Avoir la chance de pouvoir s’engager
![](https://www.lajauneetlarouge.com/wp-content/uploads/2023/05/Claire-Bach.jpg)
Claire Bach est une polyengagée. L’impulsion initiale a été fournie par la formation humaine à l’X. Tout le reste s’est ensuivi. Elle donne quelques aperçus quant à la manière de jongler avec ses différents engagements. Et aussi note qu’elle a cette chance de pouvoir le faire. Comment favoriser plus généralement l’engagement des citoyens ?
Parler de mon engagement, le « pourquoi », le « comment », voilà la demande qui nous a été faite par le groupe X Solidarités afin d’illustrer les différentes formes d’engagement des polytechniciens. Le « comment » est une description factuelle des fonctions, des tâches et des horaires. En revanche, le « pourquoi » est une question à laquelle je ne suis pas toujours sûre d’avoir une réponse. Pourquoi s’engage-t-on ? Pour une cause précise, pour l’image que cela nous renvoie de nous-même, pour l’image que cela renvoie aux autres, pour aider des personnes que l’on apprécie, pour répondre à un contrat de société ? Un peu tout cela.
L’apport de l’École
Mon premier engagement a été celui de la formation humaine au début de Polytechnique. Je ne saurais plus dire aujourd’hui exactement pourquoi j’ai choisi L’enfant@l’hôpital, une association qui met en relation des voyageurs et des enfants malades ou en situation de handicap pour les extraire de leur quotidien et leur donner l’envie d’apprendre : peut-être était-ce la volonté d’explorer plus amplement ce monde que j’avais connu à travers des proches malades, l’envie d’accompagner des enfants mis à l’écart de la société ou l’envie de parcourir la France.
L’association intervient dans près de cinquante établissements à travers la France avec un outil numérique, Kolibri, permettant aux enfants d’avoir accès aux reportages des voyageurs qui racontent leur voyage à travers le monde. Nous accompagnons des jeunes accueillis au sein de services hospitaliers, de centres de suite de soins, d’instituts d’éducation motrice, d’instituts médico-éducatifs (IME) et de classes des dispositifs Ulis (Unités localisées pour l’inclusion scolaire).
![Carnets de voyage
sur l’outil Kolibri
de L’enfant@l’hôpital.](https://www.lajauneetlarouge.com/wp-content/uploads/2025/01/Kolibri_carnet-de-voyage-copie-1024x651.jpg)
Une prise de conscience
Je suis arrivée à l’association en octobre 2017. Une semaine plus tard, j’étais à travers la France auprès des enfants : à Toulouse, Cambrai, Éragny-sur-Oise et Creil pour ma part, et le choc a été brutal. Je n’avais presque jamais été en relation avec des enfants polyhandicapés et, lors du premier repas dans l’institut médico-éducatif dans lequel j’étais, je ne me sentais pas à la hauteur et je découvrais un monde parallèle. Ces enfants, adultes en devenir, passeront l’entièreté de leur vie dans des structures médicales spécialisées, leur handicap étant trop lourd à porter pour leur famille. Ils sont dans un monde limité : leur famille, les amis de la famille et les agents de l’IME. Tous les jours de la semaine, tous les ans. Ces semaines d’atelier ont été une prise de conscience quant au rôle des associations pour répondre à des besoins fondamentaux de la société.
La prise de responsabilité
J’ai ensuite rejoint le campus, vécu deux ans de vie scolaire et associative riche sur ce campus, tout en gardant un lien avec L’enfant@l’hôpital, avec ses événements annuels et sur des sollicitations précises. Puis la Covid-19 est arrivée et l’association a rencontré des difficultés pour trouver des voyageurs. Je partais en Suède faire ma 4A à ce moment et c’était reparti pour un engagement avec l’association. Écrire un article chaque semaine : parce que l’association en avait besoin, parce que les enfants n’auraient pas eu cet accès à l’extérieur et à l’intérêt qu’on peut leur porter, parce que je pouvais garder une trace de mon voyage en Suède.
Après mon retour en France, je suis devenue vice-présidente puis maintenant présidente de l’association, par la force des choses. Ces fonctions, au contraire des précédentes, ne présupposent aucun échange avec les enfants, les principaux bénéficiaires de l’association. Ces activités sont faites en parallèle avec mon travail de responsable de la recherche en agence d’architecture.
Et puis la fabrique de la ville
Pour le moment, j’ai parlé d’une association complètement déconnectée du domaine dans lequel je travaille, en apparence du moins, qui est la fabrique de la ville. En 2022, alors que j’étais fraîchement salariée en agence, une ancienne collègue m’a mise en relation avec une petite équipe qui cherchait à écrire un livre sur la place du sol vivant dans la fabrique de la ville, pour ensuite créer une association : l’Institut de la transition foncière (ITF). Ils cherchaient des forces vives pour compléter leur équipe.
L’engagement me paraissait trop important pour être mené en parallèle avec mon travail, d’autant plus qu’il y avait aussi L’enfant@l’hôpital. Au vu de la nature de mon poste de responsable de la recherche, il pouvait néanmoins être pertinent d’entraîner mon agence d’architecture dans l’aventure. Les associés de mon agence ont accepté de donner du temps en mécénat de compétence à environ un jour par semaine. Cet investissement avait un sens pour moi mais également pour mon agence.
Il était convenu que je m’investisse dans la chaire de recherche créée avec l’université Gustave-Eiffel. Néanmoins, un jour s’est posée la question de la création de l’association au sens légal du terme. Il fallait un bureau et notamment un trésorier. Je ne savais pas trop dans quoi je me lançais, mais il fallait engager ma responsabilité en tant que personne physique pour que le projet prenne forme. Cet engagement n’est pas dans le cadre de mon travail.
La gestion des contraintes
Finalement, mon engagement a pris et prend plusieurs formes : sur le terrain, derrière un bureau, dans un cadre personnel ou dans un cadre professionnel. Néanmoins, aujourd’hui tous mes engagements prennent une forme qui s’apparente à mon travail : de la gestion de projet. Une présence auprès des enfants par exemple nécessiterait du temps chaque semaine, ce qui obligerait à changer mes temps de travail. Pour l’engagement dans un cadre professionnel, c’est assez aisé car cela correspond à un projet presque comme un autre.
“Garder un vrai temps de pause.”
En revanche, les fonctions de présidente et de trésorière sont plus compliquées à gérer en termes d’horaires. Les deux associations ont des salariés qui ont eux aussi des horaires de travail. Nous nous retrouvons en début de matinée, entre midi et deux. L’objectif est de ne pas les faire trop souvent dépasser de leurs plages de travail, mais aussi de gérer mes contraintes professionnelles. En termes de régularité, chaque fonction a son rythme : l’ITF nécessite du temps hebdomadaire ; L’enfant@l’hôpital est sur des temps précis pour répondre à des demandes. Un objectif que j’essaye de respecter néanmoins : ne pas travailler pour les associations le week-end, afin de garder un vrai temps de pause.
Varier ses modes d’action
Il faut s’engager de différentes manières, dans sa vie professionnelle ou personnelle, pour des objectifs différents. Pour l’ITF, il s’agit de prendre du recul par rapport à mon travail, se former pour former ensuite ses collègues, travailler avec d’autres personnes pour être dans une constante remise en question de mes modes de faire et de mes modes de pensée. Cet engagement me permet de faire des ponts constants entre différents pôles d’un même monde : celui de la fabrique de la ville.
Pour L’enfant@l’hôpital, il s’agit d’aider indirectement des enfants qui sont exclus du système. Aujourd’hui il est parfois difficile de mesurer l’impact que l’on peut avoir, car je n’ai plus de contact direct avec les enfants, mais ma connaissance de l’association et ma confiance totale en l’équipe salariée permettent de renforcer la dynamique de cet engagement. Mon investissement à L’enfant@l’hôpital m’a donné une autre sensibilité au quotidien pour déconstruire les préjugés que l’on peut avoir sur le handicap.
Comment favoriser l’engagement ?
Les possibilités que j’ai aujourd’hui sont possibles car l’École polytechnique donne une place centrale à la formation humaine et m’a permis de connaître L’enfant@l’hôpital et parce que les dirigeants de mon entreprise sont convaincus de la nécessité de l’engagement. Qu’en est-il de toutes les personnes souhaitant s’engager qui n’ont pas cette chance ? Et si l’engagement associatif devenait systématique dans notre société ? Si un jour dans la semaine était dédié à l’engagement pour des structures d’intérêt général ? Un moyen de placer l’engagement au cœur de notre société ?