Barrage du Sautet, Isère. La place de l’hydroélectricité pour relever les défis de la transition

La place de l’hydroélectricité pour relever les défis de la transition

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Roland VIDIL

Au cours de la COP28 de Dubaï, les gou­ver­ne­ments se sont enga­gés à « tri­pler » la capa­ci­té de renou­ve­lable à l’horizon 2030. L’énergie hydrau­lique a un rôle à jouer dans ce défi pour l’augmentation de la pro­duc­tion, mais sur­tout pour sa flexi­bi­li­té. L’IEA (Agence inter­na­tio­nale de l’énergie) pré­co­nise le dou­ble­ment de la capa­ci­té d’hydroélectricité à l’horizon 2050. La France est bien pla­cée au niveau mon­dial dans ce domaine et son poten­tiel de déve­lop­pe­ment en la matière est impor­tant, tant en termes tech­no­lo­giques qu’en termes indus­triels et géographiques.

L’ini­tia­tive de réa­li­ser un dos­sier argu­men­té sur l’hydroélectricité dans La Jaune et la Rouge est par­ta­gée entre plu­sieurs experts éner­gé­ti­ciens et Hydro21. Cette asso­cia­tion regroupe plus d’une cen­taine d’entreprises de l’hydroélectricité et a été créée à l’initiative d’Alstom (Maryse Xau­sa Fran­çois et Mau­rice Pra­del) en 2002, avec comme membres fon­da­teurs Alstom, Arte­lia, GEG, EDF, la ville de Gre­noble, INPG et d’autres uni­ver­si­tés, sous la pré­si­dence Jean-Marie Martin-Amouroux.

Un système industriel exceptionnel

Les Alpes fran­çaises consti­tuent le pre­mier pôle hydro­élec­trique en Europe. Elles concentrent en effet (cf. l’encadré ci-des­sous) une den­si­té d’ouvrages sans équi­valent et toutes les com­pé­tences et les entre­prises néces­saires à la maî­trise des exper­tises de cette filière : études géo­phy­siques et envi­ron­ne­men­tales des sites, génie civil et construc­tion des ouvrages, R & D et construc­tion des machines hydrau­liques et élec­tro­mé­ca­niques, sys­tèmes d’information et de com­mande, ana­lyse et réduc­tion des impacts, et enfin exploi­ta­tion des ins­tal­la­tions en syner­gie avec leur ter­ri­toire d’accueil. C’est un cas rare de chaîne indus­trielle qui n’est pas délo­ca­li­sable et dont la France a réus­si à gar­der la sou­ve­rai­ne­té. Cette filière contri­bue depuis près de 150 ans à la capa­ci­té de notre pays à répondre effi­ca­ce­ment au triple défi du déve­lop­pe­ment de son poten­tiel indus­triel tout d’abord, de sa sou­ve­rai­ne­té éner­gé­tique ensuite et désor­mais de la décar­bo­na­tion de sa pro­duc­tion d’électricité.


Chiffres clés de la filière hydro

  • 2 600 cen­trales pour 26 GW de puis­sance installée.
  • 10 à 12 % de la pro­duc­tion annuelle d’électricité et une capa­ci­té à cou­vrir 20 % à 25 % lors des pics de consommation.
  • 5 GW de puis­sance ins­tal­lée de sto­ckage via les STEP.
  • 1,8 GW : puis­sance ins­tal­lée de la STEP de Grand’Maison, la plus puis­sante d’Europe.
  • Emplois directs : 20 000 en France.
  • Grands groupes mon­diaux : EDF Hydro, GE Hydro, Arte­lia, CNR, etc.
  • Plu­sieurs mil­liers de TPE et PME.
  • Ins­ti­tut Car­not « Éner­gies du futur » : 1 400 chercheurs.
  • Gre­noble INP-éner­gie eau-envi­ron­ne­ment : 1 200 étudiants.

De précieuses qualités intrinsèques

L’hydroélectricité demeure sur le podium des éner­gies les plus effi­caces et res­pec­tueuses de l’environnement. Elle coche en effet la plu­part des avan­tages que l’on recherche. Tout d’a­bord, son niveau d’émissions de gaz à effet de serre (GES, entre 6 et 11 gCO₂ eq/kWh) sur l’ensemble du cycle de vie des infra­struc­tures est com­pa­rable à l’éolien et au nucléaire, et bien infé­rieur au solaire pho­to­vol­taïque, sans men­tion­ner les éner­gies fos­siles qui émettent envi­ron 100 fois plus de GES. Ensuite son emprise au sol, expri­mée en kilo­watts par mètre car­ré, est com­pa­rable aux autres filières renou­ve­lables. De plus, son empreinte matière (0,038 kg/kWh) est la plus faible de toutes les filières de pro­duc­tion. Enfin, son taux de retour éner­gé­tique (TRE, en anglais EROI) éle­vé (de l’ordre de 80) place l’hydroélectricité au meilleur niveau des filières élec­triques, au-des­sus des autres filières renouvelables. 

La pro­duc­tion hydro­élec­trique est pilo­table et flexible. Les cen­trales de lac per­mettent de la réserve sai­son­nière. Les cen­trales au fil de l’eau ont sou­vent aus­si des pos­si­bi­li­tés de sto­ckage de quelques heures. Une part impor­tante du parc ins­tal­lé avec un niveau de flexi­bi­li­té très attrayant est uti­li­sé pour répondre aux pointes de consom­ma­tion, comme aux pics et creux de pro­duc­tion des éner­gies inter­mit­tentes. Elle couvre actuel­le­ment la majo­ri­té des besoins d’électricité uti­li­sés pour l’équilibrage du réseau élec­trique, au niveau local comme au niveau natio­nal. Elle pos­sède enfin des exter­na­li­tés qui en font une filière éner­gé­tique excep­tion­nelle, car elle rend des ser­vices d’intérêt géné­ral à la popu­la­tion : ges­tion du par­tage de la res­source en eau, impact posi­tif en termes de tou­risme, lis­sage des crues et réduc­tion des périodes d’étiage, etc.

Une production de base et de pointe

La France a déjà une élec­tri­ci­té hau­te­ment décar­bo­née (32 gCO₂ eq/kWh en 2023) et une bonne maî­trise des filières éner­gé­tiques indus­trielles, en par­ti­cu­lier grâce au nucléaire et à l’hydraulique. Elle est ain­si le pays de plus de trente mil­lions d’habitants ayant le mix élec­trique le plus décar­bo­né au monde. 

Dans le futur, cette excel­lence fran­çaise doit pou­voir béné­fi­cier des atouts pro­cu­rés par la filière hydrau­lique qui conti­nue­ra de jouer un rôle de pre­mier plan. D’abord dans la pro­duc­tion d’électricité de base et de pointe. Avec 26 GW de puis­sance ins­tal­lée en France, l’hydraulique four­nit en moyenne 12 % de la pro­duc­tion élec­trique natio­nale. C’est une source de flexi­bi­li­té recher­chée pour le réseau grâce à la réac­ti­vi­té de la moi­tié de son parc, qui peut adap­ter en quelques minutes la puis­sance pro­duite à la demande pour four­nir entre 20 % et 25 % de la demande lors des pics de consom­ma­tion hivernaux. 

Ce besoin de flexi­bi­li­té néces­saire à la sécu­ri­té du réseau élec­trique est voué à aug­men­ter avec le déve­lop­pe­ment pro­gram­mé des parcs éoliens et solaires pro­duc­teurs d’une éner­gie fatale et inter­mit­tente, au gré de l’intensité des flux natu­rels solaires et éoliens décor­ré­lés de la demande. L’hydroélectricité, seule éner­gie renou­ve­lable qui soit décar­bo­née, locale, pré­vi­sible et pilo­table, joue­ra un rôle cru­cial dans le bon fonc­tion­ne­ment du sys­tème élec­trique fran­çais et sa stabilité.

Le stockage et les STEP

Dans sa pros­pec­tive pour les scé­na­rios du futur, RTE pré­voit un besoin de capa­ci­tés flexibles de 33 GW. Les mesures prises pour que les consom­ma­teurs adaptent leur consom­ma­tion ne suf­fi­ront pas, ni les échanges avec les pays voi­sins où les phases de sur­plus et de pénu­rie de soleil et de vent sont cor­ré­lées. Aus­si l’essentiel de ce besoin en capa­ci­tés flexibles sera assu­ré par notre capa­ci­té à déve­lop­per le sto­ckage, indis­pen­sable à la ges­tion du réseau. 

Les STEP (sta­tions de trans­fert d’énergie par pom­page) sont aujourd’hui la pre­mière source de sto­ckage. Elles sont effi­caces, éco­no­miques pour des sto­ckages de quelques heures à quelques jours, n’utilisent pas de maté­riaux rares et ont besoin de moins de fon­cier que les bat­te­ries à volume de sto­ckage équi­valent. En France les STEP repré­sentent aujourd’hui une puis­sance ins­tal­lée de 5 GW et le poten­tiel de déve­lop­pe­ment reste impor­tant. Au niveau mon­dial de nom­breux pro­jets de STEP sont en construc­tion ou en préparation.

Le développement économique des territoires

En plus de four­nir de l’énergie, l’hydroélectricité est la matrice du déve­lop­pe­ment éco­no­mique, de l’aménagement et de l’attractivité des ter­ri­toires. Outre les retom­bées fis­cales locales signi­fi­ca­tives, la filière est un moteur pour l’économie et l’emploi local (exploi­ta­tion et main­te­nance des ins­tal­la­tions, sous-trai­tance, recherche, for­ma­tions, etc.). 

C’est ain­si que les lacs de bar­rage (Serre-Pon­çon, Mont-Cenis, Le Sau­tet, Mon­tey­nard, etc.) sont deve­nus de véri­tables pôles d’attractivité tou­ris­tique. L’hydro­électricité contri­bue enfin à la ges­tion de la res­source en eau. Une part des eaux de sur­face en France est sto­ckée dans les bar­rages hydro­élec­triques. Ce sto­ckage garan­tit la conti­nui­té des usages de l’eau, per­met le lis­sage des crues, la réduc­tion des périodes d’étiage, etc. 

Ces exter­na­li­tés posi­tives consti­tuent des ser­vices d’intérêt géné­ral ren­dus aux ter­ri­toires des­ser­vis. Ils confèrent à l’hydroélectricité un rôle stra­té­gique dès aujourd’hui et à l’avenir dans l’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique des ter­ri­toires de mon­tagne et des cours d’eau équipés.

Et demain ?

Les Alpes fran­çaises ont été le ber­ceau de la houille blanche. Nous nous apprê­tons à célé­brer en 2025 le cen­te­naire de l’Exposition inter­na­tio­nale de la houille blanche et du tou­risme qui fut orga­ni­sée à Gre­noble et a accueilli à l’époque plus d’un mil­lion de visi­teurs. Aujourd’hui, nos mon­tagnes demeurent la pre­mière région hydrau­lique euro­péenne, avec une concen­tra­tion unique de centres uni­ver­si­taires, d’industries et d’ouvrages autour des­quels se greffent des acti­vi­tés éco­no­miques et tou­ris­tiques. Demain encore plus qu’aujourd’hui, la filière hydro­électrique alpine sera le camp de base fran­çais et euro­péen de l’innovation et de la conquête des mar­chés à l’international.

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