Raretés

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°802 Février 2025
Par Jean SALMONA (56)

« L’art, c’est le rare. Or, si, à côté d’un élé­phant magni­fique, on m’en montre une dou­zaine presque aus­si beaux, le pre­mier ne m’étonne plus. »
Jules Renard, Jour­nal (2 décembre 1901)

La paresse semble être une qua­li­té – si l’on ose dire – domi­nante chez les orga­ni­sa­teurs de concerts, de fes­ti­vals : pour­quoi pré­sen­ter au public des œuvres peu – voire jamais – jouées qui risquent de l’effrayer, sans comp­ter que les inter­prètes rechignent à ins­crire à leur réper­toire des pièces qui leur seront peu deman­dées ? Ain­si, on peut entendre chaque année, dans un fes­ti­val célèbre de musique de pia­no, les mêmes Bal­lades de Cho­pin, Années de pèle­ri­nage de Liszt, Concer­tos de Rach­ma­ni­nov, etc. Le res­pon­sable d’un fes­ti­val de qua­tuors qu’il comp­tait consa­crer à la musique fran­çaise et à qui nous sug­gé­rions de pro­gram­mer les qua­tuors de Saint-Saëns, Vincent d’Indy, Rey­nal­do Hahn, Darius Mil­haud, Ger­maine Taille­ferre, plu­tôt que ceux de Debus­sy, Franck, Ravel, Fau­ré, nous répon­dit qu’il ne trou­ve­rait aucun ensemble pour les jouer !

Aus­si faut-il saluer les édi­teurs qui osent sor­tir des sen­tiers battus.

French fragrancesFrench fragrances

Sous ce titre, le haut­boïste Phi­lippe Tondre et la pia­niste Danae Dör­ken ont enre­gis­tré des pièces de musique fran­çaise pour haut­bois écrites entre 1921 et 1974 : la Sonate de Saint-Saëns, la Sona­tine de Pierre San­can, la Sonate de Pou­lenc, la Sonate d’Henri Dutilleux et la Séré­nade pour quin­tette à vent avec haut­bois solo d’André Joli­vet. Excep­té la Sonate de Saint-Saëns, agréable pièce clas­sique, il s’agit d’œuvres qui relèvent toutes de la même démarche : tout en res­tant réso­lu­ment tonales, elles cherchent à inno­ver en jouant en même temps sur les har­mo­nies, les timbres et les rythmes. 

Pou­lenc, dont la Sonate fut l’une des der­nières œuvres, et Dutilleux sont encore joués ici et là. Mais San­can et Joli­vet – sur le nom de qui Bou­lez a fait un jeu de mots assez ignoble – sont tom­bés dans l’oubli avec bien d’autres (Del­vin­court, Rivier, Fran­çaix…), à la suite de la chape de plomb jetée par les aya­tol­lahs des musiques ato­nale et sérielle sur tout ce qui n’était pas conforme à leur idéo­lo­gie. Voi­là une occa­sion de les redécouvrir. 

1 CD KLARTHE

<yoastmark class=De Paris à Prague

Le cla­ri­net­tiste Lilian Lefebvre et le pia­niste Vincent Mar­ti­net ont asso­cié des pièces qui ont en com­mun un prin­cipe simple et clair : hors de toute école, liber­té totale en res­tant dans le cadre de la musique tonale. Ain­si, dans la pre­mière Rhap­so­die pour cla­ri­nette et pia­no, Debus­sy jette les pré­mices d’une musique nou­velle qui influen­ce­ra tout le XXe siècle. Leoš Janáček, dont le disque pré­sente la ver­sion pour cla­ri­nette de la Sonate pour vio­lon et pia­no, et Vik­tor Kala­bis – Sonate pour cla­ri­nette et pia­no –, com­po­si­teur tchèque moins connu, sont deux per­son­na­li­tés fortes dont les musiques rugueuses et nova­trices étonnent encore aujourd’hui.

« Dans la première Rhapsodie pour clarinette et piano, Debussy jette les prémices d’une musique nouvelle qui influencera tout le XXe siècle. »

La Sonate pour cla­ri­nette et pia­no de Pou­lenc, qui clôt le disque, est avec la Sonate pour haut­bois (ci-des­sus) une de ses toutes der­nières œuvres ; on y trouve tout ce qui fait le charme de Pou­lenc : lignes mélo­diques exquises, har­mo­nies sub­tiles, un fond d’humour, qui per­mettent de l’identifier dès les pre­mières mesures. Pou­lenc, c’est l’archétype de la musique fran­çaise intel­li­gente, sédui­sante, qui ne se prend pas au sérieux. 

1 CD KLARTHE

Weinberg, Lutoslawski, une vie d’enfantWeinberg, Lutoslawski, une vie d’enfant

Que ce soit expli­cite ou caché, il y a, dans l’œuvre de tout com­po­si­teur et au fond de tout artiste, la marque de son enfance ; les Scènes d’enfants de Schu­mann sont l’exemple même de l’évocation d’une enfance heu­reuse dont on garde à jamais la nos­tal­gie. Wein­berg, dont on connaît la vie dif­fi­cile, fuyant la Pologne enva­hie par les nazis pour les purges sta­li­niennes et l’antisémitisme de l’Union sovié­tique, n’a dû sa sur­vie qu’à la pro­tec­tion de son ami Chos­ta­ko­vitch. Il n’a jamais su ce qu’était deve­nue sa mère res­tée en Pologne. 

On conçoit que ses Three Children’s Note­books pour pia­no char­rient à la fois la nos­tal­gie de son enfance et le sens du tra­gique qui imprègne toute sa musique. Au fil de ces 23 petits flashs de mémoire, c’est toute une vie qui défile. La trop dis­crète pia­niste japo­naise Lei­ka Mato­ba joue ces pièces avec ce mélange de légè­re­té et de gra­vi­té qui carac­té­rise si bien l’enfance et qu’il est rare de trou­ver chez un inter­prète. Elle a choi­si d’associer sur le même disque des pièces de Lutos­laws­ki, lui aus­si mar­qué par la Deuxième Guerre mon­diale, pour la plu­part ins­pi­rées par le folk­lore polo­nais. Écou­tez ces pièces rares seul, assis dans un fau­teuil pro­fond, en buvant une tasse de thé blanc, et fer­mez les yeux : votre enfance est là. 

1 CD TAC/CLASSICS

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