Avoir la chance de pouvoir s’engager

Dossier : SolidaritéMagazine N°802 Février 2025
Par Claire BACH (X17)

Claire Bach est une poly­en­ga­gée. L’impulsion ini­tiale a été four­nie par la for­ma­tion humaine à l’X. Tout le reste s’est ensui­vi. Elle donne quelques aper­çus quant à la manière de jon­gler avec ses dif­fé­rents enga­ge­ments. Et aus­si note qu’elle a cette chance de pou­voir le faire. Com­ment favo­ri­ser plus géné­ra­le­ment l’engagement des citoyens ?

Parler de mon enga­ge­ment, le « pour­quoi », le « com­ment », voi­là la demande qui nous a été faite par le groupe X Soli­da­ri­tés afin d’illustrer les dif­fé­rentes formes d’engagement des poly­tech­ni­ciens. Le « com­ment » est une des­crip­tion fac­tuelle des fonc­tions, des tâches et des horaires. En revanche, le « pour­quoi » est une ques­tion à laquelle je ne suis pas tou­jours sûre d’avoir une réponse. Pour­quoi s’engage-t-on ? Pour une cause pré­cise, pour l’image que cela nous ren­voie de nous-même, pour l’image que cela ren­voie aux autres, pour aider des per­sonnes que l’on appré­cie, pour répondre à un contrat de socié­té ? Un peu tout cela.

L’apport de l’École

Mon pre­mier enga­ge­ment a été celui de la for­ma­tion humaine au début de Poly­tech­nique. Je ne sau­rais plus dire aujourd’hui exac­te­ment pour­quoi j’ai choi­si L’enfant@l’hôpital, une asso­cia­tion qui met en rela­tion des voya­geurs et des enfants malades ou en situa­tion de han­di­cap pour les extraire de leur quo­ti­dien et leur don­ner l’envie d’apprendre : peut-être était-ce la volon­té d’explorer plus ample­ment ce monde que j’avais connu à tra­vers des proches malades, l’envie d’accompagner des enfants mis à l’écart de la socié­té ou l’envie de par­cou­rir la France.

L’association inter­vient dans près de cin­quante éta­blis­se­ments à tra­vers la France avec un outil numé­rique, Koli­bri, per­met­tant aux enfants d’avoir accès aux repor­tages des voya­geurs qui racontent leur voyage à tra­vers le monde. Nous accom­pa­gnons des jeunes accueillis au sein de ser­vices hos­pi­ta­liers, de centres de suite de soins, d’instituts d’éducation motrice, d’instituts médi­co-édu­ca­tifs (IME) et de classes des dis­po­si­tifs Ulis (Uni­tés loca­li­sées pour l’inclusion scolaire).

Carnets de voyage 
sur l’outil Kolibri 
de L’enfant@l’hôpital.
Car­nets de voyage sur l’outil Koli­bri de L’enfant@l’hôpital.

Une prise de conscience

Je suis arri­vée à l’association en octobre 2017. Une semaine plus tard, j’étais à tra­vers la France auprès des enfants : à Tou­louse, Cam­brai, Éra­gny-sur-Oise et Creil pour ma part, et le choc a été bru­tal. Je n’avais presque jamais été en rela­tion avec des enfants poly­han­di­ca­pés et, lors du pre­mier repas dans l’institut médi­co-édu­ca­tif dans lequel j’étais, je ne me sen­tais pas à la hau­teur et je décou­vrais un monde paral­lèle. Ces enfants, adultes en deve­nir, pas­se­ront l’entièreté de leur vie dans des struc­tures médi­cales spé­cia­li­sées, leur han­di­cap étant trop lourd à por­ter pour leur famille. Ils sont dans un monde limi­té : leur famille, les amis de la famille et les agents de l’IME. Tous les jours de la semaine, tous les ans. Ces semaines d’atelier ont été une prise de conscience quant au rôle des asso­cia­tions pour répondre à des besoins fon­da­men­taux de la société.

La prise de responsabilité

J’ai ensuite rejoint le cam­pus, vécu deux ans de vie sco­laire et asso­cia­tive riche sur ce cam­pus, tout en gar­dant un lien avec L’enfant@l’hôpital, avec ses évé­ne­ments annuels et sur des sol­li­ci­ta­tions pré­cises. Puis la Covid-19 est arri­vée et l’association a ren­con­tré des dif­fi­cul­tés pour trou­ver des voya­geurs. Je par­tais en Suède faire ma 4A à ce moment et c’était repar­ti pour un enga­ge­ment avec l’association. Écrire un article chaque semaine : parce que l’association en avait besoin, parce que les enfants n’auraient pas eu cet accès à l’extérieur et à l’intérêt qu’on peut leur por­ter, parce que je pou­vais gar­der une trace de mon voyage en Suède. 

Après mon retour en France, je suis deve­nue vice-pré­si­dente puis main­te­nant pré­si­dente de l’association, par la force des choses. Ces fonc­tions, au contraire des pré­cé­dentes, ne pré­sup­posent aucun échange avec les enfants, les prin­ci­paux béné­fi­ciaires de l’association. Ces acti­vi­tés sont faites en paral­lèle avec mon tra­vail de res­pon­sable de la recherche en agence d’architecture.

Et puis la fabrique de la ville

Pour le moment, j’ai par­lé d’une asso­cia­tion com­plè­te­ment décon­nec­tée du domaine dans lequel je tra­vaille, en appa­rence du moins, qui est la fabrique de la ville. En 2022, alors que j’étais fraî­che­ment sala­riée en agence, une ancienne col­lègue m’a mise en rela­tion avec une petite équipe qui cher­chait à écrire un livre sur la place du sol vivant dans la fabrique de la ville, pour ensuite créer une asso­cia­tion : l’Institut de la tran­si­tion fon­cière (ITF). Ils cher­chaient des forces vives pour com­plé­ter leur équipe.

L’engagement me parais­sait trop impor­tant pour être mené en paral­lèle avec mon tra­vail, d’autant plus qu’il y avait aus­si L’enfant@l’hôpital. Au vu de la nature de mon poste de res­pon­sable de la recherche, il pou­vait néan­moins être per­ti­nent d’entraîner mon agence d’architecture dans l’aventure. Les asso­ciés de mon agence ont accep­té de don­ner du temps en mécé­nat de com­pé­tence à envi­ron un jour par semaine. Cet inves­tis­se­ment avait un sens pour moi mais éga­le­ment pour mon agence.

Il était conve­nu que je m’investisse dans la chaire de recherche créée avec l’université Gus­tave-Eif­fel. Néan­moins, un jour s’est posée la ques­tion de la créa­tion de l’association au sens légal du terme. Il fal­lait un bureau et notam­ment un tré­so­rier. Je ne savais pas trop dans quoi je me lan­çais, mais il fal­lait enga­ger ma res­pon­sa­bi­li­té en tant que per­sonne phy­sique pour que le pro­jet prenne forme. Cet enga­ge­ment n’est pas dans le cadre de mon travail.

Livre Transition foncière publié avec l’association l’Institut de la transition foncière.

La gestion des contraintes

Fina­le­ment, mon enga­ge­ment a pris et prend plu­sieurs formes : sur le ter­rain, der­rière un bureau, dans un cadre per­son­nel ou dans un cadre pro­fes­sion­nel. Néan­moins, aujourd’hui tous mes enga­ge­ments prennent une forme qui s’apparente à mon tra­vail : de la ges­tion de pro­jet. Une pré­sence auprès des enfants par exemple néces­si­te­rait du temps chaque semaine, ce qui obli­ge­rait à chan­ger mes temps de tra­vail. Pour l’engagement dans un cadre pro­fes­sion­nel, c’est assez aisé car cela cor­res­pond à un pro­jet presque comme un autre.

“Garder un vrai temps de pause.”

En revanche, les fonc­tions de pré­si­dente et de tré­so­rière sont plus com­pli­quées à gérer en termes d’horaires. Les deux asso­cia­tions ont des sala­riés qui ont eux aus­si des horaires de tra­vail. Nous nous retrou­vons en début de mati­née, entre midi et deux. L’objectif est de ne pas les faire trop sou­vent dépas­ser de leurs plages de tra­vail, mais aus­si de gérer mes contraintes pro­fes­sion­nelles. En termes de régu­la­ri­té, chaque fonc­tion a son rythme : l’ITF néces­site du temps heb­do­ma­daire ; L’enfant@l’hôpital est sur des temps pré­cis pour répondre à des demandes. Un objec­tif que j’essaye de res­pec­ter néan­moins : ne pas tra­vailler pour les asso­cia­tions le week-end, afin de gar­der un vrai temps de pause.

Varier ses modes d’action

Il faut s’engager de dif­fé­rentes manières, dans sa vie pro­fes­sion­nelle ou per­son­nelle, pour des objec­tifs dif­fé­rents. Pour l’ITF, il s’agit de prendre du recul par rap­port à mon tra­vail, se for­mer pour for­mer ensuite ses col­lègues, tra­vailler avec d’autres per­sonnes pour être dans une constante remise en ques­tion de mes modes de faire et de mes modes de pen­sée. Cet enga­ge­ment me per­met de faire des ponts constants entre dif­fé­rents pôles d’un même monde : celui de la fabrique de la ville. 

Pour L’enfant@l’hôpital, il s’agit d’aider indi­rec­te­ment des enfants qui sont exclus du sys­tème. Aujourd’hui il est par­fois dif­fi­cile de mesu­rer l’impact que l’on peut avoir, car je n’ai plus de contact direct avec les enfants, mais ma connais­sance de l’association et ma confiance totale en l’équipe sala­riée per­mettent de ren­for­cer la dyna­mique de cet enga­ge­ment. Mon inves­tis­se­ment à L’enfant@l’hôpital m’a don­né une autre sen­si­bi­li­té au quo­ti­dien pour décons­truire les pré­ju­gés que l’on peut avoir sur le handicap.

Comment favoriser l’engagement ?

Les pos­si­bi­li­tés que j’ai aujourd’hui sont pos­sibles car l’École poly­tech­nique donne une place cen­trale à la for­ma­tion humaine et m’a per­mis de connaître L’enfant@l’hôpital et parce que les diri­geants de mon entre­prise sont convain­cus de la néces­si­té de l’engagement. Qu’en est-il de toutes les per­sonnes sou­hai­tant s’engager qui n’ont pas cette chance ? Et si l’engagement asso­cia­tif deve­nait sys­té­ma­tique dans notre socié­té ? Si un jour dans la semaine était dédié à l’engagement pour des struc­tures d’intérêt géné­ral ? Un moyen de pla­cer l’engagement au cœur de notre société ? 

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