De l’entrepreneuriat tech à l’école maternelle Stéphane Le Viet (X99), cofondateur de l’école M

En 2017 Stéphane Le Viet (X99), serial entrepreneur de la Tech, a cofondé un réseau d’écoles maternelles bilingues à impact social : l’école M et la Fondation 2 000 jours. Son objectif est de faire de la réussite scolaire une réalité pour tous les enfants et de contribuer à réduire les inégalités, qui se creusent dès la maternelle.
Stéphane, tu as cofondé Multiposting, une start-up technologique à succès. Quel est ton parcours entrepreneurial et qu’est-ce qui t’a conduit à cette aventure ?
En 1994, alors que j’étais encore adolescent, j’ai eu la chance de découvrir le monde du web et je me suis passionné pour la création de sites Internet. À 15 ans, je lançais des sites au sujet de séries télé comme Friends ou X‑Files. Grâce à ça, j’ai commencé à gagner un peu d’argent et, plus tard, j’ai lancé un autre site dédié au cinéma : 6nema.com. En parallèle avec mes études en France et aux États-Unis, je n’ai donc jamais quitté l’univers entrepreneurial.
Après quatre ans dans des carrières classiques pour un jeune diplômé – le conseil à New York et la finance à Londres – j’ai décidé de créer ma première start-up, Multiposting, avec Gautier Machelon, mon meilleur ami. Fondée en 2008, Multiposting proposait une solution de multidiffusion d’offres d’emploi sur le web. Nous avons créé l’entreprise à 50/50 avec Gautier et, après un financement initial de 100 000 euros, nous nous sommes développés en autofinancement. Quelques années plus tard, nous avons vendu l’entreprise à SAP ; Multiposting générait alors 10 millions d’euros de chiffre d’affaires et était très rentable.
Après la vente de Multiposting, tu t’es lancé un nouveau défi : entreprendre aux États-Unis. Peux-tu m’en parler ?
Après cette première aventure, avec Gautier nous avons décidé de nous lancer aux États-Unis, dans le domaine du recrutement toujours : Work4 est née. Work4, c’est une solution permettant aux entreprises de recruter sur Facebook. À l’époque, LinkedIn était en train de révolutionner le recrutement des cadres. L’idée était de développer la même chose, mais pour les non-cadres. Nous avons donc créé une solution technologique pour recruter via Facebook.
Portés par la réussite de Multiposting et son rachat par SAP, nous avons rapidement levé 11 millions de dollars auprès du fonds américain Matrix Partners et j’ai déménagé à San Francisco avec ma famille. Pour renforcer l’équipe, je me suis tout de suite associé avec un jeune diplômé de Berkeley qui avait été admis à Harvard Law School et qui décida de dropout pour nous rejoindre. À l’époque, cette prise de risque m’avait beaucoup impressionné et illustrait bien une certaine différence de mentalité entre les États-Unis et la France. J’avais recruté Matt à distance, je lui ai envoyé un billet d’avion pour venir me rencontrer à Paris, et c’est comme ça que tout a démarré.
L’expérience américaine a été beaucoup plus difficile. Gérer des équipes entre les États-Unis et la France, c’était un vrai défi pour moi. Et puis le produit n’était pas assez performant au début, et il était difficile de fournir des candidats via Facebook à un coût attractif. Il y a eu des hauts et des bas et, à un moment, j’ai souhaité passer la main et un nouveau CEO m’a remplacé. La société s’est développée opérationnellement sans moi, mais je suis resté au conseil d’administration avec Gautier. Aujourd’hui Work4 devenue Seiza vient d’être vendue à Adzuna, une société anglaise.
Après Multiposting et Work4, pourquoi t’es-tu tourné vers l’éducation, et plus spécifiquement vers les écoles maternelles avec l’école M ?
En 2014, je suis rentré à Paris pour cofonder avec deux associés une nouvelle start-up : Legalstart. Après quelques années à participer avec succès au développement de l’entreprise, j’ai décidé de lancer un nouveau projet dans un secteur qui me passionne et me tient à cœur, l’éducation. J’ai toujours aimé l’école, j’ai eu des parents extraordinaires, j’étais bon élève et plusieurs profs m’ont marqué. Mon parcours scolaire m’a beaucoup apporté : une école bilingue jusqu’au collège, Louis-le-Grand au lycée, une prépa à Ginette, l’X et puis Harvard comme dernière année.
Devenu père et de retour des États-Unis où j’avais vu beaucoup de choses intéressantes qui m’ont inspiré, je voulais créer un projet avec un impact durable. Avec un de mes meilleurs amis d’enfance, Maxime Faguer, nous avons donc fondé l’école M ; c’est aujourd’hui un réseau de six écoles maternelles bilingues à Paris et en région parisienne. Nous avons également développé une plateforme technologique, jenseigne.fr, qui met à disposition un moteur de recherche de ressources pédagogiques pour les enseignants (blogs d’enseignants, sites institutionnels, éditeurs scolaires, etc.).
Contrairement à mes projets précédents (Multiposting, Work4, Legalstart), où l’objectif était précis (monter, développer, vendre), ce projet s’inscrit dans le temps long et a une dimension d’impact très forte (30 % des enfants scolarisés dans nos écoles bénéficient d’une aide financière).

La création de l’école M repose sur des principes innovants. Quelle est la vision et quelles sont les valeurs derrière ce projet ?
Nous avons créé l’école M afin de faire de la réussite scolaire une réalité pour tous les enfants et de permettre à chaque enfant de développer son potentiel, quels que soient ses goûts, ses intérêts, son rythme et ses forces. Comme l’a montré le Prix Nobel d’économie James Heckman, tout ce qui se passe avant l’âge de 6 ans est clé et c’est pour cette raison que nous avons décidé de nous concentrer sur la maternelle. Entre 0 et 6 ans, un enfant parcourt environ 2 000 jours et cette période pose les bases de l’épanouissement scolaire, personnel et social.
Dans cet esprit, nous avons également créé la Fondation 2 000 jours, qui aide les familles défavorisées à accéder à une éducation maternelle de qualité, un pilier essentiel pour réduire les inégalités (80 % des élèves décrocheurs sont déjà en difficulté en CP). Notre volonté est de proposer un modèle d’école privée accessible au plus grand nombre de familles, quelle que soit leur situation financière. Actuellement, presque un tiers des familles reçoivent une aide financière de la part de la Fondation. C’est un projet qui me tient à cœur et que je me vois mener sur le très long terme.

Tu parles de l’importance de l’impact. Comment le concrétisez-vous ?
Nous avons créé la Fondation 2 000 jours (www.2000jours.org) pour renforcer notre impact social. La Fondation 2 000 jours favorise l’accès à l’école des élèves de condition modeste, par l’attribution d’aides pour financer les frais de scolarité. Mais la Fondation, c’est aussi un soutien à plusieurs projets par an dans le cadre de la mission de développement de l’innovation pédagogique pour les 0–6 ans (ex. : Ma Chance Moi Aussi). Les 2 000 premiers jours de l’enfant, de sa naissance à son entrée en CP, sont vraiment cruciaux.
“Les 2 000 premiers jours de l’enfant sont vraiment cruciaux.”
Qui sont les concurrents ?
En France, environ 80 % des écoles sont publiques, 20 % privées, et plus de 90 % de ces dernières sont sous contrat catholique. L’offre privée laïque reste minime, bien que la demande soit forte, notamment pour des écoles bilingues. Au-delà du fait que les enfants apprennent les langues plus facilement, le bilinguisme attire naturellement des familles de cultures diverses. Les écoles bilingues créent une ouverture sur le monde. Au sein de nos différentes écoles, nous avons plus de 40 nationalités différentes. Le marché reste peu concurrentiel, même si quelques groupes se sont récemment créés, avec des approches pédagogiques variées comme Montessori ou l’accent mis sur l’admission dès deux ans. En termes d’impact social, il y a encore trop peu d’écoles privées qui offrent une vraie mixité et le modèle de l’école M est assez unique de ce point de vue.
Tu as suivi le processus de recrutement de l’Éducation nationale avant de lancer votre projet. Pourquoi ?
Avant de lancer notre projet, nous avons décidé de faire une année complète en immersion : visites d’écoles en France et à l’étranger (notamment en Finlande), rencontres avec des enseignants, recherche bibliographique, etc. De mon côté, j’ai aussi fait le processus de recrutement de l’Éducation nationale pour devenir professeur remplaçant en Seine-Saint-Denis. Tous les matins, on m’appelait pour des remplacements de la maternelle au CM2. Cette année d’immersion nous a permis de confirmer que nous voulions cibler le niveau de la maternelle et nous a permis de mieux comprendre les clés pour permettre à une école de bien fonctionner. Pour créer une école, il faut avoir à la fois un projet pédagogique solide et aussi des compétences pluridisciplinaires (aménagement, marketing, recrutement, réglementaire, management, etc.) – nous sommes donc très complémentaires de l’équipe enseignante.

Quels sont tes objectifs à moyen et long terme pour l’école M ?
À court terme, dans deux à trois ans, nous voudrions avoir 10 à 12 écoles en région parisienne. Cela permettrait d’avoir une taille critique et une structure stable d’un point de vue économique. À plus long terme, nous réfléchissons à différentes pistes : développer la formation des enseignants, s’étendre à l’élémentaire ou adopter un modèle de développement différent, par exemple avec un système de licences.
Que dirais-tu à des entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans un secteur différent ?
Entreprendre : c’est arriver à être à l’aise avec le fait de ne pas être légitime au sens scolaire du terme. Arriver à casser ces barrières mentales de légitimité et se dire que l’on peut tout apprendre. C’est un peu cliché mais, si on n’essaie pas, on ne passe jamais à la phase de faisabilité. Bien sûr, le long du chemin il y aura des contraintes externes, comme obtenir du financement. L’important, c’est de commencer par se dire que c’est possible, de se lancer et d’apprendre continuellement. À l’école M, nous essayons de transmettre un peu cet esprit entrepreneurial aux enfants, en travaillant beaucoup les compétences socio-émotionnelles (confiance en soi, curiosité, optimisme, etc.). Nous sommes convaincus que, en plus du programme de l’Éducation nationale, ces compétences sont importantes et qu’elles s’apprennent dès la maternelle.