avait pour­tant lais­sé plu­tôt scep­tique, avec ses pro­blèmes sur mesure où l’on empile des hypo­thèses par­fois dis­cu­tables pour tom­ber sur la for­ma­li­sa­tion qui per­met­tra de faire de belles mathé­ma­tiques… Mais, à I4CE, l’économie c’est sur­tout de la recherche appli­quée pour trou­ver des solu­tions prag­ma­tiques à des pro­blèmes éco­no­miques certes, mais par­fai­te­ment concrets, dans un contexte géo­gra­phique, social, ins­ti­tu­tion­nel, précis.

“Le bon équilibre entre parcours professionnel, engagement et vie personnelle.”

Cet enga­ge­ment s’est avé­ré pour moi jusqu’à aujourd’hui le bon équi­libre entre par­cours pro­fes­sion­nel, enga­ge­ment et vie per­son­nelle. J’ai des acti­vi­tés béné­voles par ailleurs, mais il m’était plus facile de m’engager profession­nellement que béné­vo­le­ment sur ce sujet, pour au moins quatre raisons.

Gratifiant !

Pre­miè­re­ment, la lutte contre le dérè­gle­ment cli­ma­tique demande de l’argent et du temps, mais aus­si beau­coup d’intelligence et de com­pé­tences. Sur le finan­ce­ment de la tran­si­tion éco­lo­gique, comme sur l’éducation à Mada­gas­car ou l’électrification en Boli­vie, la bonne volon­té ou l’argent seuls trouvent vite leurs limites et il me paraît dif­fi­cile de main­te­nir dans la durée l’expertise néces­saire pour par­ti­ci­per aux dis­cus­sions inter­na­tio­nales à ce sujet sur une base uni­que­ment béné­vole. En échange, mon poste actuel m’offre un contexte pro­fes­sion­nel qui inclut un défi intel­lec­tuel per­ma­nent, des pers­pec­tives d’apprentissage très riches et le sen­ti­ment de se confron­ter à des pro­blèmes com­pli­qués pour de bonnes rai­sons. Anxio­gène, mais gratifiant…

L’importance d’être payé

Deuxiè­me­ment, je trouve impor­tant d’être payé pour tra­vailler sur ces sujets. Sur le ter­rain des poli­tiques publiques cli­ma­tiques, les béné­voles (orga­nismes ou indi­vi­dus) peuvent vite être clas­sés soit en « rêveurs », soit en « éner­vés ». Le fait de devoir faire finan­cer notre tra­vail et en vivre nous confère une cer­taine res­pec­ta­bi­li­té, nous donne accès à des inter­lo­cu­teurs qui ne nous auraient pas consi­dé­rés sinon et garan­tit que les payeurs de nos tra­vaux, au moins, s’intéresseront à leurs résul­tats et à leurs impacts.

Préserver son temps libre

Troi­siè­me­ment, je veux pou­voir faire ce que je sou­haite de mon temps libre, sans négo­cier avec ma conscience. Autant j’ai besoin de croire que mes jour­nées contri­buent même juste un peu à « lais­ser le monde un peu meilleur que je l’ai trou­vé », autant j’ai un tas d’activités de mon­tagne, de temps avec ma famille, mes amis, d’autres acti­vi­tés béné­voles… que je ne veux pas embar­quer entiè­re­ment dans une logique mili­tante. Mon acti­vi­té pro­fes­sion­nelle est un fil rouge qui four­nit un sque­lette à mon enga­ge­ment sans néces­si­ter un « effort additionnel ».

Choisir ses collègues

Et, qua­triè­me­ment, j’adore mes col­lègues ! Pour moi, une acti­vi­té pro­fes­sion­nelle « enga­gée », c’est aus­si une façon de choi­sir mon cadre de tra­vail et les gens qui m’entourent. Dans un think tank, à mi-che­min entre le conseil et l’association, les gens viennent par convic­tion et au prix de conces­sions – un coup d’œil aux grilles sala­riales, elles aus­si « à mi-che­min », suf­fit à le véri­fier – tra­vailler sur des sujets à forte com­plexi­té. La dyna­mique col­lec­tive que ces enga­ge­ments indi­vi­duels créent et la sen­sa­tion de tra­vailler avec des col­lègues dont je res­pecte à la fois l’envergure intel­lec­tuelle et les convic­tions me plaît bien autant que la pers­pec­tive de l’impact au bout du chemin.

J’ai un super cadre de tra­vail, j’apprends, et j’ai de bonnes rai­sons d’espérer être utile… Je suis arri­vé par hasard, mais je sais pour­quoi je suis resté !

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